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Archives : D'une langue à L'autre

 

Mars-avril 2023

 

 

Regard sur la poésie hongroise contemporaine.

 

Par Adrienn Pataky

 

Étude traduite en français par Anna Tüskés,

et présentée par Monique W. Labidoire

 

Partie I : L’étude

(Partie II : Sélection de poèmes traduits en français,

 ICI)

 

« Un cœur bat sous le cœur… »

 

Adrienn Pataky nous livre ici une étude sur la poésie hongroise contemporaine très documentée et qui tente de n’oublier personne. D’où l’importance, pour elle, d’insérer et de nommer les poètes qui font référence dans cet article. Les lecteurs de Francopolis sauront, comme ils le font pour les nombreux dossiers sur des poètes de langue étrangère présentés dans la revue, découvrir les mots et les noms hongrois, cette langue agglutinante et musicale parlée par une douzaine de millions de personnes dans le pays même et dans sa diaspora.

Adrienn Pataky nous offre un panorama de la poésie contemporaine, qui ne peut pas ne rien devoir à ses aînés, de Sándor Pétöfi à Attilà József et Endre Ady, poète phare de la poésie hongroise dont l’œuvre est fortement engagée dans un idéal révolutionnaire. Comme chez un Lamartine ou chez notre grand Victor Hugo, la poésie hongroise est en partie sous l’influence d’un climat révolutionnaire ou tout au moins d’un idéal social qui marque la créativité des poètes révélant un état d’être, une « âme » particulièrement ouverte sur le monde, sensible à la marche de ce monde et singulièrement à sa propre histoire. Un pays trop longtemps divisé, occupé, meurtri par des régimes contestables, un pays épris de musique et de poésie dans lequel les plus jeunes générations essaient d’ouvrir les espaces du quotidien aussi bien qu’un ressenti plus existentiel.

Adrienn Pataky nous montre l’importance des revues qui œuvrent pour une communauté fraternelle réunissant les poètes « Les uns avec les autres », traitant des thèmes universels de la poésie, du sentiment amoureux comme de l’esthétique et de la beauté d’une langue, une jeune poésie (et plus mature aussi) qui, comme ses aînés, sonde le vécu et trace le futur, maintenant fortement comme devise avec l’excellente poète Chrisztina Tóth : « Un cœur bat sous le cœur / la voix sous le mot jase ».

©Monique W. Labidoire

 

Adrienne Pataky (né à Sopron, en 1986) a obtenu son doctorat en littérature à l’Université Eötvös Lóránd de Budapest, en 2018. Ses domaines de recherche sont : la lyrique hongroise moderne et contemporaine, le sonnet, la vie et l’œuvre d'Ágnes Nemes Nagy, la revue Újhold, la poésie de György Petri. Son CV en hongrois ; en anglais.

 

Anna Tüskés est historienne de la littérature et des arts ; elle a passé son doctorat en 2009 et travaille à l’Institut d’Études Littéraires du Centre de Recherches en Sciences Humaines de l’Académie Hongroise des Sciences et depuis 2018 également au Département de l’Histoire de l’Art de la Faculté des Arts de l’Université de Pécs.

Elle a publié dans les pages virtuelle de notre revue, à cette même rubrique : Ágnes Nemes Nagy – une anthologie en français (numéro de septembre-octobre 2022) et un entretien avec l’écrivaine Maria Mailat sur les échanges artistiques et littéraires franco-hongroises, à la rubrique Gueule des mots (numéro de mai-juin 2021).

(D. S.)

 

À propos de la poésie hongroise contemporaine

(1)

Les poèmes hongrois contemporains adoptent souvent un ton nouveau pas nécessairement liés aux tendances précédentes et mériteraient plus d’attention internationale qu’ils n’en reçoivent actuellement. Cependant, leur adaptation en langue étrangère n’est pas facile.  Le traducteur lui-même est confronté au choix des poèmes qu’il doit traduire et n’aura peut-être pas l’idée de ce qui est précieux et de ce qui l’est moins dans le vaste corpus d’une œuvre.  (Bien sûr, il est difficile, même pour les locuteurs natifs, de déterminer laquelle des œuvres contemporaines serait intemporelle.) La relation personnelle est donc cruciale, bien qu’elle ne soit souvent pas suffisante pour un volume – on le voit par exemple dans la correspondance française d’Ágnes Nagy Nemes (2), dont l’anthologie de poèmes franco-hongroise a finalement été publiée cette année, trois décennies après sa mort. En ce qui concerne ce qui est traduit, ce n’est pas seulement la qualité esthético-poétique qui est décisive, mais aussi la mesure dans laquelle un auteur/une œuvre en langue étrangère peuvent être intégrés dans l’environnement de la langue cible.

Actuellement, dans l’enseignement public hongrois, il est normal de considérer comme contemporains des poètes comme Ágnes Nagy Nemes (1922–1991), János Pilinszky (1921–1981), Sándor Weöres (1913–1989) qui étaient de jeunes poètes en 1945. Cette date est une frontière politico-idéologique et non pas une césure esthétique : nous y intégrons les trois années d’une Hongrie « libre » après la Seconde Guerre mondiale, puis le régime oppressif de Mátyás Rákosi (de 1948 à 1956) et l’ère Kádár (de 1956 à 1989) lorsque les auteurs ont été regroupés en trois catégories « supporté, toléré, interdit » en fonction de leur degré de réponse aux attentes du régime. La poésie de György Petri (1943-2000) ou d’Ottó Orbán (1936-2002), qui ont écrit pendant la plus grande partie de leur vie sous l’ère Kádár, est souvent enseignée en tant que contemporains, même aujourd’hui, bien qu’ils soient morts depuis deux décennies. Il y a encore quelques années, Dezső Tandori (1938-2019), János Térey (1970-2019), Szilárd Borbély (1963-2014), Sándor Csoóri (1930-2016) ou Sándor Kányádi (1929-2018) auraient certainement fait partie du canon vivant de la poésie hongroise. Mais dans cette étude, je considèrerai les auteurs vivants comme contemporains, et j’essaierai de me concentrer sur les plus jeunes afin de tracer un arc de tendance historique.

Des poèmes caractéristiques de la poésie contemporaine, tout comme ceux de nos aînés, redéfinissent constamment le concept du poème, ouvrant un nouvel espace poétique à travers lequel ils font place à la tradition, non seulement en termes de thématique, mais aussi selon les lignes de l’art poétique et de la manière de parler qui évolue de génération en génération : par exemple Oravecz dont les thèmes-clés de sa poésie sont la mémoire et l’oubli, l’interdépendance du moi et du toi  est proche de Lőrinc Szabó, tandis qu’un Petri se réfère à Attila József, c’est-à-dire (principalement) à la poésie moderne tardive des années 1930.

Dans la poésie hongroise d’aujourd’hui, il y a un pluralisme des valeurs, plusieurs aspirations et façons de s’exprimer coexistent. La tendance significative la plus récente est le post-modernisme, qui accueille le langage quotidien dans la poésie, et montre les conflits internes du langage et notre immersion sensible dans le langage. Les sujets le plus souvent traités sont déstabilisation, déstylisation, antirhétorique et fragmentation. Le paradigme post-moderne caractéristique des années 1960 et 1970 s’est formé dans le sillage de la poésie de György Petri ou d’Imre Oravecz, aux côtés de Dezső Tandori, et peut être considéré comme un tournant dans l’histoire de la poésie hongroise. Une étape importante a été l’anthologie Költők egymás közt [Poètes entre eux] de 1969, dans laquelle Petri a été introduit par István Vas, qui était déjà "établi" et Oravecz a été présenté par Weöres. L’année symbolique de la révolution postmoderne est 1973, car c’est alors que le livre Egy talált tárgy megtisztítása [Nettoyer un objet trouvé] de Tandori a été publié. (Petri, qui est célèbre pour ses poèmes politiques/émotionnels/sociaux, a publié son premier volume en 1971 : Magyarázatok M. számára [Explications pour M.] ; et le premier volume d’Oravecz, qui évoque aussi Paul Celan, est de 1972, intitulé Héj [Coquille].) Cela montre aussi que le post-modernisme n’est pas un seul courant poétique, une seule façon de parler.

Dans la littérature hongroise du XXe siècle, l’idéal poétique de chaque époque était généralement lié à une revue ou à un atelier intellectuel : Nyugat [Ouest] (1908-1941), Újhold [Nouvelle lune] (1946-1991), Holmi [Affaires] (1989-2014). Les auteurs de Újhold, caractérisés comme hermétiques et objectifs (principalement Ágnes Nagy Nemes) sont encore aujourd’hui des prédécesseurs stables. De tels poèmes ont été écrits par de nombreux poètes, considérés comme post-modernes. Takács et Tóth, par exemple, renouvellent la tradition de Újhold du point de vue de l’usage quotidien du langage, Kukorelly s’inspire également de la néo-avant-garde hongroise et de la nouvelle sensibilité ouest-européenne, et Parti Nagy semble penser davantage à la poésie des jeux de mots de Tandori. Le post-modernisme hongrois se caractérise également par une remise en question du confessionnalisme de Petri, Tandori et Oravecz (3).

Pour mieux approcher les thèmes de la poésie hongroise, on peut citer quelques poèmes caractéristiques du groupe « Holmi » :

Ajtófélfámon jel vagy [Tu es un signe sur mon montant de porte] par Ágnes Gergely qui est une confession sur l’absence angoissante d’un père disparu, la tragédie de l’Holocauste, l’identité, l’un des premiers poèmes du traducteur-enseignant) ;

Ahogyan élek [Ma façon de vivre] par Zsófia Balla, un court poème sur la patrie du poète né en Transylvanie, diplômé de l’académie de musique, qui a vécu toute la dictature Ceaușescu (1974-1989) en Roumanie et n’a émigré en Hongrie que dans les années 1990. De nombreux membres de sa famille sont morts à Auschwitz mais ses parents en sont revenus.

A klinikán még egyszer [A la clinique encore une fois] par László Lator, un poème de deuil émouvant, poème d’adieu, paroles d’amour du plus ancien classique hongrois contemporain, qui a chanté les psaumes avec la jeune Ágnes Nemes Nagy.

Fény utca [Rue claire] par Zsuzsa Takács, poème funèbre du traducteur-poète à la mémoire de sa mère.

A felnőttkor kezdete [Le début de l’âge adulte] par Szabolcs Várady, un bloc-poème philosophique de l’ancien meilleur ami de Petri et éditeur posthume de ses poèmes ; ce poème contient l’expression « rejtett kijárat » [sortie cachée], qui est devenue le titre du volume de Várady en 2003.

Également: Sors bona par le traducteur-poète Mónika Mesterházi, un poème sur le manque d’enfants, sur l’identité ;

Hangok folyója [Fleuve de voix] par la poétesse-écrivain-traductrice-mère Krisztina Tóth, un poème d’art poétique ;

Elhagy [Abandonner] par la poétesse-traductrice-mère Anna Szabó T. qui dépeint l’absence tacite de la mère, la désirant ardemment, c’est le poème titre de son cinquième volume de 2006 ;

Búcsúlevél [Lettre d’adieu] par l’innovateur de la poésie publique et politique hongroise, István Kemény qui est un poème amer de 2011 s’adressant à la patrie.

Mais il y avait aussi d’autres tendances, comme la poésie des Kilencek [Neuf] : leur première anthologie est intitulée Elérhetetlen föld [Terre inaccessible] publiée en 1969, le poème titre a été écrit par János Oláh (1942-2016), la préface par László Nagy. Nagy a souligné que les auteurs (par exemple Oláh et Katalin Mezey) sont tous des enfants de travailleurs manuels, ils connaissent ce travail, mais ils ont ensuite obtenu leur diplôme universitaire. Ils étaient liés poétiquement plutôt à Nagy, Illyés et à la tradition de la poésie populaire. Après le changement de régime (1989), ce groupe a une sorte de continuation dans la revue Magyar Napló [Journal Hongrois] avec János Oláh comme rédacteur en chef, qui est aussi le journal de l’Association des écrivains hongrois, qui existe encore aujourd’hui.

Le groupe Forrás [Source] s’est développé en même temps que les précédents. Le Forrás en tant qu’union des écrivains dont le premier volume a été lancé à la fin de 1961 chez le roumain Irodalmi Könyvkiadó [Editeur de Livres Littéraires], plus tard édité par la maison d’édition Kriterion. Les auteurs regroupés autour de cette collection représentaient un idéal socio-moral et une qualité esthétique contre la dictature sont aujourd’hui généralement classés en cinq générations. Les membres représentant la nouvelle voix de la première génération étaient Gizella Hervay et Domokos Szilágyi (1938-1976), dans la deuxième Zsófia Balla et Árpád Farkas (1944-2021) – leur anthologie importante est le Vitorla-ének (4) [Chant de voile] de 1967 –, dans la troisième András Visky (1957) et Géza Szőcs (1953-2020). La quatrième génération est comptée à partir du volume de 1983 de András Ferenc Kovács (Tengerész Henrik intelmei [Les avertissements d’Henri le Marin]), la cinquième génération est le cercle de ceux qui sont partis après Ceausescu. Parallèlement, dans la littérature hongroise de Voïvodine des années 1960, un mouvement se développe autour de la revue Új Symposion [Nouveau Symposium] avec les poètes Ottó Tolnai, István Domonkos (1940), János Sziveri (1954-1990). En Oblast de Transcarpatie, au tournant des années ‘60 et ‘70, les auteurs sont regroupés autour de Forrás Stúdió [Studio de Source], dans les Hautes Terres les auteurs étaient regroupés autour du journal Iródia dans les années ‘80.

C’est également à cette époque qu’une tendance (néo) avant-gardiste, expérimentale et visuelle se développe autour de la revue parisienne Magyar Műhely [Atelier Hongrois] fondée en 1962 – les noms de Tibor Papp (1936-2018), András Petőcz (1959) et Károly Bari peuvent être mentionnés–, mais la poésie sonore et la performance ne peuvent pas non plus être négligées, la poète-performeur Katalin Ladik (1942) est une légende vivante. Les efforts de la néo-avant-garde, souvent considérés comme extrêmes et étonnants, n’ont pas été intégrés organiquement dans les valeurs hongroises, bien qu’il existe encore aujourd’hui certains de leurs praticiens.

Peut-être que le discours sous-stylisé et non poétique de Tandori et de Petri est l’exemple le plus important pour la plupart des poètes d’aujourd’hui. Bien que pendant un certain temps cette tendance lyrique ait semblé être supplantée par une façon de parler ironique et joueuse dans les années 1990 marqué de nom de András Ferenc Kovács (poète, traducteur, éditeur, membre de la 4e génération de la revue Forrás [Source]) et de Lajos Parti Nagy (poète, écrivain, éditeur), qui est extrêmement difficile à traduire en raison des nombreux intertextes, mais cette tendance semble s’essouffler aujourd’hui. Néanmoins, le langage décomposé de Lajos Parti Nagy était très influent et significatif à son époque : une voix parodique qui utilise les registres inférieurs de la langue parlée, saturée de transcriptions et de formations de mots individuelles, repensant la tradition (de la revue Nyugat), parfois assez mélodique. Des pièces inoubliables sont par exemple Szívlapát [Lame de cœur], Dallszöveg [Texte de la chanson] chanson et Merlin, gerlever [jeu de mot intraduisible] qui sont toutes ancrées dans la langue et la culture hongroises, cette dernière, par exemple, renvoie au poème Szonettek [Sonnets] de Mihály Babits. La tendance à la critique linguistique de András Ferenc Kovács culmine dans la poésie de rôle, tant et si bien que pour lui le texte du poème établit le locuteur sous forme de pastiches, palimpsestes, périphrases masques, translittérations. Le J. A. szonettje [Sonnet de J. A.] qui fait référence à Attila József et János Arany également et le Pro domo font partie intégrante des valeurs hongroises contemporaines.

Par rapport à eux, le ton et le style observés principalement chez les auteurs du groupe Telep [Habitation] nés dans les années 1980 (e.g. Dénes Krusovszky, Péter Pollágh, Kornélia Deres) peuvent être perçus comme un changement qui mène plutôt à la purification, il met en lumière la réduction et la sous-rhétorisation du langage, et souvent la manifestation de ce processus lui-même (le besoin de se conformer au langage et l’exposition au langage). L’œuvre de Petri, Marno, Szijj et Ferenc Gál (1961) en sont les plus proches. Le groupe Telep est peut-être la seule communauté auto-organisée des années 2000 qui a également publié sa propre anthologie (5).

À partir des années 2000 environ, les poèmes sans syntaxe et à structure elliptique sont à nouveau typiques – le poème est un champ expérimental pour faire parler la langue. En même temps, l’émergence de voix narratives confessionnelles ou du moins à la première personne, ainsi que l’appréciation et l’inclusion des aspects des sciences culturelles dans la poésie (du genre social à travers l’identité de genre jusqu’à la crise climatique), est une nouveauté par rapport aux tendances objectives et impersonnelles. L’inclusion de la biologie dans la poésie hongroise connaît une renaissance et produit de nouvelles tendances auparavant inhabituelles dans la littérature hongroise avec la poétique du corps, les études animales, le posthumain ou l’anthropocène. Márió Z. Nemes appartenant au groupe Telep, a créé des corps post humains bizarres et des hybrides dans sa poésie, même son premier volume intitulé Alkalmi magyarázatok a húsról [Des explications occasionnelles sur la viande] (2006) est de nature expérimentale. La fusion de la chair et du monde des machines peut également être ressentie dans la poésie de Kinga Tóth (poèmes de All machine [Toutes les machines] de 2014). Les créatures hybrides de Borgès prennent vie dans la poésie de Zoltán Németh qui dans son volume de 2016 (Állati férj [Mari animal]) crée ses créatures en mélangeant des caractéristiques et des corps humains et animaux, et les utilise pour créer son langage lyrique unique. Ce sont des poèmes troublants, pas légers, tout comme dans le précédent livre de l’auteur Állati nyelvek, állati versek [Langues animales, poèmes animaliers] (2007).

Parmi les auteurs référencés, Krisztina Tóth et Anna T. Szabó écrivent des livres pour enfants ainsi que le poète-traducteur Krusovszky, fondateur du groupe Telep, et le poète-traducteur Dániel Varró, qui – à l’instar de János Lackfi (1971) – dans sa poésie « adulte » est également un représentant de la poésie plus légère, plus humoristique, rythmée et parlée à la manière de Weöres et souvent mise en chansons.

Péter Závada, par exemple, représente une direction plus classique. Dans ses poèmes les plus récents, il est particulièrement remarquable que son modèle important soit la poésie d’Ágnes Nagy Nemes. En comparaison, la carrière de la poésie slam (6) et le fait qu’il ait longtemps été membre d’un groupe de rap forment un contraste saisissant. Au centre de son premier volume (Ahol megszakad [Où ça casse], 2012) se trouve le chagrin causé par la perte de sa mère.

Depuis le tournant du millénaire, la littérature hongroise s’est progressivement centrée sur les traumatismes, le féminisme post-moderne, l’éco-critique et la tolérance envers les opprimés et les marginalisés sont passés au premier plan (7). Une nouvelle caractéristique de la poésie hongroise contemporaine est qu’elle n’est plus massivement dominée par les hommes. La plus grande tâche de la poésie contemporaine mettant l’accent sur les thèmes féminins est de donner un langage et une voix appropriée, et ainsi de la force aux personnes vulnérables, au chagrin et à tout ce qui était auparavant entouré d’un sentiment artificiel de honte, même dans la poésie.

Outre les auteurs cités jusqu’ici et certains de leurs poèmes mémorables (par exemple Krisztina Tóth : Hányszor könyörgtem [Combien de fois ai-je supplié], Zsófia Balla : Ameddig élsz [Tant que tu vis]), par exemple le livre d’Anikó Polgár, Régésznő körömcipőben [Archéologue en talons aiguilles] (2009) est composé de descriptions des changements corporels d’une mère. L’avocate-traductrice Zita Izsó est également entrée dans les valeurs contemporaines avec plusieurs volumes, ses poèmes les plus mémorables sont A hír [La nouvelle] (dans lequel le chagrin nous transperce d’un clic retardé) et Belső naprendszer [Système solaire intérieur] (une représentation lyrique sensible de l’infertilité). Veronika Horváth traite de la vulnérabilité et des maladies du corps féminin dans son livre Minden átjárható [Tout est perméable] (2017).

La poésie lyrique hongroise contemporaine est extrêmement diversifiée, non seulement plusieurs générations, mais de nombreux courants poétiques se côtoient, ne s’annulant pas, mais se complétant.

©Adrienn Pataky

(traduit en français par Anna Tüskés)

 

(1) L’étude a été réalisée dans le cadre du projet « Biopoétique dans la littérature hongroise des 20e-21e siècles » (NKFIH K 132113).

(2) „Láthatatlan selyemsál a számon”. Nemes Nagy Ágnes és Lengyel Balázs leveleiből [Correspondance d’Ágnes Nagy Nemes et Balázs Lengyel], éd. par Attila Buda, Adrienn Pataky, Anna Tüskés, Budapest, Gondolat, 2019.

(3) A kortárs magyar irodalom [Littérature hongroise contemporaine], éd. par Péter Szirák, Debrecen, Debreceni Egyetemi Kiadó, 2021.

(4) Vitorla-ének. Fiatal költők antológiája, éd. et introduction par Aladár Lászlóffy, Bukarest, Ifjúsági Kiadó, 1967.

(5) Telep-antológia, éd. par József Keresztesi, Budapest, Scolar, 2009.

(6) Cela dépend du point de vue si l’on considère le slam comme faisant partie de la poésie contemporaine, en tout cas de nombreux jeunes poètes écrivent/interprètent également de tels poèmes, p.e. Ferenc André (1992), Márton Simon (1984), Zsófi Kemény (1994).

(7) Zoltán Németh, Traumatizált testek a kortárs magyar irodalomban [Les corps traumatisés dans la littérature hongroise contemporaine], Kalligram 2014/12, 94–97.

 

 


Adrienn Pataky (traduction par Anna Tüskés)

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Créé le 1 mars 2002