Plus de musique en eux. Le
silence s’est installé.
Le silence est venu dans la
grande maison verte, avec ses deux valises cerclées de noir.
Il a dit :
-Je suis ici chez moi ! Terminés
les chanteurs ! Terminés les bruits parasitaires !
LE SILENCE.
MOI !
C’est tout !
Alors ils se sont tus.
Au départ, ils s’envoyaient des
petits mots. Le silence les confisquait. Ils ont essayés de communiquer par
télépathie. Mais le silence assombrissait leurs pensées, pourrissait les
idées. Alors l’homme a dit :
-Bon. Si c’est comme ça,
je vais ailleurs.
La femme a dit
-Non ! Tu dois rester,
reste avec moi !
- SILENCE ! A dit le
silence.
-Bon. A répondu l’homme.
Il a tourné les talons. Il est
sorti de la maison verte.
Le silence a dit :
-HEP ! Tes valises !
Prends tes valises et va- t- en ! Tu es décidément très bruyant ! Et tu
remues beaucoup, beaucoup trop de choses. Tu déplaces, tu déranges. Allez,
ouste ! va- t- en loin.
Elle a crié dans son dos de
toutes ses forces pour chercher à le retenir.
- Reste ! Luttons !
On a tout le temps !
- Non, pas le
temps. Tout est joué. Je pars. Et ne me cherche pas.
Et il a disparu. Complètement.
Il a été avalé peut-être ? Ou bien dissout. Ou enlevé. D’un seul coup, hop
! Brusquement, il n’était plus là.
La maison verte s’est
murée dans sa vigne vierge et son lierre s’est engourdi.
Alors elle s’est tue. Elle a
attendu. Assise.
Elle écrivait, écrivait et le
silence disait :
-Moins fort,
l’écriture ! Fais donc taire cet engin bavard !
La poussière tissait un épais
tapis de velours sous elle. Plus de bruit. Pas un geste. Une attente gelée.
Un souvenir figé. Comme une photo. Ou plutôt un reflet enregistré dans le
miroir.
Elle s’est allongée. Elle a
dormi. Elle a dit :
- Je veux mourir.
Puis elle a ouvert la porte.
Elle a respiré à pleins poumons
l’air du dehors. Elle est sortie. Et elle a marché. Doucement.
Longtemps. Calmement.
Arrivée près de la cascade, elle
est montée dans son nichoir. Tout était silencieux. Elle a ouvert la porte
de son esprit, elle a fermé les yeux et elle l’a senti. Elle a reconnu
l’odeur de ses cheveux de sol d’été, l’odeur de sa peau de cocaïne et bu
l’eau neutre de ses yeux clos. Il était là. Il avait toujours été là. Il
n’était jamais parti .Il avait seulement fait semblant et il s’était pris
au vent. Elle le sentait l’envelopper de sa chaleur, de sa douceur, de sa
tendresse.
- Je suis là, mon amour, je suis
en toi, disait-il. D’ici, on ne me délogera pas. Car tu es celle qui me
porte en toi.
- Je suis ta maison de verdure,
lui répondit-elle. Tu peux rester habiter ici. Je te donne tout.
Toutes les pièces, toute la place. Entre. Entre en moi. Que je sois ta
maison, ton refuge, que je sois ton reposoir.
Il est venu. Il s’est planté
loin. Fort. Un arbre a poussé. Un arbre très petit. Un arbre musicien
Qui chantait a tue tête. Il
habitait dedans. Avec son père.
Elle, la femme résidence,
ne bougeait pas trop, ne parlait plus guère. Elle les écoutait. Le père et
son fils l’arbre chanteur.
Elle souriait, les yeux pleins
de lumière, assise dans son nichoir de verdure, au bord de la cascade.
Elle était devenue, tout petit à
petit, une femme fleur. Magnifique. Aérienne et solide.
Ils étaient trois maintenant.
Le père, le fils arbre, la mère
fleur.
Lui le père, était devenu
le roi du vent. On le sentait. On l’aurait vu. Presque palpable.
Plus l’arbre grandissait,
plus il ressemblait à son père. Les feuilles avaient la couleur de ses
yeux. Il est sorti de sa mère fleur. Il avait grandi.
- Va, mon fils, je
t’aime.
Et il est parti.
Le père a dit :
-Je me sens seul dans
cette femme- maison où tout n’est que silence. Il pleut
maintenant. Il pleut. Rien n’est raisonnable ici ! Il est temps que je
rentre.
Il a expliqué à la
femme-fleur qu’il devait aller retrouver la sagesse. Que c’était elle qui
le guidait.
- Je préfère la solitude au
silence, j’aime mieux me gorger d’elle que me repaître de toi
La fleur a laissé échapper un
pâle sourire de rosée.
Il est parti. En coup de vent.
Elle a fané. En souriant.
Tandis qu’elle fanait et
devenait noire et racornie, un homme aux longues mains douces est passé.
Doucement, le soleil de ses yeux a réchauffé le cœur de la fleur.
-Eveille-toi, fleur !
Eveille-toi ! Je suis là, je m’assieds. Regarde, je reste.
Elle a soulevé un pétale et a vu
l’ami aux yeux d’écorces tendres. Elle a déplié ses feuilles tandis qu’il
chantait.
Elle, nourrie par le chant de
l’ami, revenait, revenait, doucement à elle.
-Je ne te cueillerai pas,
pas le moins du monde, je viendrai t’arroser, je serai là.
Tu es jolie, une drôle de fleur
que j’aime. Une espèce que je ne connais pas.
Je ne te cueillerai pas. Ne te
ferai pas de mal. Je serai là. Simplement.
Alors la fleur s’est arrêtée de
faner. Elle a cessé d’être fleur. Elle est redevenue femme,
Peu à peu, dans les yeux de l’homme
aux longues mains douces qui ne bougeait pas.
Il l’emplissait de sa musique
enivrante, et entêtante, rassurante et soyeuse.
Il l’appela Gitane, et elle
s’est mise à danser, les bras ouverts, illuminée de sa musique à lui, qui
ne bougeait pas, à danser pour cet homme aux yeux d’écorces tendres, qui
avait su panser ses blessures.
© Marion LUBREAC
Poétesse
en tous genres (poésies classiques, poésies libres, proses poétiques,
poésie érotique, poésie japonaise : haïkus, senryu, tanka...),
nouvelliste fantastique et horrifique, Marion Lubreac a publié dans de
nombreuses revues poétiques ou littéraires (Vénus littéraire, Le monde
inconnu, revue de l’étrange dirigée par Roger Raziel et Jean Paul
Bourre, La Salamandre, revue horrifique dirigée par Marc-Louis Questin, Hauteurs
n° 18, revue dirigée par Gilbert Millet Rozsa Tatar, Marmites et
micro-ondes n° 23, Horrifique n° 52, Traction brabant n° 14, Univers
& chimères n° 4, Haïkaï) et dans des anthologies et volumes
collectifs (Au delà de l’infini, bibliothèque internationale de poésie où
elle a été déclarée poète émérite sous le pseudonyme de SYlvie Campin,
collection Lunatique
71 aux éditions EONS, Perles
de poésie, anthologie des Dossiers d’Aquitaine, les anthologies de
haïkus trilingues La
rumeur du coffre à jouets et Le
bleu du Martin pêcheur aux éditions Liroli, dirigées par Isabel
Asunsolo et Alan Fell, Regards
de femmes : Haïkus francophones, sous la direction de Jannick
Belleau, Mortel delirium chez Big bang éditions, …).
Présentation
et textes : site de Jean-Pierre
Planque et son
site. Projets de publications à venir en tanka chez Patrick Simon pour
2019 et un recueil de poèmes érotiques aux Éditions Blanche.
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