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Archives : D'une langue à L'autre

 

Septembre-octobre 2022

 

 

Ágnes Nemes Nagy – une anthologie en français :

Les Chevaux et les Anges.

Rumeurs éditions (Collection Centrale / Poésies), avril 2022

Sous la direction d’Anna Tüskés

avec le concours de Guillaume Métayer

 

 

 

Présentation et choix des textes par Anna Tüskés

(*)

 

Ágnes Nemes Nagy, née le 3 janvier 1922 à Budapest où elle disparut le 23 août 1991, fut l’une des grandes voix de la poésie hongroise de l’après-guerre. Poète, mais aussi traductrice, essayiste et professeure, elle avait acquis un haut niveau de compétences linguistiques, tant en français qu’en allemand, au lycée réformé de jeunes filles Baár-Madas à Budapest, une formation d’excellence qui a joué un rôle déterminant dans le développement de son réseau international.

Après le baccalauréat obtenu en 1939, Ágnes Nemes Nagy est devenue étudiante en histoire de l’art, littérature hongroise et latin à l’Université Royale Hongroise Péter Pázmány d’où elle est sortie diplômée en 1944. Entre 1954 et 1958, elle enseigna au lycée Sándor Petőfi de Budapest, puis devint écrivaine indépendante à partir de 1958. Écrivant des poèmes depuis d’enfance, elle a publié dans des revues dès 1945 et, fait paraître son premier volume de poésie dès 1946, année où elle a rejoint l’Association des Écrivains Hongrois, ainsi que le PEN Club Hongrois. C’est cette même année encore qu’avec son mari Balázs Lengyel, elle fonda la prestigieuse revue littéraire Újhold (Nouvelle lune), qui ne fut autorisée à paraître que jusqu’à l’automne 1948. Balázs Lengyel et elles ne purent la relancer qu’en 1986 sous une forme annuelle intitulée Annuaire de la Nouvelle Lune (Újhold Évkönyv).

À côté de son travail poétique, elle a aussi publié des traductions, principalement du français et de l’allemand, tels que des pièces de Corneille, Racine et Molière, des poèmes de Victor Hugo ou de Saint-John Perse et des œuvres de Rilke et Bertolt Brecht), mais aussi, plus épisodiquement, de quelques autres langues. Elle est un représentant exceptionnel de l’essai en langue hongroise dont, à partir de 1975, elle lança l’édition, augmentée de diverses analyses poétiques et entretiens, en plusieurs volumes.

Je ne peux montrer ici, dans ma présentation, qu’une infime partie de la force et de la diversité de son talent. Elle a publié peu de ses œuvres de son vivant, beaucoup de ses poèmes ont été découverts dans ses papiers après sa mort. Elle a composé ses traductions littéraires et ses ouvrages de littérature jeunesse avec autant de soin, voire de sophistication que ses poèmes. Ses mérites comme rédactrice en chef, essayiste et professeure sont durables, elle a placé la liberté intellectuelle et la qualité au-dessus de tout. Avec sa poésie objective et ses vers tardifs en prose, elle est devenue une grande figure de la création poétique hongroise moderne et le chef de file de sa génération. Ses poèmes transmettent non seulement des sentiments humains, mais ils encouragent également à mettre la nature dans une nouvelle perspective : « il faut étudier les arbres ». L’influence de sa poésie continue jusqu’à nos jours, et son œuvre se perpétue, pas seulement dans la littérature.

 

 

***

C’est au cours de ses études à l’université, en 1942, qu’Ágnes Nemes Nagy a rencontré l’avocat et écrivain Balázs Lengyel, et ils se sont mariés en avril 1944. Son poème d’amour emblématique intitulé La soif – publié dans l’anthologie, dans deux traductions différentes, celles d’Anne-Marie de Backer et de Guillaume Métayer – a probablement été écrit en juin 1944, même s’il ne fut publié pour la première fois qu’un an plus tard. Cette pièce, qui subvertit avec audace les conventions de la poésie amoureuse, propose l’expression condensée d’un amour sans espoir qui ne peut être saisi avec des mots.

A szomj

Hogy mondjam el? A szó nem leli számat :

kimondhatatlan szomj gyötör utánad.

– Ha húsevő növény lehetne testem,

belémszívódnál, illatomba esten.

Enyém lehetne langyos, barna bőröd,

kényes kezed, amivel magad őrzöd,

s mely minden omló végső pillanatban

elmondja : mégis, önmagam maradtam.

Enyém karod, karom fölé hajolva,

enyém hajad villó, fekete tolla,

mely mint a szárny suhan, suhan velem,

hintázó tájon, fénylőn, végtelen.

Magamba innám olvadó husod,

mely sűrű, s édes, mint a trópusok,

és illatod borzongató varázsát,

mely mint a zsurlók, s ősvilági zsályák.

És mind magamba lenge lelkedet

(fejed fölött, mint lampion lebeg),

magamba mind, mohón, elégitetlen,

ha húsevő virág lehetne testem.

– De így? Mi van még? Nem nyugszom sosem.

Szeretsz, szeretlek. Mily reménytelen.

La soif

Comment te raconter? Les mots ont fui mes lèvres.

La soif de ton amour me brûle de sa fièvre.

Si mon corps était fleur et plante carnivore

Mon parfum t’aspirant, tu t’y perdrais encore.

J’aurais en moi ta peau tiède et brune, la neige

De ta main fine dont le geste te protège;

Oh! Cette main qui à l’instant tendre et suprême

Me fait sentir combien je suis seule quand même.

Ton bras serait à moi, enroulé sur le mien,

Le noir plumage de tes cheveux m’appartient,

Et comme une aile il plane, il s’élance et m’élève

Vers l’infini des paysages et des rêves.

Je serais confondue à ta chair magnifique,

Douce et pleine de suc comme un fruit des Tropiques,

À ce mirage frissonnant qu’est ton parfum

De fleur marine, de feuillage prédiluvien.

À ton âme, flottant dans l’ombre, aérienne,

Luciole de feu sur ta tête hautaine.

Je t’aspirerais toute, avide, insatiable,

Si mon corps devenait la plante redoutable.

Mais sans cela, que faire? Adieu, repos des soirs!

Tu m’aimes et je t’aime et tout est sans espoir.

Adaptation de Anne-Marie de Backer

La soif

Comment dire? Le mot à ma bouche ne vient pas :

une indicible soif me tourmente vers toi.

– Si mon corps se changeait en plante carnivore,

tu chuterais dans mon parfum qui te dévore.

De ta peau tiède et brune enfin j’aurais ma part,

et de la frêle main qui te sert de rempart,

qui dans l’écroulement de l’ultime moment

dit : je suis demeurée moi-même cependant.

À moi tes bras courbés au-dessus de mes bras,

à moi, tes cheveux, plume noire qui chatoie,

qui, en manière d’ailes, fuient, avec moi fuient,

au pays de tangage éclatant, infini.

Ta chair fondante en moi-même que je la boive

qui, telle le tropique est épaisse et suave,

et l’enchantement à frémir de ton parfum

à l’instar de la sauge et du prêle anciens.

Et serait toute en moi ton âme aérienne

(qui flotte sur ma tête ainsi qu’une lanterne),

tout en moi, qui insatisfaite te dévore,

si mon corps se changeait en plante carnivore.

– Mais quoi? Je ne serai jamais désaltérée.

Tu m’aimes, je t’aime. Il n’est rien à espérer.

Adaptation de Guillaume Métayer

 

Voyager à l’étranger pendant plusieurs mois était une expérience vraiment rafraîchissante après la guerre. Ágnes Nemes Nagy et son mari ont passé trois mois en Italie et trois autres mois en France en 1947–1948. Leur séjour a perturbé leur travail éditorial dans la revue Újhold (Nouvelle Lune), qui, lancé en 1946, était devenu un important forum littéraire d’après-guerre. En même temps, les voix critiques exprimées dans les quotidiens communistes contemporains n’auguraient rien de bon non plus, de sorte que la revue fut bientôt mise au ban pour de bon.

Les années 1950 étaient une période difficile, à cette époque de censure et d’interdits, Nemes Nagy ne pouvait principalement publier que ses traductions et poèmes pour enfants. En partie par nécessité, elle a commencé à travailler au lycée Sándor Petőfi en tant que professeur de grammaire et de littérature hongroises. Les poèmes Lázár (Lazare) et Amikor (Quand) sont des quatre lignes sèches, deux quatrains d’une sécheresse cinglante évoquant l’oppression des années 1950 et de la période qui a suivi le divorce de Nemes Nagy.

 

Lázár

Amint lassan felült, balválla-tájt

egy teljes élet minden izma fájt.

Halála úgy letépve, mint a géz.

Mert feltámadni éppolyan nehéz.

Lazare

Quand sur son séant le mort se redressa

Tout entière la vie avait brisé son bras

Arrachée fut sa mort (un garrot inutile)

Car ressusciter n’est pas moins difficile.

Adaptation de Bernard Vargaftig et Georges Timár

 

 

Lazare

Il s’assit lentement, le mal d’une vie

Entière tordait ses chairs endolories

Et comme la gaze il arrachait sa mort

Car ressusciter exige autant d’effort.

Adaptation de Georges Kornheiser

 

 

Lazare

En ce lent retour à la droite assise,

l’épaule souffre de la vie démise.

La mort arrachée tel un pansement,

revivre ainsi est dur également.

Adaptation de Guy de Bosschère

Amikor

Amikor én istent faragtam,

kemény köveket válogattam.

Keményebbeket, mint a testem,

hogy, ha vigasztal, elhihessem.

Quand

Quand d’un dieu je fis la sculpture

Je ne pris que des pierres dures.

Beaucoup plus dures que mon corps

Pour croire dans son réconfort.

Adaptation de Georges Timár

 

Quand

Quand je fis en ce temps-là un dieu,

je choisis les plus durs rocs du lieu.

Bien plus durs que n’est mon corps à moi,

s’il me console que je le croie.

Adaptation de Georges Kornheiser

 

Tous deux ont été publiés dans le volume Napforduló (Solstice) en 1967. Dans certains des poèmes de ce volume, les croyances populaires et les mythes liés au phénomène naturel du solstice reviennent également. Ce troisième volume de Nemes Nagy marque un tournant dans la vie du poète et on y voit l’aboutissement d’une poésie objective. La pièce emblématique de ce volume est Madár (Oiseau), qui permet des interprétations variées de l’image d’un oiseau comme symbole possible de l’âme, de la conscience, d’un problème vital, ou même de la « vérité », de la morale, des connaissances anciennes ou du sens.

 

Madár

Egy madár ül a vállamon,

ki együtt született velem.

Már oly nagy, már olyan nehéz,

hogy minden léptem gyötrelem.

Súly, súly, súly rajtam, bénaság,

ellökném, rámakaszkodik,

mint egy tölgyfa a gyökerét,

vállamba vájja karmait.

Hallom, fülemnél ott dobog

irtózatos madár-szive.

Ha elröpülne egy napon,

mostmár eldőlnék nélküle.

Oiseau

Sur mon épaule est un oiseau.

Je l’avais déjà en naissant.

Il est si grand, il est si lourd

que faire un pas m’est un tourment.

Lourd, lourd, lourd — paralysie!

Je le chasserais : vain effort.

Lui, s’enracinant comme un chêne

plante ses griffes dans mon corps.

J’entend toujours à mon oreille

l’horrible cœur d’oiseau qui bat.

S’il devait s’envoler un jour —

Sans lui, je sombrerais déjà.

Adaptation de Georges Timár

 

L’oiseau

Un oiseau vit sur mon épaule

Nous sommes nés le même jour

Et chaque pas n’est que souffrance

Tant il est déjà grand et lourd.

Il pèse pèse et paralyse

Mais je ne puis le rejeter

Il plante sa serre en l’épaule

Comme un grand chêne enraciné.

J’entends que bat à mon oreille

Son effroyable cœur d’oiseau

Et maintenant s’il s’envolait

Je m’écroulerais aussitôt.

Adaptation de Georges Kornheiser

 

L’oiseau

Un oiseau est né avec moi

Et sur mon épaule il se perche

Il me fait si mal par son poids

Quand à faire un pas je cherche

Paralysie pèse sur moi

Comme je voudrais qu’on l’arrache

Mais comme un chêne qui s’attache

De ses serres il pénètre en moi

Son cœur affreux d’oiseau qui bat

Je l’entends frémir contre moi

Mais s’il s’envolait je le crois

Je ne me relèverais pas.

Adaptation de Bernard Noël

 

Oiseau

L’oiseau  perché sur mon épaule

naquit en même temps que moi.

Si grand déjà, si lourd déjà,

que chaque pas m’est un supplice.

Poids, poids, poids sur moi, boiterie,

veux-je le chasser, il s’accroche

comme le chêne à ses racines,

fiche en mon épaule ses griffes.

J’entends que bat à mon oreille

son cœur d’oiseau abominable.

Mais si un jour il s’envolait

sitôt sans lui m’écroulerais.

Adaptation de Guillaume Métayer

 

Le poème de Nemes Nagy intitulé Fák (Arbres), traduit en plusieurs langues et publié dans cette anthologie dans trois traductions différentes, a été un jalon dans son œuvre ; c’est la pièce d’ouverture du volume Mémoires de la Terre (1986).

 

Fák

Tanulni kell. A téli fákat.

Ahogyan talpig zúzmarásak.

Mozdíthatatlan függönyök.

 

Meg kell tanulni azt a sávot,

hol a kristály már füstölög,

és ködbe úszik át a fa,

akár a test emlékezetbe.

 

És a folyót a fák mögött,

vadkacsa néma szárnyait,

s a vakfehér, kék éjszakát,

amelyben csuklyás tárgyak állnak,

meg kell tanulni itt a fák

kimondhatatlan tetteit.

Arbres

Il faut apprendre. Les arbres de l’hiver.

Gelés jusqu’aux racines.

Roides rideaux.

 

Il faut apprendre cette raie

où le cristal se fait buée

où l’arbre est à l’instant de devenir brouillard

comme le corps un souvenir.

 

Et le fleuve au-delà des arbres,

le vol silencieux des canards sauvages,

la nuit bleue, son aveugle blancheur,

la nuit pleine d’objets masqués.

Il faut apprendre ici les actes

indicibles des arbres.

Adaptation de Paul Chaulot

Arbres

Il sied d’apprendre. Comment les arbres,

l’hiver, s’engivrent de pied en arbre.

Rideaux dont nul pan ne remue.

 

Et d’apprendre la zone candide,

où le cristal déjà s’embue,

où l’arbre en la neige s’évade,

tout comme un corps dans le souvenir.

 

Et l’eau delà les pins qui passe,

le dur canard au vol de sable,

le lait trouble d’une nuit bleue,

où les choses se drapent de marbre.

Oui d’apprendre combien les jeux

nus des arbres sont ineffables.

Adaptation de Guy de Bosschère

Arbres

Il faut étudier. Les arbres de l’hiver.

Comme jusqu’au tarse ils se glacent.

Des tentures, inamovibles.

 

Il faut étudier ces rangées

où fume déjà le cristal,

où l’arbre nage à travers brume,

comme le corps dans la mémoire.

 

Et le fleuve au-delà des arbres,

les ailes sans voix des colverts,

et la nuit bleue, blanche, aveuglante

hérissée d’objets cagoulés,

il faut apprendre ici des arbres

les actes incommunicables.

Adaptation de Guillaume Métayer

Le poème Nyíló gesztenye (Marron s’ouvrant) était probablement une sorte de jeu, un exercice poétique que l’auteur n’a pas publié à l’époque.

Nyíló gesztenye

JaJ

Kiált a lomb a fára jaJ

Míg kibújok meggyötör a gallY

Nékem is fájsz így felelt az áG

S felnyöszörgött minden egy viráG

Fáj kibújni Fáj kibújni FáJ

Visszahúz az alvadó homálY

S minden sejtben borzongott a kíN

Jaj be fájnaK

AprÓ

BimbaiM

Földre

dőlne

már a

törzse

össze

törne

össze

törne?

reszket minden csepp ere

– – – – – – – – – – – – – – –

s kész a nyíló gesztenye

Marron s’ouvrant

Aïe

S’écria le feuillage à l’arbre aïe

Tandis que je me m’étends la branche me tenaille

Toi aussi me fais mal répondit le rameau

Et chaque fleur aussi m’apporte son sanglot

Fait mal s’étendre fait mal s’étendre fait mal

Me retient la pénombre qui caille

Le tourment a frémi dans la moindre cellule

Aïe quel mal me font

Mes minuscules

Bourgeons

Déjà à terre

choierait

son

tronc

casserait

briserait

briserait

après?

chaque veinule a son frisson.

– – – – – – – – – – – – – – –

et le marron s’ouvrant est prêt.

Adaptation de Guillaume Métayer

L’essence, la forme et le motif de l’arbre sont connus comme les objets de nombreux poèmes de Nemes Nagy. Ce calligramme met également le son au premier plan : non seulement il dessine la forme d’un arbre, mais il fait aussi sonner le poème avec sa paire de rimes (aïe – tenaille, rameau – sanglot). L’évolution de l’arbre peut être suivie du point de vue humain, jusqu’à la formation du fruit, et donc l’évolution du poème lui-même.

Nemes Nagy considérait les voyages comme extrêmement importants, apprenant à connaître de près d’autres cultures. Balázs Lengyel, son ex-mari l’accompagna généralement lors de ses grands voyages - à partir desquels nous pouvons trouver des informations dans ses lettres, ses carnets de voyage et ses essais. Elle a écrit de tels carnets lors de ses voyages en Transylvanie, à Bruxelles ou aux États-Unis, et de nombreux poèmes ont été inspirés par ces voyages. Ses relations avec le monde poétique européen et international furent, autant que possible dans la Hongrie de l’époque, très intenses. Elle assista à plusieurs reprises, à partir de 1962, à des soirées de lecture poétique à l’étranger, ainsi qu’à des rencontres internationales d’écrivains-poètes en France et en Belgique. Elle fit la connaissance d’un certain nombre de poètes français, tels qu’André Frénaud, Paul Chaulot, Pierre Emmanuel et Eugène Guillevic. Elle entretenait une correspondance intense avec eux et ces amitiés poétiques ont été renforcées par de nombreuses rencontres personnelles et des relations de travail autour des traductions littéraires, qui, pendant ce temps, paraissaient en continu, que ce soit ses poèmes en français et en anglais ou ses propres traductions en hongrois. Sa relation avec Paul Chaulot a également laissé sa trace dans les œuvres littéraires en raison des mondes poétiques connexes des deux artistes et de leur sensibilité en miroir à la langue et à la culture de l’autre. C’est presque exclusivement en français qu’elle communiquait avec les écrivains-poètes étrangers, et ce n’est qu’un an avant son séjour de quatre mois dans l’Iowa (États-Unis) en 1979 qu’elle se plongea dans l’apprentissage de l’anglais afin de participer à l’atelier international d’écriture de l’université.

Les œuvres d’Ágnes Nemes Nagy ne nous ont pas quittés. Elle est même aujourd’hui la seule femme auteur obligatoire dans le programme pour le baccalauréat de littérature hongroise. Elle a quatre volumes en anglais, trois en allemand et ce que nous avons le plaisir de présenter aujourd’hui est son premier volume français. Les origines de cette anthologie remontent à 1968, lorsque Péter Balabán, rédacteur en chef en charge du domaine étranger aux Éditions Corvina (Budapest), encouragé par le secrétaire du PEN Club Hongrois György Tímár, écrivit au poète et écrivain français Paul Chaulot à propos du recueil français de poèmes d’Ágnes Nemes Nagy. Chaulot ayant déjà à cette époque adapté un certain nombre de poèmes de Nemes Nagy en français, Balabán lui a suggéré de les publier aux Éditions Seghers, sur le modèle des volumes consacrés aux poètes Endre Ady, Gyula Illyés et Attila József, et édités dans la célèbre série Poètes d’Aujourd’hui. La publication du recueil français des poèmes de Nemes Nagy était prévue pour 1970, mais ce projet n’a pu aboutir, car Chaulot a été victime d’un accident de la route au printemps 1968. S’il s’est rendu à nouveau en Hongrie en mai 1969 et a alors travaillé avec Nemes Nagy, il est décédé quelques mois plus tard.

Au cours des cinquante dernières années, plus de vingt poètes et traducteurs hongrois et français ont travaillé à l’adaptation française des poèmes de Nemes Nagy, certains ayant traduit le même poème plusieurs fois, alors que d’autres poèmes ont fait l’objet de plusieurs versions dues à des traducteurs différents. Nous avons fait le choix de rassembler toutes ces traductions, accompagnées du texte original hongrois en regard. Toute une partie de ces traductions a déjà paru dans diverses revues et anthologies où elles étaient disséminées. Une autre partie, conservée dans le domaine privé d’Ágnes Nemes Nagy, est ici publiée pour la première fois. Enfin, la troisième partie de ces traductions, due à Guillaume Métayer, a été préparée spécialement pour cette édition.

 

 

A lovak és az angyalok

Mert végül semmisem marad,

csak az angyalok s a lovak.

Csak állnak lent az udvaron,

az angyalok meg a szobámban;

csellengnek néha szinte százan —

egy lény mit is tesz önmagában?

Feldobrokol, s ismét megáll,

vagy szárnyát csattogtatja olykor,

mint egy szellőzködő madár.

Csak állnak és nincs semmi más,

csak látvány és csak látomás,

csak láb, csak szárny — az út, az ég,

bennük lakik a messzeség —

oly távol vannak, oly közel.

Talán ők már nem hagynak el.

Les chevaux et les anges

Car à la fin plus rien ne reste,

à part les chevaux et les anges.

Ils sont là, en bas, dans la cour,

et quant aux anges, dans ma chambre;

parfois par centaines y paressent —

que peut donc faire un être seul?

il piaffe et s’arrête à nouveau,

ou de loin en loin bat de l’aile,

comme un oiseau s’éventerait.

Ils sont là et rien davantage,

rien qu’un spectacle et qu’un mirage,

que pattes, qu’ailes — ciel, chemin

en eux demeure le lointain —

ils sont si loin, ils sont si près.

Ne nous quitteront plus, qui sait.

Adaptation de Guillaume Métayer

 

(*)

 

Anna Tüskés est historienne de la littérature et des arts ; elle a passé son doctorat en 2009 et travaille à l’Institut d’Études Littéraires du Centre de Recherches en Sciences Humaines de l’Académie Hongroise des Sciences et depuis 2018 également au Département de l’Histoire de l’Art de la Faculté des Arts de l’Université de Pécs. Elle a fait des relations littéraires hongroises-françaises un sujet de prédilection, comme l’illustre l’entretien accordé à l’écrivaine Maria Mailat, publié dans les pages virtuelles de notre revue en mai-juin 2021 (à la rubrique Gueule des mots).

Elle a entrepris la première édition des œuvres traduites en français de la poétesse Ágnes Nemes Nagy (1922-1991), l'une des plus grandes voix de la poésie hongroise de l'après-guerre, qui n'avait jamais bénéficié d'un recueil entier en français (nous avons signalé cette parution dans nos Annonces d’avril-mai). Pour faire connaissance avec cette poétesse, voir entre autres son interview de 1967, dont des extraits ont récemment été publiés en ligne sur le site Littérature hongroise.

La jeune chercheuse Anna Tüskés a réuni de nombreuses traductions introuvables, dont cinq traductions inédites de Bernard Noël, et d'autres testes disséminés en revue ou jamais publiés dus à Guillevic, Pierre Emmanuel, Bernard Vargaftig, et bien d'autres poètes encore. S'y ajoutent près d'une trentaine de poèmes nouvellement retraduits pour cette édition par Guillaume Métayer. La préface est due à la grande poétesse et romancière contemporaine Krisztina Tóth. Un hommage éclatant à Ágnes Nemes Nagy, poète de l'exploration intime et de la résistance intérieure pendant les années sombres, l'année de son centenaire.

Nous sommes heureux d’accueillir à Francopolis la présentation de cette anthologie exceptionnelle, avec un choix de textes (en original et dans plusieurs traductions-adaptations en français) : nous remercions la chercheuse infatigable et passionnée qu’est Anna Tüskés, pour cette découverte gratifiante. 

D.S.

 


Ágnes Nemes Nagy – une anthologie en français.

Par Anna Tüskés 

      Francopolis sept.-oct. 2022 
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Créé le 1 mars 2002