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Archives : Vue de Francophonie

 

Novembre-décembre 2021

 

Khal Torabully

« On ne prend pas le virus de la poésie. C’est un "organe" qui est en vous, au même titre que vos poumons, vos yeux ou votre cœur. »

(*)

 

Le poème m'écrit

Le poème m'écrit sur l'eau vide,

Fait revenir les mémoires fluides

Des récits incompris et malmenés.

L'histoire des noyés est amniotique,

Elle s'inscrit les pieds mouillés, cryptique

Sur le pâle horizon, en parole de goémon.

Elle se dit en archipel, en historien des flots.

Elle s'asperge d'eau et d'aspérités, à mi-mots

De la peau fouettée par l'oubli...

 

©Khal Torabully

27 octombre 2021

 

Une image contenant extérieur, terrain, eau, nature

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La plage de Pointe-d’Esny (Îlé Maurice): « Une marée rose c’est quand même plus beau qu’une marée noire… (…) En effet, les coraux se reproduisent et un an après l’échouage du MV Wakashio (le vraquier japonais), voir la nature reprendre ses droits fait, certes, plaisir à voir. » Hansa Nancoo, sur L’Express du 26 octobre 2021. Photo : ©ERIC LELAIT

 

*** 

 

Chair corail

Je ne suis pas d’ici comme on est commis de seconde classe.
Je suis père des métamorphoses
Après avoir longtemps courbé ma langue
Devant le saccage des cervelles.
On ne dira plus c’était un bon coolie,
Un coolie sucré qui se distrait de rien,
Un z’indien qui a la fragilité de l’horizon
à l’approche du cyclone glouton.
On ne dira plus que la gale de sa misère
Le ravale à l’insignifiance de sa présence.
Ni que son sang étrange
Imprégné d’épices rances
A le relent troublant de son costume de fakir.
On ne dira plus qu’il mange chien
Ou crapaud sans sel.
On dira qu’il a retrouvé l’appétit des mots
Au cri puissant de son humanité.

 

Extrait de Chair corail, Fragments coolies, éd. Ibis rouge, 1999.

Chair corail, fragments coolies | Khaleel Torabully | Poésie | 9782844500601 | Club « Ce livre est spécial pour moi. Je l'ai écrit juste après un échange mémorable avec l'immense Aimé Césaire, dès que je l'ai quitté. J'ai poursuivi l'écriture sur le bateau qui m'emmenait de la Martinique en Guadeloupe, puis dans cette île où je théorisai en 1996, les Indes plurielles. Je l'ai écrit aussi dans l'avion me ramenant en France et l'ai terminé à Lyon. Je l'ai envoyé à mon éditeur Jean-Louis Malherbe, qui l'a aussitôt aimé. Il a demandé à Raphaël Confiant d'en rédiger la très belle préface. Le livre a eu le Prix International du Livre Insulaire en 2000. » (témoignage sur FB, nov. 2021)

 

*** 

 

2 Novembre, en mémoire de l'arrivée des engagés...

« Aujourd'hui 2 novembre, l'île Maurice commémore l'arrivée des engagés ou coolies au pays. Fidèle à mon habitude, je pose souvent un texte original pour célébrer cette mémoire, à travers l'engagisme inclusif que j'ai développé sur 3 décennies. »

 

POUR LA MEMOIRE ENGAGEE EN PAROLE CLAIRE

Certains fragments

Dénoncent un tout-absent.

Des voix amplifient la mer et s'affolent :

"Les Indes nous sont rebelles,

Errance éternelle d'un pollen à un atoll.

Le temps est un frêle archipel

Relié au sillon de sel".

Coolie se rappelle le débarquement,

Le dos plié, le contrat en stèle.

"Depuis le départ, mes mains

Délivrent l'étoile séparée de mon destin.

Elles écrivent séparément

La rencontre des doigts dans mes mains.

D'ailleurs, ici, en patois, le labeur s'épèle

En suppliques et attèles".

Une voix me lance : "Kifer to fin rod lagratel ?"

Je pose pied sur 13 ou 16 marches.

Ma mémoire ne suffit plus à compter

La descente ou la montée aux enfers.

Fiji, Chini Chat, Tapu Calen, Mirish Desh...

Je me libère de leurs 7 couleurs de terre.

L'île d'Ambre m'offre l'ombre pliée en démarche

Indolente.

Les Indes lointaines me sont essentielles.

Au plus loin de ma déroute,

Le Coolie Ghat m'interpelle :

VOICI L'ILE SACRIFICIELLE.

Demain était déjà oublié à Chamarel.

Hier sera repris au sarclage de la cannamelle.

Hier, c'est aujourd'hui : mon pied repense

A la souffrance qui m'a mis debout

Au bord du gouffre, à désirer les lactances

Des petits silences en mots caillés,

En petit lait de la Voie Lactée.

Je boirai cette île jusqu'à la lie...

Demain, c'est encore aujourd'hui.

Et ma mémoire s'ouvre aux frères et sœurs

Mis en chaînes et pliés dans l'ignominie

Du sucre ou du coton de la rancœur.

Esclaves et engagés,

Mon humanité, sans contrat contresigné,

S'est ouvert en mains et parole nomades,

Sillonnant les îles-chapelet de mes dérobades...

Je me contresigne des frontières d'archipels

Mal éclairées en discours de commandeurs.

Au Ghat, je deviens carrefour des bonheurs

Jetés en pâture à leur meute de caramel.

Au Ghat, ma mémoire scrute le soleil

A l'entour de tous mes pays d'accueil...

 

©Khal Torabully

2 novembre 2021

 

Je remercie Raouf Oderuth pour ce magnifique tableau de COOLITUDE SERIES que je lui avais suggéré et qu'il a réalisé avec brio. Il est devenu le tableau représentatif de l'arrivée des engagés dans le monde.

 

Une image contenant eau, extérieur, bateau, rivière

Description générée automatiquement

Raouf Oderuth, Arrivée des travailleurs indiens sous contrat (tableau reproduit du site : https://pixels.com/art/indentured).

 

*** 

Goncourt 2021 : lettre ouverte à Mohamed Mbougar Sarr et Philippe Rey

(Extrait de la lettre ouverte publiée sur les sites FONDAS KRÉYOL et Africultures.com)

(…) Sarr dit adroitement que la politique ne peut obscurcir le fait littéraire authentiquement récompensé mais que celui-ci a aussi pour conséquence de participer au débat politique, même si cela n’est pas sa priorité. Je cite aussi, sous cet angle, la réflexion d’un autre Goncourt, Tahar Ben Jelloun, au titre évocateur : « Un Goncourt pour Mohamed ? ». Elle est écrite le 1er Novembre, à la veille de la proclamation du prix. Ben Jelloun dit ceci : « Aujourd’hui, un Goncourt pour un Mohamed, serait une réponse cinglante à qui vous savez. Mais la dimension politique de ce prix ne doit en aucun cas remplacer la qualité littéraire. La politique vient après, quand on analyse l’impact d’un tel évènement ».

La politique vient après… Je suis d’accord avec lui. L’œuvre doit primer sur sa résonance sociale ou politique. Mais il est évident qu’elle ne peut se couper, avant ou « après », des questions qui traversent les sociétés en profondeur. Elle converse aussi avec la société qui la reçoit ou l’inspire… Pour preuve, Le Monde a salué le livre de Sarr en ces mots : « …un roman très cérébral, vibrant de sensualité, assurément politique et souvent drôle » . Ce roman pose, en effet, la problématique (somme toute) politique de la reconnaissance difficile de la littérature africaine ou francophone à Paris, à travers le parcours du malien Yambo Ouologuem« le Rimbaud nègre », jadis récipiendaire du Prix Renaudot. Raphaëlle Leyris, l’auteure de l’article du Monde, arpente justement la posture de l’écrivain africain/francophone face à sa reconnaissance hexagonale. Elle écrit ceci, citant Sarr :

« En particulier lorsqu’il (Mohamed) décrit les cercles d’écrivains (ou aspirants) africains vivant à Paris ("le ghetto") et le rêve, nourri par "beaucoup d’entre nous", de "l’adoubement du milieu littéraire français" (qu’il est toujours bon, dans sa posture, de railler et de conchier). C’est notre honte, mais c’est aussi notre gloire fantasmée ; notre servitude, et l’illusion empoisonnée de notre élévation symbolique ».

C’est surtout la bonne littérature qui est récompensée. (…)

 

©Khal Torabully

4 novembre 2021

 

*** 

Sometimes, you feel greater than the sun

Even if your shadow drags you to the soil...

 

Parfois on se sent plus grand que le soleil

Même si votre ombre vous mène au sol...

 

©Khal Torabully

17 novembre 2021

 

Une image contenant ciel, extérieur, eau, plage

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(*)

Invité à notre Salon de février 2017, où figure aussi, en marge de ses magnifiques poèmes et photos, une présentation raccourcie, assortie d’un extrait de son consistant entretien de 2010 avec Patricia Laranco (La coolitude interview de Khal TORABULLY par Patricia Laranco), Khal Torabully, poète universel, embrassant un univers multiculturel extraordinaire, forgé dans le creuset de l’Île Maurice, irise le monde francophone contemporain de sa présence discrète, bienveillante, encourageante, dont émane la beauté du verbe et de l’âme, qui se donne sans demander de prix. Nous nous sommes fait un plaisir de le suivre dans ses actualités littéraires et ses multiples activités culturelles internationales, et de le faire ainsi partager avec nous ses plus récentes préoccupations, et quelques-uns de ses poèmes.

Pour le lecteur qui souhaite aller plus loin : voir la page qui lui est dédiée sur les sites Île en île et Potomitan.

Voir aussi l’article qui lui est consacré par Katherine L. Battaiellie dans Cause commune n° 21 (janvier/février 2021), dont est reproduit le poème ci-dessous de Chair Corail.

 

 

 

 

Khal Torabully

Vue de Francophonie, novembre-décembre 2021

recherche : Dana Shishmanian 

 

 

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Créé le 1 mars 2002