Annonces Glanés sur la toile quelques ponts de
signes |
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ANNONCES DE PARUTION :
(notices
par Éric Chassefière, Dana Shishmanian et Dominique Zinenberg)
Il convient de reproduire en tête de ces annonces de parutions de
recueils et de revues littéraires les mots d’André Suarès, d’après le site des Éditions
du Petit Véhicule que dirige et anime de son souffle
le poète Luc Vidal :
IL EST POSSIBLE QUE LE LIVRE SOIT LE DERNIER REFUGE DE
L’HOMME LIBRE.
« Il est possible que le livre soit le dernier refuge de
l’homme libre. Si l’homme tourne décidément à l’automate, s’il lui arrive de ne
plus penser que selon les images toutes faites d’un écran, ce dernier finira
par ne plus lire. Toutes sortes de machines suppléeront : il se laissera manier
l’esprit par un système de visions parlantes : la couleur, le rythme, le
relief, mille moyens de remplacer l’effort et l’attention morte, de combler le
vide ou la paresse de la recherche et de l’imagination particulière : tout y
sera, moins l’esprit. Cette loi est celle du troupeau. »
André
Suarès
En souscription pour une parution à l’automne :
Marie-Ange
Sebasti,
Œuvres poétiques complètes. Jacques André éditeur (350 p., 32 €)
« Marie-Ange Sebasti nous a quittés voilà plus d’un an désormais. Son sourire, son bleu regard empreint de douceur, de circonspection et de bienveillance nous manquent. Il nous reste sa poésie. Elle avait commencé à écrire très jeune et fut publiée alors qu’elle avait à peine vingt ans, et si la maturité est perceptible au fur et à mesure des publications, il n’en reste pas moins que ses premiers écrits témoignent déjà de sa personnalité, de son sens de la recherche poétique dans la justesse, l’évocation à peine suggérée, le regard précis, la couleur parfaite. Un groupe d’amis fidèles a entrepris de rassembler l’intégralité des écrits poétiques de Marie-Ange, publiés au fil des années et chez de nombreux éditeurs ou en revues, ainsi qu’un certain nombre d’inédits, sous le contrôle d’Yves Calvet, son mari. Nous avons l’honneur, la charge et le plaisir d’en assurer l’édition. Cet ouvrage considérable demande un travail de la part de tous et une longue mise en place. Aussi, pour faciliter ce projet, il nous a paru souhaitable de faire appel à une souscription qui nous aidera à le finaliser. Votre contribution nous y aidera. » Jacques André
NB. La
souscription sera close le 30 juin 2023 pour une parution à l’automne.
Marilyne Bertoncini, DAMNATIO MEMORIAE. La damnation de l’effacement, avec des photographies de Florence Daudé, préface de Laurent Grison. Éditions du Petit Véhicule (Galerie de l’or du temps n°268, juin 2023, 25 €)
« Marilyne Bertoncini, poète, et Florence Daudé,
photographe, proposent un ouvrage singulier. Le dialogue entre quinze images et
un poème typographié avec des caractères dont les tailles et l’épaisseur sont
modulées surprend tout d’abord. On découvre progressivement que Damnatio memoriae est une
expérience sensible plus complexe qu’elle ne le paraît. Le sous-titre de
l’ouvrage, « La Damnation de l’effacement », guide le lecteur dans une
méditation sur le temps et la mémoire. Ce n’est pas celle-ci qui serait damnée
mais l’effacement lui-même, dans un curieux glissement rhétorique. »
(Présentation sur le site de l’éditeur)
« Le voici, le petit dernier ! Expérience-méditation sur
la perte de mémoire, avec les photos de @Florence Daude, et une belle préface
du poète-artiste-historien d'art Laurent Grison, "DAMNATIO MEMORIAE, la damnation de l'effacement" a
enfin trouvé sa forme définitive, qui tente de faire vivre un équivalent
poétique du trouble provoqué par l'écroulement des strates mémorielles : la
mémoire, ne disparaît pas comme on efface une ardoise, des pans s'effondrent,
des couches plus anciennes en couvrent d'autres, se déplacent, perturbant le
"fil de la mémoire" et du discours.
Il fera sa première
sortie samedi 17 et dimanche 18 juin, au salon Lire à Vence, avant la
performance programmée les 8 et 9 juillet à Nantua, pour le festival d'art
contemporain Woua'art, avec la vidéo de Florence, et
la musique de @Marc-Henri Arfeux » (Présentation par l’autrice)
Marilyne Bertoncini - Florence Daudé,
Aub’ombre / Alb’ombra.
Trois leçons de ténèbres / Tre lezioni
di tenebre. Éditions pourquoi viens-tu si
tard ? (juin 2023,
100 p., 15 €)
Marilyne Bertoncini – textes (français et italien) ; Florence Daudé – photographies. Préface de Giancarlo Baroni.
« C’est
l’intérieur empreint de mystère de l’église St Michel de Nantua que Florence Daudé a photographié. Plus que les éléments constitutifs de
cette abbatiale d’influence clunisienne, c’est bien, selon ses propres mots
"la promesse d’une lumière au fond des gouffres les plus noirs, la
certitude que sur la nuit s’ourle toujours le début d’un nouveau jour", ce
qu’énonce Marilyne Bertoncini dès les vers initiaux :
Au début l’ombre
avant le premier
balbutiement de l’aube
All’inizio, l’ombra
prima del primo balbettio
dell alba…
Car il s’agit d’un livre
bilingue français-italien, cette dernière langue, ajoutant par sa musicalité
intrinsèque, un supplément de chant. » (extrait de la chronique
de Jean-Christophe Belleveaux
dans la revue en ligne Recours au
poème).
Mais il ne faut pas
commenter ce livre – car on ne le pourra pas – il faut entrer dedans comme dans
l’église elle-même et lire les inscriptions à l’ombre des murs flanchés de
lumière éclose de leur intérieur ; on ne peut donc que citer… et se faire
fondre dans les mots : « L’obscurité palpite / dans l’attente nue »…
(D. S.)
Anne-Cécile Causse, Paysages et
intérieur. Éditions
Henry (juin 2023, 64 p., 12 €)
Prix des Trouvères 2022
Le mot de l’autrice adressé aux amis du Lieu improbable
qu’anime Alena Meas : « Au fil de nos rencontres
poétiques, beaucoup d’entre vous ont vu se développer mon texte Stabat Mater et
c’est en grande partie grâce au Lieu improbable que j’ai pu le mener à son
terme. Il paraîtra sous le nom Paysages et intérieur pour le Marché de la
Poésie, aux éditions Henry. »
« Je n’éclaircirai pas
davantage ces « fragments ». Ils n’en ont pas besoin. Ils n’ont pas
besoin d’être ainsi défaits par le commentaire. À les lire, malgré l’économie
des phrases (leur réserve), on ne verra qu’à travers – et l’on durera dans la
traversée. L’autrice n’ouvre pas la fenêtre, la baie vitrée. Elle s’y tient.
Acceptons cette ouverture différée. Reconnaissons ce paysage-personne aussi net
qu’un rêve dont on ne revient pas – qui nous revient et qui nous hante de son
attente… » Extrait de la préface de
Jean-Luc Steinmetz, Président du jury 2022 du Prix
des Trouvères.
Hélène Révay, Poèmes
(2015-2022). Éditions
Unicité (Collection Le Vrai Lieu,
juin 2023).
« Heureuse d’accueillir dans la collection Le Vrai Lieu
que je dirige chez Editions
unicité - François Mocaër (voir page
FB), le premier coffret consacré à Hélène Révay et regroupant ses quatre
recueils parus dans la collection. Pour mémoire, Hélène est la première auteure
ayant inauguré la naissance du Vrai Lieu. Voici le premier coffret, Hélène en
éclaireuse fait honneur aux éditions et à la collection. Elle a obtenu le prix
de poésie Léon-Paul Fargue en 2021 pour J’emprunte la route qui rend fou l’horizon. »
Laurence Bouvet, directrice de la collection sur Facebook.
Voir les quatre précédents recueils d’Hélène Révay sur le site de l’éditeur : J'emprunte
la route qui rend fou l'horizon ; La
grande vitesse ; Poèmes
sous-vide ; Poèmes
de l’heure creuse.
Marc-Henri Arfeux, L’homme fil. Éditions Unicité (juin 2023, 90 p., 13 €).
« …Pleinement corporelle parce que mentale, pleinement mentale
parce que corporelle, la réintégration yogique est inséparable d'une poétique
en acte dont les formulations sont autant d'étapes jalonnant comme des lampes
l'itinéraire d'un même voyage en tous ses nœuds, tours et détours, chemins
parfois inexistants et dons imprévisibles. Tel est l'homme fil qui, de sa
quête, fait une vivante échelle de poésie… » (extrait de
l'avant-propos de l'auteur : d’après le site Nouvelle librairie sétoise).
La terre te donne asile,
Comme un jardin dallé de solitude,
Où tes pas silencieux un à un
disparaissent.
Écoute la flûte mouillée du crépuscule
Te rappeler que ta fraîcheur
Devra monter de la dépouille.
Christine Durif-Bruckert, Cédric Laplace, La part du désert. Éditions Unicité (juin 2023, 98 p., 16 €).
« Dans ce recueil à deux voix qui se rencontrent avec
une totale liberté, comme dans une conversation souterraine, l'un et l'autre
achoppent ce qui au premier abord est inexprimable. Et pourtant par le langage,
des formes se dessinent peu à peu, « soufflent » le lecteur par une
profondeur et une lucidité inouïes qui tendent vers
l'absolu pour héler nos échos intimes. Christine Durif-Bruckert
et Cédric Laplace se répondent, s'interpellent avec une folle lucidité qui met
tout en lumière. Des confidences à la fois fluides et métaphysiques emportent
toutes les vibrations du possible qui font sens par un ressenti (quasi
reconstructeur) de ce que nous sommes au plus profond de nous-mêmes. »
(présentation sur le site Nouvelle librairie sétoise).
Catherine Jarrett, Philippe Tancelin, La chair de l'enfant-mot. Éditions Unicité (juin 2023, 102 p., 13 €)
Catherine : Un jour une autre page Un bateau rose
blanc sur un fond blanc de cire quelques égratignures de mer des coquillages
des huîtres des coquilles simples des branchages une herbe un rire cette
étrange lumière dans la gorge d'un verre
Philippe : Peut-être une autre nuit blanche sur un
fond de radio sans voix d'où remonteraient les gorges du pays d'ici-bas Une
lueur à peine entre les notes d'un sax Un violoncelle…Étrange couleur de
vestiges Théâtre sur la Mutterstrasse… Des yeux
humides glissant sur le feuillage
(sur le site Nouvelle librairie sétoise).
Françoise Delmas, Sonia Delmas, Heures vagabondes. Éditions Unicité (juin 2023, 84 p., 14 €)
Oranger, jasmin, Ne sont pas cerisiers ; Mais, comme eux, des rêves. Prendre Fée Clochette Sur la route de l'encens Pour aller plus vite Crête des naissances Fragile harmonie des lignes L'autre à parcourir L'hiver s'est posé Je regarde à la fenêtre En fait il s'en va.
(sur le site Nouvelle librairie sétoise)
L’Ukraine dans nos cœurs. Anthologie sous la direction de Pablo Poblète. Éditions Unicité (juin 2023, 180 p., 16 €). 112 Poètes francophones, 14 Peintres
« Un char détruit, une bombe anéantit la vie. Un poème interpelle et peut modifier la conscience et l’esprit humain, sans verser de sang. Un poème construit et représente la force de vie. Tant qu’il y aura un dernier être humain sur la planète Terre ou dans le cosmos, la poésie vivra avec la vie humaine. Cette anthologie est un hommage au peuple ukrainien pour son courage dans la défense de sa terre, de sa souveraineté et de son peuple, contre l’invasion barbare de l’armée russe sur le territoire ukrainien. Également, cette anthologie des poètes et peintres internationaux est une dénonciation contre le génocide de la population civile de l’Ukraine. L’armée du dictateur Poutine restera dans l’histoire comme le nouvel Hitler du XXIe s. menaçant la planète d’une destruction nucléaire. Également les États-Unis et l’Occident ne peuvent pas se présenter devant l’humanité comme deux acteurs innocents dans cette tragédie. Il y a certainement beaucoup de zones obscures auxquelles une fois le temps de paix arrivé, elles seront révélées au monde. » (Pablo Poblète, poète, concepteur de l'anthologie)
50 poètes haïtiens d’aujourd’hui. Anthologie sous la direction de Pablo Poblète et Bobby Paul. Éditions Unicité (juin 2023, 158 p., 16 €).
« C’est un honneur de présenter
cette anthologie de jeunes poètes haïtiens, lesquels dans leur majorité vivent
en Haïti, j’ai été fortement surpris et touché par la qualité de cette poésie,
qui nous arrive d’un pays qui, depuis la naissance de son indépendance, vit
dans la souffrance de son peuple, chaos, pauvreté, violence, peur. Mais rien de
cela n'a pu empêcher ce merveilleux peuple haïtien de s’insurger contre les
injustices qui frappent leur pays, mais leur résistance se manifeste dans des
voies diverses dans la recherche de la liberté, tellement ancrée dans la
population et sa culture. Cette voie identitaire est la puissance de leur
imaginaire créatif, une force essentielle de vie, la volonté d’exister et de se
libérer d’eux-mêmes avant tout.
Voici un ensemble de
cinquante jeunes poètes actuels d’Haïti qui représentent cette « force
haïtienne » baignée dans la passion d’être, dans la passion de l’amour, la plus
belle des énergies, aventure la plus complexe à vivre et à voyager. Cette
poésie est précieuse par son esprit profondément humaniste. »
(Pablo Poblète, concepteur de
l’anthologie 50 poètes haïtiens d’aujourd’hui)
Pablo Poblète,
né à Santiago du Chili le 20 juin 1955. Poète, artiste visuel, dramaturge,
franco-chilien-québécois. Directeur de la collection « Poètes francophones
planétaires » Éd. Unicité. Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres de la
France.
Bobby Paul, né en Haïti. Poète,
haïtien-américain, vit à New York. Coordinateur de l’anthologie 50 poètes
haïtiens d’aujourd’hui.
Louisa Nadour, La vague s’apaise-t-elle jamais ? Éditions Unicité (juin 2023, 78 p., 13 €)
Traduction de l’arabe, préface et
lettre d’André Miquel.
« Louisa Nadour n’en est pas à son
premier recueil de poèmes, mais la voie qu’elle s’est tracée se rouvre ici sur
un parcours qui va s’enrichir d’autres découvertes. C’est une femme qui nous
guide, une femme née et vivant en France, mais ayant passé une large part de
son temps en Algérie, le tout sur deux espaces majeurs : l’oralité, les
intonations de la Kabylie ancestrale, mais qui s’élargissent pour appeler le
monde entier à un témoignage fait d’espoirs et de désespoirs, et d’un autre
côté, la parole écrite, en Algérie ou en France, par-delà une mer qui signe, à
la seule volonté des hommes, un avenir prometteur ou découragé. »
(Extrait de la préface d’André Miquel)
Nous avons accueilli Louisa
dernièrement à la rubrique D’une
langue à l’autre,
pour des extraits de son précédent recueil paru chez le même éditeur en octobre 2022 : Un pinceau
et l'étreinte du jasmin. (D.S.)
Salah
Al Hamdani. Anthologie. Éditions Le
Nouvel Athanor (collection Poètes trop effacés, juin 2023 122 p., 16 €)
Le
mot du poète : « Après plus de 50 ans d’écriture et beaucoup de
récoltes poétiques, après m’être retrouvé en 1975 au pays d’Albert Camus, cette
France que je chéris, paraît une anthologie poétique exceptionnelle qui m’est
consacrée au Nouvel Athanor dans la collection "Poètes trop effacés",
RECOLTE D’EXIL (Poèmes 1979-2023), préfacé par Jean-Luc Maxence et
enrichie d’une long portrait d’écrivain écrit par Isabelle Lagny,
ma compagne poète et co-traductrice. »
« Salah Al Hamdani, décidément, est un
rebelle intégral de la poésie r Il sait, en toute conscience que "des
guerres encerclent des hommes sans ailes" et que "des enfants
suffoquent sur les plages de l'Europe". Athée mais fraternel, il traverse
la rage du temps. Il prend feu, "dans les champs fertiles du pays de
Camus". Il sait aussi que l'Euphrate et la Seine sont hors du temps. Entre
Paris et Bagdad, il parle des corps mutilés de sa propre mémoire. Sa poésie, toujours
belle, édifie une arche de la révolte permanente. Engagé toute sa vie dans le
camp des défenseurs de la liberté, il dénonce aussi les fascistes de la
religion et réclame, avec un humanisme sans concession, un changement de
inonde, et une vraie place pour la poésie. Salah Al Hamdani
exige-t-il la paix sur le monde ? Il nous invite à la lumière, et défie ce
qu'il appelle le gouffre de l'obscurité. Sa part de ciel donne sur un champ
désolé, de l'Atlantique à Jérusalem où il garde un œil sur les souffrants. Il a
la patience des veilleurs de l'aube. » (Présentation sur le
site de la librairie Eyrolles)
Mireille Fargier-Caruso,
Vivre. Éditions Bruno Doucey (Collection
Soleil noir, juin 2023, 96 p., 15 €)
« Elle dit l’absence que l’on tente d’apprivoiser,
la conscience aiguë de nos limites, le réel qui nous rattrape. Elle dit les
paysages de l’enfance, ce territoire si proche où parfois l’on s’égare. Elle
dit le visage qui vieillit dans le reflet du miroir. Surtout, elle s’interroge
: "où vont les notes les arpèges ? les instants d’avant ? nos
utopies échouées dans la boue ?". Mais malgré les doutes et
l’inquiétude face aux jours éphémères, la "vraie joie" est toujours
possible. Et dans les moments d’amour, quand "mourir alors n’a plus la
même importance", la poésie devient le lieu où s’exprime notre "désir
fou de durer", et la langue cet espace qui nous permet de rassembler tous
les âges d’une vie pour enfin "transmettre la ferveur faute
d’éternité". Une invitation à creuser chaque jour qui passe, pour y
trouver la lumière. » (Présentation sur le site de l’éditeur)
Daniel Paisant, Cri. Éditions Bruno Doucey (Collection
Soleil noir, mai 2023, 88 p., 13 €)
« Une écriture verticale, vouée à l’abrupt, issue du
vertige… Des poèmes qui se scindent en leur milieu… Des variations formelles
qui feraient presque oublier le goutte à goutte des mots… Un « torrent révolte
» transformé en mince filet de mots... Pour dire la mort du père, Damien
Paisant élime la langue maternelle jusqu’à l’épure. S’il crie une douleur, c’est
avec pudeur. S’il fait entendre un chant, c’est toujours à deux doigts de se
taire. Car peu de moyens suffisent à ce jeune poète, qui a médité les leçons de
Rilke et Juarroz, de Celan et de Mathieu Bénézet, pour lier loleil à
l’abîme, la perte au besoin d’élévation, la douleur authentique à un exigeant
travail sur la langue. Plus que « l’intime sanctuaire/du père
invisible », Cri est l’acte de naissance d’un vrai poète. »
(Le mot de l’éditeur)
Nous découvrons le poète Daniel Paisant à la rubrique Terra incognita
de ce même numéro à travers un groupage de textes inédits : « un soubassement
— pour élever — son déréel » (D.S.)
D'une
rive à l'autre. Quand les poètes traduisent les
poètes. Sous la direction de Marie-Christine
Masset. Éditions Tituli (mai 2023,
188 p., 19 €)
« Subjuguée et intriguée par ce qui repose et œuvre dans un livre traduit, happée par ce passage d’une langue à l’autre, par l’effacement des rives-frontières, j’ai voulu percer plus fort et plus loin ce mystère de la traduction (et de l’écriture !). Qu’en est-il des autres ? Comment vivent-ils cette aventure extraordinaire ? Quelle voie est privilégiée pour traduire, traverser la langue de l’autre ? Accueillent-ils le souffle de cette langue dans leur propre écriture ? Lui résistent-ils ou le laissent-ils se déposer là où il veut ? La difficulté de trouver un titre alliant l’ensemble des textes ici réunis est une réponse : le mystère se poursuit et avec lui la chance de n’avoir assez d’une vie pour le sonder. Il est autant d’approches et de saisies de la traduction que de poètes. L’heureuse singularité des contributions ouvre le champ d’une perspective inouïe. La traduction est une voyageuse, elle n’en a pas fini de parcourir landes, roches, mers et pays. Chaque poème écrit en est empreint. Elle nous unit et nous distingue tout à la fois. Cette traversée d’une langue à l’autre est ce qui nous a fait parler pour la première fois. Ainsi revenons-nous à la source, et nous rendons cette eau, alors inconnue et étrangère, désormais familière et dicible. Partagée entre toutes et tous, jusqu’en ses ondoiements invisibles qui nous portent toujours plus loin. » (l’autrice...)
« …vous pourrez découvrir les articles rassemblés par Marie-Christine Masset dans ce livre consacré à la traduction de poésie – je la remercie d’y avoir accueilli ma propre réflexion sur ma pratique de traductrice. » (Marilyne Bertoncini, sur son blog)
Anne de Commines & Jorge Tafur Garcia, De toi à moi. Éditions Unicité (mai 2023, 48 p., 13 €)
« Tu
es ma vie, ma très ancienne
Je
suis ta trace indélébile
Mon
doux arbre, ma sève nocturne
Tu
pardonnes mes rêves et agrandis ma nuit
En
cours de poème, tu es éloquent et audible
Tu
me transmets tes ailes dans la réflexion du signe
Mon songe t’attend là où tu me commences »
Dominique Zinenberg, D’amour
la fulgurance. Dessins de Pierre Zinenberg. Éditions
Unicité (mai 2023,
84 p.,
13 €)
Nocturne aux syllabes
de chair
aux
notes telluriques
magma
magnétique des ondes
voix
étreignant
ceignant
les prairies de lumière
l’horizon
fauve des accords
(même
perdus)
renverse
la vie
bouleverse
l’ouïe
est
coudrier pour nos pores magiques
fluide
de sève à nos bouches assoiffées
les
désirs saignent et nous scellent dans l’ombre
et
nous goûtons nos corps à corps perdu.
Ce poème « musical » qui figure sur la quatrième de couverture évoque seulement, tel un souvenir sur le bout de la langue, la richesse sensuelle aussi enivrante que discrète de ce recueil qui est un hymne à l’amour, et appelle une lecture-chronique à venir… (D.S.)
Sanda Voïca, L’Ère de santé, Atelier rue du soleil, 14€ et Empreintes sans terre, Littérales, 10€ (mai 2023)
Voir les annonces de sortie de ces recueils sur la page Facebook de l’autrice. Voir aussi ses lectures des deux recueils sur youtube : L’Ère de santé et Empreintes sans terre.
Quelque part, le feu. Anthologie dirigée par Claudine Bertrand. Éditions Henry (mai 2023, 136 p., 16 €)
« Cent-vingt-cinq poètes, venus des divers horizons
de la Francophonie évoquent le feu...
Symbole universel, le feu parle à chacun d’entre
nous d’une manière singulière, il peut se décomposer en de multiples particules
et nous galvaniser. La poésie nous invite à plonger dans cet univers pour en
extraire toute la richesse et la complexité, elle est un appel à la réflexion,
à l’émotion et à la contemplation. »
Claudine Bertrand
Laurent Grison, Portrait
du poète en scaphandrier. Jacques André Éditeur
(collection Carbone, mai 2023, 73 p., 12 €).
« Dans
ce livre, je suis à la fois poète et peintre. »
(l’auteur, sur son site).
« Assis au bord de la falaise, Laurent Grison, poète et artiste, ne se satisfait jamais de contempler l’horizon ou de peindre la mer et les nuages. Ses poèmes, traduits en une dizaine de langues, depuis longtemps naviguent, comme ses tableaux, d’une rive à l’autre. Il sait qu’il doit toujours affronter les profondeurs de l’être et du néant pour rallumer les étoiles et dire le monde avec justesse. Il ressent le désir impérieux de plonger, avec pour seule ligne de vie des mots et des images, quelque humour aussi. Dressant le portrait d’un poète devenu scaphandrier, Laurent Grison parcourt les fonds marins en quête de sens puis remonte l’esprit léger vers la terre ferme. Il découvre, avec le lecteur intrépide qu’il invite à le suivre, une lumière, puissance universelle de la poésie comme de l’art. » (Présentation sur le site de l’éditeur)
Jean-Marc Sourdillon, Aller vers. Éditions Gallimard (collection Blanche, mai 2023, 112 p., 16,50 €)
« Ce livre s’est imaginé comme une espèce de fronde sensible dont on tend au maximum l’élastique pour qu’elle nous propulse le plus loin possible dans l’espace où naître. Essaie de se dire ainsi une sorte de bond, d’élan fondamental qui traverse notre être et nous entraîne, nous projette vers… Vers qui ? Vers quoi ? C’est ce qu’il est diffi cile de dire : ce qui n’a pas encore de nom ni de visage et ne se découvre que si l’on se risque. » J. M. S.
Cécile Louvel, Ça qui traverse les chants. Éditions L’Harmattan (Collection : Levée d'ancre, mai 2023, 113 p., 13 €)
La poésie de Cécile Louvel ne fait
pas mystère de son rapport intime au mystère et à l'ineffable. Elle est portée
par une foi aussi entière qu'elle est inquiète et interrogative, toujours dans
l'inachèvement. Transcendance dans l'immanence la plus charnelle : éternité au quotidien, présence vivifiante, lumière diagonale, en lettres minuscules le majuscule. Un chant littéralement aimanté qui se déploie entre
danse et prière comme le poétique en nous, traversant, traversé, traversant
encore. (Présentation sur le site de l’éditeur)
Voilà le premier texte, en guise de préambule à
ce livre de poésie remarquable :
« absence
saignante âme bienveillante - amour absolu - ange intérieur - appels
inévitables - attente de communion -bonheur équivoque - beauté fatale - beautés
pressenties -belle tâche - centre crucial - chant multiplié - chant céleste
-ciel à découvert - cœur à la loupe - destinée intuitive -diamant de feu -
douleur abyssale - écoute sensible - entente tout-couleur - espérances
craintives - équation impitoyable -éternité au quotidien - étoiles personnelles
- être inachevé -feu arraché - foi renouvelée - folles sagesses - fourmillement
brûlant -générosité magnifiée - gouttes éclatées - grandiose indépassable -
humilité décillée - hommage agenouillé - ineffable
présent - infini indubitable - inspiration souterraine - jaillissements
inattendus - joie primaire - le poétique en toi - lumière diagonale - lumière
saupoudrée -lune envisagée - majuscules tutoyées - maux arrachés -milliardaire
en étoiles - minuscules apprivoisées - mise à nue - nacelle cosmique - le non
achevé - nudité retrouvée - oubli complet - or approuvé - ouverture aimantée -
parcelle de terre - pensées fluides - pierres de lune - prières désengorgées -
présence vivifiante - profondeur millénaire -pitié magistrale - pitié/piété -
le p'tit dedans - quintessence subtilisée - rage-torrent - remerciements à
renouveler -rêves à méditer - rites personnels - rituels nourrissants -sagesse
ancestrale - sensation charnelle - sentiment océanique - sœur rareté - silence
caressant - simple suite -soleil candide - souffrances désamorçantes
- source inaltérée - sourire éternisé - terre réceptrice - trésor innocent
-tumultes antérieurs - univers désenchantés - valeurs majeures - vie en
mouvements - vie imperceptible - volonté trompeuse - who
? - what else ? »
Omar Khayyam. Le retour d'un géant. Les quatrains. Traduction par Abolgassem E'tessam-Zadeh. Édition revue et augmentée par Reza Rokoee. Éditions L’Harmattan (avril 2023, 164 p., 15 €)
La contribution à l'histoire mondiale de la pensée du seul Khayyam (1048-1131) suffit pour incarner l'universalisme de
la langue persane. Le poids de sa poésie écrase la perversité des représentants
de l'obscurantisme et il marque son passage par l'annonce d'un néant absolu et
d'une réminiscence redoutable : nous sommes des enfants de la vie en
vivant la mort. Khayyam est un phare du patrimoine
humain, celui qui possède l'art d'exprimer en deux mots l'énigme de toute une
galaxie. La lecture de Khayyam va au-delà de la
morale et, tout en nous donnant la joie de vivre et en nous faisant saisir
l'instant éternel, elle nous surprend et pulvérise les strates de nos pensées.
Le retour à son œuvre est l'occasion d'apprécier un géant vertueux qui, la
plume dans une main, cache ses larmes de l'autre.
Les quatrains d'Omar Khayyam ont
été minutieusement traduits par Abolgassem E'tessam-Zadeh et publiés au début des années 1930. Homme
de lettres, journaliste et homme politique né en 1891, il avait sans doute vu
en Khayyam une étoile filante traversant nos mémoires
lointaines à la recherche d'une Perse éternelle dispersée comme un miroir
brisé, dont chaque morceau chante l'hymne à la vie, à la beauté et à l'ivresse.
(Présentation
sur le site de l’éditeur)
Martin Melkonian, Résident aux confins. Éditions L’Harmattan (collection Accent tonique, avril 2023, 172 p., 17,50 €)
Des journées de silence ont construit sur le papier,
brindille poétique après brindille poétique, un lieu d'observation, pas
vraiment un refuge – le nid bien cousu d'un « résident aux confins ». Rien de
fermé. Une quête pluridimensionnelle. La révélation d'une couleur secrète.
Secrète, secrétée. D'une couleur filigranée. Dans ce recueil, la quête se
confond avec l'enquête. Tant il est vrai que, livre après livre, Martin Melkonian conduit ses lecteurs quelque part.
Martin Melkonian est l'auteur d'une
trentaine d'ouvrages, dont Le Miniaturiste (Le Seuil ; réédition Parenthèses), Le Corps couché de Roland Barthes (Séguier ; réédition Armand Colin), Un petit héros de papier (Le Félin) et Arménienne (Maurice Nadeau). Il a publié aux éditions L'Harmattan, Arménie noire, Arménie blanche (en quintilingue),
ainsi que Diaspores. (Présentation sur le site de l’éditeur)
Pascal Hermouet, Éponges. Éditions Unicité (avril 2023, 62 p., 12 €)
Vient
alors l’heure de faire la planche
corps
flottant à même le sol terreux.
Un
prélude de Chopin résonne en boucle.
Concert
privé avec un flot d’images en haute définition.
Jeunesse
ivresse chasse au trésor cherchons encore.
En
nage je tourne les pages d’un livre épuisé.
Cent
fois relu mille fois vécu.
Alors
que tu effleures à nouveau le parchemin
la
pluie reprend piano piano.
Né à Bordeaux, il vit
actuellement à Paris. Après des études d’espagnol et de lettres, Pascal Hermouet a enseigné le français langue étrangère au Mexique
pendant plusieurs années. Il est également traducteur de textes espagnols. (Présentation
sur le site de l’éditeur)
Patrice Perron, Malgré…, illustré par Marie Françoise Hachet
– de Salins. Éditons Des Sources et des Livres (avril 2023, 42 p., 14 €)
« Patrice Perron, kinésithérapeute à la retraite installé à Guidel, écrit depuis 1977, date de la sortie de son premier ouvrage de poésies « Le trou dans la terre ». Au fil des années, il s’est mis à écrire des nouvelles, a participé à des ouvrages collectifs comme « Marche à l’ouest », tout en poursuivant son travail sur la poésie. » (présentation sur le site Le Télégramme).
Le titre laisse supposer ce « tout » malgré lequel
nous continuons à écrire de la poésie… Quelques vers
à la fin du recueil nous le confirme, et explique :
Vacarme du monde
brouhaha
progrès technique
monde numérique
métaverse.
Malgré quoi…
Voir
le soleil
monter haut
au-dessus des
arbres
entendre
les oiseaux
piailler à tue-tête
(D.S.)
Claude Luezior, Au démêloir des heures. Éditions Librairie-Galerie Racine (avril 2023, 94 p., 15 €)
« En proie aux soleils rebelles de l'inconscient, le poète se trouve hanté d'irrévérences en attendant le rire de l'aube, et doit lutter contre l'obscure tyrannie d'une raison cryptée. Dans l'attente d'une jouvence nouvelle et des noirceurs vaincues, voici les délires d'un carnaval onirique où les interdits sont moqués. La part animale conjuguée à la part des étoiles, on délaisse la cravate pour la Voie lactée, on se soumet aux ivresses maléfiques, on vogue vers un au-delà en des songes transitoires. » Alain Breton (extrait de la quatrième de couverture du livre).
Voir dans ce numéro même, à la rubrique Gueule de mots, un groupage de textes extraits de ce recueil, présenté par nos soins : « Hagards, prisonniers de nos rêves… » (D.S.)
Gérard Bocholier, Vers
le visage. Éditions Le
Silence qui roule (avril 2023, 108 p., 15 €)
En couverture : Peinture de Marie Alloy : L’échappée lumineuse, huile sur toile, 2023.
Ensemble de poèmes, divisé en trois temps : Veilles, Une échancrure, Le visage, qui sont autant d'étapes de l'expérience d'une vie de foi et d'écriture, partagée entre enfance, paysage du lieu natif, amour et lumière pacifiée. Recueil qui va vers une dénudation intérieure ; poésie d'espérance et de silence, fragile refuge qui tend vers "le Visage" en fin de livre.
« En épigraphe, une citation de
Jean Grosjean, extraite du livre Les Parvis, évoque le mouvement de l’âme qui
sent approcher la fin : "elle pense qu’elle va mourir et qu’elle va
peut-être voir vivre le visage. Et déjà elle le voit." Ce visage, ce
souffle, cette lumière, reçus au fil de la lecture, nourris par la sève des
lieux et des rencontres d’une vie "tissée autour du mystère" et ici
glissée entre les lignes des poèmes, nous ne les laisserons à leur silence. Les
poèmes de Gérard Bocholier n’admettent aucun
commentaire ; ils sont à recevoir ; ils s’ouvrent à nous comme une clairière,
un élan vers la paix, un accomplissement qui est déjà une aube nouvelle, un
chant, une espérance. » Marie Alloy (sur le site
des éditions Le Silence qui roule)
Pour commander chez l’éditeur : Bon
de commande.
Voir dans ce même numéro la chronique d’Éric Chssefière à ce recueil, à la rubrique Lectures-chroniques.
Louis Bertholom, Passager
du rivage, Éditions Sauvage, avril 2023 (144 p., 16 €)
Une balade naturaliste où se mêlent mémoire, légendaire et réel sur les grèves et les marais de Kerler à Mousterlin, commune de Fouesnant. La lagune de la Mer Blanche est séparée de l'océan par un long cordon littoral. Cet espace est riche d'une biodiversité exceptionnelle. Cette tonifiante randonnée littéraire est agrémentée par les photographies de Jean-Michel Hérin. (É. C.)
Nicole Euvremer, Partie
remise, Éditions Le silence qui roule, mars 2023 (149 p., 16 €)
Il y a quelque chose de flamboyant, de pétulant, dans ces poèmes de Nicole Euvremer, une exubérance, une tension, une fièvre et une jouissance, du chant, de l’enfance, des images qui dialoguent ou luttent entre elles, des jeux de souvenirs qui se croisent avec l’obscurité des temps présents, toute une matière vivante, vibrante d’échos de voix de poètes comme celles de : Cesare Vallejo, Marie de France, Lorenzo da Ponte, Victor Hugo, Miguel de Cervantes, Garcilaso de la Vega, Luis de Góngora, Federico García Lorca, Antonio Machado, Tirso de Molina, Mío Cid, Ramón del Valle Inclán… (É. C.)
Michel Diaz, Sous
l’étoile du jour, Éditions Rosacanina,
premier semestre 2023 (78 p., 20 €)
Mû par l'incertitude, un pas lent progresse cependant, assuré, solitaire et continu, Sous l'étoile du jour.
De cette traversée de paysages et éléments anthropomorphiques, des sensations ineffables affluent, avivées et distinctes. La prose poétique de Michel Diaz interroge nos territoires vécus, affine une carte mentale de l'humain.
Patrick Quillier, D'une seule vague. Chants des chants I. Editions La rumeur libre (mars 2023, 496 p., 25 €)
« Patrick
Quillier orchestre contre les barbaries, les bruits, cris et fureurs du monde,
tous règnes confondus, dans une poésie qui renoue avec la tradition de l’épos.
D’une
seule vague (Chants des chants, I) est le premier tome d’une épopée
embrassant les voix héroïques de tous les temps et de tous les continents, des
plus éclatantes aux plus discrètes, des plus connues aux plus méconnues, dans
un chant général du monde. Voix éclatées (de 14 à 18) (éditions Fédérop, prix Kowalski 2018), donnait à entendre l’héroïsme
du sacrifice inutile de la chair à canon de la Grande Guerre.
En continuité avec ce qui constitue le tome 0 de son œuvre épique, Patrick
Quillier orchestre — contre les barbaries — les bruits, cris et fureurs du
monde, tous règnes confondus, dans une poésie singulière qui renoue avec la
tradition de l’épos, genre poétique par excellence,
caisse de résonance des aventures et mésaventures de la vie. Dans le murmure
qui modèle le poème, retentit la basse continue des héroïsmes les plus ténus, silenciés par le vacarme de l’histoire, dont le poète se
fait le porte-voix.
D’une
seule vague (chants des chants I) est le premier volume d’un cycle de quatre
titres, en préparation, qui est accueilli à La Rumeur libre, et qui s’étend au
monde entier et à toutes les époques. » (Présentation
sur le site de l’éditeur)
Danièle Corre, Ces ombres qui nous peuplent. Éditions La feuille de thé (mars 2023, 96 p., 20 €)
« Les
routes nouvelles sont drainées d'oubli, ourlées d'un limon dont on ignorait la
puissance, recel d'images glanées sans y penser sur les pistes d'anciens
souffles. »
Gravures
de Danièle Corre. Épigraphe de Richard Rognet
Voir
dans notre numéro de mars-avril la chronique
de Dominique Zinenberg dédiée à ce recueil, à la rubrique Lectures-chroniques (D.S.)
André Suarès, Lettre sur les anarchistes. Éditions Fata Morgana (mars 2023, 48 p., 13 €)
« La
violence est l’arme de ceux qui n’en ont point. Et le mensonge l’arme de ceux
qui ont toutes les autres. Voilà donc les épées ternies que tiennent en duel
les puissants et les misérables. Oui, ce sont bien là leurs noirs éclairs, et
leurs sales lumières. Car le juste n’est aux mains ni de ceux-ci ni de ceux-là.
Cela crie : et ils
ne l’entendent pas. Ouvrez-y donc vos âmes de ténèbres, ou bientôt vous ne vous entendrez
plus vous-mêmes. Où le juste n’est pas, se fait la nuit ; et ces chiens, qui veulent se mordre, vont planter leurs dents
dans leur propre chair. On ne se nourrit pas que de mots ; mais on ne se nourrit pas
que de pain. On ne vit pas que de cris ; et on ne vit pas que d’or. On ne vit que de vie : – c’est : on ne vit que de bien. »
Fragile plaquette
publiée en 1894, ce texte est celui d’un jeune André Suarès. Le verbe de feu,
porteur d’une œuvre qui s’avérera féconde d’intensité, y dévore déjà les pages.
La
condamnation à mort de l’anarchiste Auguste Vaillant est à l’origine de cet
essai magistral sur la loi des hommes, fruit pourri d’un système qui se mord la
queue. Misérables et puissants voient leurs cœurs et leurs âmes sollicités : pour le bien de tous, l’amour doit y surgir des ténèbres. C’est d’une prose sévère et incarnée, délicieusement furieuse, que
l’écrivain abjure une société fondée sur la violence et le conflit. Un cri
qu’il convient de relayer.
André
Suarès, poète et écrivain né à Marseille en 1868, fut animateur à partir de
1912 de La Nouvelle Revue française aux côtés de Gide, Claudel
et Valéry. Après L’art du livre,
nous poursuivons la publication d’une œuvre aussi rare que fascinante.
(Présentation sur le site de l’éditeur)
***
Revue Coup de
soleil n°117, juin 2023
La revue Coup de soleil de Michel Dunand et Marie-Françoise Payet-Saliesiani, publiée par la Maison de la Poésie d’Annecy et qui paraît trois fois l’an, consacre ce numéro 117 au poète Jean-Vincent Verdonnet, en cette année du centième anniversaire de sa naissance, qui fut avec Michel Dunand le cofondateur de la revue en 1984. Un long texte de Marie-Claire Bussat-Enevoldsen, journaliste et écrivain, qui a consacré au poète de nombreux articles et ouvrages, retraçant la vie et l’œuvre du poète, constitue l’essentiel du contenu du numéro, accompagné de quelques pages d’Alain Freixe. Jean-Vincent Verdonnet est né à Bossey, dans une famille de viticulteurs et de maraîchers. Il passe sa jeunesse à Pers-Jussy chez ses grands-parents maternels, et c’est de l’enchantement à parcourir la campagne environnante qu’il naît à la poésie : « Ce qui s’obstine c’est l’enfance / sa voix dans la ramée de l’orme / dont ne frémit plus que l’image ». Il devient en quelque sorte marcheur en poésie : « Longue la marche vers les crêtes / et le bleu ce rival / que l’épervier se lasse / de larder de son piaulement », comme si dans sa quête il se faisait lui-même oiseau. Résistant, blessé au combat, il reprend après la guerre ses études de droit, qui l’amènent à travailler dans les assurances, avant qu’il ne fonde en 1952 des ateliers de chaudronnerie qui l’occuperont jusqu’à sa retraite en 1983. Le voyage et le regard sont les deux grandes lignes thématiques que Marie-Claire Bussat-Enevoldsen dégage de son œuvre : « Qu’il soit mouvement cyclique du temps, de la vie et de la mort, voyage intérieur entre ombre et lumière, entre un « ici » et un « ailleurs », ou quête sublimée d’une âme plus mystique que religieuse, le voyage se superposera sans cesse au regard ». Sa biographie montre un souci constant de participer à la vie de la poésie, à travers la création de revues (comme Le temps parallèle ou Coup de soleil), la participation à des comités de lecture (comme celui de Nouvelles à la main), l’organisation de rencontres (comme les Soirées d’Évian). En 1994, les Éditions Rougerie décident de rééditer ses œuvres complètes, riches d’une trentaine de titres, sous le titre générique Où s’anime une trace, avec la parution de quatre volumes entre l’automne 1994 et le printemps 1999. Alain Freixe, dans sa chronique, insiste sur la simplicité des signes qui jalonnent la poésie de Verdonnet : « le tremblement d’une veilleuse », « le grincement d’un portail », « le murmure des sèves »… Terminons avec ce poème, disant le temps perdu et retrouvé de la présence aux paysages de l’enfance :
Mordus jusqu’au sang
par l’automne
nous irons à travers bois
appuyant nos joues
aux troncs de rêche écorce
L’eau du silence en nos veines
joindra sa lumière
à celle des peupliers
Nous prendrons à pleines mains
les feuilles tombées
pour que passe en elles
un peu de notre chaleur
et longtemps
l’encens des saules
en nous brûlera
haleine du temps perdu
(É. C.)
Diérèse numéro 87, juin 2023
L’été s’ouvre avec le numéro 87 de cette revue. Dans la rubrique « Poésie du monde » on trouve le Portugais Nuno Júdice, l’Américaine Élisabeth Bishop, l’Allemand Matthias Politycki. Je ne citerai que quelques poètes présents dans les différentes rubriques de la revue : Isabelle Lévesque et Pierre Dhainaut harmonisant photos pour l’une, poèmes pour l’autre ; Éric Chassefière pour des poèmes en prose ; Gilles Lades chante « Juin » en sept poèmes ; Gabriel Zimmerman propose huit textes etc.
La rubrique « Journaux » s’insinue chez Pierre Bergounioux et Guy Cabanel. Dans « Rubrica », le feuilleton de Vincent Courtois se poursuit, on fait connaissance avec les collages de Pierre Rojanski, on découvre « Racine et le code civil » de Bernard Pignero et tandis que Max Alhau présente Pascal Antonioni, Estelle Folscheid fait le portrait de sa mère. Presque soixante pages sont consacrées aux « Bonnes feuilles » où des articles assez longs présentent de nombreux recueils récemment publiés.
Je ne puis citer tout le monde et le déplore, mais quelle abondance ! De quoi se réjouir et s’instruire tout au long de l’été ! Merci donc à Daniel Martinez qui d’ailleurs nous donne aussi à lire quelques-uns de ses poèmes.
(D.
Z.)
La revue Diérèse, que nous avons présentée dans nos Liens & trouvailles de 2022, et dont le numéro 85 a fait l’objet d’une recension détaillée de notre collègue Éric Chassefière (à la rubrique Lectures-chroniques du numéro de novembre-décembre 2022), nous offre aussi, dans ce nouveau numéro très consistant (plus de 300 pages), une très riche moisson de poésie en deux parties, dont j’aimerais citer tous les contributeurs : Cahier 1 : Alain Fabre-Catalan, Jacques Robinet, Pierre Dhainaut, Isabelle Lévesque, Paul Cabanel, Nicolas Rouzet, Gaëlle Bodelet, Bruno Sourdin, Casimir Prat, Daniel Martinez ; Cahier 2 : Alain Duault, Xavier Makowski, Gabriel Zimmerman, Éric Chassefière, Jean-Pierre Boulic, Gilles Lades, Jean-Paul Bota, Jean-Yves Cadoret, Ara A. Shishmanian, Phil Omsil.
À noter le nouveau blog du poète Daniel Martinez qui fait vivre Diérèse ainsi que les éditions Deux Siciles : http ://revuepoesie.hautetfort.com/. On y trouve justement l’annonce de sortie de la revue :
« Diérèse opus 87 vient de
paraître, avec un léger différé dans le temps certes, mais sachez que je ferai
mieux la prochaine fois. Les envois s’échelonneront du lundi 12 au
vendredi 30 juin, encore un peu de patience donc. La maquette de la couverture
est le fait de Xavier Makowski, dont vous pourrez lire
quelques poèmes inédits dans ce numéro sous le titre générique :
« Chasse-ténèbres – été
2022 », sans parler de bien d’autres interventions, comme celle d’Alain
Duault avec une série intitulée : « Un ukraine
de l’espoir ». La couverture en son entier est aux couleurs printanières,
histoire de ne pas oublier, malgré les fracas du monde, le côté lumineux de la
vie que cette saison magnifie depuis lurette… À bientôt. »
(D. S.)
Décharge numéro 198, juin 2023
Après des compléments aux derniers Polder (la collection dirigée Claude Vercey), la revue de Jacmo (Jacques Morin) nous offre, en matière de poésie, des textes déjantés inédits aux rimes cachées de Guillaume Decourt, un extrait d’un poème au loup pour une Margot imprudente, par Liliane Reynal, des poèmes de Gilles Lades portés par un vaste envol d’oiseau marin, un quasi-journal intime de Matthieu Lorin (Cartographie d’une rancune), enfin, « le choix de Décharge » qui se porte dans ce numéro sur : Anne Roy, Jean-Marc Feldman. Vincent Limonet, Luc Taramini, Jacquy Joguet. Camille Ruiz, Tristan Mat, Jacques Robinet, Guillaume de Pracomtal. Denis Guillec.
Quelques « dossiers thématiques » attirent particulièrement l’attention. Ainsi Claude Vercey réunit des réflexions de poètes autour de l’éternelle et plus actuelle que jamais question de « que peut la poésie dans le monde » ou « la poésie face au monde » ou enfin « dans ou hors du monde »… : est-elle engagée retirée active sensitive etc. ; les réponses comme les questions n'ont rien de nouveau, toutes les générations de poètes les ont portées, mais il y a un sentiment d’urgence au seuil de l’inéluctable qui donne une particulière prégnance à ce groupage de « ruminations » auquel contribuent Monique W. Labidoire, Gabriel Zimmerman, Laurent Grisel Jean-François Coutureau, François Coudray, Romain Fustier. Ensuite un dossier traduction dédié au poète américain Lance Henson d’origine cheyenne, avec des poèmes en édition bilingue et une interview avec le poète et traducteur Manuel Van Thienen. Enfin un petit dossier « le poète en exile » dédié à Sebastian Reichmann, poète franco-roumain héritier du surréalisme d’avant-guerre (représenté en Roumanie par Gellu Naum), avec des poèmes inédits et une intéressante interview.
Dans les notes de Jacmo, remarquons celles consacrées à Roland Nadaus, Pedro Salinas, Estelle Fenzy, Dana Shishmanian, Chantal Couliou, Jacques Moulin, Pierre Dhainaut, Jean-Louis Massot, Michel Bourçon, Romain Fustier, Alexis Pelletier, Louis Dubost, Venus Khoury-Ghata, James Sacré. Le numéro est magnifiquement illustré.
(D. S.)
Les Amis de Thalie, numéro 116 – juin 2023
Ce nouveau numéro (nous avons présenté ci-dessous le précédent, dans nos annonces de mars-avril) s’ouvre sur une réflexion de Nathalie Lescop-Boeswillwald, la directrice de la revue, à partir d’un texte du regretté Christian Bobin qui commence par : « Le monde est terrible, ces temps-ci. » C’était en 1997, dans Autoportrait au radiateur… L’évidence s’impose devant l’escalade de ce « terrible » décennie après décennie année après année mois après mois et jour après jour : nous sommes sous la pression d’une menace ultime et il nous faut réagir. L’éditorial finit ainsi : « L’humain est capable d’affronter les plus grands tourments, de résister encore et toujours face à l’adversité la plus forte lorsque sa liberté est en péril et que l’on cherche à le contrôler, à le contenir, à l’asservir… Les manipulations, les mensonges ont fait long feu, il est temps que nous reprenions ce qui nous appartient de droit : notre vie notre liberté… »
Par la Poésie, toujours et avant tout : on lit dans ce numéro des poèmes aussi beaux que poignants d’auteurs de tous horizons dont l’ukrainien Pablo Vichébaba, traduit par Vladimir Claude Fišera, Patricia Chauvin-Glonneau, Claude Dussert, Michel Lagrange, Michel Santune, Katell Cornelio, Ara Alexandre Shishmanian, Béatrice Gaudy, Jean Ripoche, Robert Parron, Pascal Lecordier, Pierre Mironer, Jean Moraisin… On y découvre des initiatives poétiques remarquables comme la revue et l’association Poétisthme animées depuis 5 ans déjà par le tout jeune poète Loan Diaz (pour faire connaissance sur la toile : un portrait, son site).
On se délecte dans la confluence des arts avec les dossiers fournis par Christian Boeswillwald sur l’Histoire du Cercle d’art moderne du Havre (1906-1910), par Michel Bénard sur le génie mauricien Malcolm de Chazal, à partir du livre Pour Malcolm de Chazal – l’essentiel monolithe de Jeanne Gerval ARouff (2022, récensions dans notre numéro de septembre-octobre 2022, à la rubrique Une vie – un poète), ou par Vladimir Claude Fišera au jeune pianiste ukrainien Dimitri Naïditch (CD sorti en 2022).
Dans les chroniques et récensions citons : Michel Bénard sur Jean-Charles Dorge, Pierre Guérande sir la revue canadienne Transparence, Jeanne Champel-Grenier sur Patrick Picornot, Béatrice Gaudy et Michel Bénard sur Nathalie Lescop-Boeswillwald.
Une série de notices sur des parutions de revus (dont Traversées n° 103, Les Lettres Normandes n° 138, Florilège n° 190) et recueils (dont ceux de Michel Bénard, Claude Cailleau, Nicole Piquet-Legall) clôt la revue, élégante sur papier glacée et richement illustrée.
(D. S.)
Concerto
pour marées et silence, revue. Poésie, n° 16 – mai 2023
La revue annuelle de Colette Klein – poète, nouvelliste, peintre, comédienne – nous propose cette année une lecture riche et variée d’une bonne quarantaine de poètes dont (dans l’ordre alphabétique du sommaire) : Agnès Adda, Claude Albarède, Anne Barbusse, Jean-Louis Bernard, Claire Bottel, Alain Breton. Carole Carcillo Mesrobian, Francine Caron, Jean-Clude Albert Coiffard, Danièle Corre, Éric Désordre, Pierre Esperbé, Francis Gonnet, Nicole Hardouin, Isabelle Lévesque, Béatrice Marchal, Béatrice Pailler, Michel Passelergue, Isabelle Poncet-Rimaud, Claude Serreau, Ara Alexandre Shishmanian, Bruno Thomas.
Dans les notes de lecture citons celles consacrées par Gérard Cléry à Jean Bescond, Marie-Josée Christien, Christophe Dauphin, Jacques Morin ; par Jean-Louis Bernard à Michel Diaz ; par Isabelle Poncet-Rimaud à Katty Verny-Duguelay ; par Béatrice Marchal à Gaelle Josse ; par Nicole Hardouin à Ara Alexandre Shishmanian.
Sans grande rhétorique au contraire, avec une gestuelle réduite au maximum mais une efficacité accrue d’autant, la « cheffe d’orchestre » nous adresse comme message son credo puissant, en préambule de ce concert :
« Je vis sans doute dans
un monde utopique où les mots des poèmes ont plus de sens que ceux que l’on
peut lire dans les journaux qui mettent à al une les crimes de l’humanité.
Croire ou ne pas croire dit
le poète.
M’enlever toutes mes
illusions pourrait me projeter,
d’un coup, dans
une fièvre dangereuse.
Ne craignez pas de mordre le destin qui est le vôtre. »
Sur Colette Klein voir dans Francopolis ses contributions – poèmes et peintures – à la rubrique Créaphonie, et les notes de lecture à ses recueils, rédigées par Dominique Zinenberg et Éric Chassefière, à la rubrique Lectures-chroniques.
(D. S.)
Poésie/première
numéro 85, mai 2023
Ce numéro 116 – juin uméro consacre un abondant dossier à « Langage et poésie ». Y ont contribué Gérard Mottet et Olivier Barbarant, dont le second répond (amicalement) au premier ; moi-même pour « Les vertiges du langage », Jean-Louis Bernard pour son article « Subvertir l’ordre du langage » et Édouard Pons qui nous offre une réflexion très intéressante sur la traduction dans « Traduire, réinventer la langue. » Moments poétiques et Poésie plurielle prolongent en poèmes les réflexions sur le langage. Alain Duault contribue pour son troisième « Carnets de voyages » et Bernard Fournier présente une chronique sur « La résistance du vers », nous conduit au théâtre et surtout interroge Danièle Corre dans un bel entretien. Gardé vivant de Béatrice Marchal est perçu aussi bien par Jacqueline Persini que par moi en deux critiques sur une double page. Nous trouverons aussi une nouvelle d’Antoine Colavolpe : l’Araignée et la dentellière, et en dehors de courtes notes, une plus longue de Nicole Couderc à propos de La deuxième bouche de Murielle Compère-Demarcy et Philippe Bouret. Et de beaux hommages à Alain Lacouchie (qui prennent aussi la forme de dessins en couleurs au détour de certaines pages), à Luis Mizón, à Henri Heurtebise et à Christian Bobin.
Et bien-sûr ne pas oublier de lire le bel édito de Martine Morillon-Carreau ! Un bel été en perspective, croyez-moi.
(D.
Z.)
Revue Soleils et cendre, n°141, avril 2023
L’historique
détaillé de cette revue a été fourni dans la chronique du numéro 140. On l’a
dit, la démarche des solicendristes ne se résume pas
à la publication de la revue. Reprenant la proclamation de Lautréamont :
« La poésie doit être faite par tous. Non par un », ils placent au
cœur de leur démarche l’écriture en atelier. Soleils et cendre est ainsi
une aventure collective, avec un comité de rédaction constitué de Yves Béal, Chantal Bélézy,
Marie-Pierre Canard, Isabelle Ducastaing, Madeleine Ginet, Claude Niarfeix, Henri Tramoy et Sylviane Werner.
Le thème du présent numéro est « Trobar », à savoir l’art des troubadours, en langue d'oc : « trouver », « créer », au sens poétique et musical. « Qu’il soit leu (léger et transparent), ric (riche et savant) ou bien clus (hermétique), le trobar est un art raffiné d’une incorrigible modernité ». « Gardon à l’esprit », est-il écrit dans l’éditorial, « que le Trobar, composé à l’oral (au rythme du pas du cheval, dit-on) par des érudits au faîte de la culture et de la sociologie de leur époque, maintes fois remis sur l’ouvrage (aux sources de la réécriture), chanté dans l’entre-soi d’une élite raffinée et gourmande de battles, a été recueilli dans des scriptoria, restitué à l’écrit, souvent sous diverses versions richement enluminées ». Les thèmes en sont variés, comme l’illustrent les quelques traductions placées ici et là dans le cours des poèmes. Marcabru, troubadour du 12e siècle, critique l’exercice cynique du pouvoir :
Les plus vils ont bonheur de la reconnaissance
Les meilleurs restent coi devant cette indécence ;
Ce récit nous attriste et tire soupir amer
Car c’est à contre faits que puissants font affaire
Beatriz, comtesse de Die, à la fin du même siècle, écrit à l’amant qui la délaisse :
Il me faudra chanter ce que ne voudrais pas
tant je ressens rancune vers celui que j’aimois
car je l’aime bien plus que nul être qui soit ;
Auprès de lui ne valent merci ni jeu courtois
ni beauté ni mérite ni que je sois brillante,
en même temps séduite et trahie on me voit
comme cela devrait être si j’étais déplaisante.
On trouve des réminiscences du Trobar
chez certains chanteurs ou poètes de notre époque, comme Béart, Brassens,
Aragon, Gainsbourg ou Ferré, voire des slameurs tels
que ceux du groupe occitan La Beluga qui mettent en chanson les poésies
des troubadours d’autrefois, dans une confrontation avec les moyens musicaux
modernes. Le numéro s’ouvre sur
le traditionnel texte collectif du comité de rédaction écrit à six mains en
atelier tournant, qui débute ainsi : « Il nous faudra entrer dans le Trobar par cette faille dans la chair du texte,
quand le verbe se fait sève et révolte. / Sur le long chemin où les mots se
révèlent, / n’est Trobar que ce qui naît Trobar, en son époque. / Cadence, bourdon, lent
charroi des mots. Charivari chanté, en contrebande, des impudences et des
impudeurs comme par le chas le fil tenu, ténu,
où s’éprouve l’inédit de la poésie ». Outre le collectif, une dizaine
d’auteurs ont fourni la matière des poèmes composant le numéro, dont beaucoup, de par leurs mots colorés inspirés du quotidien, et leur
construction rythmée en strophes de vers courts, d’où la rime n’est pas
absente, pourraient être des chansons. Au hasard, pour terminer cette
chronique, une strophe du poème intitulé Mythomanie de Claude Niarfeix :
Vois l’avant, l’osier, le berceau,
vois la voilure qui fut trousseau,
l’ombre tremblée d’une esplanade,
les pluies doucement la calade.
Personne ne déambule au soir,
plus un soupir à nul heurtoir.
Regards murmurés en morceaux,
la nuit qui saigne jusqu’au vitrail.
(É.
C.)
Revue Voix d’encre, n°68, printemps 2023
La belle
revue Voix d’encre, animée par Alain Blanc, Jean-Pierre Chambon et Hervé
Planquois, paraît deux fois l’an depuis sa création en 1990. Consacrée pour
l’essentiel à la poésie, elle accueille des auteurs confirmés et d’autres qui
font leurs premiers pas, ainsi que des traductions inédites. À chaque numéro,
l’intervention d’un artiste rythme la maquette et fait respirer
l’ensemble.
Ce numéro
68 met sur une soixantaine
de pages une dizaine de poètes à l’affiche, et l’artiste peintre grenoblois
Mad, dont sont reproduits sur la couverture et au fil des pages quelques
acryliques du massif de Belledonne. Le
numéro est introduit par de splendides poèmes d’Anne Barbusse extraits de son
recueil La non-mère, très récemment paru, qui disent la mère
défaillante, la blessure, le manque et la difficulté d’être, ainsi :
quel est ce manque qui déchire ton ventre
lacère ta joie mort-née
systématise l’abandon qu’elle est
ce schéma déconstruit qui s’alimente des
cendres
de toutes les accouchées irresponsables
cette peur augurale qui augmente les mythes
et appauvrit les mots fusillés d’avance
quelle solitude bleue approfondira
l’extinction
de la lumière vespérale quel homme
se jettera sur les restes de ce ventre
défait dès le matin
avec la misère sanctionnée par les vents
et cette cigale qui blesse les silences
Christian
Ducos enchaîne des tercets de vers courts, dans l’esprit du haïku, sonnant comme
des pensées ponctuant la journée : « sur le point de m’endormir / on
frappe à la porte / vent frais », ou « jeune chevreuil / dans quel
rêve / étions-nous frères ? ». Michel Roure décortique dans Un
quatuor sur l’herbe, en l’occurrence un cerisier et trois personnes qui en
scient le tronc, le long processus de sciage et les multiples couches de
sensations et de souvenirs qu’il met à l’affleurement : « les narines
à peine dilatées va-t-il éprouver la sciure entre ses doigts va-t-il en goûter
blé ou raisin la maturité ah ce goût des impossibilités va-t-il à lui seul
indéfiniment distendre ce moment retranché de la sieste accordée à l’arbre
mort ». Pascal Nordmann nous livre des articles de presse imaginaires,
loufoques ou poétiques, ainsi cet extrait dans la Tribune des arts du 21
août 2021 : « Tanger. Dans une aquarelle que le peintre Delacroix
ramena du Maroc, l’on distingue une bougie allumée sur un toit de Meknès. La
même lueur brille sous la plume du poète apocryphe Jean Thée
de Troyes, dans l’œuvre de Jorge Luis Borges. C’est encore cette flamme qui
s’alluma dans mon cœur le jour où s’endormit au creux de ma paume un escargot
que j’avais recueilli. Lorsque la terre brûlera sera-ce toujours la même
flamme ? ». La voix de Béatrice Marchal chante la communion avec les
éléments et la foi dans un retour aux sources consolateur, ainsi :
« J’entoure de mes bras / le grand pin qu’après tant d’années / de
paisible et complice voisinage / il faut abattre,/ en silence j’appuie mon
corps / au long du sien, rassérénée / par une ardeur au travers de l’écorce //
comme une étreinte à l’heure de se dire adieu / ranimerait, débarrassées / de
tout couvercle, / les braises du passé, prodigues / d’un reste de chaleur,
d’une consolation ». Agnès Adda dit en sept journées la beauté d’un
paysage à écrire, « paysage-monde à ouvrir et révéler » de sa plume
ou de son pinceau, paysage qui au premier jour se dérobe de briller trop
intensément : « Si bouleversants, son charme, sa beauté nous ont
réduits au silence. Lui, héros vénéré. Nous scribes sidérés. / Trop exigeante,
impérieuse, sa flamme, d’être célébré comme au commencement. / Nous avons clos
les fenêtres et fermé les yeux. Oublié, il disparut ». Geneviève Genicot livre ses souvenirs d’un voyage au Japon, ainsi
après la visite d’un ensemble de petits sanctuaires au sud de Kyoto :
« Chaque porte vers l’invisible doit être refermée / Dans la nuit du
retour j’écoute s’allumer / vermillon l’incendie de dix mille souhaits // - Et
combien d’autres, qui nulle part ne se lisent / Tatoués aux cœurs battants des
hommes / Là-bas dans la ville ? ». Rémi Pruvost conte « ce qui
reste d’herbe haute » à travers des poèmes d’errance dans une étendue nous
dit-il affranchie du cadastre, « au-delà des crêtes » :
« savent-elles pierres des cairns / qui embrassent le ciel / comme un
envol sans aile / le chagrin de la brique rouge / des épais murs de
l’abattoir ». Livane Pinet dit la fragilité de
l’amour, tour à tour flambée du corps et étreinte de l’absent, amour dont il ne
reste que les mots qui en font le prix : « Ils sauvent leurs mots /
car c’est tout ce qu’ils ont // Les mots d’un jour les mots d’une année / les
mots à jamais enterrés vivants / les mots dans l’air incendiés // la cendre des
mots envolés / c’est tout ce qu’ils ont à sauver ». Le numéro se termine
par des poèmes de Edward Estling Cummings, à paraître
au printemps 2023 aux éditions Le Réalgar sous le titre de Poèmes amoureux,
traduits de l’anglais et présentés par Christian Garcin. Citons pour terminer
l’un de ces poèmes, à la fois énigmatiques et merveilleusement lyriques :
je porte ton cœur avec moi(je le porte
en
mon cœur)je ne suis jamais sans lui
(partout
où je vais tu vas, ma chérie ; et
tout ce qui n’est fait
que par moi l’est par toi, mon amour)
je ne crains
aucun destin(car tu es mon destin, ma
douce)je ne veux
aucun monde(car tu es mon monde, ma belle
vérité)
et c’est toi qui es tout ce qu’une lune
a toujours voulu dire
et tout ce qu’un soleil toujours
chantera c’est toi
voici le plus profond secret que personne
ne connaît
(voici la racine de la racine et
le bourgeon du bourgeon)
et le ciel du ciel d’un arbre appelé
vie ; qui pousse
plus haut que l’âme peut espérer ou que
l’esprit peut cacher)
et ceci est la merveille qui maintient
les étoiles séparées
je porte ton cœur(je le porte en mon
cœur)
(É.
C.)
Revue Rose des temps,
n°45, janvier-avril 2023
Le présent numéro de la revue proposée par Patrick Picornot et Aumane Placide, et publiée par l’association Parole & Poésie, est introduit cette-fois-ci par un poème du peintre Marc Chagall : « Il fut un temps où j’avais deux têtes / Il fut un temps où ces deux visages / Se couvraient d’une rosée amoureuse / Et fondaient comme le parfum d’une rose », disant l’identification et la renaissance par l’amour. Ce numéro 45 a pour thème « Voyages, Voyances ». Dans son éditorial, Patrick Picornot développe le thème choisi en partant du constat que la station debout de « l’animal humain » lui a permis de développer de nouvelles facultés : « la marche, la créativité manuelle, la réflexion et le langage ». La marche est la condition de la découverte du monde et de sa complexité, qui nous nourrit d’expériences diverses. Voyager, mais aussi voir, « sa-voir », « pré-voir », voir comme Rimbaud au-delà de l’apparence, être ce « poète voyant » inventant un langage à la mesure des beautés et mystères du monde à découvrir et révéler. « Tout être, tout poète vit sa propre voyance, qu’elle se situe dans le passé, le présent ou l’avenir. Voyages et voyances de toutes nos libertés. Un voyage-voyance peut tout autant se réaliser autour d’un chou rouge, comme pour la poète Gabrielle Marquet, qui va jusqu’à y trouver le chemin de l’infini ou, autrement, tout autour de la Terre, à l’instar de Fernand de Magellan ».
La rubrique Jadis et naguère présente un poème, « voyage-voyance », de Marc Chagall, dans lequel on retrouve la légèreté onirique de ses paysages picturaux : « En moi fleurissent des jardins / Mes fleurs sont inventées / Les rues m’appartiennent / Mais il n’y a pas de maisons / Elles ont été détruites dès l’enfance / Les habitants vagabondent dans l’air / À la recherche d’un logis / Ils habitent dans mon âme ». Et en regard un autre de Robert Sabatier, qui dit le combat pour l’humanité et un « mourir-ensemble » contre les forces de destruction fragmentant le monde d’aujourd’hui. Patrick Picornot consacre la rubrique Sources vives précisément à Robert Sabatier, poète et romancier, dont il aborde le parcours en partant d’un article écrit en 1982 en son hommage par Hervé Bazin, article dont le titre « Libres de nous mouvoir, d’écrire et de créer », est proposé en complément de « Voyages, Voyances » pour le présent numéro. Si Sabatier, comme Bazin, est romancier, il continuera, contrairement à ce dernier, qui écrivit quelques poèmes à ses débuts, à pratiquer la poésie jusqu’à la fin de sa vie. Ses œuvres poétiques complètes ont été publiées chez Albin Michel en 2005. Il faut citer sa gigantesque Histoire de la poésie française, publiée par le même éditeur de 1975 à 1988, qui couvre mille ans de poésie en 3850 pages et qui lui prit quarante années de sa vie, œuvre dont il considérait qu’elle était la plus importante qu’il ait produite et qui fait de lui, pour reprendre les mots de Bazin, une « encyclopédie du lyrisme français ». C’est à Émile Nelligan, un poète québécois d’inspiration symboliste et romantique né en 1879 et mort en 1941, souffrant de schizophrénie et qui passa toute sa vie interné dans un hôpital psychiatrique, qu’est consacrée la rubrique Rythme et musicalité. Le premier recueil de poésie de Nelligan, Le récital des anges, imprégné des influences de Poe, Baudelaire et Verlaine et entamé dans sa prime jeunesse, restera inachevé. Le poème intitulé À une femme détestée, reproduit et analysé dans cette double-page, dit la solitude dans l’amour contemplatif, la souffrance dans l’inextinguible tristesse : « Moi, sans amour jamais qu’un amour d’Art, Madame, / Et vous, indifférente et qui n’avez pas d’âme, / Vieillissons tous les deux pour ne jamais nous voir. // Je ne dois pas courber mon front devant vos charmes ; / Seulement, seulement, expliquez-moi ce soir, / cette tristesse au cœur qui me cause des larmes ».
Suit le Cahier de création, qui présente une quarantaine de poèmes écrits sur le thème, et s’ouvre sur un projet de cahier poétique sur le sujet de la civilisation touarègue élaboré par Miloud Keddar, décédé en 2020, mettant notamment l’accent sur les convergences entre les religions monothéistes, s’inscrivant toutes dans une fratrie universelle qu’il s’agit de porter par la parole poétique. Citons, au hasard de la lecture, Guénane Cade : « Sortilège / je sonde le loin et c’est en moi que j’entre / dans ma peau d’enfant sans écran / l’océan ne ride pas mes songes / l’île est toujours un navire / j’attends toujours qu’elle prenne le large / mon île voisine et son air de passagère », Fidèle Mabanza : « revenir comme le jour après la nuit / ou la nuit qui engendre le jour / dans l’épaisseur de l’obscurité / le vide sans intervalle sans intermédiaire / revenir comme ce soleil morne de Kinshasa / un supplice sur une vie qui pique au quotidien / être hors ou dedans sans rien changer / au regard du destin au pouvoir absolu », Michel Passelergue : « À l’horizon, sous une épaisse nuée de cendres, notre théâtre rassemblait vaisseaux et voilures. Quelques voix depuis les combles s’éveillaient, nous éclairaient. La nuit avait retourné le sablier des songes, et je rêvais toujours plus loin à son lumineux visage, havre dernier pour tous mes messages au long cours. Un orchestre aux ombres écumeuses moussait sur le rivage, aimanté par l’invisible ».
Vient ensuite un sonnet de Pétrarque disant l’enfermement dans l’éternité d’un amour sans issue (« me repais de douleur, je pleure et ris toujours ; / Je rejette la mort aussi bien que la vie : / De l’état où je suis, Dame, vous êtes cause »), traduit par Michel Horps et introduit par la mention que Patrick Picornot fait d’une animation poétique organisée par lui-même et Aumane Placide en mars 2002 non loin du Mont Ventoux, anciennement Mont chauve, sur des terres où sont passés, ou ont vécu, le troubadour Rimbaud de Vaqueyras au tournant du 12e siècle, Pétrarque un siècle plus tard qui y réalise l’ascension du Ventoux, et six cents ans plus tard René Char, installé à L’Isle-sur-la-Sorgue. La rubrique Sillages est consacrée à une description poétique de Prague par Nicolas Sayes, puis vient une présentation par Gérard Paris de la revue de poésie annuelle Haies vives tenue par Sébastien Robert, qui mêle poésie classique et poésie contemporaine. Le Carnet de notes présente des notes de lecture sur une quinzaine de recueils récemment parus par Raymond Rillot, Gérard Paris, Jeanne Champel-Grenier, Nicolas Saeys et Patrick Picornot, puis des recensions par Patrick Picornot de quelques numéros récents de revues (L’Agora, L’arbre parle, La grappe, Plein sens, Poésie 13, Le Pot à Mots, Spered Gouez, Traversées) suivies pour finir d’un article sur Gustave Courbet, et d’une présentation du village labellisé « poésie » de Saint-Lary-Soulan dans les Pyrénées, et d’une manifestation « À la table des mots » qui s’y est tenue le 24 février 2023 en présence du poète Christian Laborde.
(É. C.)
Mensuel de poésie Libelle, n°351
et 352, mars et avril 2023
La revue mensuelle Libelle, ce « bloc-notes en six pages » tenu par Michel Prades, poursuit avec assiduité, avec plus de trente ans d’existence, son cours léger, avec sa page de chroniques de livres récemment parus, et ses poèmes courts, souvent aériens, disant l’intensité de l’instant autant que l’éternité du souvenir. Citons, dans le numéro 351, qui disent bien l’esprit de la revue, trois extraits, tout d’abord du regretté Antoine Émaz, poète « du peu » : « On ne reste jamais longtemps devant soi, / pour autant qu’on y parvienne », puis du poète belge Michel Duprez : « Ceci n’est pas un poème / Mais seulement une page / Du testament d’une âme, / Une toute petite page / Qui vaut son pesant d’homme », enfin du poète et performeur Éric Dubois, créateur de la revue en ligne, devenue maison d’édition, Le capital des mots, et depuis novembre 2020 d’une nouvelle revue en ligne Poésie Mag : « Crête des toits / terrasses suspendues à hauteur de ciel / où accrocher ses plaies et imperfections // Le ciel seul juge / témoin et refuge ». Dans le numéro 352, citons Chantal Couliou, lauréate 2022 du prix littéraire Paul-Quéré : « Fenêtre ouvertes. / Chronique quotidienne. / La maison / se laisse apprivoiser par le soleil », Silvaine Arabo, responsable des Éditions Alcyone : « La seule chance de ce monde chaotique : prêter l’oreille à ceux qui donnent du sens : un sens dont l’architecture sera toujours fondée sur le respect de la Vie », Michel Butor, très influencé par les arts primitifs et la psychanalyse, avec cet extrait de Poissons primitifs : « Poissons primitifs / Avec les lignes de mes phrases / je surveille les hameçons / que j’ai lancées aux profondeurs / non seulement des océans / mais des ères géologiques / incapable de remonter / mes trouvailles qui ne pourraient / survivre dans cette secousse ». Une vingtaine de poètes, connus et moins connus, sont présents dans chaque numéro, conférant à la revue un caractère kaléidoscopique propre à faire scintiller mots et pensées. À lire avec amour et détachement tout à la fois.
(É. C.)
Revue Verso, n°192, mars 2023
La revue paraît
quatre fois par an depuis 1977, et chaque numéro est introduit par un sonnet de
Shakespeare, traduit par Mermed. Le titre du présent
numéro est : « ombre et lumière ». Le prologue, comme à
l’accoutumé, détaille les éléments contenus dans les poèmes qui ont conduit à
ce choix de titre. Lumière sur l’ombre, ombre sur la lumière, clignotement du
temps, scintillement de la blessure, nœud qui se noue d’être dénoué,
entrebâillement d’un devenir possible, pensée que le pas seul libère, constante
réinvention du monde… Les angles d’approche sont multiples, la lumière est
toujours là, qui peut être celle de l’ombre.
Une petite
trentaine de poètes sont au sommaire de ce numéro. Quelques extraits, un peu au
hasard de la lecture et dans l’esprit du titre. Pour Patrick Argenté :
« la nuit est le jour il n’y a pas / de frontières le noir / est blanc //
le bleuté vire au / rouge la couleur est / chant // la nuit ma chambre est /
éventrée grand ouverte sur / le ciel ». Samuel Martin-Boche chante la
fusion nocturne avec la terre : « Volets fenêtres rideaux / sur soi
rabattus / elle ferme les yeux / à double tour / drapée de nuit / s’enfonce
lentement / au cœur de la terre ». Luc-André Sagne lui lève les yeux vers
un ciel voulu charnel : « Un corps brisé s’ouvre et s’étend /
palpable sous la toison des nuages / dans le grand ciel muet / tes mains le
cherchent ». Pour Anne Soy, c’est le silence qui fait ombre :
« Les jours à l’envers / s’ombrent de silence / l’un après l’autre / plus
obscurs plus déserts ». Line Szöllösi dit l’exigence
du devoir d’exister :
La plus étroite porte de l’étroitesse
biaise et retors, démise du chambranle
et tout marri le pêne
le seuil ardu s’éloigne à mesure
un devenir sans nul savoir
accueilli, mal accueilli
étroit passage du devoir d’exister
et la lumière entrebâillée
qu’en sera-t-il porte fermée
la clé reste l’énigme
Pour
Jean-Michel Couturier, la nuit porte le jour en germe : « Il n’est de
nuit / Qui ne s’éteigne / Et s’illumine // Vois / L’aurore invite et nous met
en œuvre ». Béatrice Aupetit-Vavin fait ciel de sa vie : « de
chaque côté de la lisière le ciel / la vie moitié jour moitié nuit »,
Chantal Robillard lumière du vent : « Sur mon balcon / marguerites
rouges / le gris du jour est moins gris // Devant le jet d’eau / dévié par le
vent / mon cœur s’allège ». L’ « outre-noir »
de François Déron est celui de la rencontre amoureuse
dans la parenthèse du voyage : « En lentes dérives nuageuses / la
main qui dénoue / Ce désir mis à nu / Simple lumière des ondes amoureuses //
les corps s’arment d’une lourde patience ». Patrick Werstink
marche, semble-t-il dire, dans l’éternité d’une enfance : « Collines
inquiètes et méandres de l’inconnaissable / tu connais tout de la nuit / tu ne
crois plus à la beauté des perles / ce ne sont que des kystes de pierre /
poussés là pour cacher une blessure ». Véronique Joyaux murmure
l’intériorité d’un amour éternel :
À l’intérieur de tes mains un peu de sable replié
une fleur prisonnière
un petit caillou
Peut-on compter les feuilles tombées cette nuit ?
le chemin de l’automne passe sous la
fenêtre
pan de jour froissé
page arrachée avec l’infini des mots
Peut-on se glisser entre l’ombre et le souffle ?
C’est encore
l’amour éternel, avec son lot de souffrances, que chante Christine
Laurant : « L’odeur des mûres, la fuite des haies s’offrent à nous. /
La légèreté des chemins blesse la brume. / Nous enfuirons-nous vers le
soleil ? / Nous boirons l’inquiétude ». Quant à Antoine Leprette, il joue pour les étoiles la musique éternelle de
J.-S. Bach : « Quand le froid l’envahit / Seul, / L’homme prend son
violon, / L’archet s’envole, / Bach chante ». Jeanne Champel-Grenier
dit la dureté de la ronce et la tendresse de la grappe au jardin
d’automne : « Rapprochés sont l’aube et le soir / Le soleil ne fait
que passer / caressant le ventre oublié / des citrouilles en galaxie / que
déchirent corbeaux et pies / escadrons sanglants dans le noir ». Le numéro
se termine par un entretien de Carole Mesrobian avec l’auteur, critique
littéraire et éditeur (éditions Tinbad) Guillaume
Basquin, suivi des chroniques de Pierre Mironer, puis
de nombreuses notes de lecture (Christian Degoutte pour les revues, Jacques
Sicard pour le cinéma, Valérie Canat de Chizy, Alain Wexler
et Armelle Chitrit pour les recueils).
(É.
C.)
Revue Portulan bleu, n°40, mars 2023
Le revue Portulan bleu est publiée par l’association Voix Tissées, qui rassemble poètes et artistes autour de la promotion de l’écriture poétique, sous la direction de Martine Rigo Sastre. La revue, qui paraît trois fois par an, a été lancée en 2003 sur l’idée d’André Lagrange, dont elle prend le titre de l’un de ses recueils - Portulan(s) -, de la poète Martine Magtyar et du poète et dramaturge Jean Laugier. Le thème du présent numéro est Frontière(s), celui de l’édition 2023 du Printemps des poètes. Dans son éditorial, Patricia Bruneaux s’insurge contre les frontières qui enferment, celles que l’homme, s’inventant maître et possesseur de la nature, a dressé de son action destructrice, l’atteinte à la biodiversité contre l’abeille, la déforestation contre le lion, les pêches industrielles contre la baleine, le trafic de l’ivoire contre l’éléphant. La poète interroge : « Que sont devenues ces lignes imaginaires aux promesses de voyages extraordinaires, l’arctique, l’antarctique, le tropique, le cancer, le capricorne ? / Qu’avons-nous fait de nos rêves de rencontres éblouissantes, de découvertes fantastiques, d’échange et d’enrichissement des cœurs et des esprits, pour une planète d’harmonie d’une complexité jamais égalée qui dépasse l’entendement et suscite l’émerveillement ? ». Ces frontières, ces murs que l’homme érige contre la vie, et contre lui-même, doivent être dépassées. « Que ce soit l’homme fait dieu sur terre, ou dieu fait homme, nous n’en n’avons que davantage de responsabilités envers la vie, car les frontières sont aussi de passage, et jamais ne prévalent sur la vie d’un homme, d’une espèce, ou d’un astre ».
Une cinquantaine de poètes ont participé à ce numéro. Claire Grosjean invoque la peur pour expliquer l’édification des murs : « La peur de l’autre est un poison / sur l’herbe drue de notre pré / broute, broutons, broutez ! / sans oublier de partager ». Mylène Joubert dit l’espoir des migrants fuyant les pays en guerre : « Ils vont par mille et par mille / vibrants de vie / dignité / enracinée / belle / leur dignité / Ils vont par mille par mille et par mille / vers une terre d’accueil / non un linceul ». Alix Herman Enriquez trace en lisière des mots des « territoires flous » « pour qu’ensemble, / nous parcourions / la terre et la mer et le ciel / et qu’avec nos plumes / légères d’oiseaux, // nous dessinions / d’autres frontières du monde, / rivières meubles, rondes ou carrées / ou bien lignes errantes, vagabondes ». Alain Clastres écrit, écoutant battre la vague sur les rochers : « Et pourtant / Les hommes, milliers d’années / dérisoire face à l’éternité / depuis l’aube de l’humanité / folie, furie, se faire la guerre, se massacrer / Bien loin, très loin de s’arrêter ». Comme en contrepoint, Marguerite Bertoni dit la liberté de vivre l’instant, « en bordure des possibles » : « Malgré la furie des hommes, / les passerelles des jours et des nuits demeurent ouvertes, / respirent le temps au présent, / l’instant qui dissout à l’horizon toutes frontières en devenir ». Ferrucio Brugnaro, traduit par Jean-Luc Lamouille, dit le martyre du peuple kurde, érigé en symbole de toutes les oppressions : « En ces jours la mort / commande sarcastique / sur toute la terre. / Le cœur des enfants kurdes / à genoux en ces heures / brûle / dans un martyre / et une solitude / cruels ». Élisabeth Sanguinetti, se glissant dans l’âme collective de l’humanité, dit l’espoir de l’amour : « Dans les forces vives et précises du rêve / J’ai balbutié des renaissances / Et j’ai posé des miroirs sur les silences / Pour que l’amour s’enroule dans la rondeur de l’extase / L’espoir amarré au souffle du souvenir ». Catherine Andrieu livre un magnifique hommage à Daniel Brochard, poète et peintre récemment disparu qui avait fait de la défense de la poésie le combat de sa vie. Suivent quelques poèmes de Reiner Kunze, poète et dissident dans l’ancienne RDA, extraits du recueil Face à toi-même et traduits par Joël Vincent. Citons ce « Ciel d’une blancheur sans nuage » : « Même le ciel semble pâlir / face au total manque de pitié du soleil // Le fleuve, zébré par le föhn, / montre les dents // À une haie d’aubépines sans épines s’accrochent / des lézards, comme si, de leurs corps fluets, / ils voulaient faire don de leurs ombres ». Puis viennent une chronique consacrée à une exposition de la plasticienne et poète Claudie Sikirdji à l’occasion de la parution de son recueil Femmes, dont des poèmes ont été lus par la comédienne Marie-Christine Frézal, et un long texte de Patricia Bruneaux sur le travail et l’engagement au service des migrants de Claire Grosjean, sculptrice et poète, suite à une exposition-lecture à l’automne dernier. Le numéro se clôt par des notes de lecture sur des livres récemment parus, rédigées par Chantal Couliou, Nicole Mesnil et Martine Magtyar, mais terminons cette chronique par ce poème de Claire Grosjean qui dit l’alliance secrète entre geste de sculpter et murmure d’écrire :
L’argile douce ou rebelle
Mouillée glacée ou chaude
Au bout de mes doigts
Accompagne ma pensée
La précède, l’apaise, la dynamise
Les mots lui font écho… Complicité…
(É.
C.)
Revue Comme
en poésie, n°93, mars 2023
Ce numéro de la revue trimestrielle éditée depuis plus de vingt ans par Jean-Pierre Lesieur dans sa « fabrique du poème », et sous-titrée ces temps-ci Les rescapés de la poésie, commence par un éditorial du revuiste intitulé Les jours heureux, dans lequel il dresse un tableau pessimiste de l’évolution du monde, entre réchauffement climatique et guerres incessantes, et met en doute l’avenir des revues de poésie : « La poésie cherche sans trouver vraiment des voies nouvelles intermédiaires entre l’écrit et l’oral, le scénique et le vécu, le bruit et la fureur ». Ce numéro présente plus particulièrement des extraits de correspondances des poètes, s’efforçant de rendre ainsi la poésie plus vivante.
Une bonne trentaine de poètes s’y expriment. C’est Patrice Delbourg qui ouvre le numéro avec des poèmes à destination des baby-boomers évoquant des émissions radiophoniques cultes de l’époque, écoutées à la TSF (la Tessefeu écrit Delbourg). Thierry Rousselet dit la douleur de vivre, la repoussante solitude, « la poésie incurable / réduite à son Martini blanc / avec ou sans glaçon ». Line Szôllôsi se fait Le marin imaginaire qui veut voir Manaus et son fleuve noir, « un navire sous le vent ainsi d’anciennes voiles / fuyant, on ne sait, les trombes de pluies saisonnières / voilier présomptueux à proue vernie / le gouvernail qui dit ni oui ni non, ses râles de scie / la peur qui tremble, une malencontre trop coutumière ». Alain-Jean Macé nous livre des tercets doux-amers sur les gens ou paysages croisés au quotidien, ainsi : « Un pauvre s’approche / un pantalon plein de pièces / mais rien dans les poches », ou « L’hiver en Bretagne / dans les labours à la bourre / il neige des mouettes ». Luc Aldric peint une travailleuse du Bois de Boulogne qui de l’argent gagné nourrit les chats perdus. Éric Dubois et Catherine Andrieu rendent hommage à Daniel Brochard, poète et peintre récemment disparu, qui a notamment créé la revue de poésie Mot à maux. Hervé Merlot nous livre des poèmes à la forte plasticité, foisonnant de sons et de couleurs, sculptés à même la matière du langage : « le lit paquets de nerfs qui crépitent / effluves de chair à canon de lessive / de lys vénéneux / derrière les fenêtres la nuit / placardent roses agressives & cuisses balafrées ». Daniel Birnbaum oscille entre scènes du quotidien et souvenirs de jeunesse dans des poèmes simples et tendrement lumineux, comme dans le poème intitulé À l’écart, où il évoque des jeux anciens sur les piles d’un pont effondré en son milieu, « l’une ou l’autre / on n’avait pas de préférence / on n’avait pas l’âge de prendre parti / on n’avait même pas encore compris / que certaines séparations / sont définitives // mais peut-être savait-on déjà / combien il serait bon / de temps à autre / de se tenir à l’écart du courant ». Quatre poèmes du poète israélien Noam Weissman, traduits par Fabienne Bergmann, disent le quotidien, la vie des autres, la rencontre, le rêve, l’invention du monde : « Car l’avenir n’appartient à personne / Racine de tout espoir // Une nuit / Tu te réveilleras ». Basile Rouchin peint en courts récits les quotidiens de quatre personnages prisonniers de leurs habitudes, ou de leurs ambitions. Annie Huppe écrit dans Dansez maintenant ! : « Légèreté du pinceau / Le signe mis sur la toile / Insecte guitare oiseau / Luit dans la prairie des étoiles ». Jean-Marc Couvé, à coups de calembours, convoque la brutalité du monde : « Je dirai bien le Monde / Il m’est chape / Agglomérat immonde / Il mèche happe / Mont d’obséquieux. Comme onde, / Il m’échappe ! ». Ludovic Chaptal dit le clapotis de la vague, si douce aux vacanciers sur le rivage, et si dure en mer aux migrants qu’elle engloutit : « Et la mer impassible, innocente, insolente, / Promène sur son dos aux flots de reflets d’or / Une éternelle vague assassine et tremblante ». Aurélien Leblay chante la mer et son étoile. Mireille Podchlebnik évoque le mal du manque d’inspiration : « Tant de temps passé / entre deux écritures / de poèmes ou de textes / Tant de blancs / tant de silences / oppressent ma bouche close ». Jean-Pierre Lesieur chante une solitude plutôt bienheureuse et porteuse d’éternité : « Personne n’ouvrira pour moi / les portes qui donnent sur le silence / et cette grande route où les années / vont au pas des contemplations. / … / J’habite l’angle mort de la chapelle en ruine / et tous les printemps m’ont trouvé / allongé sur la margelle des vents / c’est ma seule religion pour sombrer / dans les limbes de l’éternité – seul – ». Jean-Jacques Camy peint le portrait d’un marin par nécessité de gagner sa vie, qui le soir écrit de la poésie : « Et, posé devant sa table, il songeait, serein, / aux miettes qu’il laisserait le lendemain, / aux petits oiseaux ». Après le pot au feu de Jean-Pierre Lesieur et les cartes légendées, vient le fac-similé de quatre poèmes crépusculaires de Lionel Mar, écrits à la main, dont voici le premier, intitulé Terres de lumière :
Je donne mon cri à la nuit
porté vers un abîme où l’air
explose de mille vies
dans les terres de lumière.
Ce besoin de dire à la nuit
toute l’ignorance de mon être
sur les chemins de l’absence.
Ferrucio Brugnaro, traduit par Béatrice Gaudy, raconte ses débuts comme ouvrier dans la métallurgie, puis dans la chimie, la naissance du tract de poésie en 1963, puis vingt ans plus tard à Milan les cahiers d’écriture ouvrière abiti-lavoro. Le numéro se termine par La cité critique, qui livre comme à l’accoutumé ses notes de lecture sur des recueils et des numéros de revues récemment parus, suivie de poèmes de Intili Sarah inspirés de son écoute de la musique de Bach.
(É.
C.)
Revue de poésie ARPA, n°139, février
2023
La revue ARPA, fondée en 1976, est proposée par Gérard Bocholier. Elle
paraît sur un rythme trimestriel, les numéros de l’été et de l’automne étant
regroupés en un numéro double. La revue est de belle facture, dans un format de
14 x 23,5 cm, privilégiant donc la dimension verticale permettant de dérouler
de longs pans de poèmes, et offre, par numéro simple, une soixantaine de pages
de poésie. Une quinzaine d’auteurs voient leurs poèmes publié
dans le présent numéro.
C’est par des
poèmes de Syméon de la Jara, péruvien d’origine, venu
jeune en Europe et converti à la religion orthodoxe en Grèce, où il a vécu
successivement dans plusieurs monastères du mont Athos, que s’ouvre la
livraison. Sa langue de prédilection est le grec, mais il écrit également en espagnol,
sa langue maternelle, en anglais et en français. Les poèmes présentés ici, pour
l’essentiel écrits lors de voyages en Chine et en Asie du sud-est,
sont traduits de l’espagnol par Danièle Faugeras.
Voici comment l’auteur termine son introduction aux poèmes présentés :
« Prendre le temps, le temps pour contempler et pour aimer. Le temps pour
ne rien faire, le temps pour écrire des poèmes, ou plutôt, le temps pour que le
poème apparaisse sur la page en passant par notre âme, autant que possible
ouverte, attentive et silencieuse. Et l’on est surpris, et l’on s’émerveille de
ce que cela engendre, ourdi dans son cœur. La joie de faire avec les lettres,
sans faire ». Les poèmes sont courts, légers, incarnations de joies
passagères, ainsi :
Un nuage léger
s’en va de même la tristesse
aussi légèrement
je me retourne et jouis
du bleu limpide du ciel
*
Ô fruit mordoré
enchantement translucide
suave abricot
doucement tu dévoiles
des secrets couleur d’ambre
Mentionnons un
hommage de Peter Riley à Lorand Gaspar, qu’il a
traduit en français, et qui est lui-même son traducteur en anglais, en quelques
proses précises et lumineuses, ainsi : « Collines en pente douce et
dunes dans le désert semblables aux courbes et contours du corps humain
(« flanc » … « hanches »), donnant à voir l’éclat de la
peau. Le désert à l’aube, petites lumières diffuses : fragments de roche
brisée, grains de sable, insectes… petites lumières mouvantes dans le lointain.
La présence intime de la terre qui respire à ton oreille ». Citons encore,
au hasard de la lecture, Michel Dvorak avec quelques poèmes limpides aux vers
brefs, scintillant d’images (« l’oiseau gravé / sur la falaise ») et
confondant les sensations (« des arbres qui scintillent / de petits
bruits »), par exemple : « Dans le vacarme oculaire / le glissement
d’archet / qui tranche // de profil / la tête folle / de la rose // mais aussi
bien / l’attente / ce poids // que l’on pose / sur le cœur blanc / de la
rose ». Et aussi Jean-Pierre Otte qui,
« privilège des yeux clos », semble peindre sur la page faite
paupière ses denses paysages de mots :
Au matin, les collines sont d’une opacité
si minces qu’on les croirait peintes sur du verre.
Le soleil perce à travers le brouillard :
éblouissements, blancheurs, clartés de laiterie.
Observe, comme une écriture primitive,
les hiéroglyphes laissées par les pattes de courlis
sur la vase verte alentours de l’étang.
Ferme les yeux pour faire partie de l’image.
Gérard Bocholier consacre une chronique à deux livres récents de
Jacques Robinet, Ce qui insiste et Clartés du soir. Poète en
quête de vérité ultime, à travers les souffrances de la vieillesse et de la
maladie, et qui cherche avant tout la vraie vie, disant se méfier des
mots : « Je n’ai pour guide / que cette soif meurtrie / d’avoir bu
aux sources / qui ne désaltèrent pas ». Bocholier
cite la voix très pure, comme de cristal, qui, à la fin de Ce qui insiste,
énonce : « Je me retourne / Est-ce toi / Personne / Seule une branche /
bouge encore / Tout est si calme / si léger le souffle / dans le feuillage / Tu
es passé / sans t’attarder /// la branche / s’en souvient ». Citons encore
Janine Graveline, à l’écoute du soir et de la
nuit : « L’accalmie de l’oiseau / franchit l’espace interdit //
Souffle calme / qui parcourt / le reflet des nuages / la rivière / mérite sa
source // L’équilibre des vents / enracine / la lune transparente // le sablier
vide / n’a plus sa raison », et Bernard Fournier qui écrit sur les vaches
peintes par Rosa Bonheur, ainsi : « les vaches de Rosa Bonheur /
beuglent un cri archaïque ; / le temps fouaille / dans les entrailles / ce
cri d’une angoisse terrible / arrachent aux hommes la crainte du serein // on
ne peut cesser de les peindre / comme le ciel, comme la terre / elles varient et
demeurent ». Le numéro se termine par des notes de lecture de Didier
Gambert, André Leblond, François Graveline,
Jean-Pierre Boulic, Cécile Oumahni
et Gérard Bocholier, suivies de quelques poèmes dans
la rubrique « Le fil du temps », dont on citera celui-ci de Samuel
Martin-Boche :
Au portail un rosier rose fuschia
gardien capricieux
des entrées et sorties
enroulé à la boîte aux lettres
chaque matin du bout des doigts
pour ne pas s’y blesser on cueille
les nouvelles du monde
(É. C.)
Le journal
à Sajat, n°124, Janvier 2023
Voici comment
Thierry Sajat présente sa revue :
« Le
Journal à Sajat a été créé en Mars 1988, avec
une trentaine de pages et une vingtaine de poètes. La couverture avait été
conçue par le peintre Joseph Baran (de Maison-Alfort - 94).
À l’époque le
poète Jean-Jacques Delmas dirigeait une revue intitulée
« Hippocampe » et je cherchais un nom autant original. En attendant
quand nous parlions du projet, les amis disaient "le journal à Sajat". Puis ce nom est resté.
Je souffrais
à l’époque, depuis mon arrivée en région parisienne en 1982, en tant que
jeune poète tout à fait inconnu, de n’avoir aucun accès dans d’autres revues où
l’on me trouvait trop jeune, où l’on n’insérait ma poésie que s’il restait une
page disponible. J’avais remarqué que la poésie n’avait pas toujours sa
place dans telle ou telle revue, trop classique pour certaines, trop libérée
pour d’autres. En créant cette revue, j’ai pensé que des auteurs pourraient me
rejoindre afin de s’y sentir libre, sans différencier les styles littéraires.
La revue,
après 99 numéros n’a pas changé dans l’idée de son créateur. Elle est ouverte à
tous les styles poétiques, à tous les poètes qui veulent s’exprimer. De grands
auteurs s’y sont succédés, s’y succèdent encore. Pierre Osenat
(†), qui fut président de la Société des poètes Français, et poète reconnu, a
toujours soutenu et encouragé la revue, ainsi que le poète et ami Robert-Hugues
Boulin (†) qui l’a parrainée…
Des plumes
ont su l’honorer telles que celle des poètes Jean Ferrat, Claude Nougaro et
Yves Duteil … »
Près de cent
cinquante poètes et une quinzaine d’illustrateurs à découvrir dans ce numéro,
comme dans les autres, c’est un foisonnement de textes et d’images que Thierry Sajat nous offre trois fois l’an, avec constance et
générosité. Une poésie dans l’ensemble plutôt classique, mais ouverte sur des
formes plus contemporaines, sans parti-pris aucun. On
ne résiste pas au plaisir de retranscrire ici, pour inciter à la lecture de
cette riche revue, le poème printanier de Victor Hugo que Thierry Sajat a placé au cœur de son éditorial :
Voici donc les longs jours, lumière, amour, délire !
Voici le printemps ! mars, avril au doux sourire,
Mai fleuri, juin brûlant, tous les beaux mois amis !
Les peupliers, au bord des fleuves endormis,
Se courbent mollement comme de grandes palmes ;
L’oiseau palpite au fond des bois tièdes et calmes ;
Il semble que tout rit, et que les arbres verts
Sont joyeux d’être ensemble et se disent des vers.
Le jour naît couronné d’une aube fraîche et tendre ;
Le soir est plein d’amour ; la nuit, on croit
entendre,
À travers l’ombre immense et sou le ciel béni,
Quelque chose d’heureux chanter dans l’infini.
(É.
C.)
Rappel : Anise Koltz,
Pressée
de vivre suivi de Après. (*) Collection Les Cahiers
d'Arfuyen, 2018 (176 p., 15 €)
Pressée
de vivre suivi
de Après est le septième livre
d’Anise Koltz publié par Arfuyen. Quel titre que
celui-ci pour le recueil d’une femme qui va fêter en juin prochain ses 90 ans
: Pressée de vivre ! Mais non sans ironie, Anise Koltz ajoute ce sous-titre : « suivi de Après »…
Lors
de la journée d’études consacrée à Anise Koltz par
l’université de Strasbourg, Michèle Finck, admirable lectrice, a intitulé sa
communication : « Anise Koltz l’insoumise».
L’écrivaine luxembourgeoise n’est pas du genre, en effet, à se soumettre à
aucune condition : celle de femme, celle de germanophone ni même celle de «
personne âgée », comme on dit poliment.
«
Dans mon habit de vie, écrit
Anise Koltz / je brûle / sans me consumer. » Malgré
l’âge et les épreuves, la rage d’Anise Koltz reste
intacte. « De quel droit / la mort me revendique-t-elle ? // Déjà
j’avance avec l’ombre / de quelqu’un d’autre. » Face à l’inévitable,
Anise Koltz n’abdique rien de sa liberté souveraine.
Vivre, et encore vivre, nous dit-elle. « L’après » suivra ! « Dans la
poésie, écrit-elle / j’écoute le silence // Dans le silence /
j’écoute la mort / et le recommencement. »
Car
pour Anise Koltz, il n‘y a pas de fin, tout est
recommencement, métamorphose, et il faut seulement avoir l’énergie de porter
cette passionnante, cette épuisante éternité.
Issue
d’une illustre famille du Luxembourg, Anise Koltz est
la « grande dame » de la poésie francophone d’aujourd’hui. Un volume de la
collection Poésie-Gallimard lui a été consacré sous le titre Somnambule du
jour. Depuis plus de dix ans, Anise Koltz publie tous
ses ouvrages aux Éditions Arfuyen.
L’œuvre
d’Anise Koltz, qui a quitté la langue allemande en
souvenir des tortures imposées par les nazis à son mari durant la guerre, est
marquée par les tragédies du XXe siècle. L’écriture d’Anise Koltz
est concise, âpre, d’une implacable lucidité. En cela elle s’apparente à celle
de son quasi contemporain Paul Celan (1920-1970), grandi comme elle dans une
terre de langue allemande écrasée sous la botte des nazis.
(*) Anise Koltz
nous a quitté le 1er mars 2023, à plus de 94 ans.
Gérard Leyzieux, Passage. Éditions Tarmac, avril 2023 (60 p., 19 €)
« Exposition de la vie estompée,
effacement qui mène au vide, disparition dans le flottement de paysages
éphémères, de moments transitoires, gommages à l’image de ce
« prendre corps » du tableau de Doïna Vieru [sur la couverture du recueil]
où la visibilité hésite entre vide et plein, vide empli de plénitude et de
solitude. L’univers de Gérard Leyzieux se construit à partir de cette
confrontation, de ce passage, entre son regard et le monde qui nous entoure.
Étrange passage du temps à
travers la mémoire du corps. Le regard est à l’œuvre pour combler le vide qui
nous ronge. Un dialogue semble se nouer entre le « je » et le « tu », il
devient trilogue quand le « il » impose sa présence. Dépasser ce palimpseste
millénaire, effacer le tourbillon du quotidien qui veut « prendre corps » et
meubler le vide et, du plus profond, éveiller sa voie/x personnelle. »
Cette présentation du recueil
(quatrième de couverture) nous fait comprendre qu’il fait suite en quelque
sorte au précédent, paru chez le même éditeur, Impression vide
devant, 2022 (56 p., 13 €) – dont on peut lire deux belles récensions :
ans Critiques libres (13
juillet 2022), et Didier Gambert, dans Lichen n° 77 (oct. 2022) – ainsi
qu’au recueil paru chez Stellamaris en 2022
également, Décortiqué (décembre 2022, 82 p., 17 €) : il nous
semble qu’il s’agit là de trois manières distinctes mais complémentaires de
traiter de ce grand sujet qu’est le vide.
Éric Chassefière, Faire
parler son âme. Éditions Sémaphore (Maison de
la Poésie de Quimperlé), mars 2023 (106 p., 12€)
Présentation de Bruno Geneste :
« Dans ce recueil le songe crée une intériorité, un paysage dont on devine à la nuit tombée les plus invisibles contours, le poète veille, nous ouvre à travers les mots un chemin où « parfois le fleuve s’efface, la lampe brille d’une présence inconnue, nous ne savons plus qui nous sommes, d’autres lampes dans la distance posent leurs reflets ».
Extrait (dans la perspective d’une lecture dédiée plus approfondie) :
sentir
comme tout se lie à tout
comme
un chant dans la profondeur suffit à faire naître l’instant
de
la page partagée par l’ombre
sous l’œil de la fenêtre faire son premier silence (p. 53)
Éric Chassefière, Palermo. Éditions Rafael de Surtis, mars 2023 (102 p., 19 €)
Présentation de Paul Sanda sur le site des Printemps des poètes :
« Si, à Palerme, la mer est première, et que le soleil s’élève toujours comme à travers elle, Éric Chassefière nous dit aussi que le silence est la substance essentielle de la construction intérieure pour interroger la terre. Ici l’on s’émerveillera d’un Christ Pantocrator en sa puissance, d’une croix sur le vieux mur, d’une incertitude au creux d’une déchirure enfouie. Le poète se pose, peut-être cherche-t-il à se perdre de lui-même dans les formes ombrées des jardins, ployant au regard de son lecteur l’indécision autant que la promesse d’un espace bientôt dévoré de solitude. Et l’auteur investit cette lumière, qui semble flotter depuis son propre désert de ciel. C’est dans l’ocre de la voix lointaine, dans l’errance de l’oiseau discret, dans la musique effacée, le coquillage écrasé, l’horloge qui n’annonce jamais l’aube… La mer, c’est cet or en mosaïque, c’est l’éclat sans fin de la fleur rouge, en son dialogue avec la vague sans ampleur. Lors, au plus lointain du ciel, l’auteur se peut confier en silence à la page qui écoute. À Palerme, Éric Chassefière entend vraiment la page, le mutisme de la page, les mots perdus dans l’impensable absolu du bleu vibrant… »
Frontières ad libitum. Anthologie dirigée par Suzanne Dracius. Éditions Idem, mars 2023 (200 p., 14,80 €)
Anthologie de poèmes inédits dirigée par Suzanne Dracius qui réunit 67 poètes de tous horizons, avec une
belle « parité » et une couverture des peintres jumeaux Slobodan et Vladimir Peskirevic, publiée aux éditions Idem (à commander auprès
des libraires).
Présentation à la Société des Poètes français par Michel Bénard, vice-président de la Société des poètes français, le 7 avril 2023 (extraits) :
« … Suzanne Dracius est
bien connue, reconnue et appréciée pour ses combats au service des causes
humanistes, minoritaires, identitaires diverses. (…) Rappelons que notre amie
latiniste et helléniste étudia à la Sorbonne, fut professeure universitaire de
Lettres classiques, enseigna à Paris, en Martinique et aux USA. Femme de
lettres prolixe et éclectique, son œuvre est composée de romans, nouvelles,
essais, théâtre et poésie. (…)
Les frontières, thème n’ayant rien à voir avec le hasard
et qui est celui du Printemps des Poètes 2023, est de plus en plus d’actualité
dans ce monde où les tyrans, les dictateurs prolifèrent en signant des
coalisations menaçantes donnant froid dans le dos. Cette anthologie –
Frontières ad libitum – publiée aux éditions IDEM, fruit de l’engagement de
Suzanne Dracius, tombe à point nommé. (…)
L’approche de cette anthologie est magistrale,
l’engagement n’a rien d’insignifiant car Suzanne Dracius
rassemble sous la même bannière des poètes au féminin et masculin de tous les
continents, à commencer par son île natale, qu’elle a au cœur, la Martinique.
(…) Paradoxalement, Frontières ad libitum est une histoire d’armistice,
car l’appel pour l’anthologie a eu lieu un 11 Novembre ;
il me semble une fois de plus que le hasard n’existe pas. Alors prenons cela
comme un signe avant-coureur et porteur d’espérance, ce qui n’est pas un luxe à
l’heure où le déchirement des bombes, le grondement des chars et les combats de
rues et de tranchées se réveillent en différents points du monde qui se
retrouvent entre les mains des tyrans (…).
La formule latine « ad libitum » signifiant à
volonté, à plein gré, retenue par Suzanne Dracius est
une idée des plus judicieuses car c’est une véritable ouverture sur les
significations multiples des frontières qui, au-delà des aspects géographiques,
politiques, englobent les multiples aspects de la vie ; les frontières
peuvent être physiques, morales, raciales, sentimentales, religieuses et
peuvent varier ainsi à l’infini. (…). « Ad libitum » libre, à
satiété, dans un élan de symboles migrants et métissés brassant pour notre plus
grande satisfaction de multiples nationalités, dont, pour paraphraser Suzanne Dracius, les mots franchissent les frontières, défient
l’imaginaire et nous désenclavent, ils pourraient même nous déraciner pour nous
transporter au-delà des frontières de toute nature. (…)
Il ne nous reste plus alors qu’à espérer en la poésie, en la bonne volonté et juste sens de l’humanité. Parce qu’à l’instant où l’homme renonce à ses rêves d’enfance, c’est une capitulation face à la vie. » Michel Bénard
À saute-frontières. Anthologie par Réjane Niogret et Christian Poslaniec. Éditions du Jasmin, mars 2023 (18 €)
Présentation par Patrick Joquel : « Cette belle
anthologie s’inscrit dans la dynamique du Printemps des Poètes 2023 :
Frontières. Elle rassemble des poèmes du monde pour vivre ici. Elle les
rassemble dans un bel album cartonné. Chaque double page présente une poignée
de poèmes sur un aspect du mot frontière.
On peut ainsi cheminer au fil des pages : en duo avec la
solitude, dans l’accueil de l’autre, en passager du temps, d’une langue à
l’autre, avec l’imaginaire, dans l’élan de la beauté, en harmonie avec les
éléments, en affinité avec le monde animal, pour s’emparer de la liberté,
au-delà des murs, pour préserver l’espoir, avec le monde en partage.
C’est varié, riche et vif. Lumineux aussi, grâce à la
légèreté des illustrations et de leurs couleurs.
Quant aux poètes, ils sont divers bien sûr : des anciens,
des contemporains, des Français et des étrangers (traduits). Ces poètes du
monde entier montrent ainsi que la langue est universelle, le désir de vivre
également.
Un livre à mettre à disposition des enfants et des
adolescents dans les bcd et cdi. Un livre qui ouvrira
des portes, des frontières. Qui nourrira la réflexion, la discussion. Un livre
empli d’humanité, à partager sans modération. »
Plus de cent frontières. Anthologie
Jeudi-des-mots.
Éditions Pourquoi
viens-tu si tard ? mars 2023 (176 p., 12 €)
Anthologie rassemblée sur le site Jeudi-des-mots, animé par Marilyne Bertoncini. Présentation par Patrick Joquel, préfacier du volume :
« Enfant,
j’allais parfois en Italie. Adolescent, souvent en Angleterre. Jeune
enseignant, j’ai travaillé en Angleterre, au Sénégal. Je ne comprenais pas
vraiment ces contrôles, ces papiers à renseigner, ces documents à montrer. Ces
visas à acquérir. Ni ce temps limité dans le pays. Je rêvais d’un monde sans
frontières. J’ai cru que ce monde se réalisait sous mes yeux. Liberté de
mouvement, au moins en Europe. Il faut bien commencer quelque part.
Je dois
reconnaître, hélas, qu’aujourd’hui ce n’est pas gagné. Les frontières
fleurissent partout de barbelés, de murs ou de contrôles renforcés. On en
connaît les causes : maladies, guerres, migrations, replis identitaires… Et les
jeux politiques des uns ou des autres ajoutent leurs
verrous aux barrières, leurs briques aux murs… Histoire de tirer la frontière à
soi comme une couverture pour prendre ou garder le pouvoir. Bien au chaud de
quelques certitudes plus ou moins sérieuses…
Des
barbelés que nul ne franchit aux lignes imaginaires qu’on traverse à pied sans
le savoir, des frontières naturelles comme la mer, le fleuve ou encore les
montagnes aux serrures de nos portes, de nos peaux à nos pensées ou croyances,
les frontières palpitent autour de nous. Elles jalonnent nos vies. Les
enferment parfois.
Jeudi des mots et les éditions Pourquoi viens-tu si tard donnent ici la parole aux
poètes. Qu’écrire en temps de crise ? Qu’est-ce que le poème, porte et apporte
à la liberté ? Que dit-il de ce mot frontière ? Les poètes ici scrutent,
écoutent, soupèsent le mot frontière et ses alentours. Ils vivent et écrivent
dans différentes langues. Multiplient les points de vue. Ils offrent une
réflexion, un décalage, un regard, une inflexion vers un peu plus d’humanité…
Lire
ces poèmes, c’est se permettre de réfléchir à ce qui nous rend humain. Notre
planète a un besoin urgent d’humanité. Une humanité constructive, afin de
changer enfin de logiciel. Le poème, s’il est témoin du passé, construit
également ce futur. Prenons-le comme compagnon de route ! »
Soirée de lecture à Nice le 16 mars organisée par Jeudi-des-mots, avec
la présentation, dans le cadre du Printemps des poètes, du numéro 32 de la
revue Cairns consacré à ce même thème.
Alain Clastres, Non-dualité. Éditions Unicité, mars 2023 (70 p., 13 €)
Ce
recueil s’ouvre sur des citations de Tchouang-Tseu, penseur chinois du IVe
siècle avant J.C., qui sont une fenêtre ouverte sur la non-dualité,
le cœur des philosophies et des spiritualités les plus profondes de l’humanité,
de l’Orient à l’Occident, l’intuition-compréhension du fond de la réalité. (…)
La poésie, dans sa saisie spontanée et intuitive de la réalité, inclut, parfois
enfouie, cette dimension unitaire, non duelle du monde. Elle peut nous faire
rejoindre notre cœur, notre demeure même, dans un apaisement et une plénitude
retrouvée.
Le Bleu selon C. Klein. Édition Transignum
(et page FB pour les
actualités), mars 2023.
Poèmes de Colette Klein, avec les peintures de Wanda Mihuleac et la musique de Violeta Dinescu :
édition bilingue, version en allemand par Eva-Maria Berg.
Cathy Garcia Canalès, Le livre des sensations. Éditions à tire l’ailes, février 2023 (52 p., 12 € : commander à mc.gc@orange.fr).
À découvrir sur le site de sa revue Nouveaux délits – qui vient de sortir en mars son n° 75 – sous la forme d’une citation :
« Parfois, j’ai des orgasmes de nature qui m’ouvrent le cœur en
deux comme une graine mûre. Je suis l’arbre, la mésange, la grenouille, le
nuage, la pluie, l’orage, je pourrais dévaster un bureau de pôle emploi, en
faire une jungle pleine de feuilles, de cris et de fouillis odorant. Où est la
case poète ? S’il n’y a plus de place pour les arbres, les plantes, les
oiseaux, les animaux, il n’y en a pas non plus pour les enfants, les mystiques
et les poètes, tout ça c’est la même chose, tout ça est connecté directement à
la source, la source vitale, la source de toute chose. Pur ressenti, pure
perception en résonance avec le monde des formes mais en totale inadéquation
avec celui des normes et des apparences. Il n’y a pas de mystère, tout est
mystère et la normalité est une affreuse invention, réduction,
supercherie. » (quatrième de couverture)
Cette « mystique » génuine qui révèle au quotidien
nos liens à « la
source de toute chose » n’est pas la seule corde à l’arc de la poétesse dans
ce nouveau recueil, qui rassemble, dirait-on, les pages d’un journal intime,
non des événements extérieurs mais des infinitésimales aventures du dedans,
celles de la psyché comme personnage mais aussi comme témoin et comme
auteur-narrateur. Un auto-regard non complaisant mais bienveillant qui
transforme, par cela même, le vécu en processus de transsubstantiation, comme
si les souffrances, les dépressions, les tourments que nous traversons tous les
jours seraient une sorte d’épreuves alchimiques… car : « Nous ne sommes pas que des êtres de
lumière, nous sommes aussi de la même boue que les étoiles, les mêmes
poussières toxiques. » (p. 40)
Sans orgueil, sans triomphalisme, sans s’envoyer des fleurs,
l’âme tente de se survoler au-delà même de l’épuisement total dans lequel elle
peut, si souvent, sombrer. Entre le sentiment du « ça fuit de partout, plus de jus », et le
« détachement
total de tout ce qui peut arriver », survient
la suspension libératrice d’un instant hors du temps où le vide se fait
grâce : « je
me vide peu à peu de ma substance et je sens monter lentement d’une profondeur
en moi inconnue, une grande mer de silence, une mer de glace, pure, vide, je
lâche tout » (p.41).
La continuité est révélatrice avec un précédent recueil de
Cathy Garcia Canalès, Le
baume, le pire & la quintessence (à tire d’ailes, avril 2022), dédié à l’alchimie amoureuse –
l’agonique polyphonie Lui / Elle – qui finit ainsi : « Les plus belles histoires d’amour
sont celles qui vont jusqu’au bout de leur processus ne laissant derrière elles
nulle scorie non transformée. L’Amour est un alchimiste dont nous sommes à la
fois l’athanor et la materia prima. » Alors
« ce
qui demeure » de la relation d’amour est « incorruptible » : « Pour avoir été entièrement
dissoute, sans pour autant disparaître, elle ne peut plus être détruite. »
C’est une écriture qui épouse en toute empathie l’intériorité du lecteur, ou de la lectrice. Rare et précieux, merci Cathy ! (voir aussi, dans ce même numéro, mon coup de cœur, Nos petites centrales, pp. 16-17 du recueil).
Yériché Djergaian, La terre et autres poèmes.
Éditions L’Harmattan (collection Poètes des cinq continents),
février 2023 (76 p., 11 €)
« Ici nous
sommes plongés dans l'inconnu. Cette poésie échappe aux logiques habituelles.
La juxtaposition des images sombre dans une absence de relief qui frise la
nudité. L'aspect énigmatique du texte se renforce par l'élimination des points
de repère. Il pratique l'exercice de la pudeur ou l'ascèse de la forme mais se
distingue par une sorte de composition musicale. La volonté d'abstraction vaut
par l'impression de gommer la surcharge. Il n'y a pas de ''gras'' chez Yériché Djergaian, ni lexical ni
prosodique. Si le poète n'est pas compris, c'est qu'il parle hors des logiques
quotidiennes. À ce titre, il est notre plus fidèle ennemi. » Denis Donikian (journal Haratch)
Yériché Djergaian, professeur de français, est poète et peintre.
Thomas Guarino, Ad vitam et vivre encore.
Éditions L’Harmattan (collection Témoignage poétique), février 2023
(104 p., 13 €)
La première fois
qu'elle est venue frapper à sa porte, avec la complicité des médecins, il a
répondu : tout va bien, il y a erreur. Elle a insisté et puis est revenue. Il a
essayé de faire semblant de rien. Mais il a en revanche bien entendu cette voix
qui disait : « Tous les mêmes. On a beau leur mettre sous les yeux leurs
analyses, leurs radios, leurs scanners. Ils regardent ailleurs ». Et puis un
jour ils se sont enlacés. Pendant qu'elle l'entraînait dans son tourbillon de
mort, il essayait de l'entraîner dans un tourbillon de vie, d'amour, de rêves,
de tendresse, de poésie chaque matin. Il sait bien qu'elle aura le dernier mot,
mais en attendant : Ad Vitam, à la Vie, à chaque jour sauvé du silence et de
l'absence. Il écrit...
Ariel Spiegler, Le mélange de l’eau. Éditions de Corlevour, février 2023 (96 p., 15 €)
Le mélange de l’eau est un recueil composé de poèmes en vers libres. Il
suit la présence de l’eau dans l’existence, de l’eau qui nous constitue, où
notre vie commence, de celle qui abreuve et qui lave, mais aussi de l’eau
menaçante et immense de l’océan, de l’eau, enfin, qui, si elle cesse d’être en
mouvement et s’immobilise, se corrompt et devient malsaine.
Ce recueil prend
l’eau comme une sorte de Nord pour essayer de dire des expériences, triviales
ou décisives, emmêlées, de la vie humaine.
Dominique Sampiero, Inventaire du vide comme neige et fleurs non répertoriées. Éditions de Corlevour, janvier 2023 (144 p., 18 €)
« Le beau
guérit. Certaines philosophies l’affirment et l’attestent. La poésie
l’enclenche. Il faut entendre par beau des liens qui n’existaient pas. Ce qui
surgit dans le regard nous déplie, nous décrispe vers cet espace, interstice
entre l’âme et le corps, où s’ouvre, dans le poème, non comme une issue de
secours, mais plutôt une porte vers l’ici maintenant. En trois seuils, cette
quête dans le livre passe par l’atelier d’un peintre. Puis l’atelier du mot. Et
enfin l’atelier de l’autre. » Dominique Sampiero.
Albert Gatez, Poèmes. Éditions Traversées, janvier 2023 (79 p., 22 €)
Extraits de la chronique de Lieven
Callant dans la revue Traversées (en ligne, 20 mars 2023) :
« Albert Gatez (1927- 1999) est né à Mussy-la-Ville mais a
passé la plus grande partie de sa vie à Virton. À l’occasion d’une
rétrospective de ses œuvres, Albert Gatez a offert à
la ville de Virton, quelques sculptures qu’on peut admirer en divers endroits de la ville. Artiste autodidacte,
il est difficile de le cantonner à un style, à une discipline : il a peint, il
a sculpté, il a gravé, il a écrit des poèmes comme lui seul pouvait le
faire.
Il explore avec
une certaine curiosité enfantine, il cherche avec amour et n’a pas la
prétention d’affirmer qu’il a trouvé. Au contraire, ses œuvres me semblent être
incomplètes, volontairement non-finies. Au-delà des apparences simples et
faciles, naïves diront certains, se cache parfois avec humour, une complexité
d’une grande lucidité. Ces œuvres et poèmes sont autant de portes à ouvrir et
de mondes à découvrir sans a priori. De rébus à résoudre, de petits
labyrinthes à parcourir.
Dans ce livre
sont repris des poèmes, des peintures, dessins, sculptures, et trois panneaux
de bois. (…) La référence n’est pas la réalité mais le produit d’une
quête qui espère comprendre l’humain. Tout le travail d’Albert Gatez (même ses poèmes) provoquent
des basculements intrigants de tons, de sens, de significations.
Gatez s’interroge et
nous interroge sur les pouvoirs enfuis et méconnus que portent ses œuvres comme
si soudainement elles surgissaient d’un magma ancien nous parlant de nos
origines en tant qu’être humain. On imagine qu’elles sont peut-être un emblème
et ont vocation à nous rassembler mais il manque toujours un élément, une
certitude. Siège aux creux des poèmes et des œuvres d’art de Gatez, un oubli. Volontaire ou accidentel, un point sur
lequel il temps d’appuyer pour prendre en compte nos différences, nos
singularités sans perdre de vue la cohérence originelle. Si tout nous
différencie et nous sépare, il y a aussi matière à nous réunir. Cette matière
est celle qui constitue le matériau essentiel du travail poétique de Gatez:
matière humaine, imparfaite, faite de souvenirs, d’oublis, d’amour et de
désamour, de passions et d’abandons, de désespoirs, de joie, de sérénité, d’humour,
de doutes. Dans cette incertitude mise en évidence par Gatez
réside une force neuve. »
Nour Cadour, Le silence pour son. Échappée belle éditions, janvier 2023 (46 p., 10 €)
Le silence pour
son est un recueil de poèmes qui regroupe les voix de
femmes à travers le monde : leur quotidien, leurs peurs, leurs souffrances. Les
voix de ces femmes viennent des femmes qui entourent la poétesse, ou de femmes
qu’elle a pu rencontrer lors de ses voyages. Ces poèmes donnent la parole à ces
femmes oubliées, dont le son est quasiment silencieux. Mais, malgré les
divergences de cultures ou de traditions, la parole est la même et reste unie.
Jeune poétesse, peintre et romancière franco-syrienne, Nour Cadour exerce en tant que médecin nucléaire. Engagée dans la poésie, elle remporte la mention spéciale du jury du concours international de « Poésie en Liberté́ » en 2014 dans la catégorie « étudiants de France » et devient membre du jury. Elle vend notamment ses peintures poétiques pour cette association. En 2021, elle a co-créé avec de jeunes poètes montpelliérains l’association de poésie « L’Appeau’Strophe » qui vise à promouvoir la poésie et la rendre accessible à tous. Elle participe également à de nombreuses revues poétiques (Poetiquetac, Debridé, L’Etrave, Revue Hélàs, Rectangle quelconque, Chronique de ci et de là…), des anthologies poétiques (Poésie en liberté, Les Voix de l’extrême,.. ) et au podcast poétique « Mange tes mots ».
Son premier recueil de poèmes Larmes de lune a été primé par la société des poètes français en 2021 et le prix de la Fondation Saint-John Perse en 2022.
Son premier roman L’âme du luthier est publié
chez Hello Editions en février 2022.
(D. S.)
***
Revue Traversées,
n°103, mars 2023
Dirigée par le poète Patrice Breno, la splendide revue belge Traversées – qui fête cette année 30 ans d’existence – nous offre, dans le dernier numéro de sa version imprimée, une coupe transversale aussi large que vertigineuse dans la poésie du monde d’aujourd’hui : des auteurs européens – deux poètes ukrainiens, un poète et écrivain russe, un poète d’expression roumaine (5 poèmes en édition trilingue : roumain/français/allemand), une poétesse grecque, sept poètes néerlandais, un poète luxembourgeois, quatre poètes italiens, deux poètes anglais – et du monde outre-Atlantique : deux poètes canadiens, et dix poètes américains, dont Bob Dylan et le grand Walt Whitman, pour finir… chaque auteur ayant une notice de présentation à la fin du numéro.
Bâtir un tel équipage équivaut à un tour de force extraordinaire pour réunir des textes originaux – souvent inédits, et évoquant parfois l’actualité la plus astringente – aux traductions de haut niveau, et les présenter avec un art consommé de la mise en page, dans d’excellentes conditions graphiques (notamment pour ce qui est de la qualité du papier) et avec des illustrations originales d’artistes remarquables. Ce livre – car c’est plus qu’un numéro de revue – est un trésor, et déjà le toucher, le feuilleter, s’y plonger au hasard pour savourer un poème ou un autre est un plaisir pour le lecteur. Quant aux habituels de la traduction de poésie, ils ont devant eux un exploit à admirer.
Et là j’en viens à évoquer les réflexions de Patrice en guise de postface à cette héroïque entreprise, qui évoque et honore au plus haut point le titre-programme de la revue, « Traversées » :
« L’artiste, qu’il soit écrivain ou non, ne doit pas avoir de frontières. Son univers, sa création, le monde qu’il suggère à celui qui écoute, voit, observe, analyse… est déjà transposé de l’auteur au specta(c)teur, auditeur et lecteur, qui ont leurs propres clés d’analyse. Ici, par la traduction, l’acte est double et, par conséquence, un calibre précis et travaillé avec discernement, sérieux, compétence et finesse est obligatoire. »
L’âme du poème, si le traducteur met en œuvre de telles qualités d’empathie, maîtrise, et inspiration, traverse alors librement les corps de parole d’une langue à l’autre, sans rien perdre de sa nature propre. La traduction, si elle est authentique, ne trahit pas, au contraire, elle révèle et relève le charme de l’original.
Surtout, ce qu’une telle entreprise fait voir, c’est à quel point la poésie est véritablement une langue universelle, une et multiple, polyphonique et métamorphe, ondulante et élancée en des formes variées d’un bout à l’autre du monde et pourtant toujours une, inimitable, in-confondable, irréductible : c’est l’Âme du Monde. Et le poète est sa proue. Sans lui, jamais elle ne pourrait s’exprimer.
Un petit coup de cœur dans cette mer généreuse où chaque poème est d’anthologie :
La mer est
difficilement dicible
quoique
docile à se laisser décrire
toutes
couleurs changeantes
comme
une dansante ardoise
le
bateau y est presque un poète :
le
cap et son mal de mer s’avèrent un trait rectiligne
grâce
au mystère des radars
or
donc c’est le bateau qui fait la mer
un
tant soit peu concevable
là
où le bateau vient de passer
demeure
l’indicible vide
c’est
le bateau qui fait la mer
(Gerrit Kouwenaar, p. 45 : poète, traducteur et journaliste néerlandais, notice p. 193)
Et pour finir, une synthèse nominative des contributions :
· Les auteurs : Anastasiia Afanas’eva, Amedeo Anelli, Ivan Bounine, Iouri Bouriak, Luigi Carotenuto, Leonard Cohen, Billy Collins, Theun de Vries, Owen Dodson, Bob Dylan, Paolo Febbraro, J.P. Howard, Etheridge Knight, Yusef Komunyakaa, Gerrit Kouwenaar, Enrico Marià, Hanny Michaelis, Adriaan Morrïen, Ankie Peypers, Keith Reid, Ara Alexandre Shishmanian, Tracy C. Smith, Natasha Trethewey, Jeanne Tsatsos, Herman van den Bergh, Bert Voeten, Tom Weber, Walt Whitman, Tom Wintringham, Michela Zanarella.
· Les traducteurs : Eva-Maria Berg (du français en allemand), Alain Bourdy (de l’italien), Luc Debacker et Anna Martino (du russe), Irène Dubœuf (de l’italien), Vladimir-Claude Fišera (de l’ukrainien et de l’anglais), Bernard Grasset (du grec moderne), Gérard Le Goff (de l’anglais), Christian Marcipont (du néerlandais), Pierre Mironer (de l’anglais), Dana Shishmanian (du roumain), Florent Toniello (de l’anglais).
· Les illustrateurs : Chem Assayag, Patrice Breno, Christian Dargent, Patricia Laporte, Patrice Reytier
Un grand merci à Patrice Breno pour ce numéro exquis !
(D.S.)
Les
Amis de Thalie, n° 115 – mars 2023 et son supplément hors-série Poèmes à
semer
Il me serait impossible de parler de cette belle et grande revue, imprimée dans d’excellentes conditions graphiques et de très haute tenue par la variété et la qualité des textes qu’elle publie, sans commencer par déclarer avant tout mon totale adhésion au message de sa directrice, Nathalie Lescop-Boewillwald, dont il convient de citer au moins une partie de son éditorial, aussi critique que revigorant. Dans le monde trouble où nous vivons aujourd’hui, Nathalie indique une voie qui ne peut plus être ignorée, car il y a urgence :
« Ainsi est-il nécessaire de repenser notre
appartenance à un système délétère, entièrement voué à l'enrichissement d'une
seule et unique classe, celle encore et toujours des puissants, des potentats
de la finance etc... au détriment de la population, des petites gens qui
pourtant permettent au quotidien que ce monde inique existe, car sans elles, le
système s'écroulerait sur ses bases, puisque ce sont elles qui le font
fonctionner, l'alimentent par leur travail, leur consommation, leur obéissance
à des règles pour la plupart éculées, inégalitaires, voire injustes et
mensongères. Hélas, le
système a tissé sa toile depuis des lustres autour de nous, nous maintenant prisonniers d'habitudes,
d'obligations, de devoirs, de croyances qui font la part belle à la duperie. »
Elle déchiffre, dans ce contexte, le danger de la
perte de notre humanité, par suite d’une action volontaire de nivellement des
consciences de la part des pouvoirs en place, et d’une passivité involontaire
des individus, jusqu’à l’abandon et la déresponsabilisation :
« Quelle est cette société où le fait de
penser différemment, de s’interroger, de vouloir un monde plus équitable, plus harmonieux est immédiatement considérer
comme une anomalie pouvant muter en
danger ?... Le danger ne serait-il pas plutôt de s’abandonner à la
facilité du « laisser faire », de continuer à nourrir le système quoi qu’il
nous en coûte ?... Je vous le demande, le danger n’est-il pas d’oublier ce
qu’être Humain porte en lui de générosité,
de tolérance, de fraternité et d’amour ?... »
Alors, « à nous de choisir d'être dans
l'amour ou dans la peur », nous dit-elle…
« Au fil des siècles, inconsciemment, nous
avons bradé notre dimension spirituelle, il est largement temps de rouvrir nos
cœurs, d'écouter ce qui fait sens en soi et de retrouver notre humanité
bafouée... (…)
Le courage, c'est d'ouvrir les yeux, admettre ce
qui est pour ensuite ensemble dans un même élan dire Non à l'inacceptable...
(…)
De tout temps, La poésie, l'art, la création ont
été de fabuleux étendards de la liberté, de la fraternité, ne l'oublions pas et
continuons à œuvrer pour un futur de lumière et de paix !... »
La revue, extrêmement riche, nous propose, en
accord avec ce credo :
·
des
poèmes : Ferruccio Brugnaro,
en édition bilingue italien/français), Robert Parron,
Pascale Gruet, Brigitte Part, Roger Foucaud,
Dominique Simonet, Robert Buffat, Maron Camp, Josette
M. Fróis, Grégroire
Leprince-Ringuet, Béatrice Gaudy, Marie-Louise Putin,
Didier Ober, Ara Alexandre Shishmanian, Katell
Cornelio, †Henri Vial, Isabelle Jasmin, Marie-Paule Giuily,
Michel Lagrange, Michel Santune, Pierre Ducouret, Michel Bénard, Gérard Paris, Jean Moraisin ;
·
des chroniques et critiques : par Vladimir-Claude Fišera (sur deux grands
romans-vérité des écrivains ukrainiens Lina Kostenko
et Serhiy Jadan), Jeanne Champel Grenier (sur Pierre Mironer),
Amandine Gouttefarde-Rousseau (sur trois poétesses
contemporaines : Carole Bijou, Xénia Maszovez,
Miel Pagès), Béatric » Gaudy (sur Un
temps pour soi, pur cheminer en conscience de Nathalie Lescop-Boewillwald)
et enfin Nathalie Lescop-Boewillwald (sur Eliane
Hurtado et Michel Bénard – prix 2022 des Amis de Thalie, Stephen Blanchard,
André Prône, Patrick Ducros, Claude Vancour, Barbara
Auzou et Franceline Hamelin) ;
·
un
passionnant dossier sur Rainer Maria Rilke – comme… poète français, par Pierre
Guérande, et un dossier artistique révélateur autour du Cercle de l’art moderne
du Havre (1906-1910), par Christian Boewillwald ;
·
des
textes de réflexion sur notre temps et sur le sens de l’écriture, poignants et
bouleversants, par Christian Boewillwald (Dans un navire fou), Pierre Guérande (Ne
pas laisser passer les choses simples), Jeanne
Champel Grenier (Le ciel d’en haut), Nathalie
Lescop-Boewillwald (Christian Bobin
ou l’intime du Vivre).
Pour clore ce tour d’horizon, j’aimerais citer
encore, parmi les textes mémorables de cette édition, le passage suivant :
« Qui peut encore sauver l'ordre du monde ?
L'impression d'être dans un navire fou, un
changement fulgurant d'époque dont nous ressentons les secousses telluriques de
manière outrageante ! Quand cet
ouragan se sera calmé, notre génération sera morte nais la nouvelle
trouvera sa voie dans d'autres guerres économiques, frontalières, écologiques ou autres...
Ne rien savoir, ne rien
apprendre, chercher l'Utopie pour que nos rêves d'enfant ne 'envolent jamais, croire jusqu'à la dernière limite
que le bleu est la plus belle des couleurs...
ainsi de siècle en siècle l'artiste devient l'unique et le sensible, le porteur
et le messager d'une si belle humanité... aux restos de l'âme, le Temps
n'est que la mémoire [e ce qui s'efface... aussi j'ai des listes d'étoiles dans
les carnets du ciel pour préparer les menus
de poèmes et mettre en bouteilles le vin des voyelles... » (Christian Boewillwald)
Le supplément Hors-série Printemps 2023 de la
revue, intitulé fort à propos Poèmes à semer, nous abreuve encore plus
de poésie, de bon aloi et dans des conditions graphiques exquises. Quelques
noms : Barbara Auzou,
Yvan Baccouche, Yvan-Didier Barbiat,
Jean-Baptiste Besnard, Christian Boewillwald,
Bernard Bösiger, Michèle Bourguétou,
Patricia Cazaux, Jeanne Champel
Grenier, Katell Cornelio, Matthieu Gamel, Christiane Hartweg, Katheleen Hyden-David, Katherine Nevsky-Corjon,
Brigitte Prat, Philippe Pauthonier, Nicolas Saeys, Ara Alexandre Shishmanian, Dominique Simonet. Et un
petit coup de cœur parmi plusieurs :
Griffer le monde et puis l’immonde
Bousculer l’ombre et la pénombre
Graver le vert et puis l’hiver,
Le sel, le ciel et l’essentiel.
Ciseler l’infime, l’intime, l’ultime,
Les abîmes et le sublime.
Gratter l’espoir comme un gratte-ciel ! (Katell Cornelio, Sous la Plume de L’Oiseau-Lyre)
(D.S.)
Revue Diérèse,
n°86, hiver printemps 2023
La très belle revue poétique
et littéraire Diérèse tenue par Daniel Martinez paraît trois fois par an,
offrant trois cent pages de poésie, prose et notes de lecture. Placée en
exergue de ce numéro 86, ces mots du poète Pierre Dhainaut : « La flamme
a-t-elle une ombre ? ». C’est également Pierre Dhainaut
qui a écrit l’éditorial, qu’il a intitulé Le soulèvement poétique, dans
lequel il oppose la guerre et les discours de propagande qui l’accompagne à la
poésie, dont les mots ne peuvent être asservis pour servir les puissants. Voici
ce qu’il écrit à propos des mots : « Les poèmes les écoutent, ils les
délient, ils en multiplient les ressources à l’aide de notre mémoire et de nos
désirs, ils iront plus loin que les buts que nous leur assignons, ils nous
mettront sur la voie d’une parole : à nous d’en devenir les serviteurs
attentifs et lucides, fidèles. Renversons les hiérarchies, la poésie dans son
mouvement profond nous y oblige. Un soulèvement qui concerne tout l’être, une
insurrection ». Le poème, selon Dhainaut, n’a
pas besoin d’explicitement s’opposer aux forces d’oppression et de mort dans
une démarche militante, le non n’est qu’ « un
moment de sa trajectoire, sa source est plus obscure, plus lointain son
horizon. La source inépuisable, l’horizon inaccessible », il engendre le
« oui qui intègre le non et l’accroît ». La
poésie serait ainsi par nature rebelle, acte d’affirmation de la vie par nature
libérateur.
La section Poésie
du monde, qui introduit le volume, est consacrée à deux poètes européens,
le portugais Nuno Júdice,
né en 1949, dont sont reproduits quelques poèmes tirés de Regresso
a um Cenario Campestre (2020) traduits par
Jean-Paul Bota, l’allemand Gerhard
Falkner, né en 1951, avec des poèmes traduits par Joël Vincent
issus de son recueil Poèmes endogènes (2000). Voici le poème intitulé LIVRE
BLANC de Nuno Júdice, poète dont par ailleurs de
nombreuses traductions ont été publiées en français (notamment chez
Poésie/Gallimard -1996-, Fata Morgana -2003, 2006-,
éditions de Corlevour – 2015, 2017, 2020-
etc.) :
C'était un livre de blancs secrets que
j'ai ouvert
pour
lire, dans les pages les plus blanches, les plus blancs
secrets.
Peut-être les secrets n'ont-ils pas de couleur,
et c'est
pour cela que les pages étaient blanches; mais
j'ai
écrit un secret rouge, et il y avait une rose
à
l'intérieur; ensuite, j 'ai écrit un secret jaune,
et ce fut
le soleil que j'ai vu surgir, et j 'ai encore écrit un secret
noir, et
tes cheveux ont couvert la page; j'aurais pu
ouvrir
d'autres pages et écrire des secrets d'autres
couleurs
; j'aurais pu écrire des secrets en noir et blanc,
comme ta
robe ; ou des secrets géométriques,
comme
ceux qui naissent dans tes doigts. Et, à la fin,
je
demanderais : à quoi servent tant de secrets
si tout
tient dans les pages blanches de ce livre,
et
pourquoi j'invente tant de couleurs quand la
seule
couleur que je veux est ce reflet vert
dans le
fond de tes yeux ? Alors, je ferme le livre
blanc, et
je garde pour moi ton secret.
Suivent les deux cahiers de poésie, présentant des textes d’une vingtaine de poètes. Citons par exemple dans le premier cahier ces Ouvertures insoupçonnées de Béatrice Marchal, dont la première, dans laquelle affleure une grande émotion, dit ceci : « Ce que je cherche au fond de mes poèmes, / c’est une vibration de la lumière, / celle que je trouvais dans la voix de ma mère, / quand, soudain plus lente, elle devenait / un sourire, j’y apprenais, / fixé par son éclat, le prix / de certaines choses qui se tiennent dans l’ombre / qu’elles éclairent, / j’aurai désormais à cœur de les protéger ». On retrouve au début du second cahier Pierre Dhainaut à travers plusieurs textes écrits sur son œuvre, dans le cadre d’une journée d’étude dédiée. On notera, dans le second cahier, la riche illustration des poèmes de Guy Cabanel par des œuvres de peintres chinois des 11e, 13e et 14e siècle (Mi-Fou, Kuo Hin Mou K’i, Ni Tsan), et de la période contemporaine (Zao Wou-ki), à travers des reproductions en couleur de grande qualité, comme le sont toujours les illustrations de Diérèse. Ainsi commence le premier poème de la suite, intitulé Mi Fou dans la montagne : « Par les monts que le matin dessine à peine / la terre grouille de silhouettes que le vent / emporte et ramène / des tendresses de l’aube aux somnolences / du couchant. // Le lettré va se retirer sous un toit léger / face au miroir resplendissant / qui ne renvoie aucune image ».
Viennent ensuite,
précédant la section finale consacrée aux chroniques de recueils récemment
parus (qui fait près de 50 pages !), la rubrique présentant les Journaux
de vie de quelques poètes, puis la section Rubrica
avec la série de Vincent Courtois avec sa « Tentative d’épuisement d’une
case de bande dessinée » et des nouvelles de différents auteurs, puis la
rubrique Bleu vif, avec trois essais, l’un sur le poète bengali Pradip
Choudhuri
par Bruno Sourdin, le deuxième sur François
de Cornière
par Pierre Tanguy, le troisième sur Jean-Paul
Bota
par Michel Diaz. De Choudhuri, né en 1943 et décédé du Covid en 2021, pour
terminer cette chronique, ce poème titré Kanya
Kumari/ 1 :
Même après le premier
naufrage de ma vie
mes yeux sont à la fois immobiles et blancs ;
les femmes en saris de soie descendent les marches du Cap
je n’ai aucun désir ; je suis LIBRE
je ne regarde que leurs cardigans rouges
(E.C.)
Revue Concerto pour marées et silence, n°15, 2022
Cette revue annuelle, dont le numéro 1 a paru en 2008, s’est vue donner le nom du titre d’un livre que Pierre Esperbé avait publié à La librairie Chambelland en 1974. Et voici comme sa créatrice, Colette Klein, poète et peintre, présente la revue dans la préface du N°1 :
« J’ai adopté le
titre d’un livre de Pierre ESPERBÉ pour célébrer la poésie. Une revue de
plus ? Une revue de trop ? Mais la poésie n’est pas si assourdissante
que cela en ce monde, puisqu’elle ne parvient pas encore à faire entendre les
cris d’une humanité en péril ou à les transformer en chants d’allégresse.
(…)
Le poème, et les autres arts,
servent tout autant l’apprentissage du savoir que les sciences : même
approche hésitante, fervente ou effrayée, même tension de l’esprit vers le
passé, vers l’avenir, vers les cellules, vers le cosmos.
Les portes et les fenêtres ne
doivent pas restées fermées : puissé-je, par ce Concerto, vous inviter à
écouter derrière « le silence du monde ».
Dans la préface du N°2, suite à la mort de Pierre Esperbé en juillet 2009, Colette Klein fait explicitement de la revue un legs spirituel à transmettre, une voix pour nous accompagner, un ferment pour faire naître le poème :
Un livre fermé est un livre
muet. C’est la raison pour laquelle, j’aime inviter les morts à la table des
vivants, vous l’avez compris (…).
Leur parole puisse nous
accompagner dans notre voyage, à la manière du vent sur les braises.
A la manière du vin qui
restitue, sous la langue, les mots secrets qui fomentent le poème et … le
concerto.
Concerto pour marée et silence, c’est deux cents pages de poésie et de notes de lecture, donnant la parole à une cinquantaine de poètes et présentant des chroniques sur une vingtaine d’ouvrages, avec quelques reproductions de peintures, ici de Martine Chittofratti et de Jean-Philippe Domecq, tout cela dans un format de poche, 12 x 17 cm. Le numéro, comme tous les autres, est introduit par cette phrase de Romain Rolland : « Si la musique est si chère, c’est qu’elle est la parole la plus profonde de l’âme, le cri harmonieux de sa joie et de sa douleur ». L’éditorial de Colette Klein signale la disparition de Jeanine Baude (poète-voyageuse membre notamment du comité de rédaction de la revue l’Arbre à Paroles et présidente du jury du prix Louis Guillaume du poème en prose), et le contexte mondial d’extension de la guerre, le conflit proche révélant du même coup l’indifférence avec laquelle d’autres conflits, plus lointains, ont été accueillis. Il y a heureusement, ajoute Colette Klein, le réconfort des mots : « Certaines voix, seules, en s’insinuant dans notre esprit, dans notre corps, dans les plus intimes de nos cellules, savent dire combien les mots nous aident à tenir debout, et par évidence, nous aident à vivre ».
Des poèmes du Concerto pour marées et silence de Pierre Esperbé sont placés en entrée de chacun des trois mouvements, Moderato, Adagio et Allegro. Voici celui qui introduit le premier mouvement Moderato, disant l’éternelle renaissance du poète, mais aussi sa solitude essentielle :
Je
suis né pas plus tard qu’aujourd’hui
Pour
le monde je suis né dans ma date de naissance
Mais
je suis né dans l’infini des êtres
En
pleine solitude des serpentations
D’une
foison de lianes
Je
suis né par quel mirage sans avoir été conçu…
Glanés au fil des pages, quelques extraits, au hasard de la lecture et des souvenirs d’autres lectures. D’Anne Barbusse, cette Terra (in)cognita : « vaste grève vierge, pliure des rocs hurlés / de vents circonscrits, coquillages bercés / de goémons et de partances, sur le sable // tes pas provisoires ont empreintes plus légères / que tous les vents d’est criblés de sables / et la mer effacera ton unique passage humain ». D’Hervé Martin, à propos des nuages : « Couleurs claires ou sombres / aux saisons du sensible / Les nuages répondent d’un incessant passage / au-dessus de nos craintes // L’être humain y recherche / d’hypothétiques réponses / Aux angoisses de vivre / De disparaître dans leurs sillages ». Michel Diaz nous livre ses fragiles Offrandes : « c’est / là-bas / comme un jeune feu / vêtu d’oracle et de promesse / qui éclaire un fouillis de fougères / d’herbes de ronces et de lierre // une espérance d’aube / un demain à portée d’escale / pour qui n’habite le présent que / comme un jardin de poussière ». Frédéric Tison évoque le passage régénérateur du temps : « Parfois le temps hante nos voix. Le temps répare sans cesse la lumière. / Le temps nous emporte sans nous briser encore, et nous sommes là, dans une clarté qui resplendit / La solitude est une étoile deux fois morte ». Béatrice Pailler chante l’Envolée, le don de l’instant : « Feuilles envolées, se réécrit l’absence pour ne plus être en proie, se réécrit le vivre pour n’être qu’en joie ». Nous terminerons par cet extrait des quelques poèmes de Jeanine Baude placés en entrée du Moderato :
Il
y a ce voyage
finira-t-il
au-delà du semblable
au-delà du même
tu cherches l’horizon
la main tendue
Elle
chante pour toi
(E.C.)
Revue Verso,
n°191, décembre 2022
Ce numéro, comme tous les numéros de la revue (4 numéros par an depuis 1977), est introduit par un sonnet de Shakespeare, traduit par Mermed. Alain Wexler, s’inspirant a posteriori des poèmes publiés dans le numéro, en a composé le titre suivant : « Faire corps et fuir ». Le prologue donne à réfléchir sur ce thème, évoquant l’expansion de l’univers et les trous noirs au cœur des galaxies qui au contraire attirent vers eux la matière. La comparaison est faite aussi avec le granite devenu sable que le vent pousse, l’eau et le sable fuyant tout autant dans le mouvement de va et vient des vagues. « Mais pour nous, quelle fuite ? Fuite en avant, cette force qui attire les êtres les uns vers les autres, moteur mystérieux qui gommerait les tessons, les tas de poussière et la peur de tomber ? ». Et Alain Wexler de poursuivre : « Voyez des oiseaux qui forment des couples indissolubles. Confrontés au vide, ont-ils le vertige ? La nécessité du nid s’impose au point que la solitude serait mortelle. Point de frontières pour eux ni de fables qui impose des frontières ». La fuite est ainsi vers l’autre, comme celle de la matière vers le trou noir qui l’attire. Fuir ensemble, relié à l’autre, se laisser tomber ensemble, aller ensemble vers l’avenir, au-delà des frontières…
Une petite trentaine de poètes sont au sommaire de ce numéro. Quelques extraits au hasard de la lecture. Dans Retour du poème, Geneviève Vidal fait corps avec êtres et choses: « Chair mes enfants / Chair ma maison – Faire corps // Peau mes vêtements – Faire peau // Pelage ma respiration – Sortir de soi // Marcher pieds nus – Faire corps avec la Terre ». Barouk, par une nuit d’insomnie, dit le corps qui cherche à se libérer : « Cette nuit encore – encore une / où j’ai tissé de mes mains – tissé et tissé la nuit - / corde blême où pendre le matin. // Dernier corps au bord du temps - / Et sa fleur enterrée grince… / Fleurit et fleurit la nuit - / hors du chemin que j’ai semé ». Patrice Blanc, avec Poésie, nu, chante l’éblouissement de l’aube : « L’air / est à l’étage de l’été Les voix / se posent sur le vent // L’aube / crie / dans un étouffement / de velours Notre œil / boit / la pure clarté / la jeune lumière // C’est la beauté qui se déshabille… ». Jean Mémin compare la vie au corps de l’arbre qu’on habite et qu’on devra quitter un jour : « Il logeait dans l’arbre, plus précisément sous son écorce. / L’hiver, il avait froid et l’été très chaud mais le chant de la sève montant du tronc le remplissait d’entrain. / Puis un jour l’arbre lui signifia son congé ». Jimmy Deniziot, lui aussi, attribue à l’arbre le pouvoir d’accueillir l’humain : « Dans le tronc / dans le bois du bouleau une pensée / dans le bois précis enlacé / un serpent de pensée / muet le serpent / dans le bois muet / un mot qui scintillerait / un mot doux aux yeux / dans le bois enlacé au serpent / enlacé au cœur muet / dans le bois du bouleau / dans la pensée du bois muet // comme un eau claire ». Citons pour terminer Ferruccio Brugnaro, traduit par Jean-Luc Lamouille, qui appelle à dénoncer la guerre qui « parle seule » : « Ne vous taisez pas, ne vous taisez pas encore. / Le cœur humain est attaqué / par la terreur / des ténèbres / en ces jours / comme un bébé sans arme / se débat / à l’extrémité de ses pleurs ».
(E.C.)
Revue Traversées,
n°102, octobre 2022
Créée en 1993, cette revue trimestrielle de poésie conduite par Patrice Breno aura trente ans cette année. Dans l’éditorial, Patrice Breno mentionne 102 numéros publiés, 20 recueils (Traversées édite également des recueils), plus de 1200 auteurs publiés. Des dizaines de textes reçus chaque jour pour la revue, une cinquantaine de manuscrits réceptionnés pour un recueil publié, un comité de lecture (composé de Caroline Callant, Monique Charles-Pichon, Xavier Bordes, Paul Mathieu et Patrice Breno) très réactif, Traversées est une aventure qui marche. Près de 200 pages de poésie dans ce numéro, une vingtaine d’auteurs, des illustrations de quatre plasticiens, tout cela dans une belle et sobre présentation sur papier glacé.
Quelques poèmes attrapés au vol au fil de la lecture. Jean-Pierre Nicolas fait chanter l’instant : « Un oiseau chante / Le vert des feuilles / Frémit doucement / Les branches se balancent / Il n’y a rien d’autre / Le temps en suspens / le rossignol qui enchante / Le soleil et le vent ». Suzy Desrosiers dit l’échange d’une rencontre : « il y a toi / belle gitane / petit bout de ciel // le chardon sur ta peau / arraché à la volée / balafre mon cœur sédentaire / qui tangue / lentement / dans ta main ». Autre rencontre, faite celle-là par Christian Degoutte : « Lilas d’un moment – violoncelle / aux lèvres – ses balbutiements / c’est sur tes lèvres des abeilles / transparentes – l’irritant / désir d’habiter rien qu’un peu / la vieille femme et son lilas - / pour se défatiguer la voix ». Xavier Bordes parle lui Par la voix du roseau, celle de la flûte du berger :
Dans
un tube de roseau venu de loin
tu as façonné la flûte de tes rêves
Ton
goût est aux instruments simples
capables de beaucoup avec peu
Ceux
dont le timbre est riche en harmoniques
tel qu’un parfum complexe après
le savant mariage des odeurs de fleurs
qui soudain parlent ensemble alors qu’avant
elles n’étaient que mutisme et senteurs banales
Et
sitôt qu’un nouveau segment de canne
se met à chanter c’est la même humble magie
Le
même étonnement que la première fois !
Patrice Blanc dit la naissance du poème aux racines du corps : « besoin du cœur, besoin des os / planer, rire, pleurer, sourire // besoin des mains, besoin des yeux / penser, rire, chanter, dormir // besoin des mots, besoin du sang / régner, rire hurler, faillir ». Jane Angué redonne à l’arbre joie et promesse de vie, « et les doigts glissant de glaise / restituent un nid / brodé de mousses et lichens / à la fourche de l’arbre nu / attendant la première éclaircie / une offrande de sorbes / sur la pierre joyeuse reposée ».
(E.C.)
Revue Voix d’encre,
n°67, automne 2022
« À l’origine de la maison d’édition, la revue Voix d’encre, lancée en 1990, paraît deux fois l’an : une livraison au printemps, une autre à l’automne. Consacrée pour l’essentiel à la poésie, elle accueille des auteurs confirmés et d’autres qui font leurs premiers pas, ainsi que des traductions inédites. À chaque numéro, l’intervention d’un artiste rythme la maquette et fait respirer l’ensemble. La revue est animée par Alain Blanc, Jean-Pierre Chambon et Hervé Planquois ». Voix d’encre publie également des recueils de poésie, « œuvres inédites des alliés substantiels du temps présent et celles de quelques grands aînés d’hier ». La revue est d’une présentation soignée, couverture cartonnée, beau papier, belle typographie sur la page très blanche, reproductions en couleur de qualité.
Ce numéro 67 met sur une soixantaine de pages une dizaine de poètes à l’affiche, et l’artiste grenoblois Rémy Jammes, dont sont reproduits sur la couverture et au fil des pages quelques acryliques aux formes simples, damiers de couleurs déconstruisant objets et plans de notre environnement quotidien. Jean-Michel Maulpoix écrit sur le geste d’écrire : « Il suffit de laisser circuler dans l’épaule, le bras, le poignet, la main, et jusqu’au bout des ongles, cet imperceptible courant à faible voltage qui porte les mots de la tête à la page – à moins qu’ils ne remontent du papier vers le corps et la pensée, comme nés de la blancheur même… Tout se passe en secret, et demeure invisible jusqu’à l’espèce de coulée ou de résurgence inespérée de l’encre noire sur la feuille blanche ». Barbara le Moëne, « recluse volontaire » entre les murs de sa maison, ouvre le livre de son silence intérieur : « loin du bruit du monde / entre les murs grandir / croître sous un toit / dans l’embrasure / prendre corps / quand la porte est verrouillée / par la fenêtre toutefois / s’engouffre / le ciel ». Véronique Gentil écrit à Öle, artiste, poète, on ne sait, pour lui dire que l’œuvre d’art est à l’égal de la créature vivante, que par l’art on insuffle la vie aux choses : « Ne crois pas qu’il y ait davantage à vivre hors de l’art ou qu’il faille se préoccuper de l’invisible. / Pourquoi irais-tu ici ou là lorsque le plus loin possible est à ta porte pour peu que tu sois poétiquement disposé ? ». Traversant les saisons, Didier Ayres voyage à travers la nuit et le rêve : « Est-ce la nuit / Est-ce le sommeil bu largement/ Quand passe une embarcation sur le lac / Là où le soleil amoureux / Brûle les eaux ? // J’ai surpris par la fenêtre / cette écume ». Jean-Pierre Gandebeuf nous livre des poèmes légers, alliant l’insolite, l’humour et le merveilleux : « Ce que nous fûmes jadis // je ne m’en souviens plus // peut-être / deux intermittents du sommeil / métamorphosés en Patous // voire deux belettes // j’aimerais tant vivre en kimono / avec un ours apothicaire // qui me montrerait l’herbier du bonheur ». Venu aux lointaines vallées du Zhejiang, Gaultier Roux se tient à l’écoute de la musique et du silence du monde : « Une obscurité telle qu’elle n’aurait pas de nom – il n’y a pas de langue alors / La montagne et les pins et le ruisseau en allés avec la nuit / C’est une vallée sans pente, sans profondeur et sans bêtes / L’opacité jusqu’au creux du silence – comme un chaudron qui ne rendrait aucune son ». Jean-Marc Feldman, quittant un lieu déserté après la noce, prend la route à travers sables et gouffres : « Ici se faufile la route / qui dans l’étroitesse / t’engage », cherchant chemin vers un lieu d’où voir plus loin : « Sous tous les versants / pétales déclinés / serais-tu à l’extrême rendu / l’ouest de l’ouest / L’endroit où plus hardiment / le roc tient tête / prolongeant la lueur / tendu vers le couchant ». Jean-Pierre Chevais nous livre en phrases courtes, souvent teintées d’humour, des images pleines de finesse et de poésie légère : « là j’en suis sûr, vous avez traversé devant moi sans toucher terre », ou « cette nuée de mouettes m’invite à la rejoindre, j’hésite, je fais le difficile puis je m’élance ».
Le numéro se termine par cinq poèmes de Charles Bukowski traduits par Christian Garcin, poèmes qui disent le prix de la poésie, les retrouvailles avec le père mort, la banalité du mal, le sentiment d’être étranger au monde, irréductiblement, comme en ce nouvel an 1973-1974 à Los Angeles par une nuit d’orage :
le réveillon du Nouvel An me terrifie
toujours
la vie ne connaît pas les années.
maintenant les klaxons ont cessé et
les pétards et le tonnerre…
tout sera fini dans cinq minutes…
tout ce que j’entends c’est la pluie
sur les feuilles de palmier,
et je pense,
je ne comprendrai jamais les hommes,
mais je me suis fait
une raison.
(E.C.)
Frontières
– Petit atlas poétique. Éditions Bruno Doucey,
février 2023 (272 p., 20 €)
Anthologie établie par Bruno Doucey et Thierry Renard. Préface de Bruno Doucey. Avant-propos de Sophie Nauleau
Le mot de l’éditeur : Prononcez le mot Frontières et vous aurez aussitôt deux types de représentations à l’esprit. La première renvoie à l’image des postes de douane, des bornes, des murs, des barbelés, des lignes de séparation entre États que l’on traverse parfois au risque de sa vie. L’autre nous entraîne dans la géographie symbolique de l’existence humaine : frontières entre les vivants et les morts, entre réel et imaginaire, entre soi et l’autre, sans oublier ces seuils que l’on franchit jusqu’à son dernier souffle. La poésie n’est pas étrangère à tout cela. Qu’elle naisse des conflits frontaliers, en Ukraine ou ailleurs, ou explore les confins de l’âme humaine, elle sait tenir ensemble ce qui divise. Géopolitique et géopoétique se mêlent dans cette anthologie où cent douze poètes, hommes et femmes en équilibre sur la ligne de partage des nombres, franchissent les frontières leurs papiers à la main.
112 poètes
parmi lesquels : Chawki Abdelamir, Olivier
Adam, Maram al-Masri,
Katerina Apostolopoulou, Margaret Atwood, Nawel Ben Kraïem, Tanella Boni, Katia Bouchoueva, Giorgio Caproni,
Marianne Catzaras, Roja Chamankar, Mah Chong-gi, Laetitia Cuvelier, Louis-Philippe Dalembert, Najwan Darwish, Flora Aurima Devatine, Estelle Dumortier,
Mireille Fargier-Caruso, Sabine Huynh, Imasango, Charles Juliet, Sofía Karámpali Farhat, Aurélia Lassaque,
Bernard Lavilliers, Perrine Le Querrec, Laura Lutard, Yvon Le Men, Jidi Majia, Anna Malihon, Hala
Mohammad, James Noël, Marc Alexandre Oho Bambe, Marie Pavlenko, Paola Pigani, Florentine Rey, Yannis Ritsos,
Sapho, Jean-Pierre Siméon, Pierre Soletti, Fabienne Swiatly, Murielle Szac, Laura Tirandaz, André Velter, Anne Waldman,
Eom Won-tae, Lubov Yakymtchouk, Ella Yevtouchenko...
Ces mots traversent les frontières. 111 poètes d’aujourd’hui. Éditions Le Castor astral, janvier 2023 (480 p., 18 €)
Cette
anthologie réunie et présentée par Jean-Yves Reuzeau,
avec un avant-propos de Sophie Nauleau, est publiée à
l’occasion du 25e
Printemps des Poètes (11-27 mars 2023), dont le thème est :
Frontières.
111 poètes contemporains proposent des textes pour la plupart
inédits. La plus jeune a 20 ans à peine, le plus âgé était centenaire. Tous
partagent notre quotidien autour de la thématique corrosive des frontières.
Leurs écrits sont d’une diversité et d’une richesse stimulantes. Ils offrent un
large panorama de la poésie de notre époque.
Les auteurs : Dominique Ané / Anna Ayanoglou / Adeline Baldacchino / Olivier Barbarant /
Linda Maria Baros / Bartabas
/ Franz Bartelt / Rim Battal
/ Tahar Ben Jelloun / Claudine Bertrand / Zéno Bianu / Carole Bijou / Camille Bloomfield & Maïss Alrim Karfoul
/ Alexandre Bonnet-Terrile / Alain Borer / Nicole
Brossard / Loréna Bur / Tom
Buron / Laure Cambau / William Cliff / François De
Cornière / Cécile Coulon / Charlélie Couture / Benoît
D’afrique / Jean D’amérique
/ Seyhmus Dagtekin / Jacques Darras / Ludovic Degroote / Michel Deguy / Pauline
Delabroy-Allard / Patrice Delbourg
/ Denise Desautels / Cyril Dion / Kim Doré / Ariane
Dreyfus / Alain Duault / Joanna Dunis / Marie Étienne
/ Étienne Faure / Christian Garcin / Albane Gellé / Jean-Louis Giovannoni / Guy Goffette /
Michelle Grangaud / Pierre Guénard
/ Eugénie Hersant-Prévert / Simon Johannin / Maud Joiret / Charles Juliet / Kent / Vénus Khoury-Ghata / Anise Koltz / Abdellatif Laâbi / Mélanie Leblanc / Yves Leclair / Yvon Le Men /
Hervé Le Tellier / Sandra Lillo / Sophie Loizeau /
Lisette Lombé / Bruno Mabille
/ Victor Malzac / Guillaume Marie / Jean-Michel Maulpoix / Anna Milani / Marie Modiano / Antoine Mouton /
Anne Mulpas / Carole Naggar
/ Arthur Navellou / James Noël / René De Obaldia /
Georges Oucif / Martin Page / Jean-Luc Parant / Serge
Pey / Jean Portante / Nathanaëlle Quoirez / Aldo
Qureshi / Suzanne Rault-Balet / Hortense Raynal /
Jacques Rebotier / Florentine Rey / Elke De Rijcke / Blandine Rinkel / Jean
Rouaud / Jacques Roubaud / Valérie Rouzeau / James
Sacré / Anna De Sandre / Éric Sarner / Eugène Savitzkaya / Jean-Pierre Siméon / Pierre Soletti / Jean-Luc Steinmetz / Maud Thiria
/Mila Tisserant / Gérard Titus-Carmel / Milène Tournier / Émilie Turmel / Laura
Vazquez / André Velter / Jean-Pierre Verheggen /
Laurence Vielle / Ludovic Villard / Thomas Vinau /
Pierre Vinclair / Stéphanie Vovor
/ Marie-Hélène Voyer / Antoine Wauters
Daniel Brochard, Dernière minute. Éditions du Petit Pavé, janvier 2023 (50 p., 10 €)
« La côte vendéenne, le ciel, la mer… Lieux de cette
Dernière minute. "La contemplation est l’art du pauvre". Magnifique
formule ! qui suggère une proximité fraternelle avec ce mendiant céleste que
fut Germain Nouveau… Mais, trop belle formule ? minée par l’ironie amère ? Car
les lieux de l’enfance, de la jeunesse, enfuis, les lieux immobiles de la vie
présente, sont désormais les lieux de la souffrance.
Le salut serait-il dans un Ailleurs mythique, New York…
évoqué, invoqué ? Mais cet horizon rêvé ne cesse de s’éloigner et de se refuser
– provisoirement ? définitivement ? nécessairement ?… inaccessible.
C’est bien dans l’ici et maintenant qu’il faut vivre… Or,
"Ce n’est pas supportable d’être derrière mes yeux". Ils
dilacèrent les illusions. Mais seule la vérité sauve ! "Je vais vous
dire ce que je vois moi […] Si ma conscience monstrueuse me le permet".
Elle le permet, montre l’envers du décor, accuse nos lâchetés, éclate en
images : "Une maladie a empêché l’éclosion de l’œuf / Sur l’axe
solaire / Il y aura des regrets de papier mâché".
La poésie de Daniel Brochard a la force scandaleuse de l’inconfort lucide, de cet écartement de la vie qui recueille les prodiges. » (J.[ean H.[ourlier])
Ce tout dernier recueil, sorti le lendemain même du jour où l’auteur avait décidé de dire adieu à sa vie – lui, qui déclare pourtant : « je n’aime pas les adieux » – éclaire son œuvre d’une lumière nouvelle : « Quelle destination prendre quand / Tout devient glauque / Il me faudrait un ticket / J’ai survécu aux ténèbres / Et une main m’a secouru / À la toute dernière minute ».
Lire, dans ce même numéro, l’ Hommage à
Daniel Brochard par Éric Chasséfièré (à la
rubrique Gueule de mots), les notes de lecture du même auteur sur Dès l’aube de Daniel
Brochard et Parmi les ténèbres de
Daniel Brochard, et la présentation de L’amitié de Daniel Brochard,
avec des textes extraits du recueil (dans Francosemailles).
Colette Klein, JE est un monstre (nouvelles). Éditions de l'Œil du sphinx, janvier 2023 (226 p., 12 €)
Ce qui fait la force des nouvelles de Colette Klein ce n’est pas tant la noirceur de leurs thèmes où la mort est omniprésente que, par contraste, l’aspiration à une lumière si blanche qu’elle fait basculer d’un monde à un autre. Les nombreuses échappées dans l’imaginaire favorisent les débordements insolites où le temps, qui cesse d’être linéaire, emporte le lecteur vers la découverte de sentiments inconnus.
Pour faire plus ample connaissance avec Colette Klein –
peintre, poète, écrivaine, revuiste, comédienne – consulter son site. Voir, dans
notre précédent numéro, la note de lecture d’Éric Chassefière
à son dernier recueil de poèmes, C’est la terre qui marche sous mes pas. Sa présence à
Francopolis : à la rubrique Créaphonie de mai
2016 (poèmes et peintures) et de
novembre-décembre 2019 (« … à l’extrême
veille du bonheur… »).
Alain Hoareau, Le son des jours. Éditions L’Harmattan, janvier 2023 (78 p., 12 €)
Le son des jours, comme de sa voix intérieure à celle des autres il vibre et se fait entendre, leçon des jours lorsque de l'écoute commence le verbe apprendre. Il ne pouvait y avoir dans ce recueil de forme unique : nous traversons mille paysages, croisons mille visages et rayonnons nous-mêmes de tant de vibrations différentes. De la plus grave à la plus légère elles procèdent toutes cependant d'une même quête et leurs différences constituent un balancier d'équilibre au parcours d'une vie qui se tient sans arrêt sur un fil. Les liens s'établissent dans le temps, entre soi et les autres, entre ce qui fut et ce qui est, comme ils se tissent entre poésie et musique, entre le verbe et le chant.
Constantin Kaiteris, Nanos Valaoritis. Au fin fond de l'écriture (1921-2019). Éditions L’Harmattan (Collection : Levée d'ancre), janvier 2023 (128 p., 14,50 €)
« Fruit d'une production ininterrompue de plus de 70 ans d'écriture, l'œuvre abondante de Nanos Valaoritis comprend des livres de poèmes, des nouvelles, des romans, des pièces de théâtre, des essais, des études littéraires. Auteur polymorphe transcendant tous les genres et toutes les écritures, celui que Jacques Lacarrière a appelé un troubladour a toujours mêlé insolite et insolence, humour et vertige, culture et déconstruction de la culture. Toujours en devenir, son œuvre s'établit à la croisée du surréalisme, du modernisme, de l'écriture logocentrée, du postmodernisme et de l'intertextualité tout en se jouant avec humour des conventions des genres littéraires. » (Constantin Kaïtéris)
Philippe Leuckx & Christophe
Pineau-Thierry, Ces
mots ajustés au cœur. Éditions du Cygne, janvier 2023 (58
p., 10 €)
Deux poètes ont associé leur écriture pour creuser une intimité. Leurs poèmes se répondent, infléchissent la voix, condensent une poétique. Avec cette correspondance, ils explorent leur amitié naissante, s’ajustent l’un à l’autre dans les mots exprimés, subliment la valeur de leur partage, se dévoilent avec pudeur leurs sentiments respectifs. Une plongée au cœur de l’amitié.
Philippe LEUCKX est né le
22 décembre 1955 à Havay (Hainaut belge). Professeur
d'histoire de l'art, de philosophie et de français, il adore voyager. Écrire
est devenu depuis 1994 une activité régulière. Il est l'auteur de sept
monographies consacrées à des poètes belges. Poète, critique, il a publié de
nombreux recueils. Écrivain-résident à l'Academia Belgica
de Rome (2003, 2005, 2007), il a obtenu le Prix Emma-Martin 2011 pour son livre
« Selon le fleuve et la lumière ».
Exerçant depuis plus de quinze ans dans les domaines du
handicap et de l’emploi, Christophe Pineau-Thierry
est aujourd’hui sophrologue, coach de vie, formateur et animateur de
conférences. Il est également peintre et photographe ; il expose depuis vingt
ans. Il réside aujourd’hui dans le Vaucluse. Il a publié des poèmes dans les
revues Lichen, Poésie/première, Recours
au poème et ARPA ainsi que le recueil Le regard du jour aux Éditions
du Cygne. Nos matins intérieurs est son deuxième recueil.
Parme Ceriset, Boire la lumière à la source. Éditions du Cygne, janvier 2023 (54 p., 10 €)
« Boire la lumière à la source, s’en emplir nos mains blessées, laisser l’eau de vie se répandre et chasser l’obscurité de nos entrailles souffrantes ». Les mots de Parme Ceriset, qui s’écoulent en « écharpes d’eau vive », respirent l’air précieux de l’instant et célèbrent la vie, où chaque pas est « victoire sur l’éphémère ». Sa poésie invite à savourer pleinement le miracle de l’aube, comme au seuil d’une naissance, et à devenir « ces nouveaux Icares » rescapés de l’apocalypse qui n’ont « plus besoin d’ailes pour nager dans le soleil ». (extrait de la préface de Francis Gonnet)
Parme Ceriset
vit entre Lyon
et le Vercors. Médecin de formation, elle a été sauvée en 2008 par une greffe
des poumons après quatre ans sous oxygène. Elle est l’auteure de plusieurs
ouvrages dont « Femme d’eau et d’étoiles » (éditions Bleu d’encre, prix
Marceline Desbordes-Valmore 2021), et « Le Serment de l’espoir » (éditions L’Harmattan). Elle a publié des textes dans de nombreuses
revues et anthologies.
Mila Tisserant, Contre-fugue. Éditions du Cygne, décembre 2022 (50 p., 10 €)
« Le Poète n’est pas missionnaire. Il est l’assassin,
il est le cadavre ». Longue prose poétique narrative, Contre-fugue transfigure les désirs avortés et les songes atrophiés d’un
corps étranger en sa propre chair. De cette terre orpheline naît une poésie
puissante, tentative de dépassement de soi et des prophéties passées. Cette contre-fugue est une quête d’ailleurs au-dedans, une échappée à
contre-courant, remontant les rails encore brûlants des Poètes passés.
Mila Tisserant est née en 2003 à Strasbourg. Pour elle, écrire est une nécessité qui l’habite depuis son plus jeune âge. Comédienne, elle a joué au Théâtre de la Bastille à Paris, au Festival Off d’Avignon ou encore à Bruxelles. Le corps et le langage occupent une place majeure dans ses textes. La jeune autrice croit en un dépassement du corps physique par les mots. Elle travaille actuellement à l’écriture d’une pièce de théâtre et suit une formation de comédienne dans une classe préparatoire de théâtre. Elle dit écrire avec les points de rupture et les nœuds de force de son corps, et poursuit ce maillage à travers les courts-métrages qu’elle écrit et réalise, à travers ses peintures et ses photos. Ses tout premiers textes ont été publiés à l’âge de 17 ans par Le Castor Astral, dans l’Anthologie du Printemps des Poètes 2021 « Le Désir en nous comme un défi au monde ». Contre-fugue est son premier recueil.
Étienne Orsini, Homme de peu de poids. Haïkus. Éditions
Via
Dormitia, décembre 2022 (116 p., 15 €)
Qu’on
se le dise : la mort ne peut être ignorée, dépassée, boudée. Elle demande de
notre part une attention de chaque instant. On peut la déplorer, lui en
vouloir, s’étonner devant son mystère, la célébrer ou même la moquer pourvu que
ce soit avec magnificence. La mort a besoin de notre générosité. C’est en
cascade qu’il faut la pleurer ; et si l’on doit s’en esclaffer pour mieux la
braver qu’au moins ce soit à gorge déployée.
Anila Kananasi Karapidou, Adieu. Préface de Nicole Barrière. Éditions L’Harmattan, collection Accent tonique - Poésie, décembre 2022 (52 p., 9 €)
Le recueil de poèmes d’Anila Kananasi Karapidou et son
« Adieu » exprime la nostalgie de la séparation, mais interroge
également sur l’intimité de l’exil et la complexité de cette expérience
individuelle et collective. La poésie par sa forme courte interroge la langue.
L’enjeu n’est pas de dire la vérité mais de choisir de transcrire avec
sensibilité une voie nouvelle, permettant de vivre et d’aimer.
Anila Kananasi Karapidou
est née à Tirana en Albanie et vit maintenant à Thessalonique en Grèce. Trois œuvres publiées : Quand le cœur du poète se fait mal, 2008. Un baiser au coin de la lèvre, 2020. Le mur du temps, 2022. Incluse dans plusieurs
anthologies, dans son pays et à l’étranger. Traduite à Paris dans l’anthologie Nus
vers l’indépendance avec 35 créateurs albanais du Kosovo, d’Albanie et de
la diaspora albanaise. Ambassadrice de la paix pour les droits de l’homme pour
Thessalonique dans 200 pays du monde et pour les créateurs de littérature.
Créatrice du coin littéraire en langue albanaise de la Bibliothèque centrale de Thessalonique.
Au diapason du poème. Lire la poésie de Giovanni Dotoli. Sous la direction de Maria Leo, Mario Selvaggio, Filomena Villani. Éditions L’Harmattan (collection L’Orizzonte) & AGA, décembre 2022 (152 p., 20 €)
« À lire Giovanni Dotoli, le lecteur est frappé par la
douceur de son écriture : une écriture qui épouse sa pensée : si sereine, si
paisible, résolument montaigniste. Giovanni Dotoli
est un artisan des mots, qu'il sait manier et malléer, pour dire le monde : le
monde tel qu'il le voit, mais surtout tel qu'il voudrait qu'il soit.
L'optimisme imprègne son oeuvre, il la guide et la
stimule sans arrêt : « Passera le temps-mélancolie / L'été illuminera l'hiver
». Comme tout bon humaniste qui se respecte, Giovanni Dotoli croit toujours à
l'avènement du meilleur et à toutes les possibilités que renferme l'avenir, en
somme la vie : « Je proclame l'éloge de l'optimisme /Contre cynisme et
renoncement / Notre énergie vitale vit de soleil / Notre relation à l'autre est
lumière » Olfa Abrougui - Université de Tunis 1
La vie est un
poème. Mélanges offerts au professeur Ridha Bourkhis.
Sous la direction de Giovanni Dotoli et Georges de Rivas. Éditions L’Harmatttan, décembre 2022 (390 p., 39 €)
Ces « Mélanges » sont écrits par des enseignants universitaires,
poètes, essayistes et artistes plasticiens et offerts au Professeur, chercheur,
écrivain et critique littéraire Ridha Bourkhis en
signe d'amitié, de considération et de complicité. Placé sous le signe de la
poésie, ce volume contient les témoignages et analyses de contributeurs de
France, de Tunisie, d'Italie, d'Algérie, d'Espagne, de Belgique, du Maroc, du
Royaume-Uni, de Roumanie, d'Iran et des U.S.A qui traitent, en analystes ou en
poètes, du texte poétique, en vers ou en prose. Ces « Mélanges » donnent aussi
la parole à différents poètes d'horizons divers pour qu'ils rendent compte de
leurs rapports spécifiques avec le poème qui fusionne avec leur vie, qui dit
leur vie ou qui est leur vie même.
Pour la liberté d'expression. Livre du centenaire du Pen club français, de Antoine SPIRE, Sylvestre CLANCIER et Laurence PATON. Éditions Le Bord de l’eau, Décembre 2022 (245 p., 18 €)
La première présentation du livre a eu lieu le 10 janvier
2023 lors de la soirée de remise des prix du Pen Club (Grand prix de la
critique et les Prix de la traduction), à la Société des Gens de Lettres (38
rue du Faubourg Saint-Jacques – 75005 Paris).
Commander auprès du Pen
Club, ou en librairies (les livres des
éditions du Bord de l’eau sont diffusés par Les Belles
Lettres).
(D.S.)
Revue Nouveaux délits, n° 74, janvier 2023
Cette revue artisanale, parue sous les auspices de
l’association éponyme, conçue, éditée et confectionnée à la main par Cathy
Garcia Canalès – « à l'époque du tout virtuel,
décalage revendiqué ! » déclare-t-elle – confirme ses
qualités : une grande densité de textes poétiques de haut vol, dans une
présentation soignée et empathique (preuve, les citations parsemées par
l’éditrice en écho aux textes publiés).
« Les mots n’y suffiront pas et pourtant les dire, les
écrire, les répéter, les réécrire, finiront bien par trouver l’œil clairvoyant
et l’oreille attentive. Le papier est toujours plus cher, et cela correspond
bien à l’idée que je me fais du papier, papier cadeau pour recevoir et
envelopper les mots, pour recevoir et développer toutes les histoires du monde,
celles passées, d’aujourd’hui et à venir, pour recevoir le savoir et permettre
au plus grand nombre d’y avoir accès… Le papier une matière exceptionnelle - je
n’aime pas le mot noble - et sans doute plus pérenne que le media
numérique… » (extrait de la présentation du précédent numéro paru en
octobre 2022, par Didier
Trumeau).
Pour ce qui est du « message », le mot de
l’éditrice en tête de ce dernier numéro paru en janvier 2023 est
révélateur : « Tout s’écroule mais ne perdons pas de temps à nous
lamenter sur les pertes, aiguisons notre attention à percevoir nous ce qui en
nous gagne en légèreté, ne nous laissons pas abattre mais sentons ce poids de
plume dans nos poches : plus on le partage et plus il est doux et et léger
et réconfortant. »
Les auteurs de ce numéro : Vincent Gispert,
Alexandra Norelli, Joséphine Maaci,
Raphaëlle Gandini Miletto,
Virginie Seba, Pierre Maubé, Ara Alexandre
Shishmanian. À cette riche moisson poétique s’ajoute une note de lecture au
recueil Fée d’hiver d’André Boucher, par Cathy Garcia Canalès, et un
poème d’elle – « inédit tiré d’une écriture en cours » – dont
il convient de citer au moins la fin : « demain s’ouvre un chemin
/ vers le sanctuaire des monts bleus / elle entame l’ascension / épaules
courbées / sous la poussière d’automne / miel émeraude / ombre et lumière / le
cœur se gorge / de quiétude / froisser la douleur / y mettre le feu ».
Pour la diffusion, voir sur le Net : le site de l’Association Nouveaux délits (prix
unitaire et abonnement). Voir aussi : le site arpo-poesie ; le site lacavelittéraire.
(D.S.)
Revue NORIA,
n° 5, janvier 2023 (495 p., 40 €)
Créée et animée par Giovanni Dotoli, éditée chez L’Harmattan (collection : L’Orizzonte),
ce véritable annuaire de la poésie et de la littérature est un « mare
nostrum » européen qui impressionne par l’ampleur et la profondeur de la
vision. Tout un programme :
« La noria est un symbole de la Méditerranée et des pays
où l'eau est un mirage d'or. Elle unit la science et la poésie, la terre et le
ciel, la profondeur et la hauteur. C'est un mot d'origine arabe et puis
espagnole, pour indiquer le génie de l'homme – dans les dialectes du Sud de
l'Italie on l'appelle l'engin, du latin ingenium – et
la force de ses rêves, pour gouverner le monde et pour suivre la route de
l'imagination. Noria c'est construire, avoir confiance en l'homme, suivre les
chemins multiples qui sont devant nous, entre l'horizon et les lignes à perte
de vue. Et surtout être unitaires, ne pas séparer poésie et science, et donc
sciences humaines et sciences soi-disant exactes. Le microcosme de la noria
exprime un ordre cosmique, une harmonie de la pensée et de l'âme. Le grincement
ancestral de sa roue est le rythme de la musique de l'être. L'être le plus près
de l'engin puisant de l'eau vierge des couches de la terre est l'artiste, de
toute sorte, c'est-à-dire l'artiste total, de la parole à la formule pure des
mathématiques. Artiste auteur et artiste de l'art visuel. Coup de génie de l'un
et signe écrit de l'autre. Intérieur et extérieur qui se fondent dans l'Un.
Cela implique l'unité de l'histoire, de la tradition et de
l'avant-garde, de l'intuition et de la raison. Tout est littérature et tout est
art. Le XXe et le XXIe siècles le prouvent dans tout acte de la création. Le
sujet y est le centre de l'art. Et sujet signifie homme-être. Et temps de
l'instant, c'est-à-dire temps éternel, sens de la beauté, route de l'harmonie,
et aussi sens de la justesse. L'oracle de Delphes ne dit-il pas que « le plus
juste est le plus beau » ? François Cheng a raison : « Nous sommes tous plus ou
moins artistes » (Œil ouvert et cœur battant. Comment envisager et dévisager de
la beauté, avant-propos d'Antoine Guggenheim, Paris, Desclée de Brouwer -
Collège des Bernardins, 2011, p. 53).
C'est le chemin de Noria. L'art synthétique du monde. La
synthèse des choses. Art et nature inséparables. Poussée novatrice entre
tradition et avant-garde, en dialogue perpétuel avec l'homme. Nous suivrons la
route de l'art total, pour le nouvel édifice de l'avenir que nous espérons
contribuer à édifier. Est-ce de l'utopie ? Nous ne le pensons pas. La
littérature et les arts sont une usine en feu, inépuisable. Est-ce le Grand
œuvre de Stéphane Mallarmé ? Peut-être. Nous voulons rester en la modestie de
la confiance totale dans la parole, dans la couleur, dans la matière, dans la
lumière ».
Remarquons, dans le dense sommaire multilingue et
pluriculturel de ce numéro 2023, qui embrasse tous les arts, quelques
contributions révélatrices de l’esprit qui anime la revue.
D’abord, des essais sur la poésie et la littérature en
général, ou sur des auteurs modernes ou contemporains. Citons-en quelques-uns
: sur Giovanni Dotoli et sa vision sur Liberté et et droits de l’homme,
livre paru en 2022 (lecture-essai par Éric Turcat),
sur Léo Ferré (par Thierry Jouet), sur Giorgio Caproni
(par Roberto Pasanisi), sur Hédi
Bouraoui (par... lui-même, via un entretien avec Olfa
Abrougui) enfin, sur la poésie et sa vocation (par
Yannis Livadas, dont nous citons : « il ne
s’agit pas du poète d’arriver à approcher la société, mais au contraire, de la
société d’arriver à approcher le poète »)
Ensuite quelques riches dossiers sur l’art, dont en tout
premier lieu, introduit par Giovanni Dotoli, Michaël de Saint-Chéron, et
Isabelle Saint-Martin, un groupage de communications sur André Malraux et son
projet du Musée imaginaire (par Raphaël Aubert, Anne Le Diberder,
et François de Saint-Chéron). Parmi les artistes à l’honneur dans ce volume,
avec des reproductions d’excellente qualité, citons : Franco Cossutta, Franceline Debellefontaine, Agnès Giuco (présentés par Michel Bénard), Françoise Trémolières (présentée par Robert Horville),
Michel Bénard (collages).
Une belle moisson de poèmes, pour découvrir (ou redécouvrir)
des auteurs remarquables : Jacques Brault (1933-1922, présenté par Mario
Selvaggio), Mario Selvaggio, Guido Oldani,
Jean-Charles Dorge, Florent Gabriel, Alain Clastres,
Valentino N. Misino, Raphaël Misère-Kouka, Lea Nagy, Michel Arouimi, Michel Bénard (deux groupage
dont un en biligue français/italien, accompagnant les
peintures d’Agnès Giuco).
Dans la partie actualité éditoriale, nous signalons les
lectures critiques aux auteurs suivants : Lea
Nagy (par Giovanni Dotoli), Denis Emorine (par Giovanni Dotoli – Isabelle
Poncet-Rimaud), Gérard Pfister (par Giovanni Dotoli),
Alice Machado (par Giovanni Dotoli – Mario Selvaggio), Claude Luezior (par
Michel Bénard), Ara Alexandre Shishmanian (par Michel Bénard), Sonia Elvireanu (par Denis Emorine – Isabelle Poncet-Rimaud), Giovanni Dotoli (par France Lafargue).
(D.S.)
Revue Poésie première,
n° 84, janvier 2023.
Un numéro, comme à l’accoutumé, de grande densité critique,
par les dossiers contenus, et poétique, par les textes. Dédié à un
« thème » majeur, pour ne pas dire à l’une des idées archétypales
constitutives de la poésie – le voyage – le numéro s’ouvre par un édito
suggestif de Martine Morillon-Carreau, suivi des essais substantiels de Gérard
Mottet (Voyage en poésie), Pascal Mora (Voyage au cœur des
voyages), Mireille
Privat et Guillaume de Pracomtal (sur Victor
Segalen), Murielle
Compère-Demarcy (sur Blaise Cendrars), Dominique
Zinenberg (sur Henri Michaux). Les Carnets de Voyages (2) d’Alain
Duault, cette fois, en immersion lusitaine, dans Lisbonne d’Amalia Rodrigues et
de Fernando Pessoa, complètent le paysage.
Dans la série « portraits », on découvre
l’écrivain américain européanisé Andrew Singer, créateur de la revue Trafika Europe, à travers un entretien mené par
Martine Morillon-Carreau, et on redécouvre Paul Farellier,
dans un dossier-synthèse par Claire Boitel, et Alain Freixe, par l’entretien de Martine Morillon-Carreau, avec
aussi des poèmes inédits.
Dans l’éventail des poètes publiés dans ce numéro on
trouve : Emilia Petrakis, Claire Raphaël,
Danièle
Corre, Arnaud Vendès, Anne-Marielle Wilwerth, Pierre Bayle, Amine Mouaffak,
Sacha Zamka, Stève Wilifrid
Mounguengui, Elvire Ybos, Marie-Anne
Bruch, Charles Senard, Martine Rouhart,
Anne Bihoreau, Marc de Dommartin, Sonia Zin El Abidine, Stéphanie Vermot, Adèle Tellez, Chem Assayag, Philippe Minot, Louis Ruiz, Noëlle Mignot.
Parmi la trentaine des notes de lectures, nous signalons
celles consacrées aux recueils récents de Michel Diaz (par Bernard Fournier),
Éric Chassefière (par Claire Garnier-Tardieu), Dana
Shishmanian et Francis Gonnet (par Martine
Morillon-Carreau), Martine Rouhart et Marie-Josée Christien (par Gérard Mottet), Jean-Marc et Catherine Sourdillon, et François Minod (par Dominique Zinenberg).
(D.S.)
Revue Rose des temps,
n°44, septembre-décembre 2022
Le présent numéro de la revue conduite par Patrick Picornot et Aumane Placide, et publiée par l’association Parole & Poésie, est introduit, comme tous les autres, par un court poème utilisant le mot « rose », ici de Robert Desnos : « Si comme aux vents désignés par la rose / Il est un sens à l’espace et au temps », semblant conférer à l’espace-temps valeur de souffle, et liberté de s’y mouvoir en différentes directions. Le numéro 44 a pour thème « De la musique avant toute chose », un vers de Paul Verlaine emprunté à son recueil Jadis et naguère. Dans son éditorial, Patrick Picornot décline le thème choisi en rapprochant danse, musique et poésie selon deux points d’attache, qui sont le mouvement et la respiration. Ces trois arts ont en effet en commun de s’inscrire dans l’écoulement du temps, la poésie se caractérisant « par l’expression du corps et du cœur, de la marche et du rythme », dans une musique des mots qui n’aspire qu’à se renouveler. Il cite Jean-Pierre Siméon, pour qui la poésie serait « l’acte souverain, insolent, joyeux, désirant et libre d’extraire la langue commune de sa gangue, de lui restituer l’énergie vitale et le souffle perdu, oui : de la rendre à la vie ».
La rubrique Jadis et naguère présente un poème de Boby Lapointe, poète et auteur de chanson truffées de calembours et de jeux de mots ami de Brassens qui occupa longtemps les planches du cabaret Le cheval d’or dans le quartier Mouffetard, et un poème de l’auteur martiniquais Eugène Mona, flûtiste et poète qui composa des chansons en créole et en français, auquel Aumane Placide consacre sa rubrique Sources vives. Issu d’un milieu modeste, placé très tôt comme garçon de ferme, Mona s’est fait le messager d’une conscience collective marquée par la mémoire du colonialisme et de l’esclavage, chantant, pieds nus sur scène, un rapport spirituel à la Nature et l’impérieuse nécessité de préserver l’ancrage dans la terre maternelle, contre les méfaits du capitalisme sauvage. Patrick Picornot nous livre ensuite dans la rubrique Nombre et rythme un historique savant du décasyllabe et de l’octosyllabe, en terminant sur le fait que l’octosyllabe, qui du fait de sa longueur modérée peut être dit sans marquer de pause, est le vers le plus proche de la prose.
Suit le Cahier de création, qui présente une quarantaine de poèmes d’autant d’auteurs différents sur le thème de la musique. Citons, pêle-mêle, Éliane Bierdermann : « Sous les vitraux bleus / éclats de cierges allumés / chant de la flûte », Alain Clastres : « Pays du vent / Alizé, souffle, souffle / siffle siffle / court sans fin », Béatrice Albertat : « Pose la main sur / le rocher / écoute / les voix / antérieures », Thierry Sajat : « Le ciel comme un volcan / Crache une lave d’eau, le silence est en crue / Au-dessus de la Mer, des nuages craquant / D’où s’échappe le feu noir des pluies incongrues // Qui grondent sous la grêle, au creux de quelque crique. / Les sanglots de la nuit sur des lames en trombe / Giflent le froid. Décembre éructe sous la trique / Affûtée de la pluie… On l’entend qui siffle d’outre-tombe // D’outre-temps… », Serge Carbonnel : « Là-bas dans la lumière agonisante du ponant au crépuscule / des villes s’ouvrirent comme des oranges / et dans des nébuleuses sociétales / des hommes accrochés aux frêles équilibres de l’harmonie / transmettaient leur musique pour nous dire leurs rêves / et / Un silence habillé de mille résonances / répondit à sa jumelle / la musique silencieuse », Patrick Picornot : « silence le volcan tressaille éructe / je suis corps pensante énergie vitale / je danse et cogne et chante et crie tout à la fois / j’étais / je suis Thelonious Monk ».
Suivent des rubriques consacrées au compositeur britannique du XVIIIe siècle Thomas Arne, à l’érudit et écrivain du début du XVIIe siècle Francesco de Quevedo, dont est reproduit en espagnol, et dans sa traduction française par Michel Horps, un sonnet qui commence ainsi : « C’est une glace qui embrase, un feu glacé, / une blessure qui fait mal et qu’on ne sent / c’est un bien dont on rêve, un mal qui est présent / un moment de repos dont on sort harassé ; », et se termine ainsi : « Tel est l’enfant Amour et tel est son abîme. / Voyez comme il s’approche du rien lorsqu’on aime, étant de toutes sortes contraire à soi-même ! », disant beauté et cruauté de l’amour, à la revue belge Pégase de l’Association Nivelloise des écrivains (ANDE), pilotée depuis 2016 par Ghislaine Renard, à la relation entre Paul Verlaine et Gabriel Fauré, à quelques très jeunes poètes primés du Concours 2021-2022 pour la jeunesse organisé par la Société des Poètes Français (SPF). Puis vient le Carnet de notes, avec des notes de lecture sur une quinzaine de recueils récemment parus par Christine Darnis-Gravelle, Gérard Paris, Nicolas Saeys, Laurent Desvoux-D’Yrek, Aumane Placide, Patrick Picornot, Xavier Buffet et Julien Kraimps, puis des recensions de quelques numéros récents de revues (L’Agora, Libelle, Le Pot à Mots, Verso) suivies pour finir de comptes rendus de promenades organisées par l’association Parole & Poésie.
(É. C.)
Mensuel de poésie LIBELLE, n°348,
décembre 2022
La revue mensuelle Libelle, ce « bloc-notes en six pages » tenu par Michel Prades, poursuit avec assiduité depuis 1991 son cheminement tranquille au fil des mois et des années, avec sa page de chroniques de livres récemment parus, et ses constellations de courts poèmes disant le bonheur de saisir l’instant, ou l’éclair du souvenir, avec quelques mots simples. Une bonne vingtaine de poètes participent à chaque numéro. Les poèmes s’enchainent en un poème de poèmes, ainsi : « Petits bruits la nuit / le chat noir surgit du fond / de la vieille armoire. (Marylène Lallemand) // Ils marchent dans les rues / moi dans les bois / on se dit tous qu’on est vivants. (Catherine Lamagat) // Les meubles s’envolent comme des oiseaux. (Joël Laloux) // Dans les averses coulent / Des douceurs étonnantes. / Dans les silences roulent / Des étreintes ardentes. (Cédric Landri) ». La brièveté des poèmes, l’effet kaléidoscopique de leurs libres enchainements, la simplicité des mots et de leurs associations, tout concourt à faire de la lecture de Libelle une promenade dans un paysage, tout intérieur, d’images et de sensations qui à la fois nous déracine et nous ramène à notre réalité profonde. Citons le beau poème en prose de Michelle Labbé, qui incarne bien le plaisir éprouvé à lire Libelle : « On aimait plier les mots les uns sur les autres et quand la mer secouait notre coque de noix, qu’avec les corps, cigarettes et allumettes avaient été douchés et qu’il était impossible d’en griller une en arrivant au port, on parlait d’un « coup de tabac », regrettant, sublimée d’iode marin, la saveur brûlante des bouffées entre les lèvres salées. J’avais quelque chose comme seize ans. Mon père était toujours adolescent. Les heures s’éternisaient. Je cherchais d’autres demeures. »
(É. C.)
Revue Comme
en poésie, n°92, décembre 2022
Ce numéro de la revue trimestrielle éditée depuis maintenant 22 ans par Jean-Pierre Lesieur dans sa « fabrique du poème » commence par un éditorial du revuiste intitulé Les rescapés de la poésie, thème du numéro, dans lequel il présente les poètes comme des naufragés en quête d’une terre d’asile dans un monde pour l’essentiel indifférent, voire hostile, en dehors de tout mouvement organisé capable de porter haut et fort la parole de la poésie. La faute aux éditeurs et aux libraires, qui ont sacrifié la poésie au bénéfice du profit, aux poètes qui ont laissé faire, aux conservateurs de bibliothèques qui ont négligé l’acquisition d’œuvres de poètes contemporains, au système éducatif qui minore l’enseignement de la poésie, à la faiblesse des subventions publiques dans ce domaine, nous explique Lesieur dans une série de J’accuse fort bien fondés. À ces J’accuse il oppose des J’excuse à l’endroit des rescapés errant contre vents et marées que sont les poètes-marins, « la diaspora du rêve » comme il les appelle, en quête d’une terre où exister.
Une cinquantaine de poètes ont participé à ce numéro, une dense forêt de textes à défricher au hasard des chemins qu’on vient s’y creuser, pour le plus grand bonheur du curieux en quête de découvertes inattendues. Celle par exemple de Éléa Hetzel, une lycéenne parisienne adepte de musique et d’écriture, qui dit aimer créer, et dont les poèmes témoignent d’une belle maturité littéraire et humaine. Qu’on en juge par ce poème : « Par les étendues brûlées / Loin des bouillons de vie insipides / Fuir / La caravane brinquebalante erre, dans un cycle sans fin / Dans sa charrette d’ombres / Fuir // Accablement des jours empilés – leur tour fugace s’effondre / Autre / Où aller ? / Quitter , la, les – il m’a… / Les rouages rouillés de son refrain s’égarent / Et me, se perdent, perdre dans les étendues brûlées / Loin des bouillons de vie insipides, partir ; dans les déserts d’une vie sans fond / Le cheminement émiette ses traces / La caravane roule, roule dans le bercement des terres / Les terres ocres / L’aridité des mots diffusés fond dans l’immensité : / Seul règne le rugissement du silence. » Découverte également de cette lettre de Daniel Brochard, lui aussi un rescapé de la poésie, qui a tenu la revue Mot à Maux, maintenant arrêtée, qui dit le risque de naufrage total de la poésie dans ce monde de capitalisme débridé et de violences de toutes natures, dans le lequel le poète, justement parce qu’il est porteur d’un message de liberté, est mis à l’écart. Il révèle la mise en place d’une anthologie de poésie accessible en ligne sur son site Dans les brumes, espérant grâce à l’utilisation de l’internet la diffusion d’une parole différente, loin du consumérisme et du divertissement décérébrant. Découvertes nombreuses, entre ce beau poème de Claude Albarède qui ouvre l’ensemble, disant la liberté d’aller « sans confins » dans un temps et sur une terre à gravir, réceptacles de nos rêves comme de nos traces, et ces Trois empreintes de Bruno Sourdin, dont la dernière, aux portes de la mort et de la solitude, dit l’espoir de la lumière : « L’aube pointe derrière les ténèbres / Effusion / Tout tremble // Dans le jardin / Le premier bourgeon de l’année émerveille / La paix retrouvée ». Sans oublier, à la fin du numéro, La Cité critique de Jean-Pierre Lesieur consacrée à commenter les parutions récentes de recueils ou de revues de poésie.
Il faut signaler, dans les pages centrales du numéro, la relation par Jean Chatard de l’existence mouvementée de la revue Le puits de l’ermite dans les décennies 1960 et 1970, à la fondation de laquelle a notamment contribué, à côté de Chatard qui en fut le premier rédacteur en chef, Jean-Pierre Lesieur, qui le remplaça après qu’il en ait démissionné suite à des dissensions sérieuses au sein de l’équipe entre les « universitaires », se considérant comme une élite, et les autres, le commun des poètes, traités comme « quantités négligeables ». Comme quoi le milieu de la poésie n’est pas épargné par l’établissement de hiérarchies de valeurs arbitraires et les comportements de castes ! L’aventure a néanmoins été fructueuse, associant de nombreux poètes de grande valeur tels que Guillevic, Jean Follain et bien d’autres. La revue finalement périclita en conséquence des dissensions, et dans la décennie 1980, Jean Chatard décida de monter une nouvelle revue qui s’appela Soleil des loups, dont Michel Héroult prit la direction.
(É. C.)
Revue de poésie ARPA, n°137-138, 4ème
trimestre 2022
La revue ARPA a été fondée en 1976. Dirigée d’abord par
Roger Siméon, puis Gérard Bocholier et Jean-Pierre
Siméon, elle est depuis 1991 conduite par Gérard Bocholier
seul. L’association est dirigée par Christian Moncelet.
ARPA se veut ouverte à une grande
diversité de styles « dans la mesure où leur lyrisme se développe dans les
profondeurs de l'être intérieur ». Elle paraît sur un rythme trimestriel,
les numéros de l’été et de l’automne étant regroupés en un numéro double. La
revue est de belle facture, dans un format de 14 x 23,5 cm, privilégiant donc
la dimension verticale permettant de dérouler de longs pans de poèmes, et
offre, par numéro simple, une centaine de pages de poésie. La plus grande
partie des volumes est consacrée aux poème et proses des auteurs retenus par la
revue, dans ce numéro double une bonne trentaine.
On est frappé par la qualité des poèmes présentés, et aussi par une certaine unité, qui est la marque de la revue, dans l’inspiration, la nature étant très présente, la lumière aussi, tout intérieure, dans laquelle baignent la plupart de ces textes denses et exigeants. Il est difficile de faire un choix, mais retenons quelques poèmes glanés au fil des pages. Daniel Martinez nous offre Trois études d’oiseaux finement ciselées aux multiples jeux de textures et de couleurs alliant le concret et le spirituel, ainsi de la buse pattue : « Surtout il lui faut, à l’oiseau de proie, dépayser l’indifférent, / glissant glacé, éclipsant pour se nourrir / le dernier soupir de la perdrix accaparée / emportée sans crier garde vers une crypte / ornée de hardes, le lichens bleus et jaunes », ou de la sterne Pierre-Garin : « le pastel matinal hausse sa silhouette / dans un univers intérieur où tout / déteindrait sur tout, et soi-même sur soi ». Daniel Birnbaum dit avec des mots simples la tendresse pour l’être aimé : « le matin / que nous faut-il / un baiser / un regard / une caresse / ou juste un silence / ce silence bavard entre nous / qui nous dit les choses importantes / tout va bien / nous pouvons encore quelque temps / écouter les bruits du monde à deux ». Tendresse encore, exprimée par Anabelle Gral : « Écoute l’écho de ma chaleur / Avance lentement // Prends le temps / d’une respiration / d’une tendresse d’enfance // Écoute / Les feuilles au jardin se froissent // C’est l’été / Bientôt il fera froid // Tu es tendre / prêt à entendre le bruit des matins / aux portes arrêtées ». François Graveline décline en courts poèmes son rapport au monde et à la mémoire : « Sur le sentier, sans personne à mes côtés, / hormis les sommets et les vallées / Je ferme les yeux. / L’invisible m’épouse. », ou encore : « Le feu qu’allumaient tes mains / était tes mains mêmes. / Un jamais éteint m’étreint ; / la flamme au doigt, j’écris ces mots. » Anne Barbusse, déjà dans ARPA n°133-134, que l’on a lue aussi récemment dans Les Hommes sans Épaules et Concerto pour marées et silence, nous livre deux poèmes scintillants disant l’appel de l’oiseau « dans le jour saoulé / de soleil vierge, premières phrases / sur le papier dans la lueur de lait entre / hésitation et ciel // - de quel côté le ciel », sa multiplication : « le jour se fait oiseaux », la fulgurance de l’image entrevue entre deux sommeils : « notre réel est troué d’images, notre conscience / s’ajoute aux pierres, tout est perdu – on se rendort // à vif, les yeux des arbres augmentent la préscience / de la lueur enceinte de brume, tranchée d’oiseaux ». Mathieu Gimenez chante dans des poèmes à la puissance peu commune l’appel de la mer : « Instant de splendeur où, / dans le cri d’un oiseau, / je prends le quart. », le sentiment d’appartenance au monde : « Être au monde dans / le ressac, sa violence ; / la beauté des choses, / le faste des embruns. », le retour au pays natal et le renouveau de l’amour : « Bats le rappel de la tendresse, / frappe à la maison paternelle, demande pardon. / Alors cette gloire, ce présent et sa torpeur, / l’immense douceur des êtres et des choses, / seront votre part au festin de la joie. » Citons encore Bernadette Leconte, disant en strophes brèves le plaisir de goûter à l’instant : « par la fenêtre ouverte / la lumière t’arrive / tel un rire », ou encore : « vivre en oiseau / libre et léger / enlacer son chant / à celui du torrent. » et François Migeot, lui aussi chantant l’oiseau, et plus profondément la présence intériorisée de la nature : « À nuage / à tâtons / on avance goutte à goutte / pour épuiser l’ondée // Puis du visage / on remonte les cintres // Le ciel / a disparu // Il n’en reste que les larmes ».
Viennent ensuite quelques notes de lecture détaillées dues à Nathalie Fréour, Élisabeth Launay-Dolet, François Graveline et Thierry-Pierre Clément, et la chronique intitulée Mes préférences de Gérard Bocholier donnant des éclairages brefs sur les recueils récemment parus qu’il a préférés. Le numéro se clôt avec la rubrique Le fil du temps, qui, nous a expliqué Gérard Bocholier, « présente des textes plus légers, parfois dans l'actualité, des essais de formes un peu nouveaux, des textes de "débutants" ou des textes exhumés quelquefois (1 ou 2 pages seulement par auteur) ». Citons le beau texte de Janine Modlinger sur le film Théorème de Pasolini, qui se termine ainsi : « Le jeune homme apporte la grâce et cette grâce se donne dans l’étreinte charnelle. / Lorsqu’il part, il les laisse brisés, chacun dans son propre enfer. / Mais ils ont été Visités », et le poème intitulé FORME de Sacha Zamka, présent aussi dans Florilège n°189 : « plus que pulpes plus que pépins // le fruit a gardé dans son goût / souffle d’ève et souffle d’adam / ce que fut la suavité // les yeux aux cimes des feuillages / dans les vergers de la mémoire // on rêve à la première fois / que le ciel vit la forme humaine ».
(É. C.)
Revue Soleils et cendre, n°140, décembre 2022
La revue Soleils et Cendre a été créée en 1986 à Villefontaine dans l’Isère sur la base d’un projet collectif d’animateurs d’ateliers d’écriture issus du GFEN (Groupe Français d’Éducation Nouvelle). Le comité de rédaction s’est ensuite peu à peu dispersés géographiquement. « Il s’agit, pour nous qui animons des ateliers, qui écrivons seuls ou en ateliers, d’aller au bout du processus de création, c’est à dire de socialiser les textes produits. » En 1995 a été créée une maison d’édition associative, Les solicendristes. Plusieurs collections se sont ouvertes au fil des années autour de l’activité de l’atelier d’écriture, avec donc l’édition régulière des numéros de la revue et des collections. La démarche des solicendristes ne se résume pas en effet à la publication d’une revue. Reprenant la proclamation de Lautréamont : « La poésie doit être faite par tous. Non par un », ils placent au cœur de leur démarche l’écriture en atelier. Soleils et cendre est ainsi une aventure collective, avec un comité de rédaction constitué de Yves Béal, Chantal Bélézy, Marie-Pierre Canard, Isabelle Ducastaing, Madeleine Ginet, Claude Niarfeix, Henri Tramoy et Sylviane Werner.
Le thème du présent numéro est « Trésor de guère », qu’on ne peut mieux présenter qu’en citant un extrait de son annonce dans le numéro précédent : « … Naguère est la contraction de : il n’y a guère (de temps), soit il n’y a pas beaucoup de temps, donc récemment ! Qui par glissement de sens a fini par prendre le sens de jadis, autrefois. Ce mot est un trésor à lui seul. Et voici qu’on se prend à imaginer un monde de la mesure, à contre temps. Aller à la mémoire, à la rencontre des presque rien de la vie. Et plus encore… ». Le numéro s’ouvre sur le traditionnel texte collectif du comité de rédaction écrit à sept mains en atelier tournant. Outre le collectif, une dizaine d’auteurs ont fourni la matière des poèmes dont est composé le numéro. Poèmes qui disent l’importance du peu, du rien, à partir du moment où ils sont partagésÒ : « Je ne veux rien pour le temps qui vient / Je ne veux rien / Rien. Rien qui ne puisse se partager. » (Yves Béal) ; « Voilà j’ai fait le vide / appel d’air / vif esprit. // J’avance vers le Rien / avec l’amour du monde, / à chaque aube le sien. » (Dario Pellegrini). Poèmes diversifiés dans les sujets abordés, mais qui ont en commun la simplicité des mots et la sincérité des sentiments, ce que bien sûr le thème choisi favorise, le peu se faisant souvent synonyme de pureté, le rien de transparence dans l’appréhension de l’autre et du monde. Citons pour terminer un extrait du poème collectif, qui dit bien la recherche du Tout dans le Rien : « Tésor. / Puis trésor. C’est un r, en catimini, qui nomme enfin choses précieuses, et l’endroit où se conservent choses précieuses. // Tésor, tes ors, cet intime d’être ou d’espèce, / trébuchant, / cet infime effluve qui fait fleuve de presque rien ».
(É. C.)
Florilège,
n°189, décembre
2022
Un sommaire toujours très riche, avec plus de soixante
poètes à l’affiche, et une présentation soignée pour cette revue trimestrielle
créée en 1974 par l’Association Les Poètes de l’Amitié –
Poètes sans Frontières et présidée par le poète et écrivain
dijonnais Stephen Blanchard.
Citons quelques extraits de ce riche florilège. Gérard Mottet, évoquant un voyage, le dernier sans doute, « vers les neiges d’en haut », termine ainsi son évocation : « au plus haut les flocons prenant / forme d’étoiles couvriront / doucement ton visage encore tiède // et toi-même alors que seras-tu d’autre finalement / que l’un de ces flocons se dissolvant // telle une goutte de tendresse / au creux de l’infini ». Sacha Zamka, qu’on a lu aussi dans ARPA, dit la nostalgie du jardin d’Éden : « Aucun surgeon, aucun rameau : // Vivre fuit entre souffle et larme, / Aux lèvres pulpe, aux paumes grappes, / Le fruit fut-il âcre ou suave ? // Loin du verger perdu, on marche / Hier nom et demain visage : / Par ce qui ne sera que rêve, / Par ce qui ne fut que mémoire ». Nicole Portay évoque la quête de la lumière : « Comme la pierre, / Passerelle dénuée de parapet, / Déambuler à fleur d’eaux de brume. / Sceller pleins et déliés / Entre ombre et fugace clarté / Et sans défaillir / se donner à l’embellie / D’un invisible point de fuite ». Kathleen Hyden-David interroge le sens de la vie : « Rêve et réalité, couple inséparable, / mais en permanence négociation / pour savoir lequel des deux / donnera le plus à cet enfant / qu’ils ont mis au monde : / la vie, notre vie ! / Mais finalement… C’est quoi la vie ? ». Antoine Leprette, allongé sous un arbre, veut savoir qui du ciel et de l’arbre se découpe sur l’autre : « Le regard suit les méandres / Arbre blanc sur fond d’orage / Arbre noir sur ciel de printemps / Les réalités s’entrecroisent / Comment suivre le fil ? ». Michel Santune chante la nostalgie éveillée par un visage qu’effleure la lumière, « dans la ténèbre bleue / où tu m’accueilles quelquefois / à la faveur d’un sourire / ou d’un regard / qui fait s’ouvrir en moi / la merveilleuse plaie du souvenir // le gouffre de la joie ». Marie-José Pascal dit pourquoi elle vit : « Tu vis pour des souvenirs ébréchés / Qui n’appartiendront plus qu’à toi, / Quand l’heure sera enfin venue / de ne garder au fond du cœur / Que le parfum subtil des fleurs / Et du jardin encore mouillé ». La section se clôt avec Première soirée, un poème du tout jeune Rimbaud non dénué d’érotisme, mais également et surtout vif instant de vie, accompagné de deux photographies de Miriam Peters-Rouyer, dont un portrait est dressé en dernière page de la revue.
Après Les créations, vient la section Chroniques, notes de lecture et nouvelles, avec des recensions de recueils de poésie et de numéros de revues poétiques récemment parus, au total une bonne trentaines, écrites par Yolaine Blanchard, Stephen Blanchard, Hervé Ribert, Irène Clara, Marie-Christine Guidon, Lucile Blanchard, Laurent Bayart, Alain Marchand, Isabelle Dumont-Dayot, Patrick Devaux, Gérard Blua, Julius Nicoladec. Une double page est consacrée au poète espagnol Antonio Machado, sous la plume de Bruno Salgues, responsable des Éditions Cap de l’Étang, qui décrit l’engagement politique à gauche de Machado, depuis la fin de l’empire colonial espagnol à la fin du XIXe siècle jusqu’à la Guerre civile et à son soutien aux républicains, par le biais de ses écrits, car il est alors malade et ne peut combattre, ainsi que ses relations avec le milieu poétique parisien dans la première décennie du XXe siècle. Kathleen Hyden-David, Sous le soleil de poésie, nous livre une vision sombre de l’irruption d’internet dans la littérature et la poésie, en jugeant que l’outil, en tant que support de diffusion de la poésie, peut être utilisé intelligemment, mais que le geste d’écrire ne doit en aucun cas être confié à une machine, comme commence à l’être le geste de dessiner. La poésie ne peut naître que d’une plongée dans le monde réel, et le geste de l’écriture, tout comme la pensée qui est à sa source, doivent rester le fruit de l’esprit humain confronté au monde concret. On trouve dans Un vent de poésie un hommage de Bruno Salgues à la poète tunisienne Fatma Ben Fdhila, récemment décédée, dans Poètes sans frontières une page de Marie-Christine Guidon consacrée à la poésie mongole et au poète phare en langue mongole Dashjorjiin Natsagdorj, dans les Actualités littéraires une page consacrée à Annie Ernaux, prix Nobel de littérature 2022, enfin dans Poésie & Philosophie, la rubrique de Gérard Mottet, une réflexion sur le thème « poésie et liberté », qui se termine ainsi : « La poésie se veut parole libre, visant à imaginer des mondes possibles, et des manières autres d’exister, nous appelant finalement à briser le silence des cercles qui nous enferment. Comment alors ne pas souscrire à cette affirmation d’Octavio Paz : La création poétique n’est rien d’autre que l’exercice de la liberté humaine ? ».
(É. C.)