Le poème
m'écrit
Le
poème m'écrit sur l'eau vide,
Fait
revenir les mémoires fluides
Des
récits incompris et malmenés.
L'histoire
des noyés est amniotique,
Elle
s'inscrit les pieds mouillés, cryptique
Sur
le pâle horizon, en parole de goémon.
Elle
se dit en archipel, en historien des flots.
Elle
s'asperge d'eau et d'aspérités, à mi-mots
De
la peau fouettée par l'oubli...
©Khal Torabully
27 octombre 2021

La
plage de Pointe-d’Esny (Îlé Maurice): « Une
marée rose c’est quand même plus beau qu’une marée noire… (…) En
effet, les coraux se reproduisent et un an après l’échouage du MV
Wakashio (le vraquier japonais), voir
la nature reprendre ses droits fait, certes, plaisir à voir. »
Hansa Nancoo, sur L’Express du 26 octobre 2021.
Photo : ©ERIC LELAIT
***
Chair corail
Je ne suis pas
d’ici comme on est commis de seconde classe.
Je suis père des métamorphoses
Après avoir longtemps courbé ma langue
Devant le saccage des cervelles.
On ne dira plus c’était un bon coolie,
Un coolie sucré qui se distrait de rien,
Un z’indien qui a la fragilité de l’horizon
à l’approche du cyclone glouton.
On ne dira plus que la gale de sa misère
Le ravale à l’insignifiance de sa présence.
Ni que son sang étrange
Imprégné d’épices rances
A le relent troublant de son costume de fakir.
On ne dira plus qu’il mange chien
Ou crapaud sans sel.
On dira qu’il a retrouvé l’appétit des mots
Au cri puissant de son humanité.
Extrait de Chair corail, Fragments coolies,
éd. Ibis rouge, 1999.
« Ce livre est spécial pour moi. Je l'ai écrit juste après
un échange mémorable avec l'immense Aimé Césaire, dès que je l'ai quitté.
J'ai poursuivi l'écriture sur le bateau qui m'emmenait de la Martinique
en Guadeloupe, puis dans cette île où je théorisai en 1996, les Indes
plurielles. Je l'ai écrit aussi dans l'avion me ramenant en France et
l'ai terminé à Lyon. Je l'ai envoyé à mon éditeur Jean-Louis Malherbe,
qui l'a aussitôt aimé. Il a demandé à Raphaël Confiant d'en rédiger la
très belle préface. Le livre a eu le Prix International du Livre
Insulaire en 2000. »
(témoignage sur FB, nov. 2021)
***
2 Novembre, en mémoire de l'arrivée des engagés...
« Aujourd'hui 2 novembre, l'île Maurice commémore
l'arrivée des engagés ou coolies au pays. Fidèle à mon habitude, je pose
souvent un texte original pour célébrer cette mémoire, à travers l'engagisme inclusif que j'ai développé sur 3
décennies. »
POUR LA
MEMOIRE ENGAGEE EN PAROLE CLAIRE
Certains
fragments
Dénoncent un
tout-absent.
Des voix
amplifient la mer et s'affolent :
"Les
Indes nous sont rebelles,
Errance
éternelle d'un pollen à un atoll.
Le temps est
un frêle archipel
Relié au
sillon de sel".
Coolie se
rappelle le débarquement,
Le dos plié,
le contrat en stèle.
"Depuis
le départ, mes mains
Délivrent
l'étoile séparée de mon destin.
Elles écrivent
séparément
La rencontre
des doigts dans mes mains.
D'ailleurs,
ici, en patois, le labeur s'épèle
En suppliques
et attèles".
Une voix me
lance : "Kifer to fin rod lagratel ?"
Je pose pied
sur 13 ou 16 marches.
Ma mémoire ne
suffit plus à compter
La descente ou
la montée aux enfers.
Fiji, Chini Chat, Tapu Calen, Mirish Desh...
Je me libère
de leurs 7 couleurs de terre.
L'île d'Ambre
m'offre l'ombre pliée en démarche
Indolente.
Les Indes
lointaines me sont essentielles.
Au plus loin
de ma déroute,
Le Coolie Ghat m'interpelle :
VOICI L'ILE
SACRIFICIELLE.
Demain était
déjà oublié à Chamarel.
Hier sera repris
au sarclage de la cannamelle.
Hier, c'est
aujourd'hui : mon pied repense
A la
souffrance qui m'a mis debout
Au bord du
gouffre, à désirer les lactances
Des petits
silences en mots caillés,
En petit lait
de la Voie Lactée.
Je boirai
cette île jusqu'à la lie...
Demain, c'est
encore aujourd'hui.
Et ma mémoire
s'ouvre aux frères et sœurs
Mis en chaînes
et pliés dans l'ignominie
Du sucre ou du
coton de la rancœur.
Esclaves et
engagés,
Mon humanité,
sans contrat contresigné,
S'est ouvert
en mains et parole nomades,
Sillonnant les
îles-chapelet de mes dérobades...
Je me
contresigne des frontières d'archipels
Mal éclairées
en discours de commandeurs.
Au Ghat, je deviens carrefour des bonheurs
Jetés en
pâture à leur meute de caramel.
Au Ghat, ma mémoire scrute le soleil
A l'entour de tous mes pays
d'accueil...
©Khal Torabully
2 novembre 2021
Je remercie Raouf Oderuth
pour ce magnifique tableau de COOLITUDE SERIES que je lui avais suggéré
et qu'il a réalisé avec brio. Il est devenu le tableau
représentatif de l'arrivée des engagés dans le monde.

Raouf
Oderuth, Arrivée des
travailleurs indiens sous contrat (tableau reproduit du site : https://pixels.com/art/indentured).
***
Goncourt 2021 : lettre
ouverte à Mohamed Mbougar Sarr
et Philippe Rey
(Extrait de la lettre ouverte publiée sur les sites FONDAS KRÉYOL et Africultures.com)
(…) Sarr dit adroitement que
la politique ne peut obscurcir le fait littéraire authentiquement
récompensé mais que celui-ci a aussi pour conséquence de participer au
débat politique, même si cela n’est pas sa priorité. Je cite aussi, sous
cet angle, la réflexion d’un autre Goncourt, Tahar Ben Jelloun, au titre
évocateur : « Un Goncourt pour Mohamed ? ».
Elle est écrite le 1er Novembre, à la veille de
la proclamation du prix. Ben Jelloun dit ceci : « Aujourd’hui, un Goncourt pour un Mohamed, serait une
réponse cinglante à qui vous savez. Mais la dimension politique de ce
prix ne doit en aucun cas remplacer la qualité littéraire. La politique
vient après, quand on analyse l’impact d’un tel évènement ».
La politique vient après… Je suis d’accord
avec lui. L’œuvre doit primer sur sa résonance sociale ou politique. Mais
il est évident qu’elle ne peut se couper, avant ou « après », des
questions qui traversent les sociétés en profondeur. Elle converse aussi
avec la société qui la reçoit ou l’inspire… Pour preuve, Le Monde a salué le livre de Sarr en ces mots : « …un roman très
cérébral, vibrant de sensualité, assurément politique et souvent drôle » .
Ce roman pose, en effet, la problématique (somme toute) politique de la
reconnaissance difficile de la littérature africaine ou francophone à
Paris, à travers le parcours du malien Yambo Ouologuem, « le Rimbaud nègre », jadis
récipiendaire du Prix Renaudot. Raphaëlle Leyris,
l’auteure de l’article du Monde, arpente justement la posture de
l’écrivain africain/francophone face à sa reconnaissance hexagonale. Elle
écrit ceci, citant Sarr :
« En particulier lorsqu’il (Mohamed) décrit les
cercles d’écrivains (ou aspirants) africains vivant à Paris ("le
ghetto") et le rêve, nourri par "beaucoup d’entre nous",
de "l’adoubement du milieu littéraire français" (qu’il est
toujours bon, dans sa posture, de railler et de conchier). C’est notre
honte, mais c’est aussi notre gloire fantasmée ; notre servitude, et
l’illusion empoisonnée de notre élévation symbolique ».
C’est surtout la bonne littérature qui est récompensée.
(…)
©Khal Torabully
4 novembre 2021
***
Sometimes, you feel greater than the sun
Even
if your shadow drags you to the soil...
Parfois
on se sent plus grand que le soleil
Même
si votre ombre vous mène au sol...
©Khal Torabully
17 novembre 2021

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