Ce n’était…
Ni leur bruit ni leur manque de politesse
Il s’agissait de ma bêtise
D’être fière de leur mauvais goût
Ce n’était ni leur souffle
Religieux ni leurs citations
Du fleuve Styx
Qui me poussaient dehors
Ce fut ma détresse
Qui m’a gardée dans cette salle
Où tout le monde parlait
Parlait et parfois ronflait
Mais comment cela peut-il arriver ?
De s’insérer dans une mauvaise bribe, méchant fragment
de public,
RES publica, la loi publique ; l’essence
de la république,
Oui, ce n’était …
Ni leur bruit inclassable ni leur manque
De politesse issue d’une polis…
Cette voix
Ce matin, j’ai appelé la mairie,
Le vieux syndicaliste avait toujours ce ton
enthousiaste et alerte.
Sa voix n’avait pas encore été brisée par le temps ou
les circonstances.
Peut-être le sera-t-elle demain,
Ou peut-être gardera-t-elle cette chaleur et cette
clarté
De la social-démocratie.
La voix est la chose la plus importante de l’homme,
Même quand elle se tait, elle porte la détermination et
la couleur de l’âme.
Quand la voix se tait, l’homme ne sait pas où il va,
Il est pris de peur, comme un ours
Mené à travers la foire de la vie…
J’écoute les voix brisées, effrayées et fissurées
Dans le cœur natal de la Serbie, elles se font encore
entendre,
Puis se taisent, certaines plus fortes que d’autres,
Mais toujours souffrantes et à bout de souffle.
Les vieux prophètes avaient raison – quand
Les relations sexuelles avec les états tout-puissants
cessent
Et que les arrogants dominent le peuple, ce qui
disparaît en premier
Dans la tribu, c’est la voix ;
Elle est justement codifiée et falsifiée
Par les grands prêtres, toujours plus haut placés,
De cette malveillante technologie programmée.
Comment te dire ?
Comment te dire tout cela alors que
Tu ne peux plus, tu ne veux plus m'entendre,
Julia, que j'aime tellement et qui a tant aimé
Sollers, a écrit
Sur lui toutes ces lettres,
Dans lesquelles rayonnent sa douleur et sa tristesse.
Mais je ne puis dans ces lignes de papier
Retranscrire en un mot ce que TU as été, mon bien-aimé
Osiris, disque solaire sur la face
D'une planète blêmie, et j’ajouterai ceci :
Nous aimions l'air vers lequel tu t’en es allé, toi mon
Eurydice.
Je ne me retournerai pas car il n'y a point d'eau
derrière nous,
Et le Cerbère du temps hurle et cherche à nous mordre,
Il attaque et aboie,
Et voilà ! Je me suis retournée,
Et tu es parti à jamais…
Mais je ne t'ai pas perdu, et tu ne m'as pas perdue non
plus.
7
juin 2024
Il y a des morts...
Il y a des morts qui ne font que
Nous effleurer, on baisse la tête ou verse une larme
Et puis on ne s’y attarde pas, comme si elles étaient
passées ;
Il y a des morts pour lesquelles nous hurlons, elles
passent
Puis, au bout de dix ans, elles nous reviennent en rêve
;
Il y a des morts que nous ne remarquons même pas, mais
qui nous ont emportés vivants, comme si nous étions
déjà morts,
Il y a des morts pour lesquelles nous chantons,
Il y a des morts auxquelles on ne prête aucune
attention,
Il y a des morts qui ne sont pas les nôtres – on se
teinte les cheveux et elles passent,
Il y a des morts pour lesquelles nous portons un
talisman ou une voix, comme un avertissement,
Il y a des morts faciles et d'autres très dures,
Il y a des morts après lesquelles personne
Ne nous manque, il y en a qui passent
Mais reviennent quand nous sommes au plus bas,
Il y a des morts qui nous attendent derrière la porte
Ou derrière l’embrasure, pendant que nous faisons des
crêpes
Ou des beignets que le défunt aimait,
Il y en a qui nous laissent au milieu de la foule
Ou dans le silence, complètement seuls. Il y en a qui
crient
Ou restent silencieuses, il y a des morts
Qui nous piquent comme un moustique et d’autres
Qui nous mordent comme un chien,
Il y en a qui ne nous touchent pas et d’autres
Qui nous transpercent de douleur, avec une précision
Mathématique de leur « plus jamais ».
Et alors on se demande jusqu'où nous sommes allés, si
désormais
Notre tour est venu et combien de temps
Nous allons continuer ainsi...
Ode à la liberté – à mort la
quarantaine
Ceci est un poème tout à fait ordinaire,
Il ne se révolte pas, ne crache pas sur les autres
poèmes,
Il n’aime pas, ne déteste pas, ne bronche pas
Il ne s’élève pas au-dessus des autres pièces,
Mais je l’affirme haut et fort : après
Quasiment deux ans passés en résidence surveillée
Je suis sortie dans la rue, masquée tel Zorro ou le Che
Et je suis partie, ici et ailleurs, tout comme cet
original qui fabrique
Des frondes avec des élastiques, encore encore et
encore
À une soirée de poésie… cette fois-ci pour une revue
De jeune poésie italienne, la meilleure que puisse
produire
L’Italie après Pasolini et Dario Bellezza.
Il y avait ce jeune collègue au cœur brisé, au foie
meurtri,
À la confiance bafouée - au compte bancaire piraté,
Totalement éteint, mis à part peut-être cette lueur que
l’on nomme
« le dernier espoir », qui lorsqu’elle
s’éteint nous conduit nécessairement
à sauter d’un pont.
Mais dans son poème, il n’a pas dit tout cela ou du
moins il a récité
Son œuvre avec calme, parfaitement audible et pur, seul
son pied gauche
Tremblait et traduisait tout ce que faisait son poème.
Que de souffrance dans cette poésie, des nuances
qu’aucune caméra de Zoom
N’aurait pu saisir, et sous la table le poète
tremblait, frissonnait
Et je me demande encore comment nous avons pu
Dans cette prison éclairée de Zoom
Rester si longtemps, nous autres poètes,
Ainsi que tous les autres
Êtres vivants…
©Nina Živančević
Traduction : ©Raphael Baudrimont
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