Poésie-Femme en Afghanistan : Le
cri
Nous
donnons ci-dessous un florilège de poèmes extraits de la première partie
du volume Le visage cache de la femme afghane. Femmes poétesses
d’Afghanistan. Anthologie de poètes femmes afghanes, trad. C.
Charpentier et A. Hashemi pour le persan, N. Manalaï pour le pashto, Paris, Khavaran,
2000, 111 p.
Plus
de deux décennies de la publication de cette anthologie, quand la terreur
et la barbarie reviennent au pouvoir dans ce pays ravagé et meurtri, les
poèmes extraits ici forment comme un seul chant, d’une seule voix :
celle de la Poésie faite femme.
D.S.
***
Le
tourment
De la braise de mon poème, ma langue a brûlé.
La flûte dans le halo de mon soupir agité a
brûlé.
Je suis l'exil sans fin, mon crédit n'est plus
rien,
Ma fierté a flambé, mon abri a brûlé.
Je suis endeuillée de cent printemps, ma jupe
est vide de fleurs.
Je suis l'automne de cendre, mon identité a
brûlé.
Une anxiété de flamme se voit dans mes yeux,
J'ai envie de voler, mon ciel a brûlé.
L'exil, ruine des demeures, quand oublierai-je
?
Dans la fièvre de ce tourment, mon âme a brûlé.
Hamideh
Mirzadeh Hosseini
Encore
Le village n’était pas encore sorti de la
stupeur de l’averse
de plomb et de poudre
que les enfants étaient vendus aux émirs arabes
sur les plages de Karachi.
Le village n’avait pas eu encore le temps de
crier de cette gorge de feu
que la vertu des fillettes était vouée au
mausolée de la dureté.
Le village n’avait pas encore ouvert les yeux
sur ce champ de ruines
que son histoire était tamponnée du mot
archive.
Et personne,
personne ne savait
que la jeune fille à demi-morte,
dans les décombres le plus éloignées du
village,
suivait dans son ventre,
de ses doigts pauvres et révulsés,
les mouvements du fœtus de colère et de haine
des lendemains du village.
Khadeleh Lahib Niazi
Lui,
il tue
Lui, il est le guerrier inutile des tueries,
il est atteint par le feu,
par le sang,
par la mort.
Il ne connaît pas la caresse.
lui sait seulement la mort et mourir.
Lui, il est le guerrier des fourvoiements.
Il s'assied sur la dalle en pierre de la nuit
et ne pense qu'à tuer.
Lui, des souvenirs ensanglantés
se réjouit.
Il est atteint
par le hachisch, le chanvre et l'opium.
Lui n'est pas inquiet
mais il est vide,
vide de lui-même,
vide de lumière.
Lui, de l'odeur du sang
se réjouit.
Peut-être est-il une mauvaise prière.
Lui n’a pas de larmes,
il ne connaît pas le chagrin de la mort.
Lui, de la vengeance se réjouit.
Il s'assied sur la dalle en pierre de la nuit
et du noir il s'excite.
Lui n'a pas de médaille de mérite,
il n'a pas non plus de cœur en deuil.
Lui n'a pas de foi
mais il louange le Seigneur.
Tel un hibou aveugle,
il erre autour des dalles en pierre de la nuit.
Fuezieh
Rahgazar
(voir une autre traduction dans l’anthologie Guerre à la guerre,
éd. Bruno Doucey, 2014 – reproduite sur le site La
pierre et le sel de Pierre Kobel, le 7 janvier 2015)
Seule
Il n'y personne ici,
il n'y personne ici
l’oiseau est sans nid
et le parc, sans jardinier,
l’air, sans oxygène,
et
l'espace
sans miroir.
Les fossés sont vides
de
la vue des étoiles,
et soleil est un mirage
qui ne bénéficie pas
aux égarés qui ont soif,
et la lune aussi est un étang vide
sans
eau,
sans
poisson.
Comment crier ?
Oh, mutisme,
et qui demanderai-je
à
l'unisson,
à
la justice ?
Il n'y a personne ici,
il n’y a personne ici.
La bonté est morte
la
lune est morte,
l’eau est morte,
le
puits est mort,
l’arbre a remis ses quatre saisons à l'oubli.
Le nuage,
sa
pluie,
et le bleu sans fin,
son
ciel,
les yeux des étoiles sont flous,
la voie lactée est malade.
Ici, oiseau chantant est pendu
et dans l'œil de l'étoile brillante, une épine.
Ici, le rêve des arbres, l'impatience,
le songe limpide des sources,
la
sécheresse.
lis rationnent l'air
dont le prisonnier reste sans part.
Ici, il n'y a personne,
ni soleil,
ni lune.
On dirait que de mille années
lumière
tu es loin de la vie,
Kaboul.
Leila Serahat Rochani
Le
cri
Moi, de l'espace vide du miroir et du
printemps,
De l'intérieur de cette cabane obscure
Sans lumière ni chanson,
De la ville sans arbre.
Sans joie ni allégresse
Je crie.
Moi, du pays des ignares aux trônes,
Des cœurs amoureux cibles de balles,
Des ruelles morgues,
Du gel de la mer,
Des marécages.
Je crie.
De là où des clous
Sont plantés
A la raie des hommes,
De là où le sang et la cervelle des jeunes et
des enfants
Sont balayés.
Du pavage des rues et des avenues,
Des poignards de la haine de l'étranger aimant,
Du gel de la stature des hommes grands,
Du rugissement effroyable des bombes,
Des souterrains obscurs et sans fente,
Sans lumière, sans air,
Je crie.
De là où depuis des années
Le cercueil du cadavre du front de libération
Tourne sur les épaules éternelles de la folie,
Moi de la gorge blessée de la mère,
De la gorge de la femme,
Sous la pression des griffes du diable,
Je crie.
Les cris endormis par cette désolation
intérieure.
Un chant étouffé,
Une fois,
De cet espace
Et de cette prison de tortures dont je ne sais
de quelle sorte fuir,
Les démoniaques s'ils entendent ma plainte
Éteindront alors misérablement ma voix.
Homa
Azar
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