Tanger
le soir

vue de
la medina à partir du port
De la mer s'élevaient, en embruns parfumés de varech,
les premiers reflets d'un crépuscule livide.
C'était l'heure où la ville baissait la voix pour
me murmurer quelques bribes de fastueux souvenirs, à travers
chaque fissure de ses murs crépis par la sensuelle caresse
du regard des hommes.
C'était l'heure où, l'ombre de Paul Bowles planait
sur le café de la plage en odeurs de girofles et de jasmin
et où le ciel reflétait le regard enflammé
d'un Matisse ou d'un Delacroix.
C'était enfin l'heure où, je me sentais libre d'errer
dans mes souvenirs collés en affiches défraîchies
sur les murs peints à la chaux. Des recoins de chacune
de leurs craquelures, s'écoulait suavement le nectar de
ces délicieux moments, emprisonnés à jamais
dans la pierre, mosaïque d'un rêve éveillé.
Grisé par leurs odeurs, je déambulais l'allure fière
de fouler ces pavés tant aimés. Ils me transportaient
délicatement vers la plage, où tous ces souvenirs
venaient perpétuellement s'étaler en vagues grisantes
d'une nostalgie douce-amère.

mosquée sidi bouabaïd (pres du
grand socco)
L'ombre naissante enfantait un corps recroquevillé sur
le sable humide de la grève. A quelques mètres à
peine, une autre âme échouée sur le sable
grelotte les mains entre les genoux, faisant vibrer l'air de la
complainte silencieuse de ces enfants du sable.
Leur nombre augmentait de jour en jour sur les plages du détroit,
où venaient s'échouer leurs rêves chimériques
d'un lendemain meilleur, au delà de l'espoir aux couleurs
de brume.
Je regardai le ciel. L'ombre du soir montait à l'assaut
de la lumière fatiguée d'un jour agonisant, lacérant
de griffes noires son manteau doré. Je regardais disparaître
dans le firmament taché d'un sang aux reflets mauves, l'âme
du jour en nuées d'oiseaux. Dans un dernier râle,
le jour s'en fut. La nuit soupirait, par l'appel des muezzins,
sa perpétuelle victoire sur les collines fleuries de petites
maisons lilas…
J'aimerai toujours Tanger le soir…
Khalid Benslimane

le phare de cap spartel et la rue de mon enfance
une rue de la médina (sidi hosni)
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