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D'une langue à l'autre...
et textes
incidemment, sciemment
ou comme prétexte. Traduction.

 

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Archives : D'une langue à L'autre

 


Mars-Avril 2021

 

 

Nina Zivancevic

-

Poèmes en musique

 (*)

 

 

 

La Victoire sur le soleil

(Pour Velimir Khlebnikov)

Nina-lecture-1

Je suis bouleversée.

Un tel long

Un tel embêtement

Une telle longue et embêtante vie.

Sous les hospices

De notre vie commune.

Donc chaque être qui

Lit un livre par jour

doit se méfier des docteurs…

Donc personne ne peut nous

aider, à tel point autant qu’un

bon livre. Si seulement on savait

le lire correctement.

Mais l’histoire dont je parle

est tellement vieille

et fatigante

une histoire vieille et

fatigante...

Il y avait

un homme qui voulait

s’occuper de quelqu’un

Mais tout ce qu’il voulait faire

c’était lire et écrire

En effet il voulait vraiment

mais vraiment

avoir un enfant et probablement une femme docile,

et ensuite il y avait cet

autre homme qui voulait seulement l’argent et gloire,

sa propre gloire et de l’argent

en effet, il voulait quelque chose d’extraordinaire

mais en réalité – tout ce qu’il désirait

c’était de la lecture,

il devint cinéaste

Car avec sa gloire et son argent

Il pouvait faire des films et ensuite

Il y avait un homme qui voulait

rêver – donc il

Écouta très attentivement

Il écouta les rêves

Des autres

Il avait tellement peur

La nuit il avait peur d’une chose que je n’ai jamais vue car

Chaque être qui lit

Un livre par jour n’est pas un

Être normal quelqu’un de bon

Mais une poubelle pour

les rêves-fatigues

Et il y avait

Cette femme-là

Cette émotion pathétique,

Elle ramassait ses souvenirs

Comme on ramasse des pommes

Et il y avait cet enfant

qui avait l’air sur son visage

trop sérieux

pour son âge même s’il

avait presque quarante ans

Il jouait avec la ponctuation

dans la neige mais il

ne s’est jamais plaint de la froideur

Ou de quelque autre émotion sanglante mais il y avait

Cette baleine qui

criait vers l’aube et aussi

En regardant les couchers du Soleil

clairs-oranges

On avait un horizon

Et l’écran fumeux

Et ensuite oh ensuite

Tout avait disparu

Le soleil avait disparu

Nous avons perdu contrôle

Sur le terrain

On ne trouvait « où s’accrocher »

Mais tiens, on avait notre vie,

Copié-collé, la taille de cette hexagonale énorme

Et devant cette vie

Je suis restée debout

Bouleversée ! Ha !

Une – longue ...tel un long ...

Bouleversement !

 

 (traduit par Pierre Merejkowsky et l’auteure)

 

 

Le corbeau

(poème d’après et pour Edgard Allan Poe)

Nina-lecture-2

Et ce n’est pas que les choses ne reviendront plus avec ce «never more»

mais elles ne reviennent plus avec cette folle intensité, si effrénée

et pour moi si précieuse...

Ton œil luisant, ô corbeau,

toi, si parfait, imposant, insolent et encombrant

toi, créature à la forme impeccable d’oiseau solitaire

ton œil pénétrant brille intensément

ce matin lorsque tu te poses sur ma terrasse du Kerala

oui, c’est à toi, pendant que tu gobes

des fruits dans ma main, que je peux chuchoter «never more»

 

(traduit par Harita Wybrands)

 

Cédric Herreu

Nina-lecture-3

Est mon héros

Il a mené 123 migrants

Et leur a trouvé

Abris et nourriture

Aux environs de Marseille

Puis il a été arrêté

8 mois en prison

Puisqu’il est interdit

par la loi de 2012 de perpétrer

le délit de solidarité...

Partout s’étend le mal

telle une toile empoisonnée

 

(traduit par Pierre Merejkowsky et l’auteure)

 

Nietzsche

Nina-lecture-4

Qui est cet homme ? Un nœud de serpents sauvages

qui rarement, entre eux, connaissent le repos – alors ils

s’en vont chacun de leur côté et cherchent leur proie

dans le monde.

 

Celui qui écrit avec du sang et en aphorismes,

celui-là ne veut pas être lu mais être appris par cœur.

 

Maintenant je suis léger

Maintenant je vole,

Maintenant je m’aperçois en dessous de moi-même

Maintenant un dieu danse en moi.

Ainsi parlait

Zarathoustra.

 

***

 

L’invasion soviétique partout fut terrible

Dans sa forme la plus explicite à Prague

Bratislava et Budapest

Dans sa forme la plus subtile à

Belgrade Zagreb Ljubljana

Sur son lit de mort Lénine a déclaré : VOUS ne devriez pas permettre à Staline d’accéder à mon boulot

Mais Staline l’obtint

Puis vint ensuite Khrouchtchev

Qui sauva néanmoins

La vie à Soljenitsyne

Je me souviens de mon père, directeur du musée national de Belgrade me disant : ce que tu verras à partir

de maintenant

TU ne devras jamais l’oublier

Il enfonça des billets de banque dans le tube de dentifrice pendant que nous traversions la frontière entre

la Yougoslavie et l’Italie à Udine

TU ne devras jamais oublier le ciel turquoise au-des-

sus de Venise, le vert des peintures du Tintoret les

teintes bleues de Vérone

Les pâles nuances de Botticelli

Une fois de retour dans la ville de Belgrade

Nous pourrions ne plus jamais les revoir

Le bleuté du ciel

le rouge des gondoles

La gouvernance de Staline s’étend sur tous nos pays à

l’Est d’ici et Tito a signé avec lui un sale marché...

Nous sommes retournés sains et saufs à Belgrade

mais

Papa a perdu son travail peu après cela

Je quittais le pays peu après la mort de Tito

Je sais que Milosevic a été empoisonné dans sa cellule à la Hague

Et que Zoran Djindjic a été abattu par balle dans son

jardin

Maintenant nous avons les murs de Trump et les

drones de Poutine

Néanmoins

Je sais que tous les serbes tchécoslovaques hongrois

slovaques roumains slovènes macédoniens polonais,

nationaux et internationaux de l’avant-garde résistante

sont

Mes sœurs et frères

Aussi

Longue vie à l’anarchie

Ainsi qu’à l’esprit

De notre éternelle résistance

 

(Prague, le 17 novembre 2018)

 

Écouter la Valse de la Suite de Jazz n° 2 de Dimitri Chostakovitch, dans une interprétation inédite par un quartet de violoncelles : Cellostrada (Cracovie, 2012) : https://www.youtube.com/watch?v=jOSnOuIVsBE

(en écho au dernier poème sélectionné)

 

(*)

Poèmes extraits du recueil Notes en patins à roulettes (2016-2020),

Éditions L’Harmattan (collection Poésie(s)), oct. 2020, 108 p., 13 €.

Lus par l’auteure, avec accompagnement à l’accordéon

par la musicienne Frédérique Simi

 

Nina Zivancevic (Živančević) a été notre invitée au Salon de juin 2012 et, plus récemment, accueillie dans cette même rubrique, en mai-juin 2019, avec des poèmes en version bilingue anglais / français et une consistante notice bio-bibliographique.

Son blog : http://ninazivancevic.com/about/.

 

 

Nina Zivancevic

 

Recherche Dana Shishmanian

 

Francopolis, mars-avril 2021

 

 

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