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Archives : Vue de Francophonie

Mars-avril 2023

 

 

Jeanne Gerval ARouff :

Visages

 

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Livre électronique (Bibliothèque Francopolis, n° 6, mars-avril 2023)

 

 

À première vue, on a affaire, avec les binômes photos-haïkus qui composent ce nouveau livre de Jeanne Gerval AFRouff*, à des paréidolies, de celles dont l’artiste-écrivaine mauricienne nous a déjà régalés dans Francopolis (voir ses « boules de Noël 2021 & 2022 » ou les extraits de son livre Éloge de l’émerveillementnovembre-décembre 2018 et mars-avril 2019).

Il y en a pourtant bien plus. Car, loin de seulement nous faire « voir » des images figuratives dans des matières brutes, supposées par définition non-figuratives, la découverte par l’œil de l’artiste de ces « icônes » cachées (alors même que le jeu de cache-cache n’est pas toujours évident pour tout spectateur) nous amène à une perception fondamentale de l’unité de l’univers et d’une sorte de téléologie structurelle, qu’il porte et qui le porte. Elle est implicite et non apparente mais parfois, justement, elle se dévoile de manière aussi spontanée et inattendue qu’évidente, non dissimulée. C’est ce qu’on appelle le principe anthropique. Et c’est dirait-on en vertu de ce principe qu’on peut « voir » des visages cachés dans les choses… qui nous regardent avant même qu’on les ait vues, peut-être même arrive-t-on à les voir parce qu’ils nous ont regardés d’abord, et qu’ils nous inculquent ainsi leurs propres reflets en nous en guise de vision…

On se rappellera la réflexion de Nietzsche : « Plonge ton regard dans l’abîme et l’abîme te regardera aussi ». Ce qui nous amène à l’esprit aussi, bien entendu, la révélation fondatrice qu’eut le grand Malcolm de Chazal de l’azalée qui le regardait…

D’ailleurs, l’expérience artistique et spirituelle de Jeanne Gerval ARouff est peut-être au plus près de celle du Mage Mutant mauricien, comme elle l’appelle (voir ses articles dans Francopolis à la rubrique Une vie, un poète de septembre 2014 et septembre-octobre 2021, et surtout, son livre Pour Malcolm de Chazal, l’essentiel monolithe, paru en 2022, présenté et recensé à cette même rubrique en septembre-octobre 2022 par Dana Shishmanian, Serge Gérard Selvon, Patricia Laranco).

Voici à titre d’exemple une des nombreuses expressions du credo de Malcolm de Chazal : « Toute ma philosophie, dans ce livre, part de ce principe qu'il n'y a pas de solution de continuité entre la nature et l'homme, et que toutes les formes du corps humain, toutes les expressions du visage de l'homme, et jusqu'à ses sentiments sont inscrits dans les plantes, les fleurs et les fruits, et avec encore plus de force chez cet autre nous-même qu'est l'animal. Le règne minéral même qui est considéré mort par certains tend dans ses formes  et surtout lorsque mis en mouvement — vers cette synthèse des synthèses qu'est le corps humain. "L'homme a été fait à l'image de Dieu". Oui, mais j'ajoute : "La nature a été faite à l'image de l'homme" – et je cherche à le prouver. » (dans Sens Plastique, Gallimard 1948).

Pour être accomplie, cette expérience doit s’associer un double reflet : celui, primordial, de l’observateur et de l’objet, rapport réversible au pont de jonction de l’existence et de la conscience – qui, elle, est tout aussi universelle ; et celui, second mais indispensable, qui s’institue entre l’expression de cette même révélation et sa réception par un autre. Car la transmissibilité est nécessaire pour que la vision cognitive soit complète et puisse se clore sur elle-même, en tant que sujet, tout en englobant entièrement son objet.

C’est alors que les réflexions d’un autre penseur nous viennent en mémoire, qui nous éclairent le processus de communication artistique, en nous donnant sa mesure ontologique ; il s’agit de l’anthropologue Atmane Bissani : 

« Visage, le même affiche son être, regard, l’autre le saisit comme structure signifiante. C’est pratiquement dans la rencontre de l’autre comme regard que commence la réalité anthropologique, socioculturelle, psychologique, et existentielle d’un visage. Ne pas être regardé c’est se réduire au néant, c’est disparaître comme trace sémantiquement possible. Le fondement ontologique d’un visage, voire d’un être vient donc de l’extérieur, par le truchement du regard de l’autre. » (Atmane Bissani, De la rencontre, essai sur le possible, éd. Imagerie-Pub, Fès, 2009, p. 64 ; cité d’après : Khadija Outoulount, Visage et Regard : de l’ontologique au poétique, dans Francopolis, à la rubrique Vue de Francophonie, octobre 2009).

Nous pouvons comprendre, dès lors, pourquoi Jeanne nous dit, avec la flamme d’une foi indéfectible en la Poésie et en l’Homme, malgré tout et contre tout ce qui nous oppresse et tend à nous réduire à néant : 

« Non, pas de rêve ! Ni d’élucubrations de poète… Tu es là, en images : nuage, feuillage, légume, écume…, pierre, bois… toi, l’Omniprésent. »

Et tout en retrouvant l’innocence du regard de l’enfant :

 

Couchée dans l’azur

Petite Fille yeux grands ouverts

contemple Bleu-Paix

 

Petite fille au grand pas

Œil ouvert

sourire aux lèvres

 

Dana Shishmanian

 

 

* J’ai eu le privilège d’assister, presque au jour le jour, à la gestation et à la croissance, tel d’un organisme vivant, de ce livre (comme aux trois précédents d’ailleurs : Éloge de l’émerveillement, En confinement, et Pour Malcolm, l’essentiel monolithe) – qui s’est nourri, depuis fin 2021 à mi-mars 2023, des épiphanies quasi-quotidiennes que Jeanne a le secret de découvrir et d’accueillir, par et dans sa créativité, en empathie permanente avec l’Universel...

Je suis grandement reconnaissante à l’autrice pour nos échanges (par email) incessants, enrichissants pour l’âme, le cœur et l’esprit.  (D. S.)

 

 

Jeanne Gerval ARouff

Vue de Francophonie, mars-avril 2023

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