Questionner le réel
Infatigable poète, amoureux du
Verbe porteur de sens et de vie, Claude Luezior ne cesse de questionner
le réel, ses ténèbres, angoisses, captivités, tyrannies, mais aussi les
rêves, leurs étranges visions, pour transgresser le réel, aller au-delà
de la raison, s’enfouir dans l’imaginaire, plonger dans des territoires
étranges. Il est en quête de mots et d’images à même de transcrire
l’indicible, le magma intérieur, le tourbillon de sensations qui ouvrent
vers un nouveau monde que le poète saisit suivant la voie des
surréalistes : « on vogue au-delà des rêves transitoires »
pour « faire grâce à cet autre moi de tous les impossibles »,
pour découvrir que « ce monde est aussi prodigue en dons »
(Alain Breton).
À travers les ténèbres, errances
et les folies de la vie, Claude Luezior va vers la lumière et la
jubilation de la vie retrouvées après avoir traversé sa nuit, ses
cauchemars, aux prises avec la souffrance, en marge de la folie, dans un
merveilleux élan de survivre :
« Fureur au
démêloir du jour : convoquer l’insolence, survivre dans le sillon
fertile de l’imaginaire. Ivresse au matin de la lumière. »
(Liminaire)
Il se lance avec ferveur à la
quête de l’indicible, dans le réel, l’onirique et l’imaginaire dans un
élan libérateur de toutes contraintes et créateur de visions poétiques,
s’interrogeant aussi sur la poésie et la condition du poète :
« La poésie
est-elle oracle ou plain-chant de grands-prêtres, druides ou chamans ? »
« Leur
parole cryptée, si vulnérable, serait-elle délivrance d’un état second
que nous portons tous en nous ? »
« Porteurs
d’inachevé, en rupture avec leurs semblables, les poètes sont-ils ces
êtres désignés
qui tentent désespérément
de traduire une langue rescapée du bannissement et que nous
aurions hérité d’un inconscient
originel ? »
« La
mouvance du poète est-elle de mettre des mots sur l’indicible, de tailler
avec le burin de son verbe le magma en jachère ? »
L’esprit raisonneur du poète se
mêle à sa sensibilité poétique qui rayonne dans une expression poétique condensée,
mais riche de sens et d’images. L’esprit d’harmonie règne dans la
structuration du recueil : Liminaire,
une réflexion qui éclaire la démarche du poète, ouvre le livre ; les
poèmes sont groupés en séquences et précédés d’une réflexion. Ainsi, les
images poétiques coulent telle l’eau de la rivière pour rendre compte de
ce que l’on ne peut pas démêler dans l’alliage de la vie et de la mort,
de la raison et de la déraison, du visible et de l’invisible des choses.
Le poète semble avoir découvert
un autre sens de la vie : aller vers sa lumière, sa beauté, « se gorger d’effervescences. Vivre »,
dans un élan jubilatoire qui transgresse ses noirceurs, ses saccages et
ses morsures, se nourrir de tous les instants de grâce de la vie qui font
vibrer le cœur et les imprimer dans le tissu de ses poèmes.
C’est le triomphe de la lumière,
sa danse, que le poète célèbre dans ce nouveau recueil, la retrouvaille
du goût de la vie dans tout ce qu’elle peut offrir au-delà des
déceptions, désillusions, drames et horreurs provoqués par la déraison et
la folie des gens. Il faut réapprendre à goûter l’aube et non pas le
crépuscule, s’ouvrir au miracle de la nature et de l’amour, se libérer
des « résilles de la déraison » et faire place
« aux rires de l’aube »,
reconquérir son souffle, sa lumière, sa beauté, son innocence, laisser
vibrer l’âme, remplir les mots du souffle de l’espoir, goûter sa saveur
telle une pulpe rare :
« doutes et
conquêtes
ont capitulé
par usure des
sabres
et s’écroulent
en ruines
espoirs et désirs
et leurs sœurs
jumelles
se busculent dans
ma rétine
c’est un jour de
sucre
de pulpe rare et
de blés
manne pour
fiançailles
où jubilent
des persiennes
ouvertes » (Pulpe)
Il suffit de « scander le malheur », nous
dit le poète, il faut accueillir la lumière de la vie et s’en
réjouir :
« pour voir
au-delà
des somnolences
et de la gangue
…………………..
l’arc-en-ciel
qui se chamaille
avec l’ondée
…………………
la couleur
qui pulvérise
ses espoirs
les petits riens
qui butinent
leur amour
pour voir
ce qu’ils disent
au-delà
des indifférences
que l’on accueille
l’indispensable
que l’on aiguise
la lumière ».
Il faut aimer la vie, malgré
tout, redécouvrir l’émerveillement, ranimer en soi :
« la part tarie
de l’accueil
se concentre
l’ivresse
des
retrouvailles ».
Claude Luezior nous
offre un beau livre, avec une belle image de couverture : un corps
féminin, dans son rayonnement mystérieux, symbole de la poésie.
©Sonia Elvireanu
(*)
Voir le choix de textes
du recueil et sa présentation dans nos rubriques Gueule de mots
(sous le titre Hagards, prisonniers
de nos rêves), au numéro de mai-juin, et les
Annonces
de la même période.
|