D'une langue à l'autre...
et textes
incidemment, sciemment
ou comme prétexte. Traduction.

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Actu : JUIN 2014 - D'une langue à l'autre...


 ce mois-ci,  on navigue d'une nationalité à l'autre selon les lectures de Dominique Zinenberg




JE ME SOUVIENS

présenté par

Dominique Zinenberg

Je me souviens de la beauté de lire.

Ce sont pages innombrables qui forment un
temps à part dans la vie, un temps qui recrée, nous maintenant vivant et alerte.
Le temps de lire est un qui vive sur le monde comme si nous étions tous « des guetteurs mélancoliques » que charment la scansion, le rythme, les images qui passent, le souffle qui se répand, puissant et chaque fois unique pour chacun des écrivains que nous rencontrons, choyons, lisons.


Je me souviens de W ou le souvenir d'enfance de Georges Perec et dans le retentissement déjà lointain de cette magnifique parabole, de ce récit de souvenirs en lambeaux

Je me souviens de Sur la scène intérieure de Marcel Cohen dont le texte si sobre, si dénué de pathos et que j'ai lu dernièrement est un livre tombeau pour des êtres chers et dont il ne resterait nulle trace sans ce témoignage, ses photos, ses rares objets ayant été en leur possession.

Je me souviens de la saga norvégienne de Herbjorg Wassmo constituée de 7 tomes. Je me souviens qu'elle m'a transportée dans un pays de glace, de neige,de sentiments violents et de personnages d'une humanité brusque et parfois sauvage et de la coulée de langue primordiale dans laquelle tout chantait, même le meurtre.

Je me souviens d'Austerlitz de W.G Sebald, de la beauté presque inquiétante de sa langue. J'en tremblais quelquefois, m'arrêtant de lire comme si lire c'était s’arrêter, contempler le texte seulement.

Je me souviens de J.B Pontalis et de mon sentiment de proximité avec cet analyste subtil. Ce sont affinités électives qui me faisaient virevolter de bonheur quand je voyais un nouveau Pontalis en librairie. Je me disais « je vais lui écrire » et quand il est mort au cours de l'année 2013, mon coeur s'est serré comme si j'avais perdu un proche, un ami, oui un « ami inconnu ».

Je me souviens d'Erri de Luca que j'ai découvert en lisant Tu Mio. J'ai tout de suite aimé une certaine rudesse dans le ton, des images et des sentiments forts, un secret de douceur derrière cette rudesse et la beauté de chacun de ses livres et parmi ceux que je préfère il y a ses interprétations des textes bibliques Le noyau d'olive comme Première heure par exemple.

Je me souviens de Patrick Modiano et de son monde secret, feutré couvert d'un voile qui lui est consubstantiel, un brouillard pour aveugle clairvoyant. Je me souviens en particulier de Dora Bruder et de Un Pedigree.

Je me souviens de Pascal Quignard : musique, érudition, obsession du sexuel, de la nuit qu'il renferme, obsession de la mort et sens du récit bref, sens de l'opaque et de la phrase creusée comme un archéologue. Beauté, mystère, creusement jusqu'à la perte de sens parfois et musique qui sourd, toujours identique, phrase unique pour l'oreille absolue de la pensée.

Je me souviens de Raymond Carver. Que se passe-t-il avec lui ? Comment l'inquiétude peut-elle surgir de rien? Quel pouvoir a-t-il pour créer une telle tension avec des riens de la vie, juste des moments de vie de boisson, de soirées arrosées, de disputes à peine esquissées? Quel art que celui de finir ses nouvelles sans chute, comme si elles n'étaient que béance entre deux béances, une force de réalité d'une aveuglante maîtrise.

Je me souviens de Jonathan Franzen et de ses Corrections.

Je me souviens de Paul Auster. Des récits de liens, de partage, de circulation infinie entre les personnes.

Je me souviens de Toni Morrison. Je me souviens de Home.

Je me souviens d'Antoine Choplin et de quelques-uns de ses livres : Le héron de Guernica, La nuit tombée. Simplicité, empathie, réflexions sur l'art, beauté des dialogues, force des récits qui s'ancrent dans l'histoire et dans la vie des gens.

Je me souviens d'Amour de Hanne Orstavik. Terrible histoire qui me hante.

Je me souviens de la Bascule du souffle de Herta Müller. Je ne pourrais oublier comment elle a décrit la faim dans les camps communistes. Quelle poésie que ce livre, quelle terreur pourtant, ne décrit-elle pas ?

Je me souviens de Imre Kertész.

Je me souviens de Rosa Candida, de la fraîcheur de cette histoire, de ce personnage qui traverse des épreuves comme dans un conte initiatique et qui s'ouvre à la vie avec confiance, sans colère et qui recrée un jardin disparu. Un état de grâce rare.

Je me souviens d’Annie Ernaux, les Années, l'Autre fille, Retour à Yvetot. On y sent couler la vie, on y sent le temps qui passe, aucune complaisance.

Je me souviens de Virginia Woolf. Vers le phare que j'ai lu à la fin de l'été 2013 et dont la beauté stupéfiante m'accompagne encore les jours de grand désarroi, une perfection dans les imperceptibles déplacements de la lumière, de l'humeur, de la disposition d'esprit, un chant d'amour et de mort, un chant de nostalgie, un hymne à l'art, à la nature, au sentiment maternel et d'absence.

Je me souviens de tant d'autres écrivains que j'oublie pour le moment et que j'aurai une honte éternelle d'avoir oublié si je relis ces pages et qu'alors je me  souviens autrement.

Je me souviens sans fin de Proust.

Je me souviens des poètes.  

Dominique Zinenberg.


***


NOTES

1. W ou le souvenir d'enfance de Georges Perec, Il y a dans ce livre deux textes simplement alternés… L'un de ces textes appartient tout entier à l'imaginaire, l'autre texte est une autobiographie… (voir chez Gallimard)

2. Sur la scène intérieure de Marcel Cohen
«Je sais bien que les objets familiers sont synonymes d’aveuglement : nous ne les regardons plus et ils ne disent que la force de l'habitude. Mais le coquetier, dans le placard à vaisselle, et ne serait-ce que de façon très épisodique, a eu bien des occasions de susciter quelques bouffées de tendresse à l’égard de Marie.
»
(Voir chez Gallimard)
 
3. La saga norvégienne de Herbjorg Wassmo contient 7 tomes :
La saga des immigrants : meilleur roman suédois du siècle.
Tome 1 Au pays – (l'histoire des premiers pionniers suédois partis conquérir l'Amérique) - Tome 2. La Traversée – Tome 3. La terre bénie – Tome 4.Les pionniers du Minnesota – Tome 5. Au terme du voyage – Tome 6.L’Or et l’eau – Tome 7.Les épreuves du citoyen.– et parfois le Tome 8. La dernière lettre au pays natal.
(Voir Centerblog)

4. Austerlitz de W.G Sebald
Dernier livre publié du vivant de son auteur… ( Voir Wordpresse)

5. J.B Pontalis
(voir sur bibilio )

6. Erri De Luca et Tu-mio
(Voir à la FNAC et Babelio )

7. Patrick Modiano et de son monde secret
(Voir sur Envie d'écrire)

8. Pascal Quignard
(Voir sur Bibliomonde

9.Raymond Carver
(Voir sur Franceculture)

10. Jonathan Franzen et de ses Corrections
(Voir sur Critiques)

11.Paul Auster
(Voir sur wikipedia)

12. Toni Morrison- Home
(Voir sur lesinrocks.com)

13. d'Antoine Choplin et de quelques-uns de ses livres : Le héron de
Guernica
(Voir sur Francopolis, la présentation de Dominique Zinenberg.)

14. Amour de Hanne Orstavik
(Voir sur le monde )

15. Bascule du souffle de Herta Müller,
(Voir sur Francopolis, la présentation de Dominique Zinenberg)

16. Imre Kertész
(Voir sur babelio )

17. Rosa Candida
(Voir sur zulma.fr)
 
18. d’Annie Ernaux, les Années, l'Autre fille, Retour à Yvetot
(Voir sur wikipedia.org)

19. Virginia Woolf, Vers le phare
(Voir carnet de lecture)

20 Proust
(Voir sur Wikipedia)


 Je me souviens
(souvenirs de lecture)
  par Dominique Zinenberg
Francopolis juin 2014

Créé le 1 mars 2002

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