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Coup de cœur : Archives

(2010-2017)

Une escale à la rubrique "Coup de cœur"
découvrir un poème qui nous a particulièrement touché
par sa qualité, son originalité, sa valeur

(un tableau de Bruno Aimetti)

 

À Francopolis,
la rubrique de vos textes personnels est une de nos fiertés.
Elle héberge un ensemble de très beaux textes,
d'un niveau d'écriture souvent excellent,
toujours intéressant et en mouvement.

Nous redonnons vie ici à vos textes qui nous ont séduit
que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.

***

Poème Coup de Cœur du Comité

Mars-Avril 2021

 

Jean-Pierre Thuillat, choix Dominique Zinenberg

Parme Cériset, choix Éliette Vialle

Jacques Dupin, choix François Minod

Claude Dourguin, choix Mireille Diaz-Florian

Patricia Laranco, choix Dana Shishmanian

Denise Desautels, choix Gertrude Millaire

Claire Kalfon, choix Michel Ostertag

 

 

 

 

 

Jean-Pierre Thuillat

choix Dominique Zinenberg

 

 

MEMORIAL POUR LE SIECLE XX

 

Il commence à Sarajevo pour s’achever à Pristina :

ça fait pas beaucoup de chemin

                juste un détour par Oradour

                         une fleur sur Hiroshima.

 

Les hommes s’ennuient sur la Terre, il faut bien s’amuser un peu.

Un peu de femme un peu de guerre

              du vin des larmes et du sang

                            et l’on repart la coupe pleine.

 

Ronds de fumée sur Tréblinka ou ronds de cuir sur la Garonne.

Qu’elle est belle l’église en flammes

                 avec tous ces enfants dedans !

                             J’entends le hurlement des femmes.

 

On n’est plus au douzième siècle. La barbarie, c’est aujourd’hui.

À Tokyo New-York ou Paris

           les sans-papiers les sans-familles

                          hantent les rues de l’opulence.

 

La guerre est partout dans le monde, on tue les enfants par milliers.

Ceux qui survivent on les prépare

                     à devenir bourreaux demain.

                          Ainsi se perpétue le Monstre.

 

Il commence à Sarajevo pour s’achever à Pristina,

ça fait pas beaucoup de chemin

                juste un détour par Oradour

                                      une fleur sur Hiroshima.

 

  (Retour du village martyr d’Oradour-sur Glane le 4 novembre 1999)

                                                                              Extrait du recueil Dans les ruines, L’arrière-Pays 2014

 

 

 

Parme Cériset

choix Éliette Vialle

 

LE LASCAUX DES VISAGES 

 

 

Comme il y a des milliers d’années, 

J’ai peint ton visage sur la roche 

De mes doigts enduits d’ocre et de sang 

Et tu as imprimé mon regard 

Sur la peau des cavernes et des songes.

Tu m’as aimée à la sauvage 

Comme une femme immémoriale 

Et j’ai humé ton parfum d’ambre, 

Fossile de l’étreinte brûlante 

Qui vit depuis la nuit des temps.

 

 

LE LASCAUX DES POÈTES 

 

Quelques regards gravés sur les murs du temps

Comme si nous souhaitions laisser une part de nous,

Un prolongement éthéré de nos vies,

Un écho de nos rêves 

Dans l'immensité du néant.

Quelques mots d'espoir,

Pigments d'ocre et de souffrance,

Imprégnés de joie, de peurs, de réminiscences,

Qui viennent marquer sur la grande caverne de l'art

Nos vies en lettres de sang.

Quelques visages, poèmes immortels,

Qui raconteront aux vivants de demain  

Cet astre qui coula dans nos 

veines 

Du temps où nous étions vivants.

Ces parchemins de roche et de lumière,

Notre éternité d’hier,

Notre firmament.

 

 

ÈVE DU TEMPS JADIS 

 

Ève du temps jadis,

Tu pleures un amour disparu.

Depuis la nuit des temps, 

Tu souffres,

Tu existes,

Depuis les cavernes 

Des rêves du temps perdu.

Alors sur les parois tu gravas son visage,

Amazone de l’aube 

Amoureuse d’un mort…

Tu pouvais désormais reprendre le chemin

De ton destin de femme aux temps préhistoriques,

Tu savais qu’il était toujours là, en ton sein,

Comme une marque rouge brûlante et diabolique.

 

 

©Parme Cériset

inédits

 

 

 

Jacques Dupin

choix François Minod

 

 

Tout
commence  tout
a déjà commencé

le noir    le point le trait
    la trace    le signe et la lettre
le mot    le nombre    le carré blanc

    la ligne d'eau et le noir
un rai de lumière
                  par la grille

des alvéoles-du parloir
le noir de fumée dans la transparence
l'émancipation
              la lucidité de la cire

Un alignement de barres
-enfantin
        de ronds  de tâches  de têtes
d'étoiles pendues par les yeux
                                de signes

tracés pour rien
                pour naître grandir
danser
      pour être tués
(d'aventures: pour tuer)

    Abeilles  ouvreuses
plus éprises    qu'affamées
      obéissant à leur ciel  à leur dard

à la béance aussi bien
                  de la phrase écartelée

Captives
          -papillons, éphémères, abeilles
du rêve qu'elles ont ourdi
    et dehors
c'est l'usine
              à ciel ouvert
    des comparses en liberté

Je me suis laissé prendre au piège
d'un foutre de bas cépage
                        d'une foudre
de troquet
une plume éraillée dans les chambres
          de chaque bouge

et les feuilles dispersées

Pour fuir  mes mains  de tueur
elles se sont noyées
                    recueillies
        dans l'immensité de la cire

comme entre
            un œil
liquide
de cyclope
à demi
      fermé

et la feuille de saule

de ta paupière    étonnée

inconnues familières
                    je les chasse les
affame
      coupant la lavande en juillet
d'elles
            millier d'ailes
en perdition
pas le moindre dard irrité

              aucune infinie remontrance

qui fait que je les aime à jamais
        et pour ce surcroît d'arômes
dans les lavandes faucillées

Elles
      sont là    parmi le jasmin
de ma porte
      et l'obliquité du soir

odorantes par effraction
      ellipses du vol  perte du sens

perçant le vitrage de l'atelier des cires
et les mots encore indistincts

    Ce qui ne se dit pas
                          se donne
s'enfonce  et ressurgit
          donne à glisser    à se fondre

donne  et ne fixe rien

 

 

Extrait de Ballast, NRF, Poésie/Gallimard, 2009

 

 

 

Claude Dourguin

choix Mireille Diaz-Florian

 

 

Envie de vous proposer de découvrir Claude Dourgin que caractérise une vie « ponctuée de vagabondages ».   Après des études de lettres, d’esthétique et histoire de l’art, elle s’installe en Haute Provence où elle cultive la lavande. Elle fait de longs séjours en solitaire à travers l’Europe. Il s’agit toujours de « connaître la saveur du quotidien » par goût profond des lieux, villes, paysages, mais aussi de céder à l’attrait de l’aventure, « au sens exact être disponible à ce qui advient, la chance du chemin, son risque tout autant. »  Sa passion pour la peinture affirmée nourrit une réflexion d’un volume l’autre. Dans la Pléiade consacrée à Julien Gracq, elle a notamment établi, annoté et introduit Les Eaux étroites et Carnets du Grand Chemin.

À lire La lumière des villes (éd. Champ Vallon), Chemins et Routes (éd. Isolato), et dans la même collection chez Corti : Ciels de traîne (2011) et Points de feu (2016).

Émissions sur France Culture : Du jour au lendemain. Alain Veinstein : https://www.franceculture.fr/personne-claude-dourguin.html

 

***

 

Claude Dourguin, Ciels de traîne

Collection En lisant, en écrivant, éditions José Corti, 2011

 

Toute œuvre digne de ce nom nourrit une recherche de l’Être et des formes du vrai (sinon de la vérité) dans son langage, ses objets, les sensations puis les perceptions du monde extérieur s’il est requis. Faute de cette ambition ou de ce questionnement, il s’agit d’une activité d’agrément, d’une construction plus ou moins habile, plus ou moins plaisante, d’un numéro (comme on parle de numéro de music-hall ou de cirque) une voltige de signes.

Corollaire, on peut poser qu’il ne saurait y avoir de recherche ou d’expression artistique hors de son incarnation dans une multiplicité de situations, de réalités qui sont celles de la vie d’ici-bas ; voir Rilke qui a écrit là-dessus les pages les plus belles et définitives.

 

*

 

Quand associée aux années de formation, liée à la vie, à ses lieux, à ses pratiques, une œuvre comme une évidence sensible, familière et délectable a été absorbée, - transformée en substance propre-, constitutive de sa propre histoire intérieure, devenue tellement intime on ne l’évoque guère, on n’y songe pas, on l’a naturalisée, assimilée. La reprend-on un beau matin où, sans que l’on sache pourquoi toute fraîche elle s’est présentée à la porte du cœur, que l’on s’émeut, empli de gratitude, mesurant alors la qualité des dons, leur convenance, à nouveau les savourant- est-il bien possible d’avoir tenu tout cela, cette richesse pour naturelle ?

Mortefontaine, Ermenonville, Chaalis, Commelles, Lobsy, Chantilly, terres du Valois, une poésie des noms et des lieux faite de brume légère, de douceur et de mystère, une rêverie de forêts, d’étangs et de vieux, nobles villages, la mélancolie indécise d’une abbaye en ruine, sans médiation menait à Nerval, LFILLES DU FEU, en accomplissaient les promesses en littérature,- assuraient à la vie son salut ; les promenades se faisaient dans une tonalité commune, même lumière, même ombre, le songe avait infusé la réalité, SYLVIE, ANGÉLIQUE y ramenaient.

 

*

 

Pourquoi le flot des jours sans cesse ramène-t-il extraits d’œuvre et citations ? Parce que voir, entendre (si l’on ose dire, mais la perception relève bien de cet ordre) penser autrui provoque une jubilation irremplaçable, devient aussitôt proposition, incitation pour son propre esprit à se mettre en marche, à concerter ou à faire son solo- c’est selon. Et cela paraît mille fois plus intéressant, plus fécond que de disserter sur soi, de raconter par le menu comment on mâche ses mots, les ingère etc.

Le germe, le pouvoir germinatif ?, à peu près toujours c’est à l’extérieur de soi qu’on le trouve.

      

 

 

Patricia Laranco

choix Dana Shishmanian

 

 

Il y a du printemps dans l'air

 

Il y a du printemps dans l'air

et le vent

qui secoue ses hanches

en enfonçant ses pointes bleues, en rasant

les herbes grillées,

les mousses poncées par le gel.

Des fougères tremblent en leur coin : malheureuses effarouchées

et les feuillages persistants

de temps à autre, se démènent.

Il y a du printemps dans l'air,

les oiseaux - merles, pies, pigeons -

rivalisent d'acrobaties.

ça sent l'odeur encore durcie

mais en voie d'acquérir douceur

odeur qui fouette tous les sangs, aiguillonne

toutes les sèves.

On respire l'affolement

de l'immense organisme Vie

qui a, déjà, tête tournée

et ne sait plus

où donner tête.

On respire l'affolement

de l'immense organisme Vie

qui a hâte de vivre plus,

brûle d'ÊTRE le plus qu'il peut

(et plus encore, s'il le faut).

Quelque chose d'inattendu

vous happe soudain, au balcon

- une goulée d'air bleu en trop ? - ...

et l'impression de basculer

en laissant tout

derrière vous

vous explose en l'âme et le corps :

plonger par-dessus,

par-delà

vers le lointain,

vers le partir !

 

©Patricia Laranco 2021

(extrait de FB)

 

 

Voir aussi dans ce même numéro, à la rubrique Gueule des mots (D.S.).

 

 

 

Denise Desautels

choix Gertrude Millaire

 

 

De la douceur


Tout est là : froissements de tissus, ailes brisées, bruits de salive, claquements, cris, lézardes. Toutes les musiques du corps, attachées les unes aux autres, au rythme des choses simples. Au loin, un ciel pourpre qui s'en va. Tout près, un étoilement ou une trouée, quelque chose de flamboyant qui fait signe ! une table d'écriture, une femme assise, étonnée, les mains pleines d'argile et d'encre. Elle a posé son corps dans le réel, dans le brouillard que produit la terre, en se soulevant. Et son corps — ce sel ramassé dans ses os, sa folle humanité — veille contre l'oubli. Elle est là, toujours assise dans le réel, à se demander si, au ras du sol, le bonheur a un parfum. Hiver après hiver, elle glisse dans sa voix : « Cela ressemble à de la douceur. »

©Denise Desautels

 

Denise Desautels (*1945 à Montréal, Québec, Canada) a publié une trentaine d’ouvrages de poésie et de fiction, et cinq dramatiques radiophoniques.

Elle est membre de l’Académie des lettres du Québec, depuis 1995, et membre du comité organisateur de la Rencontre québécoise internationale des écrivains. Dans son écriture, qu’elle présente comme une archéologie de l’intime, Desautels est à la recherche d’un langage qui, évoluant au-delà de l’usage quotidien des mots, puisse atteindre le lecteur jusque dans son intimité.

Présence à Francopolis : invitée au Salon de lecture de septembre-octobre 2019.

 

 

 

Claire Kalfon

choix Michel Ostertag

 

 

Le silence des oiseaux

 

Un matin qui ressemble

A une veilleuse allumée

 

Le gris du dehors est plus éblouissant

Que le soleil de l’été perdu

Une obscurité métallique

Sans aucun bord tranchant

 

Sur la terrasse les plantes grasses

N’ont pas replié leurs ailes de carton

Et depuis la chambre les toits laqués

Ne disent rien du ciel d’octobre

 

Ils transpirent

Attendent un geste

Une éraflure dans la journée

Qui peine à enjamber la nuit

 

 

D’ici là

  

J’écris toujours la même chose

L’interstice entre les lattes du jour

Tendu aux trois quarts

 

Je me répète et je m’additionne

Jetant l’indicible par la fenêtre

Et plus je m’approche

 

Du petit tas de cailloux

Au bord du chemin

Plus le mystère s’épaissit

 

Comme une vague infranchissable

Qui nous maintient sur la jetée

Protégé et démuni

 

©Claire Kalfon

 

LE CAPITAL DES MOTS - CLAIRE KALFON  

 

 


Coup de cœur

Jean-Pierre Thuillat, choix Dominique Zinenberg

Parme Cériset, choix Éliette Vialle

Jacques Dupin, choix François Minod

Claude Dourguin, choix Mireille Diaz-Florian

Patricia Laranco, choix Dana Shishmanian

Denise Desautels, choix Gertrude Millaire

Claire Kalfon, choix Michel Ostertag

 

Francopolis mars-avril 2021

 

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