Yuri Shevchuk est mon
héros
Il a dit
Pendant son concert
- espérons que ce ne sera pas le
dernier -
« Un pays de naissance n’est
pas un cul de président qu’il faut sans cesse caresser et embrasser.
Il n’est qu’une pauvre
vielle qui vend des pommes de terre
devant la gare ferroviaire. »
L’artiste est toujours le serviteur d’un roi
Sa Cour paraît seulement plus petite
Ou parfois plus grande.
Lorsqu’il est invité chez le roi
Il se demande toujours
Si sa place est à table
Ou s’il doit s’asseoir sous la table comme le chien.
Parfois il se trompe
Et il finit sous la table
Ils disent tous ensuite qu’il « a trop
bu ».
L’artiste est toujours le serviteur d’un roi
cruel ou tendre, riche ou pauvre.
Michel Ange souffla sur son lit de mort ces dernières
paroles : « Le pape me doit toujours six cents ducats pour la
Chapelle Sixtine. »
L’Allemagne sous la neige, il neige toute la
journée
Comme dans le temps passé
Nous avions oublié le bruit de
la neige,
nos retours dans nos pays natals
et les visages chiffonnés de nos vieux amis.
Comme dans le temps passé
j’ai déjà oublié les traits de leurs visages.
Je me suis enfoncée pendant
quarante-huit heures dans une profonde et agréable fatigue avec des
enfants qui n’ont parlé
Ni de l’argent, ni du
réchauffement climatique, ni de la vieillesse, ni de la mort. Ils ont
simplement fait attention à ne pas tomber du lit de leur chambre
Exactement, comme moi
Pendant toute ma vie.
Est-ce que je me trompe ou quelque chose de
plus profond se passe dans le monde ?
Je ne vais jamais me réjouir de regarder le paysage
Entre Calais et Douvres enfoui sous les mouettes et sous
les vagues sauvages
Je ne peux pas me réjouir de regarder cette scène après
les événements de la jungle de Calais
Une fois arrivé à Londres
Qui est ce que je pourrais rencontrer désormais ?
Où est ce que je pourrais aller ?
Je suis une migrante
Qui a été entourée avec des êtres trop vite disparu
Dans une autre dimension
Une figure froide d’écume s’approche en brandissant sa
faux
Mes êtres les plus chers ont disparu
Ils ont ressenti une sorte de dégoût et d’écœurement du
quotidien de la planète
Mon répertoire téléphonique n’affiche que des numéros non
attribués
Et comme mon thérapeute me conseille de rester en
mouvement
Je me demande quel est l’endroit que j’ai préféré à
Londres ?
Est-ce que c’était la misère noire de mon premier squat où
j’ai atterri quand j’étais une jeune fille ou bien était-ce la splendide
suite du Savoy Hôtel où mes amis ont utilisé mon nom pour déjeuner et
dîner sans payer.
Bon. Ces événements, et toute ma vie, se sont passés très
vite
Le tombeau de Karl Marx accolé au tombeau d’Alma Mahler
dans le cimetière de Highgate
Témoignent de leur gloire humaniste
Est-ce cet endroit où mes ailes de Hermès
pourraient maintenant se diriger?
Poèmes inédits.
Traduits par Nina Živančević et Pierre Merejkowsky
Le Russe
Il est planté devant l’écran de
télévision
Immobile.
Pétrifié il regarda les tanks
russes et les bombardiers qui anéantissent l’Ukraine
Il dit « c’est vraiment
terrible
Quelle horreur »
J’étais à ce moment concentrée sur
le lavage de la vaisselle et sur la préparation d’une légère collation
Et aussi par le tri du linge de
corps
Avant notre grand voyage de demain.
Planté devant l’écran de télévision
Immobile
Il se mit tout d’un coup à rire.
« Pourquoi ris-tu ?
Et qu’est-ce qu’il y a de
drôle ? »
Je lui demande bouleversée.
« Je ris encore de ta
proposition d’aller à Saint Petersburg
Pour exiger que Poutine me rende
notre ancienne maison
Tu te rends compte à qui nous avons
à faire ?
Quel diable. Quelle horreur quelle
horreur »
Poème inédit.
Traduit par Pierre Merejkowsky
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