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LECTURES – CHRONIQUES – ESSAIS

Printemps 2024

 

 

 

Stella Vinitchi Radulescu – Visages d’encre.

 

Éditions du Cygne, octobre 2023 (86 p., 13 €)

 

Une lecture par Dana Shishmanian

 

(*)

 

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Description générée automatiquement

 

 

La préface de Patrick Devaux surprend, avec sa concision d’expression qui n’a égal que la précision de l’observation, deux traits majeurs de la poésie de Stella Vinitchi Radulescu : la tenue de l’esprit sur le paradoxe du clair/obscur, et la spatialité éclatée de l’écriture, projection jusque dans la mise en page d’une vision multidimensionnelle, fractale, on dirait même quantique…

Je cite : « Tout l’art de la poétesse est de rester sur ce fil de rasoir, en équilibre entre lumière et noirceur tandis que parfois "l’heure blanche est l’heure du soupçon" » ; et : « On reconnaît le genre très travaillé de l’auteure à situer les mots dans l’espace avec cette impression de lire en trois dimensions, ce qui donne à l’ensemble, à travers des sous-titres différents, un état d’esprit cosmologique. »

Je rajouterai que Visages d’encre suggère aussi une sorte d’aventure au-delà de la perception – soit-elle poétique, imaginative, créative – quelque part dans les interstices du « réel », comme le remarquait fort pertinemment Philippe Tancelin, à propos d’un autre de ses recueils en français, paru en 2021 chez L’Harmattan : « Sans se figer dans un «nommer» qui risque la clôture d'effectifs ressentis, elle suscite une expérience sensible des intervalles, comme le suggère le titre même du recueilEntre chien et loup ».

D’où, naturellement, une poétique de l’ellipse, mais non de l’absence essentielle du verbe : les espaces ostentivement vides de l’écriture nous « parlent » eux aussi, on les entend même fort bien… car les mots qui les entourent, telle la lumière rabattue sur les bords des trous noirs, sont là pour tirer leur parole du néant tel un fil d’Ariane. Un dialogue s’installe alors, quand on lit avec les oreilles de notre « corps subtil », entre ici et là, dit et à dire, non-dit et indicible, compris et consenti. Finalement tout est poésie, une toile vibrante de pleins et de creux qui scintille dans toutes les directions à la fois.

Difficiles à reproduire telles quelles sans altérer ne serait-ce que de peu la mise en page voulue par l’autrice, voilà néanmoins quelques-unes des fulgurantes beautés serties dans ce recueil, dans lesquelles on dirait « lire » des visages invisibles à l’œil nu que le poète déchiffre dans la trame profonde de l’univers, en les restituant furtivement à l’encre de Chine sur sa page d’artiste visionnaire...

 

          libre de temps et d’espace

                 un mot transparent sur la langue

j’avance    le vide frémit     froid

         solaire de préférence

césure

      entre je fus et je suis   (p. 10)

 

deux            lignes

droi             tes

la rue         

         serte

       le cœur

     au milieu

     se débat

d’en faire un cercle  (p. 15)

 

je viens d’un jour lointain et doux

je viens d’une nuit profonde     d’un vide

entre deux mondes

         apostrophe le silence ce qui

         danse dans mes yeux ce qui

         vit et se parle       au clair de

        lune j’ai tué un ange

bouche bouche palie ouverte d’où

       s’écoule le poème      (p. 18)

 

l’homme entier  ou son ombre

      fuyante      le désir

d’un désir

     les nuages passent et passent :

avec mes larmes

     j’arrête leur passage    j’avance

vers mi     je marche     je brûle

    les distaces     (p. 23)

 

la pluie des mots des ans

                  un intervalle

un gouffre uen seconde géante qui

se promène sur ma peau

un animal petit et grand

m’éveille la nuit m’endort le jour

       vous hommes prenez garde

       c’est le monde qui craque

       le temps qui ne passe plus

       ou qui passe à rebours     (p. 39)

 

la mort la vie

      l’extrême équilibre

la demesure de nos coprs qui existent

     et marchent et

s’écrivent en petites lettres portées

    par les vagues

         ailleurs l’enfer ouvre

ses portes    ici     sur terre

                   l’éloquence de la chair    (p. 44)

 

quand où et qui s’embarque

       avec ma voix

au large de la nuit

            avec mon souffle carresse les étoiles

            avec mes pieds tripote le vide :

distances folles    clarté nocturene   entre les mots qui

       s’écrivent et les vents en raffale    (p. 46)

 

j’ai peu de mots mais

la mer bouge

m’apporte le soir

l’éclat des jours

ce qu’on doit taire

ce qu’on doit dire

l’écume d’un temps

révolu     (p. 59)

 

à mesure que je passe

la route se rétrécit     puis

     devient une histoire

           comme la lune qui se noie dans

                  sa propre lumière     (p. 66)

 

une langue inconnue

se fait un chemin

dans l’espace

le cile est rose parmi le blanc

des heures

et nos demains s’égarent

les signes

s’effacent      la page froissée

et nos visages    

se sont-ils cachés

 

Dana Shishmanian

 

(*)

Nous avons accueilli la poétesse Stella Vinitchi Radulescu à notre rubrique D’une langue à l’autre, avec des poèmes inédits en version bilingue français / anglais (nov./déc. 2022) et des fragments d’un journal en prose poétique, bilingue français / anglais (janv./fév. 2023).

Visages d’encre est le sixième de ses recueils en français parus aux éditions du Cygne depuis 2009 : voir sa page d’auteur chez cet éditeur (pour quatre autres recueils parus en français, voir sa page d’auteur chez L’Harmattan).

 

 

Stella Vinitchi Radulescu

Lecture par Dana Shishmanian

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