|
Vue en francophonie :
«Enseigner est faire des nids»
de Cristina Castello
« Et les arbres et la nuit ne bougent pas
sinon dès les nids » (G.Ungaretti)
Les nids regimbent des tempêtes et embrassent des hivers.
Les nids germent des pluriels et façonnent un «
nous».
« Nous » est musique adagio, adagio, et allegro ou allegro
avec fuoco.
« Nous » est musique d'eux et d'elles : « les gamins
élèves », clameur pour justice.
Enseigner est faire des nids.
Je les ai aimés, je les aime tellement.
90 élèves, m'a-t-on dit alors.
90 âmes, j'ai ressenti. Ils avaient 15, 20, 22 ans.
Et chaque fois que j'ai enseigné, revenait cet univers nid.
Mais ces 90 âmes, des yeux emplis des questions, ont
été plus intenses que mon ardeur de toujours.
J'ai dressé des pièges et ils savaient : je les ai
semés poésie.
Et ils ont pris le flambeau.
Je leur ai enseigné « l'interview journalistique » ;
et je leur ai donné ce que j'ai pour donner : tout le mien. Pour
que nous aidions un monde sans maîtres ni esclaves ; pour ses
jours avec des lucioles.
Je les ai accablés avec « persistance et dévouement
» ; que « le talent seul
n'atteint pas ! »
Mais j'ai jeté toutes les semences de poésie et
fraternités que ma besace abrite.
Et les 90 âmes m'ont semée aussi. Des yeux affamés
de lumière.
De s'abriter derrière moi, pour m'abriter. De ses quêtes
à l'Absolu.
Nous luttons pour des utopies identiques. J'ai dit « utopies
», non pas « fantaisies ».
Et la mystique de croire et créer pour un monde humain a
coupé des distances de générations.
La classe finie, un petit verre au bar et au lendemain et l'autre et
l'autre, au bar, à la classe, chez moi. Nous voir. Ils
étudiaient, apprenaient, rêvaient, luttaient. Ils
recherchaient la vie. Ils faisaient des cerfs-volants avec elle,
les remontaient et saisissaient.
Et moi. La vie me battait chez moi et chez eux. Et je les regardais
grandir.
On se reposait sur confiance.
Les arbres et les feuilles dansaient, dès les nids.
Une nuit Mario Schiarolli n'est pas venu à ma classe et j'ai su
que c'était sérieux.
J'ai réveillé le nid. Et tous et toutes comme garde des
anges sommes arrivés à lui.
Une seconde avant.
Alors, l'hôpital et des tours pour l'accompagner ; et Sergio qui
s'est transmué en contrebandier ; et avec des tablettes de
chocolat pour infirmiers, nous affranchissait la porte de la
thérapie intensive, gelée.
Et Mario grillé derrière des tubes. Mais en nid. Le
bonheur se peut encore en horreur, quand l'amour allume.
Nous l'avons gardé, couvert, aimé ; je lui ai dit des
poèmes et « qu'au
sortir il volait le vol ».
Mario, vie difficile et toujours des larmes d'yeux sans pleurs, il
allait mieux. Il reverdissait.
Soudain il est mort.
Il ne volait plus le vol.
Et adagio dans le désert. Et jusqu'à aujourd'hui, souffle
absent de présence vive.
Dix années, déjà.
90 âmes alors.
89 âmes sont aujourd'hui des professionnels, pères,
mères, fiancés. Bontés.
Et « nous » est soudain et encore : « Chris, je me marie, tu viens à ma
fête » ;
« Chris, tu te trompes
»; « Chris, Comment
était le poème de...? » ; « Chris, je ne veux pas que tu sois forte » ; « Chris, j'ai un problème
éthique » ; « Chris, ce que tu nous as dit, ne
vaut plus... les médias ne veulent pas de vérités
» ;
« Chrisss... c'est une urgence
et j'ai besoin de toi ! Dis-moi. Comment faisait-on la caipiroska
? » ; « Chris, Chris,
Chris... »
Et toujours la mystique et l'amour qui ne font qu'un et sont
Grâce.
Je les ai aimés je les aime tellement.
Et toujours le nid.
Qui regimbe des tempêtes, embrasse des hivers et ronchonne des
intempéries.
Et toujours l'embrassement
Dix années déjà.
Je regarde le ciel et je vois miroir.
Pour tumulte d'arbres et de feuilles.
Qui bougent dès ses
Nids.
****
|
Vous voulez nous envoyer vos images
de francophonie?
Vous
pouvez les soumettre à Francopolis?
à
sitefrancopcom@yahoo.fr.
|