D'une langue à l'autre...
et textes
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ou comme prétexte. Traduction.

 

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Archives : D'une langue à L'autre

 

Mars-avril 2023

 

 

Regard sur la poésie hongroise contemporaine.

 

Par Adrienn Pataky

 

Étude traduite en français par Anna Tüskés,

et présentée par Monique W. Labidoire

 

Partie II : Sélection de poèmes par Anna Tüskés

 

(Partie I : L’étude, ICI)

 

***

Zsófia Balla

Tant que tu vis

Tant que novembre créée la roche

Que l’hirondelle est futur proche

tu survivras certainement

et tu vivras assurément

jusqu’à ce que le marronnier

sème sa braise sur la lande

tandis que l’eau claire du vivier

prend la couleur de la lavande

que le froid doucement altère

le regard fixe des poissons

tant que la brume danse, légère

autour des chiens maigres qui errent

et que les pauvres ont leur misère

Tu vivras tant que sera tien

une maison, une table, du pain

derrière toi une ombre cirée

dans ta voix une mouette salée

une rose brûle à ta fenêtre

cape d’eau en cristal clair

tant que tu bordes ta mère si vieille

que tu embrasses les tourelles.

 

Tu vivras tant que ne seras seule.

 

Le bruit t’éloignera de ton seuil

l’hiver te mangera les pieds

et le gel sera ton collier

Quatre roues te secouent des craves

t’apprennent à voler sois brave

des ordres comme des herbes rêches

frappent ton cœur Des pare-neige

Tu ne vis que tant que le gel

brûle ta peau, ta sentinelle

et que la honte comme le non-dit

accroche ta chair, t’ensevelit

tu ne vis que

tu ne vis que

tant qu’ici bas

tant que l’effroi

chuchote, marque chaque aurore

chaque tournant chaque train-automne

 

ton cœur qui bat, et bat toujours

est au bébé au nom si lourd

la tendresse entre vous se tisse

l’automne est lisse

tant qu’il est là

 

Traduit du hongrois par Kinga Dornacher,

publié dans : Zsófia Balla, Spirituoso

 

 

 

Szabolcs Várady 

Le commencement de l'âge adulte

En pardessus, mais en dessous en pyjama,

tu es debout dans une Salle de bains étrangère qui

pardessus le marché tient joliment d'une catacombe.

Le bon plaisir du sommeil t'a jeté là — et tu es là.

II te semble que tu avais un passé : cette persona

faisait tant bien que mal partie de quelque chose.

Quelque chose faisait partie d'elle. L'amour, bien sûr.

Puisque tu es là, toilette-toi. L'élan vers son pays

de la chair obstinée — refoulé.

L'eau te sera un grand bien. Pourtant

tu n'as pas imaginé un tel commencement

de l'âge adulte. Sûrement pas

définitif — non, ça non, jamais !

Mais point ne sert de trépigner ici.

Essuie-toi, attends que ça passe.

Ou les rats attentifs — to chair poussiéreuse,

ou toi — l'issue cachée, enfin,

mais quelqu'un trouvera sûrement quelque chose.

 

Traduit du hongrois par György Gera, publié :

https://www.magyarulbabelben.net/works/hu/V%C3%A1rady_Szabolcs-1943/A_feln%C5%91ttkor_kezdete 

 

 

István Kemény 

Lettre d’adieu

Ma chère patrie, je t’aimais,

tu m’aimais toi aussi, ou tu faisais semblant :

tes manuels et tes poètes

me demandaient pour toi d’être fidèle enfant.

 

Fidèle j’ai été, adulte suis devenu,

sans en cynique me changer,

seulement une usine de sucre désaffectée dans la brume,

déprimée, pesante, flouée.

 

Des chevreuils grelottent dans les labours

ou une bourgade, je n’y vois guère.

Tu m’avais promis un secret, patrie, sur

ce qui compte dans l’univers.

 

Et si tu te lançais parfois,

nul problème que tu ne m’aimes pas,

que tu en aimes un autre, ou toi-même, qu’importe,

mais d’un seul coup tu as vieilli.

 

Tu devins mauvaise, aveugle, usagée,

une vieille étrangère demeurée,

qui, emmitouflée dans la haine,

voudrait vivre encor mille années.

 

Tu ne m’as prié ni de te laver

ni que je te laisse, tu n’as pas bronché,

telle un tapis posée sur le néant,

tu ne t’es même pas laissée tromper.

 

Entre-temps mon thé s’est évaporé

et je ne suis plus qui j’étais naguère,

ma vie peut, sans grand happy end,

toucher à sa fin, comme un vers.

 

Tu fais celle qui n’entends pas,

ton pouvoir sur moi est trop grand.

Je vais vieillir avec toi et j’en mourrai, si

je ne te quitte pas à présent.

 

J’irai sur les chemins tant que je suis en vie :

je veux utiliser mon cœur.

Ma tête fera écho lorsque tu sonneras,

je t’aimais, ma chère patrie.

 

Traduit du hongrois par Guillaume Métayer; publié : Nil et autres poèmes

https://www.lyrikline.org/es/poemas/hangok-folyoja-5277?showmodal=fr

 

 

 

Krisztina Tóth 

Fleuve de voix I.

Un cœur bat sous le cœur, la voix sous le mot jase,

     le typhon sous les ponts, la phrase sous la phrase :

qu’emporte le fleuve profond aux eaux enflées,

     son lit plissé, errant, que peut-il bien rouler ?

Il répète sans fin corps flottants dans sa crue,

     villes où, la nuit, des court-circuit s’imprimèrent ;

fronts algueux des maisons, morse des réverbères,

     montent dans sa mémoire obscure et biscornue.

il murmure des noms, ses routes éloignées

     vers des jardins pentus, des palais d’eau baignés,

liste les bourgs noyés partout sur son chemin,

     bâches moites, moisies : ses rêves en sont pleins,

cite peaux de melon, silence aux murs que poissent

     les eaux, pièce où le temps dessine ses atlas,

il se répète, il roule de houleuses phrases,

     vaste baie où les remorqueurs même se croisent,

roule ses tableaux, mire des lunes qui tremblent,

     transcrit sans fin le temps en ses métamorphoses,

- voie des signes, le ciel –, vrille les morts ensemble,

     tout est citation et lit de quelque chose,

dans le courant des mots, il est, il faut qu’il soit

     un espace où chacun rejoint la grande phrase,

Un cœur bat sous le cœur, la prescience jase,

     typhon tonnant, débâcle du fleuve des voix.

 

Code Barres, traduction du hongrois par Guillaume Métayer,

Paris, Gallimard, 2014

 

 

Anna Terék

Étrangère

je n'ai point de langue officielle,

je n'ai qu'une culture mixte,

ça m'est égal en quelle langue je demande

le pain au magasin et si mon amant

me dit en hongrois ou pas qu'il me veut.

ça m'est égal que

Noël soit en décembre ou non,

de même quelle est la date du Nouvel An.

ça m'est égal

quelle que soit ma nationalité.

néanmoins ce serait si bien d'être

une vraie étrangère quelque part.

 

Traduit du hongrois par János Lackfi, publié :

http://transpoesie.eu/poems/808

 

 

 

Dániel Varró 

On vit une époque de fous !

(extrait)

On vit une époque de fous !

Ce n’est plus du tout comme autrefois,

De nos jours, on ne se parle plus,

On fait des bips sur des boutons

Lui, là, il fait des bips en société,

Des bonnes manières, il n’a que faire

Et lui, pendant son trajet en bus,

Celui-là, tout seul, à la maison,

Entre deux cours, à la récréation,

À l’église, où l’organiste improvise,

En faisant la queue au magasin,

Ou pendant que les frites cuisent,

En attendant son burger cheese,

Il appuie sur deux, trois touches grises.

 

Époque de fous, usages de fous,

Bientôt nous les oublierons,

Et d’autres les remplaceront,

Comme on le fit pour la calligraphie :

Quoi ? De nos jours ? Pareille étrangeté ?

Qui dans l’encre sa plume trempe,

Fait durer d’une lettre le tracé,

Afin d’en respecter la courbe aimée ?

Par simple lettre écrite, d’ailleurs,

Qui échange aujourd’hui des idées ?

Le courrier se fait rare, quel malheur,

Une boîte aux lettres, autrefois,

Tous les jours s’en donnait à cœur joie,

Mais où sont passées les lettres, quoi ?

 

Traduit du hongrois par Juliette Camps,

publié : http://transpoesie.eu/poems/765

 

 

 

Agnès Nagy Nemes

Et pour finir un poème de Agnès Nagy NEMES qu’on ne doit pas oublier.

Nuit

Je n’avais vu pareille nuit

Vu rien de plus noir que ce noir

Un fouet qui cingle est cette pluie

Délivrez-nous du mal ce soir

 

Délivrez-nous du mal ce soir

Je n’avais vu pareille nuit

Au ciel monte un grand cheval noir

Le haut du ciel s’épanouit

 

Sur ses pas des taches de sang

De sang son fer est tout couvert

L’éclair fait des sillons sanglants

Sous la voûte ils suivent l’éclair

 

Sillons sanglants taches de sang

Je n’avais vu pareille nuit

Un fouet qui cingle est cette pluie

Délivrez-nous du mal ce soir

Délivrez-nous du mal ce soir.

 

Traduit par Guillevic et publié dans Guillevic :

Mes poètes hongrois, CORVINA Budapest 1967

 

 

 


Sélection de textes : Anna Tüskés

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