La réception de
« Visages », récent petit livre de Jeanne par l’entremise de Dana
Shishmanian, co-rédactrice de Francopolis, était étrange, insolite,
inattendue. Le bleu soutenu et insistant de la couverture du petit
recueil encadrait une image grisâtre, évanescente, mystérieuse, intitulée
Petite-Fille de Filao au Rêve Bleu. Après une furtive lecture des
quelques mots de Dana écrits sur un petit bristol inséré entre les pages
et un bref coup d’œil parcourant l’essentiel du petit cahier, j’eus
d’emblée le vague sentiment d’une révélation.
Il s’imposa à
moi, en un rapide tour de main compulsif, d’exprimer ce flottement
prémonitoire par l’improvisation d’une nature morte bleutée en accord
avec cette première page.
Une première
photo donc, suivie d’autres viendront confirmer mon intuition de
l’exemplarité transdisciplinaire des éléments en chapelet de l’ouvrage
que la préfacière Dana Shishmanian nomme « binômes
Photos-haïkus » (Haïku - forme de poésie japonaise traditionnelle
considérée comme la forme de poésie la plus courte au monde), et
« paréidolie » : faculté d’imaginer des visages dans la
configuration des choses…
Visages, le
titre du recueil, est un « Kabinettstück », terme allemand qui,
me semble-t-il, convient au caractère fétiche et d’objet de curiosité de
l’ensemble. Entendons par Kabinettstück, œuvre exemplaire de petit format
qualifié autrefois de pièce de cabinet (« cabinet » au sens des
cabinets de curiosités princiers qui ont précédé les instituts culturels
d'aujourd'hui, les musées). Car Visages est un concept d’art
contemporain. L’écriture de Jeanne est nécessairement transversale et se
positionne dans une perspective iconologique.
« Visages »,
est-il donc l’inventaire magique d’un musée imaginaire de
présences-absences ?
Ou est-ce une
initiation à la paréidolie, à la réflexivité des regards et à l’autoréférence ?
Ou est-ce le
tourbillon synesthésique célébrant l’évanescence des choses et les
turbulences sensorielles qu’elles suscitent ?
Les haïkus
paréidoliques de Jeanne sont-ils ici outre leur densité poétique porteurs
de significations panthéistiques ?
Sous la forme
où l'ouvrage de Jeanne se présente, comme un modeste carnet imprimé avec
un tirage d'auteur à 10 exemplaires, la mise en œuvre du concept avec les
moyens du bord a assurément réussi de main de maître. Cependant, il est
évident que le livre aurait été une précieuses référence de l'art
mauricien contemporain si des fonds avaient été obtenus pour le
raffinement d’une publication de qualité.
Puisqu’il est
question d’art contemporain, on en parle à tort et à travers dans la
presse locale. Nos chroniqueurs d’office ne font aucune différence entre
contemporain, terme chronologique et contemporain, terme générique.
Contemporain détermine une période. Et contemporain définit aussi un
genre. Tous les historiens et théoriciens de l’art de la planète en font
la différence, sauf nos chroniqueurs.
Jeanne Gerval
ARouff figurait parmi les rares protagonistes de mes interviews qui
avaient des positionnements en adéquation avec le glissement de paradigme.
Elle avait un discours et des activités plasticiennes qui s’ouvraient à
toutes les disciplines de la connaissance. L’opuscule « Visages » est une
profession de foi de l’art contemporain.
©Serge
Gérard Selvon
12.06.2023
(Düsseldorf,
Allemagne)
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