En
vacances avec ma femme à la Tranche sur mer, nous étions, un jour de grand
soleil, sur la grande plage. Ma femme nageait, mais pas moi. Non, je
préfère œuvrer à des constructions plus intelligentes que de perdre mon
temps à patauger parmi les touristes graissés à la crème tels des grillées
de pain que l’on trempe dans le café du matin. J’aurais eu l’impression de
me sentir comme un vermicelle dans l’eau salée d’un bouillon de cube au
bœuf. Prévoyant comme je le suis, j’avais emmené ma pelle, ma pioche et un
sceau de vingt litres pour éviter toute concurrence dans mon projet
architectural.
Effectivement, s’il est une chose que j’apprécie par-dessus tout, c’est que
mes monuments de sable à faire pâlir le Taj Mahal et le château du roi-soleil
soient les plus hauts et les plus beaux de la plage.
Je vérifiais encore les calculs géométriques du plan de mon nouveau palais
lorsque tout à coup, mon regard fut attiré par une autre construction à une
centaine de mètres. C’était vraisemblablement l’œuvrette d’un garçon d’une
douzaine d’années.
Diantre, était-ce là une provocation ? Ce sale gosse qui, je soupçonnais
être de mauvaise famille parce qu’il n’avait qu’à passer des vacances
ailleurs que sur mon terrain de construction, mine de rien, avait édifié
une véritable forteresse de la hauteur d’un homme, c’est-à-dire mon mètre
soixante dix-huit. Fichtre !
Cet enfant en avait-il une plus grande que la mienne ?
Comme j’étais à l’ouvrage depuis déjà une bonne heure, il fallait me hâter
pour dépasser amplement la hauteur du châtelet du garnement.
Malheureusement, le sable où j’avais établi les fondations étant de
mauvaise qualité et le vent jouant contre moi, impossible de battre le
record architectural. Hors de question pour autant d’abdiquer. Une idée,
fort déloyale je l’avoue, me vint à l’esprit. Habité par celui du loup face
aux trois petits cochons, j’imaginai que par le plus grand des hasards, un
malheureux coup de vent aux allures de pelle comme celle que j’avais dans
les mains, pouvait accidentellement diminuer de quelques bons centimètres,
voire même des doubles centimètres, la construction de l’adversaire. Mieux,
un ballon lancé vigoureusement avec la plus grande et hasardeuse précision
aurait certainement raison de l’assemblage éphémère du gamin. Ni une ni
deux, je retournai à notre véhicule pour prendre de la monnaie et courir
chez le premier marchand d’articles de plage pour me fournir l’arme du
crime en question.
Après avoir déboursé une trentaine d’euros dans un boulet de canon plutôt
réservé au foot, je revins sur le champ de bataille. On allait bien voir
qui allait être le plus fort, non mais des fois. Comprenez que je ne
pouvais pas me laisser marcher dessus par un morveux. Il aurait suffi que
le soir même, ma femme acceptant que je sorte avec comme excuse de me
dégourdir les jambes, j’aurais rencontré sur cette même plage quelques
jeunes femmes en manque de sensation en train d’admirer la tour de Babel du
petit monstre apprenti de Viollet Leduc. De quoi
aurais-je eu l’air, hein ?
Je m’approchai donc discrètement de la construction du gamin en mimant le
drible d’un joueur émérite. Un premier shoot puissant fit malheureusement
passer le ballon à un mètre de l’édifice. Incompréhensible pour mon esprit
de grand sportif alors que je n’étais qu’à deux mètres du monument. Je
courus récupérer le ballon et recommençai avec la ferme intention cette
fois-ci de commettre l’irréparable. J’allai shooter au moment où un grand
bête type d’un mètre quatre vingt-dix, les bras croisés, s’interposa. Le
diamètre de ses bras et le relief de ses plaquettes abdominales que
j’aurais préféré chocolatées afin qu’elles fondent au soleil, me firent
comprendre…
Que le père du gamin était simplement plus sportif que moi. Peut-être le
pauvre bougre pensait-il que j’allais jouer avec lui. Eh bien non, hors de
question d’accepter la moindre trêve. Je retournai avec mépris rejoindre
mon château qui avait vraisemblablement subi des avaries. D’autres
garnements, sans doute complices du premier, avaient souillé mon œuvre.
Agenouillé, en pleurs je pestai contre tous les sales gosses des bacs à
sable. De retour de sa baignade, ma femme me consola. Évidemment, j’avais
évité les inutiles détails de la piètre œuvrette du gamin et de ma vaine et
lâche tentative de démolition.
Comme ma femme me proposa de rentrer, j’insistai pour patienter jusqu’au
départ du gamin concurrent et de son Goliath de père. Lorsque ceux-ci
abandonnèrent enfin le terrain, je trouvai l’excuse de sillonner la plage
pour me rapprocher de la cause de mon ressentiment. Au pied du châtelet de
sable du sale vaurien, je regardai encore une fois l’éphémère avant de
reculer de quelques pas pour m’élancer, puis je courus en donnant un grand
coup de pied dans la construction maudite.
Ne tenant plus face à une soudaine douleur aux orteils, je m’évanouis. Plus
tard je me réveillai à l’hôpital, on me plâtrait le pied. Ma femme
expliquait à l’une des infirmières présentes qu’il m’arrivait parfois
d’avoir d’étranges comportements et qu’elle ne comprenait pas pour quelle
raison j’avais donné un violent coup de pied dans cet immense rocher
recouvert de sable…
***
Michel
Baudry est né en Vendée le 29 octobre 1966. Guitariste du groupe « Voleurs
de Lunes », professeur de guitare en École de musique, il est auteur
de quatre romans dont trois publiés aux éditions du Net (Tout
peut arriver même les meilleures choses, 2013, Le
code de Pandore, 2014, Cristal de sang, 2015), et le
dernier à paraître prochainement.
Participation
à divers salons littéraires : salon du livre de Grasla
2013, 2015, salon de Clisson 2014, 2015, Salon de Jard sur Mer 2016.
|