Ils
avançaient en file indienne sur un sentier étroit et sinueux qui coupait la
garrigue tel un serpent qui se faufile entre les taillis et les touffes
d’herbes dures et sèches. Parfois leurs piquants s’accrochaient au bas des
vêtements. Le soleil du matin tissait un liseré d’argent sur leurs teintes
monochromes et les grosses chaussures de marches faisait crisser ce tapis
végétal étouffant le son cadencé des pas des promeneurs.
Alicia souriait à la vie, à la nature, à
la promenade. Elle se félicitait de l’harmonie dans laquelle évoluait leur
trio silencieux. Jacques ouvrait la voie et derrière lui, Claire
progressait d’un pas déterminé. Alicia, quant à elle, essayait de ne pas
ralentir le groupe en épousant le rythme assez soutenu de la marche.
Il était tôt ce dimanche matin et la
lumière rase du soleil d’hiver soulignait les masses sombres et inégales
des taillis, en bordait les crêtes d’une nuance plus pâle, les transformant
en vagues végétales qui ondulaient sous la brise glaciale.
Claire avait organisé très rapidement
cette promenade quelques jours auparavant dans un mouvement d’enthousiasme
qui avait subjugué ces compagnons. Elle avait mis en place le circuit,
trouvé des participants et un meneur, Jacques. Elle était le ciment du
groupe, calmant l’un, exhortant l’autre, se dépensant sans compter. Elle
ambitionnait de créer dans le village une équipe de randonneurs établie de
façon pérenne et officielle. Débordant d’énergie, elle était bien connue
dans la région pour sa perpétuelle agitation et son besoin de construire
des mouvements associatifs. Trois
personnalités, trois passés et leurs résultantes se trouvaient réunis là
dans un désir commun d’arpenter la campagne. Trois individus étaient
projetés là sans se connaître, un peu au hasard, comme des dès jetés par
une force inconnue sur la surface incertaine de la vie.
Étrange mélange de douceur, de faiblesse,
de fermeté et de virulence, le groupe cheminait sans songer à ce qu’il y
avait d’hétéroclite dans leur formation. Claire était leur seul
dénominateur commun.
Jacques connaissait bien le circuit pour
l’avoir suivi maintes fois mais il y avait si longtemps. Il avait accepté
l’offre de Claire sans imaginer que cette promenade qui lui était chère
pouvait devenir, aujourd’hui, cruelle. Le temps n’avait pas cicatrisé les
blessures du passé. Il se laissait aller à ses pensées que chaque pas
faisait surgir, comme si en frappant le terre de ses pieds, les souvenirs
attachés à ce lieu remontaient dans son esprit comme des émanations
maléfiques.
Oui il avait déjà autrefois parcouru ce
sentier, il en reconnaissait les traces et sa mémoire, tout en les
absorbants, en analysait chaque élément. Là, une touffe d’herbe entre deux
buissons devenait le point de départ d’un souvenir délicat et suranné.
Chaque pierre lui devenait étrangement familière et ramenait à la surface
de son esprit d’autres images qui s’associaient les unes aux autres, tantôt
fugaces, tantôt plus nettes. Tous les éléments naturels semblaient le
saluer et l’invitaient à poursuivre selon un mode de fascination
hypnotique. Des lambeaux de sa vie, liés à ce moment et à ce parcours, se
dévoilaient peu à peu en un fondu-enchaîné doux ou monstrueux comme des
fantômes déliquescents échappés de quelque songerie malsaine.
Des années auparavant et là encore sa
mémoire refusait toute précision, il avait pris ce chemin avec elle par une
même matinée hivernale pareillement froide et claire. Tels des nuages
déchiquetés par le vent, les éléments passés affluaient et bousculaient la
réalité présente la rendant plus floue, moins préhensile. A tel point que
par deux fois il avait commis une erreur sur le tracé de ce jour, l’esprit
distrait par cette accumulation d’informations divergentes et embrouillées.
Une sensation pénible parce qu’inhabituelle à l’attitude concrète et
pragmatique que l’on attendait de lui, le submergeait et le rendait
hésitant.
-
Ce sous-bois est un labyrinthe feuillu dans lequel je m’égare. Quelle
confusion s’installe dans mon esprit ? Les souvenirs s’enchevêtrent, les
traces du passé se mêlent à celles du présent. Comment évaluer la réalité
de ce jour à la mesure de celle d’hier ? Je marche comme dans un songe, un
sombre nuage enveloppe mon esprit et fait hésiter mon corps.
Que fait Jacques ce matin ? se demanda
Claire. Je pressens mal cette rando… Alicia plane comme d’habitude. Je ne
l’invite plus, elle est trop molle, elle se laisse mener. Si j’avais pu
trouver d’autres participants le rythme aurait été plus vivant ! Je me
sens oppressée et je ne sais même pas pourquoi. J’ai l’impression d’être dans
un cauchemar. Est-ce ce sous-bois touffu qui me mal à l’aise ? Les
hésitations de Jacques alliées à la passivité d’Alicia ? L’ensemble
peut-être…
Le
ciel s’obscurcit tout à coup, je distingue mal les contours du sentier.
Jacques nous as fait tourner en rond par deux fois. Une angoisse diffuse me
fait présager une issue désagréable… Voilà que je divague ! Les
branches sont étrangement basses, est-ce le bon chemin ou Jacques nous a
encore perdus ? Je veux sortir de là !
Comme j’aime ce sous-bois se disait
Alicia, il nous engloutit dans sa pénombre comme dans un rêve avant qu’il
ne tourne au cauchemar. L’hiver est une saison étrange, le soleil est
glacial et l’air semble fumer comme si la forge du dieu des enfers
manifestait sa présence par quelques émanations à la surface de la terre.
Les aiguilles de pins me caressent les joues et s’accrochent à mon bonnet,
la forêt veut me garder dirait-on, même les buissons ralentissent ma
marche.
Nous
sommes tellement silencieux. Je me laisse conduire, la réalité et la
songerie tout est si confus.
Trop
de silence, trop de pénombre. Il me tarde de trouver un horizon plus dégagé
!
Maintenant le sentier les éloignait de la
touffeur du sous-bois et des pièges imaginés. Il montait un peu raide et
les arbres s’espaçaient, les buissons plus épais atteignaient la taille des
promeneurs. Une sorte de soulagement naissait dans les pensées de chacun.
La nature qui leur avait tendu des rets leur rendait maintenant leur
liberté en desserrant son étau. Là le ciel chassait l’ombre trompeuse mais
la pente était si raide qu’elle semblait monter directement au firmament.
Essoufflée Alicia ralentit.
-
La montée est plus raide que ce que je pensais ! J’ai l’impression que ma
cage thoracique va exploser. Je manque d’air, pourvu que j’arrive au
sommet. J’ai si mal ! Il ne faut pas que je m’arrête sinon ils ne me
reprendront pas dans leur groupe.
Jacques
n’avait pas perçu la gêne d’Alicia. Il fixait la pente qui s’élevait sèche
et brune. Là, autrefois, avec elle. Quels moments inoubliables !
Claire
sentait son cœur se gonflait comme une voile et aspirait à être au sommet,
à dominer le vallonnement des collines et n’avoir plus que le ciel tout
autour d’elle.
Alicia
ralentissait leur progression. Il faudrait l’évincer gentiment car on ne
pourrait pas la garder quand le groupe s’étofferait et s’établirait
officiellement. Mentalement, elle mettait en place un avenir rempli de
projets
Elle
mettait en place mentalement un avenir rempli de projets qui la mettraient
en vedette, qu'un obstacle la freine entraînait chez elle un mouvement de
colère dû à la frustration… Elle voulait se débarrasser d'Alicia puis de
Jacques. Elle voulait une équipe dynamique. Sa colère la poussait en avant,
elle distança les autres pour atteindre le sommet la première, comme si sa
vie en dépendait. Jacques lui, avançait comme hypnotisé, insouciant des
états d'âme de ses partenaires. Il se reprochait sa suffisance car la
confiance outrecuidante qu'il avait eue en lui ne lui avait pas permis
d'envisager les troubles que les rappels du passé entraîneraient dans sa
conduite. Il avait perdu tout à coup sa forte détermination, son esprit
bouleversé n'arrivait plus à raisonner, c'était pour lui insupportable
autant qu'inadmissible.
Il n'aurait pas dû accepter l'invitation
de Claire. Certes il connaissait bien le parcours qui ne présentait aucune
difficulté, l'ascension en elle-même était gratifiante et stimulait le
désir de marcher. Mais il n'avait pas un seul instant appréhendé le force
des souvenirs qui étaient là tapis dans la nature, le guettaient à chaque
pas, derrière chaque branche, chaque pierre.
Enfin le sommet ! Décor lunaire, rochers
d'un blanc laiteux émergeant de la garrigue. Ils s'arrêtaient quelques
instants. Eux, petits santons plantés dans un décor de mauvais rêve avec la
bise qui les giflait. Tout n'était que bossellements gris et bruns à perte
de vue.
Alicia posait un regard étonné sut le
panorama. Tant d'efforts pour une si piètre récompense !
Brumes et rochers se confondaient en un
magma lugubre.
Claire extatique avalait goulûment tout ce
qu'elle voyait et garnissait avidement sa mémoire de souvenirs éblouis…
Elle respirait enfin !
Jacques était pris de vertiges. Il sentait
sa présence, c'en était à devenir fou. Il était la proie d'un démon
sournois, un être malfaisant qui cherchait sa perte. Par deux fois il avait
commis une erreur de parcours entraînant les autres dans son égarement. Il
sentait dans son âme comme une morsure d'où fusait un subtil poison qui le
désorientait. Il avait envie de crier et surtout de fuir, fuir cette
randonnée, fuir le passé qui s'accrochait.
Car là, sur ce plateau battu par les vents
elle et lui avaient vécu une osmose incommensurable, blottis l'un contre
l'autre, les yeux fixés sur le paysage hors-normes. Comme il l'aimait
alors, comme elle semblait l'aimer elle aussi ! Était-ce une
illusion ? N'était-ce pas son parfum qu'il respirait maintenant en
fermant les yeux et n'était-ce pas la douceur veloutée de sa joue frottant
contre la sienne qu'il ressentait en ce moment ?
Alors d'un mouvement brusque de la tête
accompagné d'un raidissement de tout le corps, Jacques chassa ce vertige,
nia le trouble qui l'avait saisi et annonça le
départ. D'une voix ferme et d'un pas hardi il entraîna ses compagnes.
Tout le monde est subjugué, se dit Alicia.
Quant à moi, cela m'a permis de reprendre mon souffle. J'aurais tant aimé
que la promenade se termine, là sur ce sommet pelé et sauvage, comme un
point final !
- Enfin on repart ! Jacques a l'air de
reprendre vie. C'est vrai qu'il avait l'air ailleurs jusque-là, se dit
Claire. C'est peut-être lui le maillon faible et moi qui le prenait pour
quelqu'un de responsable. Je ne lui confirai plus jamais la direction du
groupe. Alicia n'est pas une bonne marcheuse, constata-telle. J'ai hâte
d'en finir avec cette ballade. Je suis à bout de nerfs, j'ai envie
d'exploser !!!
Ils avançaient maintenant sur un tapis
herbeux durs et secs que leurs gros souliers martelaient en cadence. Ils
s’arrêtèrent pour visiter les ruines d'un antique castrum. On amorçait la
descente, tout était calme et froid mais la lumière devenait plus
caressante, midi approchait. Ils étaient maintenant dans une forêt dense de
jeunes pins dont la verdeur revigorait l'esprit. Un chemin longeait le
flanc de la montagne. On fit halte pour déjeuner. Les sacs à dos tombèrent
à terre dans un bel ensemble. Puis il n'y eut que le cliquetis des couverts
et les visages qui exprimaient la satisfaction d'un repas bien mérité.
Ils rencontrèrent des promeneurs et
bavardèrent gaiement avec eux.
L'harmonie était de mise pour l'équipe immergée dans le fouillis
vert tendues des rameaux des jeunes pins. Jacques avait évacué son trouble
et souriait enfin. Il était temps de se remettre en route, le soleil était
si doux que l'on enlevait les bonnets et les visages s'offraient une brise
très délicate. Ils marchaient depuis
quelques heures sur le sentier en balcon qui suivait les sinuosités de la
colline, repli après repli. Le chemin était facile et l'humeur aussi.
Jacques commençait à être assailli d'un
doute. Jusqu'ici ses souvenirs l'avaient désagréablement accompagné mais là
tout était nouveau. Il avait beau fouiller sa mémoire, aucun élément du passé
ne concordait avec ceux du présent. Inquiet il sortit sa boussole, ses
compagnes le précédaient, l'une marchait d'un pas conquérant pendant que
l'autre commençait à montrer des signes de fatigue. Jacques réalisa alors
que ce chemin n'allait pas dans la direction voulue. Ils s'étaient à
nouveau perdus. Une vague d'inquiétude le submergea. Il aurait dû revoir le
parcours dans les moindres détails.
Après
le castrum, il aurait fallu tourner à gauche et pas continuer tout droit.
Obsédé qu'il était par ses souvenirs, il avait pris une direction inconnue.
Ils n'étaient pas sur la bonne colline, petit à petit ils s'étaient
éloignés du parcours initial et ils s'en éloignaient encore. Il essaya de
calculer rapidement où ils allaient se retrouver et en arriva à la conclusion
qu'ils étaient à quinze kilomètres de leur point de retour.
Un groupe de marcheurs arrivait en face
d'eux. Jacques les interrogea et ils lui confirmèrent son erreur. Il se
retrouvait en plein dilemme. Rebrousser chemin ? C'était trop tard.
Continuer et se retrouvait dans un lieu isolé ? Trouver un véhicule
pour revenir au point de départ était plus sûr d'autant que le soleil
s'enfonçait déjà à l'ouest. La nuit n'allait pas tarder.
Claire pressentit quelque chose. Elle
l’attendit et intima l’ordre à Alicia d’en faire autant. Ils firent le
point, Jacques expliqua son erreur et la conduite à tenir. Alicia pâlit,
elle semblait au bord de la panique. Claire poussa un long cri de rage,
animal, sauvage et se rua sur Jacques pour le frapper. Celui-ci para ses
coups et la calma avec des mots mesurés. Il fallait continuer jusqu’à la
route, lieu sûr et propice à des rencontres, là on aviserait. Mais il ne
fallait surtout pas se séparer. Il l’invita à hurler encore une fois pour
se libérer de sa colère et aller de l’avant, c’était tout ce qu’il y avait
à faire.
A force de paroles fermes et de gestes
rassurants Claire accepta de se remettre en route. Alicia, dévorée par
l’angoisse, marchait comme elle n’aurait jamais cru pouvoir le faire. Ils
suivirent la crête pendant quelques longs kilomètres puis brutalement
survint la périlleuse descente vers la vallée. Le chemin devenait pierreux,
les pieds glissaient sur les cailloux. Alicia, poussée par la peur, prenait
des risques inaccoutumés pour elle. Elle se demandait si elle arriverait
dans la vallée sans chute ni fracture. Et enfin le fond de la combe
apparut.
Une route, grise, salvatrice, y sinuait.
Cette route venait d’un village et aboutissait à un autre, des voitures
conduites par d’autres humains y circulaient ; c’était leur chance. Le
cœur d’Alicia bondit joyeusement. Ils étaient sauvés !
Ils s’assirent au bord de la route sur un
talus rocailleux pour décider de ce qu’il fallait faire. La distance pour
retrouver leur voiture était trop importante pour être faite à pied,
c’était hors de question pour Alicia et même Claire semblait à bout de
force. Jacques leur proposa de s’installer là jusqu’à son retour, il y
aurait une bonne heure à patienter à deux avec boisson et nourriture. Il
marcherait vite et resterait en contact par téléphone mais Claire voulait
rentrer en stop. Jacques argumenta que trois personnes ce n’était pas
possible, qu’on ne les prendrait jamais.
-
Alors chacun pour soi ! cria Claire.
-
Nous ne devons pas nous séparer,
répondit Jacques fermement.
La discussion s’envenimait. Claire prit
son sac et se posta sur la chaussée le pouce levée. Une voiture qui
arrivait vite fit une embardée en klaxonnant. Jacques la saisit par le bras
et la ramena sur le bas-côté. Mais malgré sa poigne solide, elle lui échappa
de nouveau et le griffa au visage. Alicia assistait, médusée, à cette lutte
aussi absurde que dangereuse. Une deuxième voiture manqua de les heurter de
peu.
Claire ne songeait qu’à fuir et devenait
dangereuse, elle gesticulait dans tous les sens sur la petite route d’où
les voitures débouchaient assez vite et sans trop de visibilité. A nouveau
Jacques l’attrapa vigoureusement et la gifla violemment. Il cherchait à
mettre ses nerfs à l’épreuve espérant qu’elle fondrait en larmes et qu’elle
serait plus facile à maîtriser. Rien n’y fit, elle devenait forcenée. Il
comprit alors qu’il devait employer une manière plus radicale. Il la saisit
alors à bras le corps et ordonna à Alicia d’appeler les secours ; pendant
que Claire s’acharnait à coups de poing sur son compagnon tout en
vociférant. Elle tenta même de le mordre pour se libérer.
Alicia
obtint rapidement les secours et Jacques donna des indications précises sur
leur position et l’état de leur compagne. Il demanda à Alicia de l’aider à
enlever sa ceinture et entreprit de lier les poignets de Claire, toujours
en rage mais à eux deux ils réussirent à l’immobiliser. Témoins de la
bagarre, des automobilistes s’arrêtèrent et vinrent à leur aide. Un
attroupement se fit.
Une
dizaine de minutes plus tard, minutes qui leur parurent à la fois longues
et extraordinairement rapides, une voiture de police arriva suivie par une
ambulance. Une piqûre calmante rendit enfin Claire inoffensive. On
l’installa sur un brancard. Jacques et Alicia montèrent avec elle dans
l’ambulance. Claire pleurait tout doucement en prononçant des paroles
incompréhensibles. Alicia frôlait la sidération et Jacques, quant à lui,
semblait s’être totalement renfermé sur lui-même.
Les heures qui suivirent se déroulèrent
hors du temps, comme dans un rêve. Mécaniquement tous deux répondirent aux
questions des officiels, produisirent un récit cohérent et simplifié de
leur mésaventure. En conclusion la peur avait provoqué chez Claire une
crise nerveuse, le psychiatre de service pensait qu’elle devait rester
quelques jours voire quelques semaines en observation. Vers minuit Jacques
et Alicia, libérés, prirent un taxi qui les ramena de l’hôpital à leurs
domiciles respectifs qui, contrastant avec la violence des dernières
heures, leur apparurent des havres sécurisants et douillets.
Le lendemain Alicia conduisit Jacques à
son véhicule abandonné la veille au bord de la route. Tous deux étaient
silencieux. Il leur était impossible de parler de l’événement, son
absurdité, sa virulence les laissaient sans voix, comme assommés. Jacques
salua Alicia et s’apprêtait à monter dans son véhicule lorsque celle-ci le
rejoignit et posa sa main sur son épaule en signe de paix et d’amitié.
-
Jacques, tu n’es en rien fautif.
Jacques
releva les yeux avec un sourire triste.
-
Ne t’inquiète pas, Claire était déjà
très instable, tous ceux qui la connaissaient te le confirmeront. Il
suffisait d’un choc, d’une émotion quelconque pour que le couvercle saute…
le psychiatre l’a dit.
Tu
n’as aucune responsabilité dans cette issue.
Jacques
regarda Alicia et la vit pour la première fois : une femme fragile mais
solide et pleine d’humanité. Son regard s’embua.
-
Merci Alicia ! Je regrette que nous
fassions connaissance dans de telles circonstances. J’ai eu une grande part
de responsabilité, l’erreur de parcours que j’ai commise a eu des
conséquences désastreuses et par répercussion sur chacun de nous.
Il
se tut un instant.
-
Tout aurait bien pu se passer, vous
m’auriez attendu toutes les deux, je vous aurais ramenées et à l’heure
qu’il est nous serions chacun à vaquer à nos occupations habituelles ; sans
ce poids… Je l’aurai à jamais sur la conscience.
-
Mon Jacques, reprit Alicia en lui
serrant la main, non ! Tu n’as été que l’instrument involontaire du
sort. Nous sommes tous trois victimes d’un coup de dés du destin.
-
Un coup de dés du destin !
ironisa Jacques
-
N’en restons pas là ! reprit Alicia.
Il faut rester soudés, tu nous en as donné l’ordre, tu t’en souviens ?
Claire aura besoin de nous, il faudra aller la voir puis la réinstaller
dans la vie. J’ai besoin de toi, elle a besoin de toi.
Le visage de Jacques, encore tuméfié par
les coups reçus la veille, s’éclaira. Il embrassa chaleureusement la jeune
femme.
-
Oui, on a tous besoin les uns des
autres. Il faut donner à cette aventure malheureuse une issue positive.
Avec ton aide, nous allons relancer les dés, maîtriser le destin, ne plus
en être les instruments aveugles mais volontaires et déterminés.
Ils se serrèrent la main, l’espoir
renaissait. Oui ils avaient été trois dès que le destin avait jeté sur la
surface incertaine de la vie ??? Mais rien n’était perdu.
©Éliette Vialle
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