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Coup de cœur : Archives

(2010-2017)

Une escale à la rubrique "Coup de cœur"
découvrir un poème qui nous a particulièrement touché
par sa qualité, son originalité, sa valeur

(un tableau de Bruno Aimetti)

 

Nous redonnons vie ici aux textes qui nous ont séduits,
que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.

***

Poèmes « Coup de Cœur » des membres du Comité

Novembre-décembre 2022

 

 

Jean Marc et Catherine Sourdillon, choix Dominique Zinenberg

Patricia Laranco, choix Éliette Vialle

Jean-Pierre Siméonchoix François Minod

Marie Huot, choix Mireille Diaz-Florian

Victor Saudan, choix Dana Shishmanian

Louis Bertholomchoix Éric Chassefière

Marie-José Pascal, choix Michel Ostertag

Michel Dufresne, choix Gertrude Millaire

 

Jean Marc et Catherine Sourdillon

choix Dominique Zinenberg

 

Le merle, avec son chant, bâtit

un dôme, une cloche, un monde,

un globe de cuivre,

auquel il nous offre provisoirement d’avoir part,

une cerise pour l’ouïe,

tout ensemble une arrivée et un départ,

avant que dans son silence

d’un coup

il ne l’avale. (p.14)

 

Son chant est comme un « oui » prononcé du fond du monde, qui avance vers nous en spirales, nous frôle, nous touche, nous chatouille, légère ébullition – la réponse du dedans – un hippocampe évoluant dans les eaux du commencement, un ressort détendu, un point d’interrogation flottant entre deux vagues, une offre, une invite au passage, suivie aussitôt d’un évitement. Une petite pépite de dynamite à se mettre sous la dent. Un genou, une épaule, un sourire avec quelque chose d’ébouriffé. A nous de le saisir, de finir de le prononcer, avec nos mots à nous et ce qui nous reste à vivre, pour que le monde soit et que la vie s’ouvre.

Qu’il y ait un jour la note juste – par quoi se lève le jour – notre véritable commencement, l’accès à soi, la spirale ascendante de soi. (p.18)

 

  La lumière nous apporte des nouvelles de très loin.

  Lui, du tout proche.

  Mais cela, ni le loin ni le proche, nous n’arrivons à le voir.

  Le merle, l’ombre parmi nous d’une lumière inouïe

  et la prunelle pour la voir.

  Chacun devrait pouvoir avoir

  Le chant d’un merle au fond de sa nuit. (p.39)

 

Extraits du recueil Le Seigneur de la pénombre, éditions Illador, 2022

(voir dans ce même numéro la chronique de Dominique Zinenberg)

 

Patricia Laranco

choix Éliette Vialle

 

M'endormir

comme s'endorment les feuilles mortes

en la pâte rougeâtre et sombre de l'humus,

au profond

de l’épaisse redistribution,

 

dans l'odeur puissante, fongique, un peu pourrie

de la terre nourrie de pluie et de sommeil,

là où les racines aspirent l'avenir !

 

***

 

Plutôt que de porter ma tristesse ici-bas,

ma difficulté à

me lever le matin,

ma propension à m'enfouir dans un lit

j’aimerais mieux, enfin,

m'assoupir pour toujours

auprès de quelques grands, forts arbres, en leur tapis

matelassé, spongieux, plein de secrets chemins,

bien loin

des mégalomanies de pharaons

toutes pyramidales et hautaines soient-elles.

 

 

Voir dans notre numéro deux gouaches de Patricia Laranco représentant des arbres : l’une illustre la page d’accueil numéro, l’autre, le groupage de poèmes de Stella Vinitchi Radulescu (à la rubrique D’une langue à l’autre).

 

 

Jean-Pierre Siméon

choix François Minod

 

Sous la sérénité d'une fenêtre ouverte

un matin avec le froid

le cœur bat

inquiet de ne pouvoir tout contenir

un ciel avec nuages

une rumeur de vie violente

le roulement des mondes dans le loin

et des mains vers soi qui viennent

pour donner corps à la beauté 

la concrète beauté 

où toute peur un instant s'absout 

 

être dans le pli d'un instant

où se joignent

le peintre de l'abîme 

comme au seuil d'une clarté

qui donne sur sa nuit forestière 

 

la sensation

exubérante 

d'une espérance 

d'un appui idéal 

entre deux néants

 

sous la sérénité d'une fenêtre ouverte 

 

Que le monde plutôt 

passe sur nos lèvres 

comme un refrain

que ni la mort ni les larmes 

n'exemptent de ses droits

 

du bout des doigts

toucher à la lumière 

tombée avec les couleurs de l'automne

 

d'un bord à  l'autre 

d'un malheur sans visage

trouver un pas

le vivre 

comme la branche vit sa fleur

soleil bref suspendu à l'instant

 

je dis beauté ce pas

appel 

dans l'obscur endurci

 

et quoi qu'il advienne

son écho dans nos nuits

est sans fin

 

Le frisson dans les bruyères qu'étonne

l'aile de l'oiseau

 

l'infini lavis rose que laisse le soleil le soir

après l'averse

 

une parcelle de silence entre les bruits

 

ou la voix jaillie d'un commencement

 

il est ainsi de ces beautés infimes 

qui touchent au centre parfait du jour

 

et les perçoit l'âme ajustée au simple

comme un chemin par elles vers elle-même 

 

alors nous habitons 

réellement 

nous n'attendons plus de réponse

 

alors une joie avance en nous

fleur profonde

dédiée de la grande mort

 

nous voilà savants

comme avant la parole

 

De chaque heure

même la plus fragile

nous exigerons sa flamme

sa crête de lumière 

un silence qui renoue

une parole ouverte par sa soif

le refus d'être accoutré de soi

 

de chaque heure sa rivière 

mais il n'est de chant

que si l'oreille le veut

mais il n'est de profondeur 

que si l'œil résiste 

 

de chaque heure nous visiterons l'envers

où l'âme peau sensible

à la lente respiration des arbres 

enfin respire

 

longue joie rare et dense 

dans l'instant

entre les mains

 

dont nous revenons vivants

 

 

Extrait de Politique de la beauté, éditions Cheyne, 2017

 

 

Marie Huot

choix Mireille Diaz-Florian

 

À peine

 

Peine

Peine

Et quelque chose à peine

 

Pas brisé

Ils ne vous ont pas

Jamais ne pourront

Briser

 

Mais ma voix

Ce que je voudrais dire

Ici peut-être

 

Y aura-t-il donc toujours ces minuscules forces

Jetées ça et là dans des corps fatigués

De celles qui

Celles qui continuent à briller

Liées l’une à l’autre longtemps après Noël

Dans des taudis

Dans des appartements

Dans des

Partout où des murs où des grilles

 

Brisé ils ne vous ont pas

 

Ici un homme chante

Ici un homme se tait

Là quelqu’un se bat

 

***

 

Le deux novembre de

Le deux novembre d’une certaine année

Je ramassais des châtaignes

J’avais des poches lourdes

Aujourd’hui c’est le cœur

Vous vous étiez

Vous étiez tombé dans le piège

Ce soir-là Charlie Chaplin à la télé

Ceux qui l’ont vu avaient chaud

Il y avait des coussins

Mais pour vous ce soir-là

La main percée la main

 

Le cauchemar de la petite pièce noire

Vous avait rattrapé

La lumière intense est restée

Est restée au-dehors

 

Tant d’années maintenant

Que vous êtes aveugle

Comme aveugle

 

Je vous vois

Je voudrais

je voudrais vous parler

Quelque chose reste suspendu à ma voix

À ma voix qui essaie

Quelque chose tombe

Quelque chose qui n’arrive pas

Qui vous effleure peut-être

 

Je cherche une voix

Une voix qui sourd dans la peur

Un dit

Un dicible qui se glisse

Vers vous sans bruit

Un dicible clandestin de peu de mots

Qui n’offense pas le silence

Le bateau

la barque

Le fragile équilibre

 

***

 

Je cherche un secret en creux

De ceux que sentent les douaniers

Car quelles frontières avez-vous traversées

Pour soudain

Pour ?

 

Comment tant de force éblouissante

Tout ce chantier

À reconstruire un monde

Vous a jeté ce voile noir

Soudain sur les yeux ?

 

Vous dont le nom abrite de si nombreuses familles d’hommes

 

À peu de là coule un fleuve presque arrivé à la mer

Celui-là même que

Van Gogh a étoilé de lumières la nuit

Vous c’est la nuit

La nuit

Que seuls les oiseaux étoilent

De ces touts petits qui cognent à la vitre

À la vôtre

À la mienne

Sans savoir que

Sans savoir que tous les murs

Ne font pas des maisons

 

La douceur des

Celle qui

Dans un même corps

La douceur des mains

Et la pleine violence des déflagrations

Tout un monde contenu

Autour d’un équateur

Des nord et des sud

Aussi vastes que lointains

 

Ici je vous parle

Je vous bégaie

C’est ma façon de rester

Quand je vous quitte

 

Le loup dans la véranda, avril 2014

 

Marie Huot est une poétesse française née en 1965. Elle a été la co-fondatrice de la revue Carte Noire (1983-1985). Elle est actuellement bibliothécaire. Elle vit à Arles. Son œuvre poétique est à mes yeux remarquable.

Dans une bibliographie très riche, je citerai quelques recueils : La Renouée, Ma maison de Geronimo, Douceur du cerf, Gît mon cœur brûlé, Portrait de ma grand-mère en demoiselle coiffée. J’ai eu le plaisir de la présenter, de lire ses textes, lors d’une lecture de l’Association Le Lire et Le Dire au Théâtre de l’Épée de Bois.

 

Victor Saudan

choix Dana Shishmanian

 

A Royaumont

 

Harmonie

De pierre

Végétale et de son

Tressage musical

Derrière chaque porte

Chaque mur

Vibration de l’eau

Vibration des voix

Tout autour

Au-delà des enceintes

Le brame des cerfs

Dans le miroir

Des arbres

Sans fin.

Du réfectoire

Aux combles

Joie d’accords

Des visages

Des cœurs

Chant dans le chant

Musique dans la musique

La beauté de l’être

En face du néant

Moment sublime

De l’oubli.

Sons qui traversent le jardin

Carré magique

Plumes d’artichauts

Emportées par le vent

Reprises

Répétitions

Sans cesse

Le chant naissant

d’un air de demain

vol bruyant

d’un avion

qui passe.

Harmonie

Du végétal

Dans la pierre

Sonorités éparses

Sifflements

A travers les tiges

Circulation d’un son cristallin

De gauche à droite

De droite à gauche

Les cris d’enfants s’approchent

Le chant du crapaud disparaît.

Fusée de pierre

Enracinée dans

L’absence d’une nef imaginée

Elle jaillit du monde souterrain

Et chante la beauté

Du vide

La présence de sauge et de romarin

D’absinthe et de serpolet

De sarriette

D’artichaut

De tournesol et de sureau.

Réuni dans un cercle

De sons et de cris et de souffles

Ronde des espèces de

Tous les règnes

Au moment de la

Disparition

Transformation en pure vibration

À l’abri

Des tourmentes

Du monde.

 

©Victor Saudan, 24 septembre 2022

Inédit, communiqué par l’auteur.

 

Louis Bertholom

choix Éric Chassefière

 

Louis Bertholom : Blues-Rock (Célébration)

(éditions Sémaphore, collection Arcane, 2020)

 

Louis Bertholom, poète et animateur au festival Sémaphore de Moëlan-sur-Mer, revient dans ce livre écrit d’un souffle (en seulement dix jours !), sur son passé de rocker, à la fois chanteur et parolier, dans le groupe Tasmant qu’il a fondé, actif entre 1975 et 1985. Livre né d’un jaillissement, celui de ce cri qu’il dit porter au fond des tripes, et qui vient se cristalliser ici en une constellation de poèmes courts et percutants, disant la fièvre des rythmes et des corps, autant que la nostalgie des mots qui se sont tus.

 

 

 

Énergie à fleur de mots puisés

dans la révolte

nuits de bière

à n’en plus mourir

avec la quête du son

le brouhaha vital

 

*

 

Années de santiags, de jeans élimés

les nuits offraient des miracles

quand le jour s’ouvrait à l’ennui

 

Décennie de blousons écorchés

de brunes tignasses

nos silhouettes filiformes

refusaient le spleen

et l’inaction

 

*

 

L’amitié au fond des yeux

clé ingénue de notre feeling

pour surenchérir

à qui mieux mieux

 

Anges insouciants

nous caressions

les braises de l’interdit

que reste-t-il de nos bravoures ?

 

*

 

Les jours de trêve

je planchais des vers drus

arrachés aux soirs d’hiver

rimés à la tronçonneuse

rabotés dans le granit

de mes cordes enrouées

 

*

 

J’avais la poésie en retenue

les mots sensibles en attente

je cravachais des couplets rugueux

boucles d’acier au centre des tripes

mousqueton sur la hanche

où scintillait l’arrogance

du cliquetis viril

 

*

 

Le rock a les épaules larges

les hanches étroites

musique phallique

du fruit endorphine

qui refuse de mûrir

 

Trip des parias

qui exultent

 

*

 

Écouter encore et toujours

les pulsations percussives

et fiévreuses

des idoles crucifiées

au faîte de leur gloire

dans les lueurs bleutés

l’esprit du blues

 

*

 

Le cri au fond des tripes

dans le battement binaire

au plus profond de l’âme

tirant sur la note

de l’instant élastique

comme d’un fil d’Ariane

pour atteindre l’inaccessible étoile

 

*

 

Cool, on s’éteint les paupières

la musique nous pénètre au corps

telle une fièvre insidieuse

chair de coq hébété

dans le vin chaud du réconfort

 

*

 

Stop à trente ans

sans vraiment le vouloir

rock-nostalgie

de l’émancipation tapageuse

base de mon écriture

très lente à s’éclairer

dans le silex de mes songes

 

*

 

J’ai craché les mots

dans la dérision subversive

percé l’abcès de l’entre deux âges

trouvé la voie ontologique

avec les distorsions tripales

 

*

 

Du fiel au miel

toute une vie

transcendée par le cri

 

 

Blues-rock for ever

 

 

 

Marie-José Pascal

choix Michel Ostertag

 

Funambule du vivant

En quelle langue habilles-tu ta poésie ?

Avec quelle inflexion portes-tu l'ombre et la lumière ?

Funambule du vivant, funambule de l'extrême,

Tu écartes tes peurs, tu jongles avec la mort

En attente sur cette terre où les rayons du soleil

Enchantent chacun de tes matins,

Sur le fil déjà tes pas se font tremblants

Et ton pâle regard plonge vers le néant,

Ne déploie pas tes ailes en vain !

Reste encore, pour t'imprégner de l'écume

Des vagues et de leur cassure sur les rochers,

Reste encore, avant d'appartenir tout entier

Au silence cotonneux des neiges éternelles.

 

 

Poème extrait du recueil Le chant des funambules (Prix Charles Péguy décerné par la société des poètes français, 2021, prix Qualité des arts décerné par L'École de la Loire).

 

***

Tu vis

Ce matin, le ciel s'est tourné

vers l'automne pour insuffler

Une once de mélancolie

A chacune de nos pensées

Tu te demandes pourquoi tu vis

Et pourquoi tu respires !

Je crois qu'en secret tu le sais,

Tu vis pour des instants suprêmes

Des mots d'amour échappés des poèmes

Qui t'envoûtent de leur musique

Et que tu répètes à loisir.

Tu vis pour des souvenirs ébréchés

Qui n'appartiendront plus qu'à toi,

Quand l'heure sera enfin venue

De ne garder au fond du cœur

Que le parfum subtil des fleurs

Et du jardin encore mouillé.

 

 

Poème extrait du recueil Un violon sous la pluie, éditions L'écritoire du Poète, [2021].

Sur l’autrice, voir son profil sur le site La Revue des Citoyens des Lettres, et son actualité sur L’écho républicain - La Loupe.

 

 

Michel Dufresne

choix Gertrude Millaire

 

Rien de ce champ de seigle, tu vois, rien qui bouge

Une toile où le temps nous paraît s’étirer,

À peine un peu de mauve, une ligne de rouge

Entre les monts, les caps du côté de Beaupré.

 

Rappelle-toi ces jours où nous dînions sur l’herbe

Les ruines d’un moulin, l’ombre des pins géants

Les couchers de soleil, une baie, une auberge

Et les retours de nuit par des chemins de rang.

 

Il y’a des temps comm’ ça où tout semble immobile

Il y’a des temps comm’ ça où tout semble figé

Et c’est tout notre monde qui semble fragile

Y’a toujours un hiver au revers de l’été.

 

Rien de ce parc immense, tu vois, rien qui bouge

Comme un film où le temps nous paraît se brouiller,

À peine un homme assis à côté d’une bouche

Au milieu de ces arbres déjà dépouillés.

 

Rappelle-toi les soirs où la ville était vide

Sous la neige tombée quelques heures plus tôt,

Tu disais : Notre ville a bien pris quelques rides

Et pourtant c’est si bon d’y marcher sans autos.

 

Il y’a des temps comm’ ça où tout semble immobile

Il y’a des temps comm’ ça où tout semble figé

Et c’est tout notre monde qui semble fragile

Y’a toujours un hiver au revers de l’été.

 

Rien de cette eau, ce fleuve, tu vois, rien qui bouge

Une toile où le temps nous paraît suspendu,

À peine un phare au loin, tout de blanc et de rouge

Même les goélands se sont cachés et tus.

 

 

Immobile, chanson M. Dufresne, juillet 2022, sur le site Collectif Francopolis)

 

 

 

Coups de cœur des membres :

 

 

Jean Marc et Catherine Sourdillon, choix Dominique Zinenberg

Patricia Laranco, choix Éliette Vialle

Jean-Pierre Siméonchoix François Minod

Marie Huot, choix Mireille Diaz-Florian

Victor Saudan, choix Dana Shishmanian

Louis Bertholomchoix Éric Chassefière

Marie-José Pascal, choix Michel Ostertag

Michel Dufresne, choix Gertrude Millaire

 

 

Francopolis novembre-décembre 2022

 

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