Bousculer l’ordre établi – préserver
l’innocence
Après son remarquable ouvrage – Sur les
franges de l’essentiel,
suivi d’Écritures – Claude Luezior nous revient avec une œuvre clé
de haute et forte densité – Au démêloir des heures – un temps de
questionnement qu’il dépose devant nous entre la vie, la survie et la
pertinence de la folie. « C’est bien la pire folie que de vouloir
être sage dans un monde de fou » – nous rappelle Érasme, lorsque
« L’esprit de l’homme est ainsi fait que le mensonge a cent fois
plus de prise sur lui que la vérité. »
Le rêve nous transporte toujours au-delà de nous-même,
il surpasse le commun et nous place devant le miroir aux illusions. Le
poète nous le confirme, nous vivons dans un monde masqué de doute, la
permanence d’une pantomime, juste est de constater que le carnaval est
permanent au pays des bouffons.
Claude Luezior donne la cadence à ses vers ainsi qu’il
ressent le rythme de la vie, dont les rituels barbares ne sont jamais
très éloignés. Notre poète déploie ce don d’user de subtiles métaphores,
son langage se déroulant dans un rythme fractionné, se veut parfois
quelque peu hermétique et pourtant il se fait révélation.
Dans les rêves mystérieux de la nuit scintille
toujours une petite lueur « scories » repoussant les
impossibles, les interdits où le poète va toujours au-delà des silences.
Le temps, éternel dilemme, si long et pourtant si
fuyant, ne cesse de nous surprendre. Le poète le confirme, ça le rassure,
il serait bon d’écarter l’heure qui bat au rythme du cœur. L’existence ne
laisse parfois même plus le temps du rêve, il passe silencieux et déjà il
s’efface. « Le temps de se perdre de suspendre son vol.../... »
Claude Luezior a son mode d’expression, son code
d’écriture, il nous surprend, nous atteint en revers par la bande, il
faut savoir et pouvoir mériter sa poésie, elle ne se donne pas, comme une
jolie femme elle se livre au jeu des désirs «.../... paradis
des sirènes ? »
La poésie ne porterait-elle pas ses accents de folie
d’orgueil et de vanité, dansant avec les bouffons et les farfadets.
Cependant ne nous méprenons pas,
elle nous oriente toujours vers la vérité, qui transmute dans l’athanor
de l’alchimiste-poète, avec en perspective ce vieil espoir de voir la
parole se transformer en or.
Parfois Claude Luezior s’abandonne, il se libère, il
conjure le sort et défie les outrances, les démesures, il joue de la
dérision et provoque les marabouts de toutes obédiences, jusqu’à la
délivrance.
Amoureux inconditionnel de l’art et de la peinture,
notre ami nous brosse d’étranges scènes en variations multiples, il
compose des requiem, des aubes neuves, des horizons nouveaux : « la
lueur déchire les tulles de l’horizon c’est l’outrage ». Il ose
parfois le sacrifice jusqu’à la décapitation du soleil sur un horizon
sanglant.
Par la poésie
il est possible de créer un monde étrange et singulier,
de renverser les codes, d’ouvrir les portes du fantastique et de
l’imaginaire : « Le fou des cartes en mon royaume
aurait-il les clefs ? »
Claude Luezior joue avec la transgression, outrepasse
les règles, déambule comme un somnambule ébloui qui bouscule l’ordre
établi.
Le temps du grand questionnement s’impose, tout est
vulnérable, par la parole cryptée le poète serait-il le gardien
inconscient d’un langage rescapé, serait-il le conservateur des anciennes
connaissances, des anciens savoirs – alors que tout va sombrer dans le
despotisme de l’intelligence artificielle et de la numérisation qui
s’effacera probablement dans vingt ou trente ans ! Jamais la mémoire
ne fut autant en péril. « Tant que nos osmoses partagent leur
destin nous recréerons l’éphémère. » Nous sommes dans un monde
en perte de mémoire.
Restons sur le degré de la dérision et si les
tatouages étaient les garants d’une certaine mémoire des signes et des
sentiments : « devant moi cette présence tatouée d’encre
mutante »
Le poète a ce besoin de
préserver sa part d’innocence, d’étonnement, tel un enfant il boit au
sein de la vie, symbole de pureté parfumé d’encens comme une chevelure de
femme.
Puisse encore Claude Luezior nous conduire sur les
voies détournées allant jusqu’ « Au démêloir des
heures » où nous boirons aux sources de la lumière et de
l’éloquence.
Nous pourrons croire alors que « Ce fut
le jour d’après le grand silence : un jour d’apothéose,
peut-être. »
©Michel Bénard
(*)
Voir le choix de
textes du recueil et sa présentation dans nos rubriques Gueule de mots
(sous le titre Hagards, prisonniers
de nos rêves), au numéro de mai-juin, et les
Annonces
de la même période.
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