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GUEULE DE MOTS
Où les mots cessent de faire la tête et
revêtent un visage...
Cette rubrique reprend vie en 2010 pour laisser LIBRE PAROLE À UN AUTEUR...
libre de s'exprimer, de parler de lui, de son inspiration, de ses goûts
littéraires, de son attachement à la poésie,
de sa façon d'écrire, d'aborder les
maisons d'éditions, de dessiner son avenir, nous parler de sa vie parallèle
à
l'écriture. etc.
Ce mois de janvier 2012
Libre parole à… Patricia Laranco
Ce mois-ci,
Patricia Laranco nous parle d’elle et de sa passion pour
l’écriture, de son attachement à la poésie, de ses
premiers écrits, précédés de ses
premières découvertes des grands auteurs, de toute cette
lente maturation qui aboutira à un réel talent
d’écrivain.
C’est une des gloires de
Francopolis de nous révéler ces plumes authentiques, ces
univers souvent méconnus du grand public et malgré tout
d’une rare qualité.
Laissez vous emporter par le
récit de Patricia Laranco qui nous raconte, qui se raconte et
qui donnera encore plus d’épaisseur à ses propres textes.
La connaissant ainsi vous apprécierez encore mieux la
qualité de son écriture.
(Michel Ostertag)
- Elle se présente:
Je suis née le 2 janvier 1955 au Mali, en plein cœur de la
fournaise africaine, et j’ai passé en Afrique Noire les six
premières années de ma vie. D’origine espagnole, mon
père était un cadre supérieur de l’administration
postale française. Ma mère, sans profession, était
une Mauricienne qui avait vécu longtemps à Madagascar. En
1960, un évènement tragique marqua ma famille : mon
frère aîné, dont me séparaient 25 ans de
différence d’âge, perdit la vie en Algérie, dans un
accident de voiture et, sous le choc, mon père décida
brusquement de regagner la France, dont je ne connaissais rien, et ma
mère à peine un peu plus. J’ai vécu cet
enchaînement d’évènements bouleversants comme un
véritable traumatisme : déracinement, changement de
climat et d’habitudes et, surtout, le deuil impossible de mes parents
qui s’installait. Confrontée à leur tristesse, à
leur angoisse et à leur comportement surprotecteur à mon
égard, j’ai été marquée par toute cette
ombre, ainsi que par un sentiment de déphasage et d’isolement,
car ma famille s’était repliée sur elle-même
très vite. Je trouvai une échappatoire à cette
douloureuse situation en m’adonnant au dessein puis en devenant une
lectrice frénétique. Je découvrais le monde et mes
centres d’intérêt étaient nombreux… mais je
rêvais, aussi… Les tropiques perdus me manquaient cruellement…
Grâce à ma mère, j’eus la chance de recevoir une
culture multiculturelle qui m’amena là aussi rapidement à
me poser des questions sur mes propres (et complexes) origines. Proche
de ma mère et de sa famille que nous voyions souvent, je ne
parvenais pas à me sentir pleinement française.
- Ses premiers pas en écriture:
Mes tout premiers « écrits » ont été,
vers l’âge de 11 ans, des histoires d’animaux et des
pièces de théâtre (je venais de découvrir
Molière). Un peu plus tard, cela se fixa dans mon esprit,
impérieux et aussi clair que de l’eau de roche : «il faut
que je devienne écrivain ! ». Vers l’âge de 15 ans,
tout en dessinant et peignant toujours beaucoup, je me lançai
dans l’écriture d’un roman d’aventure situé dans les
îles indonésiennes… toujours, le désir
d’évasion ! Mais j’avais 16 ans lorsque se produisit le choc
décisif : en classe de seconde, le professeur de Français
nous fit étudier le poème « Elévation
» de Baudelaire. J’étais en plein trip mystique adolescent
et cela me foudroya. Brusquement, j’eus envie de lire et
d’écrire de la poésie. Les mots et les rimes, leurs
ciselures aériennes, me transportaient. Peu de temps
après, je commettais mes tout premiers « poèmes
», des plagiats maladroits et élégiaques de
Baudelaire (pantoums), où j’exprimais mon sentiment de perte, de
manque et mon spleen nébuleux d’adolescente solitaire. Je me
souviens que j’écrivais en cachette de mes parents, et que je
soustrayais mes précieux morceaux de papier griffonnés
à leur regard inquisiteur en les camouflant dans ma commode,
sous une pile de linge.
A partir de là, je me suis mise à écrire de la
poésie, et rien que de la poésie. L’activité
poétique devint le centre de mon univers. Une
échappatoire, une thérapie ? Sans doute. Une «
drogue » ? Pour sûr… Par la suite, j’ai découvert
Rimbaud, Mallarmé, les surréalistes. J’avais 22 ans quand
je découvris Césaire, Reverdy, Ponge et le poète
mauricien Edouard Maunick et, bien plus tard encore, d’autres
rencontres s’avérèrent déterminantes : Omar
Khâyyam, Arthaud, Michaux, Battachariya et même Raymond
Devos ! Habitée d’un souci de m’améliorer qui confinait
à l’obsession, je me laissais pénétrer par
l’influence de tous ces grands poètes auxquels venaient
s’ajouter aussi des chanteurs tels que Brel et Nougaro. Depuis, ce
véritable « virus » ne m’a plus jamais
quitté. J’avais une trentaine d’années lorsque,
déjà mère de famille, je me risquai à
envoyer mon premier manuscrit de recueil aux Editions Des Femmes, qui
me répondirent que, n’ayant pas de collection de poésie,
elles le refusaient mais qu’elles trouvaient, néanmoins,
certains de mes textes « très beaux ». Cela me
surprit d’abord, puis cela m’encouragea à poursuivre. Pourtant,
les aléas de la vie (et, peut-être, la timidité)
firent que j’attendis les années 1990 pour soumettre à
nouveau des textes, cette fois à des revues de poésie
parisiennes. Je fus folle de joie lorsqu’ils reçurent un accueil
favorable, et se trouvèrent publiés dans des revues
telles que « Les Cahiers de Poésie » (du
regretté Mondher Ben Milad), « Phréatique »,
« Jointure », « Le Cerf-volant », «
Résurrection ».
Je n’ai pas compté, mais je pense avoir écrit, à
ce jour, plus de 5000 poèmes. Au fil du temps et du travail, les
mots me venaient plus aisément. Pour moi, ils sont la traduction
d’un instant de porosité, d’ouverture, de disponibilité
totale aux choses qui m’entourent. La poésie, c’est d’abord une
affaire de contemplation. C’est une communion profonde avec le reste de
l’univers. On m’a dit que cela résultait d’un tempérament
hyper sensible. Dans mon cas, je crois que ce n’est pas faux.
- La poésie comment la définir !
La poésie, je le pense, c’est une façon AUTRE de dire les
choses. Une tentative de traduire une perception AUTRE. Une sorte de
quête du Graal. Pour ma part, je ne suis pas loin de lui accorder
une valeur religieuse, voir mystique. En ce sens, je me rapproche
beaucoup de mon ami le poète mauricien Umar Timol. Je suis
également on ne peu plus d’accord avec un autre de mes amis, le
poète français Jean-Luc Maxence, lorsqu’il compare la
démarche poétique à une sorte d’alchimie. Mon
idée est que le monde grouille de choses qui se dérobent
à notre perception. Ou qui, à tout le moins, nous
narguent, en une sorte d’affleurement furtif, de partie de cache-cache.
Les sciences, déjà, nous disent toute la
complexité du réel. Ce que je ressens, pour ma part,
c’est quelque chose qui se dérobe sans cesse. Le poète
est quelqu’un qui subodore la présence d’une autre
réalité, un être intuitif dont les mots se lancent
à la poursuite d’autres dimensions. Mais, bien entendu, ils ne
font que les effleurer, que s’y brûler les ailes. Il n’est jamais
facile de rendre l’au-delà des mots avec des mots. C’est une
gageure. Les mots peinent à représenter le réel et
je pense que cette tension est l’essence du « défi »
poétique.
Pour ce qui est des nouvelles que j’écris, depuis quatre ans
environ, c’est un peu pareil. Lectrice enthousiaste de Kafka, de
Maupassant, d’Edgar Poe et de Stephen King, j’essaie de les situer aux
limites de l’onirique et de l’absurde, avec un zeste de fantastique.
Comme en poésie, c’est une espèce de «
quatrième dimension » que je cherche à exprimer.
En poésie, j’aime tous les genres, les styles, pourvu que soient
vigueur et fulgurance. Par contre, je ne déteste rien tant que
l’esprit d’école, de chapelle.
- Ses poètes et ses thèmes:
Les poètes que j’aime lire actuellement et qui me parlent le
plus ? Umar Timol, Arnaud Delcorte, Gabrielle Althen, José Le
Moigne, François Teyssandier, Ernest Pépin.
Mes thèmes de prédilection : la solitude, le manque,
l’absence, la vanité des apparences et des désirs,
l’injustice sous ses mille formes, la plénitude de l’instant,
des sensations, de la beauté, la fluidité du Temps et la
précarité de la vie humaine, une certaine
déconstruction du langage au travers du jeu avec les mots dont
le côté limité me préoccupe aussi, le
bonheur d’être, de se sentir vivant au travers des choses toutes
simples, la magie du silence.
Je suis sensible au mystère, et j’essaie bien souvent de le
traduire, tant dans mes textes poétiques que dans mes nouvelles.
La poésie m’apporte un très grand plaisir, elle me
transporte. C’est une bénédiction, même si, par
ailleurs, elle me « possède » et donc m’isole
fréquemment du reste du monde et de la vie quotidienne. C’est
une expérience très intense, quelquefois même
« envahissante », que je vis jusque dans la moindre de mes
fibres. Je l’aime, entre autre, parce qu’elle a l’art d’embellir, de
transfigurer mon existence, et je pense qu’elle est en premier lieu une
question d’état d’esprit. Elle véhicule le pouvoir de
réinventer le langage et, en ce sens, je la compare à un
grand vent de liberté qui apporte la griserie, à une
voile qui se gonfle. Pour le reste, j’ai, avec les mots, un rapport
assez ambigu. Je les chéris, tout en regrettant leurs limites,
leur part d’ « impuissance », de rigidité.
Peut-être la poésie est-elle une version inaboutie de la
musique. Quoiqu’il en soit, j’aime toujours autant lire les autres
poètes, parce qu’ils m’enrichissent. C’est sans doute cela qui
m’a amené à écrire, aussi, des notes de lectures
et des articles critiques.
En guise de conclusion, je peux dire que sans l’écriture – sans
la poésie, en particulier – je ne serais pas. J’écris
d’abord parce que cela m’est joie et nécessité
intérieure, nécessité vitale… parce que c’est
devenu, chez moi, une manière de réaction naturelle aux
choses qui m’environnent, qui vibrent et avec lesquelles je vibre.
Peut-être est-ce de l’ « angoisse », peut-être
est-ce une forme de fébrilité un peu « maniaque.
» Mais la jubilation à nulle autre pareille que j’en
retire vaut amplement que je m’y « accroche ». Je n’imagine
pas ma vie sans cette joie de crée, de communiquer, qui dilate
mon être. Peut-être est-ce parce qu’elle me donne
l’illusion de maîtriser l’éphémère ( ?) Ce
qui me lie à la poésie est, à mon sens, un
fabuleux mystère, un mystère dont, presque chaque jour,
je remercie le ciel.
**
Patricia Laranco
outre la poésie, apprécie la peinture, la photographie. Ses autres centres
d'intérêt sont la philosophie et la préhistoire.
Ses présences sur Francopolis:
- Invitée au Salon de lecture
- Paranormal dans Pieds de mots
- Pourquoi écrire ? dans la Librairie
Son Blog : Patrimages
Quelques recueils
- Les mondes filigranés », Edition La Pensée Universelle, 1976.
- Failles dans le
divers », auto-édition, 1994.
- Sous les yeux des
miroirs obscurs », Edition La Cyclade, 1996.
- Maison de pages,
aut-édition, 1996.
- Circonvolutions », auto-édition, 2002.
- La chaleur
mammifère », Edition D’ici et d’Ailleurs, 2006.
- LOINTITUDE, La Jointée éditeur, 2009
- Un peu de sa poésie sur Poésie et poètes fraconphones
- Et plus sur Alcôves
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