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Amel  Zmerli
peintre et poète tunisienne de Sidi-bou Saïd,élevée à Carthage
Elle vit en France où elle expose : son thème la femme, les femmes.
Elle a enseigné la philosophie et a une approche de l'art très pointue.




 
Tant de couleurs ont passé en désaveux, de paroles à gratter à la peau du mensonge et de larmes à s'en barbouiller le visage, qu'elle est tombée tout au fond  d'un lit de chair. Aucune plainte ne s'en échappe, juste une voix qui vacille dans l'entre-deux d'une réalité froissée de mille plis. Même nue, elle est encore habillée de son chagrin. Pour faire bonne figure, elle remet sa robe des jours d'été, de l'ordre dans ses mots pour mimer les lieux communs de l'amour. Dans son rire, il y a un je ne sais quoi de fin du monde.


Je concède à l'amour le pouvoir de courtiser l'inédit, l'ineffable, ce qui ne peut être dit. L'amour ne dissipe aucun mystère au contraire il l'épaissit.

Aujourd'hui il a mis du ciel dans mes mots. Un ciel couvert de nuages. Je les ai regardé un à un s'amonceler au-dessus de ma tête. Je cherchais entre eux ce bleu profond qui rassénère l'âme et nous fait parler amoureusement. Sa parole est venue se poser sur la mienne avec une verticalité vertigineuse. Je compris alors que le bonheur m'avait faussé compagnie beaucoup trop longtemps. J'étais alors dans cette chambre comme dans un corridor qui se mordait lui-même, une salle de pas perdus, une salle de mots perdus. Je devinais que même les mots m'avaient faussé compagnie pendant tout ce temps. Que je n'étais jamais sortie du mirage des sources.



Le sentiment de première fois est comme un souffle qui nous dénude, qui nous fait vaincre toute antériorité. Ce qui précède se dissipe dans une bouche d'ombre. Cet état résonne comme une naissance où les regards de l'un de l'autre sont lavés à grande eau. Si bien lavés qu'ils ne voient de la vie passée qu'une image perdue derrière la paupière. A peine une image. Un point aveugle égaré sur la rétine.    





Dédicace
Il a pris des ciseaux et découpé dans le bleu du ciel. Le désir a fait son nid dans ce feuillage pris à cet endroit que personne ne peut voir. Jour après jour, le regard épouse un peu plus de ce mystère de la chambre claire. Il flâne entre montrer et ne pas montrer. S'incruste dans l'infime et l'infinitésimal. Ces mouvements ne transportent aucune mémoire. Au contraire, elle défie la mémoire, la mauvaise mémoire. Ce qui conte c'est le résidu, cette pellicule de réalité qui nous entoure. Tu commets sans le savoir des images qui sont en avance sur ton corps. A moins qu'elles n'en soient la présence instinctive. Aujourd'hui tout est susceptible de prendre forme autour de toi. Il te suffit de soulever ton regard à hauteur de paume.
 


 
Te voici couvert de mots à ne plus savoir qu'en faire, à te demander si dans cette poussée de langue tu ne vas pas tout jeter par dessus bord. Non. Tu attends patiemment sur le bord de la table que ton désir découvre une syntaxe nouvelle. Tu attends qu'une phrase vienne caresser de ton humeur quelle soit grise lorsque tu côtoies l'alcool des songes ou qu'elle prenne la couleur fauve de ta colère contre ce dédale dans lequel tu es pris tout entier. Lorsque les mots se pressent sur la feuille toute image a déserté. Il ne reste que des mots qui n'ont pour seule ambition que de se courtiser avant de se rendre à l'autel où ils se diront oui pour le meilleur et pour le pire.


Je suis sortie de la chambre sur la pointe des pieds pour ne pas réveiller les mots de la veille. Il y a des jours où la mémoire me fait mal où qu'on la sollicite. Elle se vêt d'un supplément de peau qui me fait écrire comme si j'étais sur un terrain vague, sur un sol trop grand pour des mots mal ajustés. L'incompréhension peine à ouvrir la porte de ce qui se raconte entre les signes. A ouvrir la porte du vivre. Il faudrait une minute d'éternité pour prendre langue avec l'amoureux transi qui est en nous.                  



Certains matins tu es d'une écoute flottante à couver la lune. Tu me parles de cette pluie d'étoiles filantes qui va perforer notre ciel sans laisser de traces. Tu me dis cela pour me dire que tu n'es pas tout à fait mort à ce monde-ci. Tu parles à l'envers des trains qui grognent dans le froid des gares. Tu regardes les visages et accorde ta respiration à l'herbe dans la prairie. Ta phrase génère de l'électricité autour d'elle. Cette phrase qui se veut à des années lumières de toute raison gardée est reconnaissable entre toutes. Je l'entends qui suinte depuis la préhistoire du langage, depuis ce flottement qui tend l'oreille à ce qui parle dans l'abscons du discours de l'autre. L'important dis-tu n'est pas tant le sens de ce qui est dit que la portance. Ce soir nous serons attablés à la féérie du ciel.


 
Comme un arbre qui monte la garde, tu te dresses à l'orée des mots. Ta voix se lance à l'assaut d'une langue qui ne ménage pas tout ce qui est d'abord convenu, méfiant des images qui se balancent de branche en branche sur le corps rugueux du réel, tu replies les doigts sur une lueur vacante. De temps en temps tu te laisses emporter par l'alcool des songes. Comme les enfants tu aimes à jouer avec l'invisible et ses chimères.






J'ai couché ma tête sur ton ventre comme si c'était le creux du monde. Je suis descendue le long de ton corps amaigri de nuits. De ton corps froissé par les inconséquences de la solitude. J'ai gravé des baisers sur ta blanche nudité. Mille fois tu as déposé mon nom sur mes lèvres décolorées par l'absence. Peu à peu nous avons réinventé notre histoire, notre vie d'être ensemble. Rien ne va de soi ou peut sembler acquis. Quelque chose donc a repris voix entre nous répétant l'instinct premier d'avant où nous étions enlacés comme jamais, d'un amour qui n'aspirait qu'à tapisser le sol.


Après tant d'années d'inattention, la mémoire de nos amours bleuit. La patience drague des lacs sous la glace. La parole portée à son élargissement aperçoit l'insaisissable rétracté en sa chair. La voici qui sourit à son ombre portée, à surface de rivière. S'étonnera-t-on de tant de lueurs guerrières sur la vitre de l'horizon?




Quand tu me parles, tu fais reculer la poussière qui s'est déposée dans mon esprit. Tu me parles dans le fond de l'œil et efface un peu de la nuit dans laquelle je regarde suinter le temps. La peau du temps. Je mesure les forces que tu déploies pour me ramener au bord des mots que j'avais remisés dans cette arrière-cour de vapeurs et de songes sans oreillers. Je travaille les volets clos, derrière le paravent du monde. Je trace des traits que l'air délaisse. Des traits au seuil d'une clarté disponible encore un peu. Je vois grandir sur cette feuille un trafic inaltéré de signes nous laissant pour morts un instant. L'instant d'après nous nous reprenons par les yeux dans cette douceur myope qui ne nous lâche pas.

Ce texte je l'ouvre avec tes yeux
perdus dans le ciel et sa tenue d'apprêt
ce texte je l'ouvre avec ta douceur
ambulante et qui voyage sur l'abat-jour de nuit
ce texte je l'ouvre par la fente de ton sourire
qui roule en contrebas de la terre
avec tes mains
timides à froisser l'aube qui approche
avec ton rire
qui escalade les meubles de la chambre






J'ai  découpé les ombres qui volaient au-dessus de ta tête. Fines dentelles ficelées maintenant à la chaise du quotidien. Dehors raffole de ces ombres ligotées. Il s'en donne à coeur joie. Nous avons laissé derrière nous ces ombres insistantes et vaquer à notre amour.

Dans cette course de fond avec le temps, l’écriture s'invente un autre corps. Corps indolore que l’on peut triturer, malmené, tordre, sans que ne soit jamais versée une seule goutte de sang. Mais sait-il jamais ce qu’il gagne ce corps puisqu’il n’a jamais idée de ce qu’il surmonte? C’est avec ce doute majeur qu’il lui faudra faire son chemin. Celui qui écrit a le pouvoir de détourner et de tourner la détresse de ce corps en la ré-fléchissant. Il se dépense à penser ce qu’il ne ferait que subir. C’est dans cette conversion souvent douloureuse qu’il se fabrique un corps de seconde main.





Hors de la chambre, ce qui conspire, l'éphémère aux carreaux froids du jour. La vaisselle d'hier qui triomphe de la maigreur des choses. Les murs qui respirent le parfum âcre de la hâte. Les échanges de voix qui font trembler les cloisons étroites. Le soleil qui s'appuie sur le balcon dans une hésitation de lumière. La table inclinée par de lourdes confessions. Les mots qui fatiguent d'une heure à l'autre. C'est décidé, je vais jouer avec les feuilles du peuplier qui me regarde à travers la fenêtre.

Tu t'es longtemps tu, les yeux enfoncés dans la tiédeur de ta solitude. A lécher les pages de ton cahier de notes. J'y voyais une manière d'y lécher tes propres larmes. Une manière d'apaisement. Ta solitude est là, prise à l'envers des mots, dans une écoute féroce de la beauté des choses. Tu es de cette oreille-là qui me fait bondir sur le sol frais de tes rêves. Avec toi je me suis longtemps tue à observer tes gestes et tes mouvements en mal d'eux-mêmes. Ici c'est un peu le bout du monde, un endroit où même les anges n'osent s'aventurer.






Je glisse sur le marche-pied du monde. Je tente d'entendre plus loin que ce qui se présente, plus loin que les seules apparences qui opèrent par le bouche-trou du réel. Je me protège des images qui nous mordent la peau. De ces images cannibales qui se nourrissent du sang de l'Autre. Des heures, j’observe se mouvoir ce mouvoir. Cette agitation des peuples. Ce qui est inouï ne peut être vu. Pourtant l'inouï se produit ici et là sans que cela ne nous soit vraiment offert ou confié. Il faut demander à l'archer aux yeux bandés ce qu'il attrape par la pointe de ses flèches. C'est de cet ordre-là : tirer l'existence hors la confusion d'exister. Je me demande si cela est possible. Je me demande.

(journal octobre 2011
tiré de Porte sur le toit)



Textes  : Amel Zmerli



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Créé le 1 mars 2002

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