A la mémoire de Nathan
Katz
Silence
profond au milieu du village
personne
dans la rue
pas
une seule voiture
qui
passe
pendant
des heures
silence
d’un autre temps
silence
hors du temps
souffle
à travers le verger en fleurs
le
chant du merle d’un coup
cristallin
mélodieux
ciel
vaste
bleu
clair
l’air
glacial
vrombissement
du ciel
hélicoptère
vaisseau
fantôme
tourne
autour du village
image
de guerre
image
d’invasion
contrôle
du confinement
de
la frontière
interdiction
d’aller chez l’autre
le
Dreyland
abandonné
déchiré
une
fois de plus.
Et maintenant faire le
ménage
Prendre
en main
tout
ma
vie
tout
ce
qui vit
en
moi
autour
de moi
milliers
de petites choses
anodines
qui
forment
le
tout
la
vie matérielle
tout
d’abord
faire
le ménage
comme
jamais avant
balais
serpillère
poussière
aspergée
de
liquide de nettoyage
essence
d’orange
sur
le bois
odeur
chaleureuse
ensoleillée
présence
de l’été
en
plein hiver.
Plus
qu’il y a de mes poèmes
plus
je vis entre eux
parmi
eux
avec
eux
en
relation
avec
d’autres
des
portes
des
pistes
des
fenêtres
qui
s’ouvrent.
Ensuite
le
jardin
devant
la forêt
plus
loin
sur
la colline
garder
l’espoir
continuer
imaginer
planter
encore.
Il
y a aussi
les
rencontres
avec
les humains
des
proches
très
proches
inconnus
qui
me font
vivre
dans
ma peau
ma
pensée
mon
âme.
Le
paysage
enfin
royaume
de mon être
de
mon retour
de
mon aller
vers
l’horizon.
Vers la forêt des lilas
sauvages
Quatrième
semaine d’altérité inversée
réclusion
collective
miroir
amer
de
l’’autre et du soi mis à mal
à
quelques pas d’ici
au-delà
des apparences et des frontières
une
autre manière de pratiquer la même situation
profondément
plus libre
humaine
et respectueuse
de
l’autre
sur
le chemin du retour
vers
la forêt
des
lilas sauvages
chaque
jour
une
heure
une
un
kilomètre
un
l’odeur
est envoûtante
douce
parfumée
l’image
du lilas apparaît
par
moment
s’efface
odeur
plus simple
moins
transcendent
plus
terre à terre
ombres
blanches qui
traversent
les troncs majestueux
des
chênes qui
tout
en haut
sur
les cimes
commencent
à déplier leurs feuilles d’un vert très clair
transformation
des volumes
du
bois
de
jour en jour
émergence
d’un intérieur
d’un
extérieur
presque
sous mes yeux
dans
l’expiration de la terre.
Nature morte
Trois
cerises brillantes et lisses
au
pied du flacon
dorures
en cercle
boule
bouchon d’or
quintessence
étincelante
liqueur
de fruits rouges
sang
du Christ transcendé
rappelant
le
paradis perdu
deux
pêches mates et moelleuses
envie
de toucher
caresser
boules
de velours
juste
à côté d’un globe en porcelaine très fine
ornement
de fleurs
couronné
d’un bouton de rose
sucrier
en faïence
tasse
avec un couvercle
type
de vaisselle
désormais
disparu
trois
boudoirs
langues
coupées
saupoudrées
de sucre-glace
odeur
de blanc d’œuf et de caramel
drapés
l’un sur l’autre au bord de la table
à
l’ombre du plateau en étain
portant
la tête coupée de l’annonciateur
plaisir
à venir
la
brioche dorée
téton
géant
éruption
croustillante
plaisir
incarné
on
devine sa mie parfumée et aérée
l’œuf,
le beurre, la levure
tel
un drapeau sur un monument ou une montagne
un
brin d’oranger domine l’image
épiphanie
des pays du sud
voix
marocaines
friandises
provençales
fleurs
blanches
comme
de la cire
fragrance
intrigante
envoutante
le
mur ciel voilé gris et beige
au
fond
alignement
symétrique apparent
l’immense
brioche au centre
soudain
ce
reflet de mon visage
plaque
de verre protégeant la peinture
l’œil
froid de la caméra sur le front
rectangle
blanc
fenêtre
m’encadrant
croisillon
dans la lumière
la
triade
émerge.
Lierre
Lierre
lien
lumière
entre
ciel
et
terre
ta
guirlande arabesque
joue
l’équilibriste
gracieusement
puissant
collier
en petits cœurs
dirait-on
bijou
elfique
raconte
la beauté dans l’espace
de
feuille en feuille
une
autre
vert
clair et tendre
cœur
et
lance
atroce
cœur
transpercé
et
la guirlande devient
forteresse
enchaînement
mur
et
escalade
verts
de plus en plus sombres
décor
éclaté
tâches
noires d’un
jardin
noyé
cœur-lance
à
l’infini
le
même
et
le différent
deviennent
un
construit
et détruit
début
et fin
bourreau
et victime
quand
tout sera fini
tu
seras toujours là
pour
recommencer
pour
construire le socle
en
plein hiver
les
fleurs
au
printemps
les
fruits
noirs
éternel
festin
des
maîtres chanteurs du jardin
grive,
merle et fauvette
cœur
sur cœur
se
lancent
à
l’assaut
d’elles-mêmes
pour
remplir
le
vide
pour
monter plus haut
encore
pointes
guirlandes
pointes
de lance
elles
montent
vers
le ciel
elles
porteuses
du ciel.
Euphorbe
Tu dresses ta floraison
Tel un serpent
A mille têtes
Fluorescentes
Tes feuilles
Écailles
Te protègent
Contre
Les attaques
Ton suc
Lait de loup
Héritage partagé
Avec toute ta tribu
Végétale animale
Présence énigmatique
Et presque inquiétante
Dans mon jardin
Éloge du bistrot
Être
assis à une petite table
Pour
écrire
Pour
observer la vie
Odeur
du café noir
Manger
ensemble
Boire
ensemble
Entre
amis
Entre
étrangers
Pacte
énigmatique
Temps
immémoriaux
Socle
de la vie en communauté
Bien
fragile.
©Victor
Saudan
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