GUEULE DE MOTS -ARCHIVES 2010-2011

   Jean-Pierre Lesieur - Serge Maisonnier - Juliette Clochelune... et plus

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GUEULE DE MOTS

Où les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage...
Cette rubrique reprend vie en 2010 pour laisser LIBRE  PAROLE À UN AUTEUR...
libre de s'exprimer, de parler de lui, de son inspiration, de ses goûts littéraires, de son attachement à la poésie,
de sa façon d'écrire, d'aborder les maisons d'éditions, de dessiner son avenir, nous parler de sa vie parallèle
à l'écriture. etc.

Ce mois de janvier 2012

  Libre parole à… Patricia Laranco

Ce mois-ci, Patricia Laranco nous parle d’elle et de sa passion pour l’écriture, de son attachement à la poésie, de ses premiers écrits, précédés de ses premières découvertes des grands auteurs, de toute cette lente maturation qui aboutira à un réel talent d’écrivain.
C’est une des gloires de Francopolis de nous révéler ces plumes authentiques, ces univers souvent méconnus du grand public et malgré tout d’une rare qualité.
Laissez vous emporter par le récit de Patricia Laranco qui nous raconte, qui se raconte et qui donnera encore plus d’épaisseur à ses propres textes. La connaissant ainsi vous apprécierez  encore mieux la qualité de son écriture.
(Michel Ostertag)

- Elle se présente:
Je suis née le 2 janvier 1955 au Mali, en plein cœur de la fournaise africaine, et j’ai passé en Afrique Noire les six premières années de ma vie. D’origine espagnole, mon père était un cadre supérieur de l’administration postale française. Ma mère, sans profession, était une Mauricienne qui avait vécu longtemps à Madagascar. En 1960, un évènement tragique marqua ma famille : mon frère aîné, dont me séparaient 25 ans de différence d’âge, perdit la vie en Algérie, dans un accident de voiture et, sous le choc, mon père décida brusquement de regagner la France, dont je ne connaissais rien, et ma mère à peine un peu plus. J’ai vécu cet enchaînement d’évènements bouleversants comme un véritable traumatisme : déracinement, changement de climat et d’habitudes et, surtout, le deuil impossible de mes parents qui s’installait. Confrontée à leur tristesse, à leur angoisse et à leur comportement surprotecteur à mon égard, j’ai été marquée par toute cette ombre, ainsi que par un sentiment de déphasage et d’isolement, car ma famille s’était repliée sur elle-même très vite. Je trouvai une échappatoire à cette douloureuse situation en m’adonnant au dessein puis en devenant une lectrice frénétique. Je découvrais le monde et mes centres d’intérêt étaient nombreux… mais je rêvais, aussi… Les tropiques perdus me manquaient cruellement…

Grâce à ma mère, j’eus la chance de recevoir une culture multiculturelle qui m’amena là aussi rapidement à me poser des questions sur mes propres (et complexes) origines. Proche de ma mère et de sa famille que nous voyions souvent, je ne parvenais pas à me sentir pleinement française.

- Ses premiers pas en écriture:
Mes tout premiers « écrits » ont été, vers l’âge de 11 ans, des histoires d’animaux et des pièces de théâtre (je venais de découvrir Molière). Un peu plus tard, cela se fixa dans mon esprit, impérieux et aussi clair que de l’eau de roche : «il faut que je devienne écrivain ! ». Vers l’âge de 15 ans, tout en dessinant et peignant toujours beaucoup, je me lançai dans l’écriture d’un roman d’aventure situé dans les îles indonésiennes… toujours, le désir d’évasion ! Mais j’avais 16 ans lorsque se produisit le choc décisif : en classe de seconde, le professeur de Français nous fit étudier le poème « Elévation » de Baudelaire. J’étais en plein trip mystique adolescent et cela me foudroya. Brusquement, j’eus envie de lire et d’écrire de la poésie. Les mots et les rimes, leurs ciselures aériennes, me transportaient. Peu de temps après, je commettais mes tout premiers « poèmes », des plagiats maladroits et élégiaques de Baudelaire (pantoums), où j’exprimais mon sentiment de perte, de manque et mon spleen nébuleux d’adolescente solitaire. Je me souviens que j’écrivais en cachette de mes parents, et que je soustrayais mes précieux morceaux de papier griffonnés à leur regard inquisiteur en les camouflant dans ma commode, sous une pile de linge.

A partir de là, je me suis mise à écrire de la poésie, et rien que de la poésie. L’activité poétique devint le centre de mon univers. Une échappatoire, une thérapie ? Sans doute. Une « drogue » ? Pour sûr… Par la suite, j’ai découvert Rimbaud, Mallarmé, les surréalistes. J’avais 22 ans quand je découvris Césaire, Reverdy, Ponge et le poète mauricien Edouard Maunick et, bien plus tard encore, d’autres rencontres s’avérèrent déterminantes : Omar Khâyyam, Arthaud, Michaux, Battachariya et même Raymond Devos ! Habitée d’un souci de m’améliorer qui confinait à l’obsession, je me laissais pénétrer par l’influence de tous ces grands poètes auxquels venaient s’ajouter aussi des chanteurs tels que Brel et Nougaro. Depuis, ce véritable « virus » ne m’a plus jamais quitté. J’avais une trentaine d’années lorsque, déjà mère de famille, je me risquai à envoyer mon premier manuscrit de recueil aux Editions Des Femmes, qui me répondirent que, n’ayant pas de collection de poésie, elles le refusaient mais qu’elles trouvaient, néanmoins, certains de mes textes « très beaux ». Cela me surprit d’abord, puis cela m’encouragea à poursuivre. Pourtant, les aléas de la vie (et, peut-être, la timidité) firent que j’attendis les années 1990 pour soumettre à nouveau des textes, cette fois à des revues de poésie parisiennes. Je fus folle de joie lorsqu’ils reçurent un accueil favorable, et se trouvèrent publiés dans des revues telles que « Les Cahiers de Poésie » (du regretté Mondher Ben Milad), « Phréatique », « Jointure », « Le Cerf-volant », « Résurrection ».

Je n’ai pas compté, mais je pense avoir écrit, à ce jour, plus de 5000 poèmes. Au fil du temps et du travail, les mots me venaient plus aisément. Pour moi, ils sont la traduction d’un instant de porosité, d’ouverture, de disponibilité totale aux choses qui m’entourent. La poésie, c’est d’abord une affaire de contemplation. C’est une communion profonde avec le reste de l’univers. On m’a dit que cela résultait d’un tempérament hyper sensible. Dans mon cas, je crois que ce n’est pas faux.

- La poésie comment la définir !
La poésie, je le pense, c’est une façon AUTRE de dire les choses. Une tentative de traduire une perception AUTRE. Une sorte de quête du Graal. Pour ma part, je ne suis pas loin de lui accorder une valeur religieuse, voir mystique. En ce sens, je me rapproche beaucoup de mon ami le poète mauricien Umar Timol. Je suis également on ne peu plus d’accord avec un autre de mes amis, le poète français Jean-Luc Maxence, lorsqu’il compare la démarche poétique à une sorte d’alchimie. Mon idée est que le monde grouille de choses qui se dérobent à notre perception. Ou qui, à tout le moins, nous narguent, en une sorte d’affleurement furtif, de partie de cache-cache. Les sciences, déjà, nous disent toute la complexité du réel. Ce que je ressens, pour ma part, c’est quelque chose qui se dérobe sans cesse. Le poète est quelqu’un qui subodore la présence d’une autre réalité, un être intuitif dont les mots se lancent à la poursuite d’autres dimensions. Mais, bien entendu, ils ne font que les effleurer, que s’y brûler les ailes. Il n’est jamais facile de rendre l’au-delà des mots avec des mots. C’est une gageure. Les mots peinent à représenter le réel et je pense que cette tension est l’essence du « défi » poétique.

Pour ce qui est des nouvelles que j’écris, depuis quatre ans environ, c’est un peu pareil. Lectrice enthousiaste de Kafka, de Maupassant, d’Edgar Poe et de Stephen King, j’essaie de les situer aux limites de l’onirique et de l’absurde, avec un zeste de fantastique. Comme en poésie, c’est une espèce de « quatrième dimension » que je cherche à exprimer.
En poésie, j’aime tous les genres, les styles, pourvu que soient vigueur et fulgurance. Par contre, je ne déteste rien tant que l’esprit d’école, de chapelle.

- Ses poètes et ses thèmes:

Les poètes que j’aime lire actuellement et qui me parlent le plus ? Umar Timol, Arnaud Delcorte, Gabrielle Althen, José Le Moigne, François Teyssandier, Ernest Pépin.
Mes thèmes de prédilection : la solitude, le manque, l’absence, la vanité des apparences et des désirs, l’injustice sous ses mille formes, la plénitude de l’instant, des sensations, de la beauté, la fluidité du Temps et la précarité de la vie humaine, une certaine déconstruction du langage au travers du jeu avec les mots dont le côté limité me préoccupe aussi, le bonheur d’être, de se sentir vivant au travers des choses toutes simples, la magie du silence.
Je suis sensible au mystère, et j’essaie bien souvent de le traduire, tant dans mes textes poétiques que dans mes nouvelles.

La poésie m’apporte un très grand plaisir, elle me transporte. C’est une bénédiction, même si, par ailleurs, elle me « possède » et donc m’isole fréquemment du reste du monde et de la vie quotidienne. C’est une expérience très intense, quelquefois même « envahissante », que je vis jusque dans la moindre de mes fibres. Je l’aime, entre autre, parce qu’elle a l’art d’embellir, de transfigurer mon existence, et je pense qu’elle est en premier lieu une question d’état d’esprit. Elle véhicule le pouvoir de réinventer le langage et, en ce sens, je la compare à un grand vent de liberté qui apporte la griserie, à une voile qui se gonfle. Pour le reste, j’ai, avec les mots, un rapport assez ambigu. Je les chéris, tout en regrettant leurs limites, leur part d’ « impuissance », de rigidité. Peut-être la poésie est-elle une version inaboutie de la musique. Quoiqu’il en soit, j’aime toujours autant lire les autres poètes, parce qu’ils m’enrichissent. C’est sans doute cela qui m’a amené à écrire, aussi, des notes de lectures et des articles critiques.
En guise de conclusion, je peux dire que sans l’écriture – sans la poésie, en particulier – je ne serais pas. J’écris d’abord parce que cela m’est joie et nécessité intérieure, nécessité vitale… parce que c’est devenu, chez moi, une manière de réaction naturelle aux choses qui m’environnent, qui vibrent et avec lesquelles je vibre. Peut-être est-ce de l’ « angoisse », peut-être est-ce une forme de fébrilité un peu « maniaque. » Mais la jubilation à nulle autre pareille que j’en retire vaut amplement que je m’y « accroche ». Je n’imagine pas ma vie sans cette joie de crée, de communiquer, qui dilate mon être. Peut-être est-ce parce qu’elle me donne l’illusion de maîtriser l’éphémère ( ?) Ce qui me lie à la poésie est, à mon sens, un fabuleux mystère, un mystère dont, presque chaque jour, je remercie le ciel.



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Patricia Laranco
outre la poésie, apprécie la peinture, la photographie. Ses autres centres d'intérêt sont la philosophie et la préhistoire.


Ses présences sur Francopolis:

- Invitée au Salon de lecture
- Paranormal dans Pieds de mots
- Pourquoi écrire ? dans la Librairie



Son Blog : Patrimages

Quelques recueils

-
Les mondes filigranés », Edition La Pensée Universelle, 1976.

- Failles dans le divers », auto-édition, 1994.

- Sous les yeux des miroirs obscurs », Edition La Cyclade,  1996.

- Maison de pages, aut-édition, 1996.

- Circonvolutions », auto-édition, 2002.

- La chaleur mammifère », Edition D’ici et d’Ailleurs, 2006.
- LOINTITUDE, La Jointée éditeur, 2009


- Un peu de sa poésie sur Poésie et poètes fraconphones
- Et plus sur Alcôves







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