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Coup de cœur : Archives

(2010-2017)

Une escale à la rubrique "Coup de cœur"
découvrir un poème qui nous a particulièrement touché
par sa qualité, son originalité, sa valeur

(un tableau de Bruno Aimetti)

 

À Francopolis,
la rubrique de vos textes personnels est une de nos fiertés.
Elle héberge un ensemble de très beaux textes,
d'un niveau d'écriture souvent excellent,
toujours intéressant et en mouvement.

Nous redonnons vie ici à vos textes qui nous ont séduit
que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.

***

Poème Coup de Cœur du Comité

Mai-Juin 2021

 

Danièle Corre, choix Dominique Zinenberg

Eric Costan, choix Éliette Vialle

Louise Glück, choix François Minod

Adonis, choix Mireille Diaz-Florian

Gilbert Vautrin, choix Dana Shishmanian

Natasha Kanapé Fontaine, choix Gertrude Millaire

 

 

 

 

 

Danièle Corre

choix Dominique Zinenberg

 

 

Dans la forêt obscure

du temps,

tenir à distance les ronces

qui nous ont lacérés,

 

oser pourtant le regard

sur les cicatrices

qui disent la lame, la lutte, la plaie,

l’invisible force

qui court sous la peau.

 

Le fil de la trame (p.69)

 

 

D’un long chemin d’aspérités,

j’ai gardé

des pépites de soleil

que je place en étal

comme le faisait l’indienne

 

sur les terres rouges du lointain Colorado

 

qui aspirait à la pluie

offerte ce soir

piquetant le bord de la fenêtre

en amie soucieuse

de coudre le présent

au tissu d’enfance constellé.

 

Par quels secrets passages (p. 104)

 

 

 

Voir aussi dans ce même numéro des poèmes de Danièle Corre au Salon de lecture et à la rubrique Créaphonie.

 

 

 

Eric Costan

choix Éliette Vialle

 

 

Il est temps de s’envoler

         ou d’embarquer

de laisser les rêves et les songes 

l’illusion le mirage la soif la folie le délire

soigner les abysses reçus

 

J’ai tout posé sur un banc

famille amis ou livres aussi

Le vent disperse

         et délivre

caresse d’un geste très lent

le travail de toute une vie

 

Je me déracine

 

Le sol nous a nourri 

le ciel est à manger

 

Déployer un filet

Chaque fil est souvenir

Chaque nœud réminiscence

Et les mailles le dénuement

 

Un filet à poésie

piège à lumières

         accroche-silences

         attrape-vides

 

Je déploie un filet à poésie

 

***

 

Je mords ma belle de mes affres

lui tatoue des hantises dans le dos

puis retrouve le chemin de son âme à contre-courant

 

         pierre

         par

         pierre

 

La porte grince mais s’ouvre

 

Le lit ne fait pas de bruit

         il étouffe ma honte

 

Je roule avant de l’avaler plusieurs fois chaque caillou de sa bouche

 

         Pénitence

 

Je vois son corps devenir cendre

l’amour non consumé déposer sa suie

 

Pourtant j’ai soif

         de ses mots jouvence

         de chair barbare

         de remonter l’histoire le long de son dos endormi

 

Je sais silences et regards mortifères

         la larme inutile

         la parole quiproquo

 

Alors je veux écrire

         prière

         après

         prière

 

le cœur et le secret à l’orée de ce lieu un peu triste

 

 

 

Louise Glück

choix François Minod

 

 

L'IRIS SAUVAGE

 

Au bout de ma douleur

il y avait une porte.

 

Écoute-moi bien : ce que tu appelles la mort,

je m'en souviens.

 

En haut des bruits, le bruissement des planches de pin.

Puis plus rien. Le soleil pâle

vacilla sur la surface sèche.

 

C'est un chose terrible que de survivre

comme conscience

enterrée dans la terre sombre.

 

Puis ce fut terminé : ce que tu crains, être

une âme et incapable

de parler prenant brutalement fin, la terre raide

pliant un peu. Et ce que tu crus être

des oiseaux sautillant dans les petits arbustes.

 

Toi qui ne te souviens pas

du passage depuis l'autre monde,

je te dis que je pus de nouveau parler : tout ce qui

revient de l'oubli revient

pour trouver une voix :

 

du centre de ma vie surgit

une grande fontaine, ombres

bleu foncé sur eau marine azurée.

 

***

 

THE WILD IRIS

 

 

At the end of my suffering

there were a door.

 

Hear me out : that which you call death

I remember.

 

Overhead noises, branches of pine shifting.

Then nothing. The weak sun

flickered over the dry surface.

 

It is terrible to survive

as consciousness

buried in the dark earth.

 

Then it was over : that which you fear, being

a soul and unable

to speak, ending abruptly, the stiff earth

bending a little. And that I took to be

birds darting in low shrubs.

 

You who do not remember

passage from the other world

I tell you I could speak again : whatever

returns from oblivion returns

to find a voice :

 

from the center of my life came

a great fountain, deep blue

shadows on azure seawater.

 

 

***

Extrait de L'iris sauvage, édition bilingue, poèmes traduits de l'anglais et préfacé par Marie Olivier, Gallimard, NRF, coll. Du monde entier, mars 2021.

 

Extrait de la quatrième de couverture :

« Louise Glück enseigne à Yale et à Standford et vit à Cambridge (Massachussets). Elle a publié douze recueils de poèmes et deux essais sur la poésie. Son œuvre a été récompensée notamment par la médaille nationale des Humanités, le prix Pulitzer, le National Book Award. Elle a reçu en 2020 le prix Nobel de littérature. »

 

 

 

Adonis

choix Mireille Diaz-Florian

 

 

J’introduirais ces trois poèmes d’Adonis, extraits de la première partie du recueil (*) : La Forêt de l’amour en nous, par une citation extraite de l’adresse de Alejandro Jodorowsky : « Voyageur dans l’enchantement des formes, messager de l’essentiel, c’est à dire de lui-même, Adonis, dédaignant les illusions de la pensée, fait de tous les chemins, son chemin. »

La stature de ce poète exigerait sans aucun doute une approche approfondie. Mais mon intention, au moment de partager ces textes, est de vous engager, sinon à explorer la totalité d’une œuvre foisonnante et dûment célébrée, à vous arrêter un instant sur ces quelques vers.

De faire halte sur le chemin d’Adonis.

Mireille Diaz-Florian

 

***

 

La Forêt de l’amour en nous

 

Temps - chant de flûte et piège d’une mort

Espace où nous nous éclairons

Espoir des racines dans la terre

Et l’eau afflue de sa source

Affluent les étincelles

 

Temps - dictionnaire pour interpréter notre ascension

Dans l’espace des images

P.39

***

 

Le lieu dont le visage est fait de vide  

Et dont les mains sont de cendre

Le lieu qui n’est que ses propres fantômes

Le lieu où ses fantômes racontent

Ses traditions et ses passions

Le lieu qi n’est que poussière

Dans les vents du temps

Le lieu larme des chemins

Et pays ses tourments

Le lieu qui ne contient pas de lieu

Le lieu dont le soleil est né

Esclave

 

Quel lieu ont voulu nos corps ?

Où ? Et d’où ? Comment y pénétrer ?

Accueille notre serment

Parle-lui la nuit, étreins-le

Penche-toi sur lui et demande-lui

Quel est le nom du lieu voulu par nos corps ?

 

P.52

***

 

Mon corps est deux et tu es entre mes deux corps

D’où je viens, et comment noter toute

Cette splendeur

 

Dans le livre de la poussière ?

P. 57

***

 

J’étreins le tronc. Nuit

Et les étoiles déplacent leurs troupeaux

Dans les prairies. Comme moi, le ciel

A la nostalgie du tronc

Un olivier

Fruit est sa taille

Fruits, sa poitrine

Fruits, ses seins

J’étreins le tronc. Nuit

J’offre mes mains à ses passions

 

Un rêve dans lequel j’erre

Et qui erre dans mes yeux

P.65

***

 

Il ne sait plus dormir -, éveillé

Il rumine son regard sur ses genoux

Et la ville - désert- improvise la caravane

 

Apprends-lui à descendre en douceur vers toi -

Ver la fin de ton inclinaison

Ô soleil déclinant

 

P.77

 

Extraits du recueil Lexique amoureux, Poésie/Gallimard, 2018. Traduit de l’arabe par Vénus Khoury-Ghata, Issa Makhlouf et Houria Abdelouabed. Préface de René de Ceccatty.

    

 

 

Gilbert Vautrin

choix Dana Shishmanian

 

 

Le Carnet noir. Poème

 

(…)

alors dans tout ça

c’est quoi la poésie

c’est quoi le printemps quoi la lumière

ce saut ce bond dans la lumière

the springtime

 

il y a quelque chose de noir

sur le chemin

le dire oui il le faudrait

mais voilà on est toujours trop loin

 

on dit

mais on n’entend pas

qu’elle avance à grands pas

et plus vite que prévu

qu’elle serait même là tout près

aux dernières nouvelles

mais on n’entend pas

et puis maintenant

trop tard c’est le noir

 

(…)

 

parce qu’on entend jamais rien

parce qu’on ne voit jamais rien

parce qu’on ne sait jamais rien

comme on ne sait rien Non, rien

de la mort d’Agnès Rouzier

le 15 octobre 1981

de ce corps mort

qui ne montre plus rien

comme on ne sait rien Non, rien jamais rien

des autres de leur vivant

ni après

 

c’est pour ça

que j’ai mis sur la table

un bouquet quelques fleurs

infiniment noires

 

elle disait

« toute écriture qui ne crucifie pas efface »

qui peut comprendre cela

elle seule

maintenant

(…)

 

elle seule

même déchiquetée

je voulais dire qu’on a tous

à l’intérieur

un paysage plus grand

un visage

mille visages plus grands

que cet immense noir noir silence

 

elle seule

maintenant

même déchue déchirée

qui écrivait « peu à peu le mot ange

    disparaît de notre vocabulaire »

 

à l’extrême

au paroxysme âme amour

au revoir

 

***

 

Cet extrait (pp. 144-155) est assez révélateur de l’écriture-fleuve de Gilbert Vautrin, qui intitule bien son « carnet noir », poème : il y en a en effet un seul, qui coule avec des ruissellements, des lentes méandres, des chutes vertigineuses, des bourrasques marines par endroits, le long d’un volume de 195 pages, paru en 2019 aux éditions Baz’Art Poétique de notre ami Kader Rabia, que je remercie de m’avoir fait découvrir plusieurs autres auteurs (dont Dom Corrieras, Dom Gabrielli, et lui-même), en m’offrant leurs livres.

J’ai choisi ce fragment parmi les nombreux où l’auteur évoque des poètes disparus, comme dans une promenade aux jardins d’outre-monde, à cause du destin particulier d’Agnès Rouzier que j’ai découvert ainsi, grâce à cette lecture… (voir sur elle l’article de Marie Étienne sur le site en-attendant-nadeau du 14 juin 2016, et la présentation des deux volumes anthologiques sorties aux éditions Brûle-point en 2015, sur le site de l’éditeur).

Sur Gilbert Vautrin, voir entre autres l’article d’Alain Helissen dans Poésie et critique du 27 octobre 2015, et pour sa bibliographie, la notice sur le site Æncrages & Co datée du 2 août 2019.

 

 

 

 

Natasha Kanapé Fontaine

choix Gertrude Millaire

 

 

Migration

 

Je me nommerai Mississippi

Assiniboine

Azueï

Oaxaca

j’aurai un nom de reine

ma fleur d’origine

 

Je suis

j’existe

je suis venue apporter la lumière aux nations

je suis venue avec la lumière

 

Je suis revenue pour rester

je suis revenue pour prendre pays

lui donner son nom de terre.

 

Moi

femme d’entre toutes les femmes

nation d’entre toutes les nations

je reprendrai le nom de mes ancêtres

 

J’ai enfin retrouvé mon nom

j’ai enfin retrouvé mon visage

il voguait sur les eaux des océans

il pleurait avec les boat people

mangez mon corps et buvez mon sang

voici le sacrifice du gran nèg

qui a construit pays mien avec son front

la sueur sur ses tempes

la corne dans ses paumes

les dents dans la canne

 

Mon nom mon visage

pleurer les chevauchées

Sitting Bull, Tecumseh, Pontiac

sangloter Wounded Knee

Alcatraz, Yucatan, Oka

Elsipuktuk

je suis revenue avec la lumière

 

(poème extrait du recueil Bleuets et abricots,

Éd. Mémoire d’encrier, 2016, p. 72-73 ;

reproduit d’après le site lesvoixdelapoesie.com)

 

 

 

Coup de cœur

Danièle Corre, choix Dominique Zinenberg

Eric Costan, choix Éliette Vialle

Louise Glück, choix François Minod

Adonis, choix Mireille Diaz-Florian

Gilbert Vautrin, choix Dana Shishmanian

Natasha Kanapé Fontaine, choix Gertrude Millaire

 

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