La Victoire sur le soleil
(Pour Velimir
Khlebnikov)
Nina-lecture-1
Je suis bouleversée.
Un tel long
Un tel embêtement
Une telle longue et embêtante vie.
Sous les hospices
De notre vie commune.
Donc chaque être qui
Lit un livre par jour
doit se méfier des docteurs…
Donc personne ne peut nous
aider, à tel point autant qu’un
bon livre. Si seulement on savait
le lire correctement.
Mais l’histoire dont je parle
est tellement vieille
et fatigante
une
histoire vieille et
fatigante...
Il
y avait
un
homme qui voulait
s’occuper
de quelqu’un
Mais
tout ce qu’il voulait faire
c’était
lire et écrire
En
effet il voulait vraiment
mais
vraiment
avoir
un enfant et probablement une femme docile,
et
ensuite il y avait cet
autre
homme qui voulait seulement l’argent et gloire,
sa
propre gloire et de l’argent
en
effet, il voulait quelque chose d’extraordinaire
mais
en réalité – tout ce qu’il désirait
c’était
de la lecture,
il
devint cinéaste
Car avec sa gloire et son argent
Il pouvait faire des films et ensuite
Il y avait un homme qui voulait
rêver – donc il
Écouta très attentivement
Il écouta les rêves
Des autres
Il avait tellement peur
La nuit il avait peur d’une chose que
je n’ai jamais vue car
Chaque être qui lit
Un livre par jour n’est pas un
Être normal quelqu’un de bon
Mais une poubelle pour
les rêves-fatigues
Et il y avait
Cette femme-là
Cette émotion pathétique,
Elle ramassait ses souvenirs
Comme on ramasse des pommes
Et il y avait cet enfant
qui avait l’air sur son visage
trop sérieux
pour son âge même s’il
avait presque quarante ans
Il jouait avec la ponctuation
dans la neige mais il
ne s’est jamais plaint de la froideur
Ou de quelque autre émotion sanglante
mais il y avait
Cette baleine qui
criait vers l’aube et aussi
En regardant les couchers du Soleil
clairs-oranges
On avait un horizon
Et l’écran fumeux
Et ensuite oh ensuite
Tout avait disparu
Le soleil avait disparu
Nous avons perdu contrôle
Sur le terrain
On ne trouvait « où s’accrocher »
Mais tiens, on avait notre vie,
Copié-collé, la taille de cette
hexagonale énorme
Et devant cette vie
Je suis restée debout
Bouleversée ! Ha !
Une – longue ...tel un long ...
Bouleversement !
(traduit par Pierre Merejkowsky
et l’auteure)
Le
corbeau
(poème
d’après et pour Edgard Allan Poe)
Nina-lecture-2
Et ce n’est pas que les choses ne
reviendront plus avec ce «never
more»
mais elles ne reviennent plus avec
cette folle intensité, si effrénée
et pour moi si précieuse...
Ton œil luisant, ô corbeau,
toi, si parfait, imposant, insolent
et encombrant
toi, créature à la forme impeccable
d’oiseau solitaire
ton œil pénétrant brille intensément
ce matin lorsque tu te poses sur ma
terrasse du Kerala
oui, c’est à toi, pendant que tu
gobes
des fruits dans ma main, que je peux
chuchoter «never more»
(traduit
par Harita Wybrands)
Cédric
Herreu
Nina-lecture-3
Est mon héros
Il a mené 123 migrants
Et leur a trouvé
Abris et nourriture
Aux environs de Marseille
Puis il a été arrêté
8 mois en prison
Puisqu’il est interdit
par la loi de 2012 de perpétrer
le délit de solidarité...
Partout s’étend le mal
telle une toile empoisonnée
(traduit
par Pierre Merejkowsky et l’auteure)
Nietzsche
Nina-lecture-4
Qui est cet homme ? Un nœud de
serpents sauvages
qui rarement, entre eux, connaissent
le repos – alors ils
s’en vont chacun de leur côté et
cherchent leur proie
dans le monde.
Celui qui écrit avec du sang et en
aphorismes,
celui-là ne veut pas être lu mais
être appris par cœur.
Maintenant je suis léger
Maintenant je vole,
Maintenant je m’aperçois en dessous
de moi-même
Maintenant un dieu danse en moi.
Ainsi parlait
Zarathoustra.
***
L’invasion
soviétique partout fut terrible
Dans sa forme la plus explicite à
Prague
Bratislava et Budapest
Dans sa forme la plus subtile à
Belgrade Zagreb Ljubljana
Sur son lit de mort Lénine a déclaré
: VOUS ne devriez pas permettre à Staline d’accéder à mon boulot
Mais Staline l’obtint
Puis vint ensuite Khrouchtchev
Qui sauva néanmoins
La vie à Soljenitsyne
Je me souviens de mon père, directeur
du musée national de Belgrade me disant : ce que tu verras à partir
de maintenant
TU ne devras jamais l’oublier
Il enfonça des billets de banque dans
le tube de dentifrice pendant que nous traversions la frontière entre
la Yougoslavie et l’Italie à Udine
TU ne devras jamais oublier le ciel
turquoise au-des-
sus de Venise, le vert des peintures
du Tintoret les
teintes bleues de Vérone
Les pâles nuances de Botticelli
Une fois de retour dans la ville de
Belgrade
Nous pourrions ne plus jamais les
revoir
Le bleuté du ciel
le rouge des gondoles
La gouvernance de Staline s’étend sur
tous nos pays à
l’Est d’ici et Tito a signé avec lui
un sale marché...
Nous sommes retournés sains et saufs
à Belgrade
mais
Papa a perdu son travail peu après
cela
Je quittais le pays peu après la mort
de Tito
Je sais que Milosevic a été
empoisonné dans sa cellule à la Hague
Et que Zoran Djindjic
a été abattu par balle dans son
jardin
Maintenant nous avons les murs de
Trump et les
drones de Poutine
Néanmoins
Je sais que tous les serbes
tchécoslovaques hongrois
slovaques roumains slovènes
macédoniens polonais,
nationaux et internationaux de
l’avant-garde résistante
sont
Mes sœurs et frères
Aussi
Longue vie à l’anarchie
Ainsi qu’à l’esprit
De notre éternelle résistance
(Prague,
le 17 novembre 2018)
(en écho au dernier poème
sélectionné)
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