rencontre avec un poète du monde

ACCUEIL

ARCHIVES : VIE – POÈTE 

Novembre-décembre 2023

 

 

 

Michel Cosem – Fondateur et Directeur d’Encres Vives

 

Continuation d’Encres Vives/ Appel à abonnement 2024

 

 

Par Éric Chassefière

 

(*)

 

 

Michel Cosem n’est plus, et c’est pour beaucoup d’entre nous, qui avons été lancés et accompagnés par Encres Vives, une perte douloureuse. Encres Vives, avec sa revue, fondée en 1960, et ses deux collections, Lieu (poèmes liant un poète à l’un de ses lieux favoris) et Encres Blanches (plus spécialement réservée aux nouveaux poètes et aux rééditions de recueils publiés par la revue), venues plus récemment en étoffer la production de recueils de poésie, c’est près de 2000 recueils et 400 auteurs publiés, dont beaucoup ont acquis au fil du temps une vraie reconnaissance dans le milieu poétique. Nous sommes nombreux à devoir beaucoup à Encres Vives, nombreux aussi à avoir éprouvé le besoin de revenir fréquemment aux sources en confiant nos écrits à Michel Cosem, qui disait de la revue :

 

« Tout en demeurant dans un format modeste Encres Vives continue d’attirer, de retenir, d’influencer des générations nouvelles, en faisant preuve à la fois d’exigence et d’ouverture. C’est là je pense une volonté affirmée qui regarde plus certainement vers l’avenir que vers le passé.

J’ai essayé de conserver l’enthousiasme du début, d’être attentif aux nouveaux, de les aider à se construire en bonne compagnie et il n’y a là rien que de très naturel. De là peut naître un rapport à la poésie avec qui il faudra compter. Cet afflux de nouveaux auteurs –et je ne saurais tous les citer – oblige à encore plus de rigueur mais aussi d’attention et de gestion. Mais aussi de demeurer en dehors des clans, des modes et des obligations que peuvent susciter les médias ou autres nouveautés. Avec comme volonté constante de demeurer à l’écoute de ce qui se passe ».

 

Sans connaître bien souvent directement Michel, nous nous étions habitués à ses missives bienveillantes en retour des envois de propositions de recueils que nous lui adressions. Des mots toujours posés et encourageants, une fidélité sans faille dans le soutien aux nouveaux auteurs, passant dans certains cas, après quelques années, par un numéro spécial. Michel était la discrétion et la bienveillance même, ouvert à toutes les formes de poésie pourvu qu’elles soient authentiques, expressions sincères d’un engagement fort dans l’époque qui les porte. Il écrit ainsi dans le numéro 62-63 d’Encres Vives, daté de l’hiver 1967-1968, consacré à la civilisation occitane : « … l’écrivain, et plus spécialement le poète est situé dans sa civilisation, non d’une manière logique, mais par le fait même d’écrire : il engage tout de lui-même et en même temps tout de sa civilisation. L’époque des écrivains qui puisaient ici et là leur inspiration semble révolue, de même que celle de l’écrivain qui décidait de se consacrer à son clocher en exaltant un passé mort. L’écrivain – s’il n’est pas un faiseur – est tout entier l’homme de son époque. Et s’il ne l’est pas, il doit tendre à le devenir ». Homme d’une civilisation et d’un territoire, Michel Cosem l’était au premier chef, dans cette Occitanie tant aimée, berceau de sa famille paternelle, qu’il arpentait de ses pas et ses mots. On peut lire dans le même numéro ce poème de lui :

 

« Neuf heures. Seules les vignes miaulent

dans cette nuit mauve où le grand retour

fouette la terre sèche.

s’il fallait peut-être je joindrai

mon ombre pelage transhumance

au grand parfum des terres pressées,

au succès du chemin, à l’éclat de l’oronge,

à la forme habile du pays traversé ;

s’il fallait ajouter un frisson à l’amour,

je rejoindrai ces pierres taillées à la forme des corps

dans les dérives d’arbres,

de maisons et de semences neuves. »

 

La collection Lieu d’Encres Vives, que Michel définissait ainsi : « cette collection propose des poèmes liant un poète à l'un de ses lieux favoris : voyage, rêverie, méditation, quotidien, biographie, reportage », constitue précisément une ligne par laquelle de nombreux poètes, ancrés dans un terroir, ou voyageurs en quête au contraire de déracinement, ont pu exprimer leur relation, réelle ou rêvée, au monde qui les entoure. Qui, mieux que Michel Cosem, a su faire partager par sa poésie l’âme d’un lieu (on lira par exemple les poèmes publiés dans le Francopolis de mars-avril 2020, ou ceux du Salon de Lecture du Francopolis de mars-avril 2021) ? Avec près de 400 numéros, dans lesquels se sont exprimés plus de 160 auteurs, la collection Lieu d’Encres Vives, constitue un terreau d’humanité unique, tant par la diversité des lieux explorés, que par la façon de les appréhender.  Cette collection fut pour beaucoup d’entre nous, voyageurs-poètes, une bénédiction, permettant une formalisation rapide du carnet de poèmes, voyage dans le voyage, qui donne tant de relief aux lieux visités et aux personnes rencontrées.

 

Prenons, à titre d’exemple, le recueil La pierre à ciel ouvert publié dans Lieu par Michel en 2020. Voici ce que j’en écrivais dans une recension récente (cf Francopolis de mars-avril 2023) : « Il faut, lisant ces textes, pour l’essentiel des proses aux phrases longues et sans virgule, se laisser porter par les courbes amples de la pensée et des images qui la jalonnent, évoquant les lignes d’un paysage. La parole semble s’y fondre aux bruissements de la nature, son cours épouser tel un ruisseau les creux entre les hauts rochers, le silence s’y faire image de ces horizons lointains que le poète aperçoit de temps à autre : « Au loin la ligne de crête se confond avec de longs nuages qui dessinent des lacs des golfes des embouchures et prolongent ainsi la beauté du monde ». Les mots utilisés sont simples, tout en clartés et transparences, le poète écoute : « écouter parler les pierres ces blanches silhouettes dans le velours noir du Causse », et parle : « il est grand temps d’écrire toutes les confidences et le goût des chants d’oiseaux », instaurant un dialogue avec cette nature à laquelle on le sent profondément attaché. Une nature en dialogue avec elle-même, comme lorsque ce rapace perché dans les rochers aux formes reptiliennes émet son « cri carnassier » à l’adresse des fées de la rivière « ayant dans leurs flancs tous les mystères du monde et les lois de la pierre », une nature en quelque sorte écosystème physique et spirituel vivant en harmonie, riche de tous les antagonismes et de toutes les alliances, à laquelle on ne peut rien retrancher sans risquer de remettre en question son existence même. C’est dans cette complétude, ce dialogue de la nature avec elle-même, que le poète vient respectueusement glisser sa voix, le paysage de sa voix a-t-on envie de dire, qui se mêle à celui de la voix du monde. Écoutons-le parler au coquelicot :

 

« Joli coquelicot

Qui se balance au vent de Rocamadour

Ne perds pas ta belle couleur rouge

Garde-là précieusement à l’heure où le gris l’emporte partout

Un coquelicot gris serait bien triste

Au bord de ce chemin qui s’avance avec certitude

Entre les pierres et les genévriers »

 

La parole est simple, le symbole évident, c’est de ce chemin-là qu’il faut faire sa vie, de cette fleur-là son étoile. Une profondeur s’ouvre, celle du rouge sur le gris, du ciel sur la pierre, « la pierre à ciel ouvert » que disant cela le poète ramasse et tient au creux de sa main, sentant battre en lui le pouls de la nature. »

 

Dans son souci d’aider les poètes à publier, Michel créa également la collection Encres Blanches, « plus spécialement réservée aux nouveaux poètes », qui en 20 ans d’existence a révélé, ou aidé à mieux faire connaître, à travers la publication de près de 800 recueils, plus de 300 auteurs. Une entreprise considérable, regroupant une part significative de la communauté des poètes français, certains ayant ensuite fait leur chemin et acquis une vraie reconnaissance. Au total, en incluant la revue et les deux collections, c’est près de 400 poètes qu’Encres Vives a publiés, et pour une grande partie d’entre eux révélés au public.

 

Une image contenant texte, capture d’écran, menu, noir et blanc

Description générée automatiquement

Premier recensement (incomplet) des poètes publiés par Encres Vives, soit dans la revue, soit dans l’une des deux collections Lieu et Encres Blanches.

 

Nous avons, avec plusieurs membres du comité de rédaction, décidé, fidèles à l’esprit impulsé par Michel Cosem, de nous tourner vers l’avenir et continuer Encres Vives, dont l’immense héritage, tant humain que littéraire, ne peut rester lettre morte. Faire vivre et fructifier la revue et les collections, dans l’esprit tracé par leur fondateur, au service d’une communauté de poètes toujours plus vivante et diverse, voilà l’objectif que nous nous sommes tracé pour les années qui viennent. La spécificité d’Encres Vives, rappelons-le, est la publication, dans chaque numéro, d’un recueil d’un seul auteur, 16 pages au format A4, qui vont devenir 32 pages au format A5 à partir de janvier 2024. La revue restera mensuelle, avec 12 numéros par an et la possibilité, pour un surcoût modeste, de recevoir dans l’année 2 volumes de chacune des collections Lieu et Encres Blanches. L’abonnement donnera droit à un tarif préférentiel pour l’achat de n’importe quel volume de ces deux collections.

 

Nous vous invitons, chers lecteurs de Francopolis, à rejoindre Encres Vives et vous remercions de transmettre l’information aux personnes de votre connaissance qui pourraient être intéressées.

 

Lien vers le bulletin d’abonnement à télécharger ICI

 

Éric Chassefière, au nom du Comité de Rédaction :

Annie Briet, Catherine Bruneau, Éric Chassefière (directeur de la publication), Jean-Louis Clarac, Jean-Marie David-Lebret, Michel Ducom, Gilles Lades, Jacqueline Saint-Jean, Christian Saint-Paul.

 

 

(*)

 

Une image contenant Visage humain, personne, habits, Front

Description générée automatiquement

 

Biographie

 

Michel Cosem est originaire du sud de la France. Il a fait ses études supérieures à Toulouse. Il écrit des romans et des poèmes depuis toujours. Il a publié de nombreux ouvrages (romans, poèmes, anthologies) et consacre sa vie à l'écriture, aux voyages, à la lecture et aux rencontres avec ses lecteurs un peu partout en France et à l’étranger.

Ses romans parlent tout aussi bien des régions du grand Sud aujourd'hui, que des pays lointains dans l'espace et dans le temps comme l’Égypte (Le Secret de la déesse Bastet, L’Or de Pharaon), le Sahara (La Rose rouge du désert), la Grèce (L’île pélican), la Mongolie (À cheval dans la steppe), l’Espagne (Les Oiseaux du Mont Perdu, Feu Follet de Santa ), les Pyrénées (Les Neiges rebelles de l’Artigou, Les Traces sauvages de l’Estelas). D’autres livres se situent dans le rêve et le légendaire (Malelouve des terres à brume, Rendez-vous avec Mélusine, Les Chevaux du Paradis) ou se déroulent au Moyen Âge ou à l’époque de la Résistance (Les Doigts à l’encre violette).

Ses derniers romans pour adultes accordent une grande part à l’histoire et à l’imaginaire : La Nuit des naufrageurs relate l’épopée des pirates et Les Vies multiples du troubadour Peire Vidal reconstitue la vie de l’Occitanie au temps des troubadours. Ces deux livres sont publiés par les Éd. de Pierregord. Justine et les loups qui se situent en Aubrac et Le Bois des Demoiselles en Ariège (Éditions De Borée) mélangent réalité et légende tout comme Les Oiseaux de la Tramontane  (Souny). L’Aigle de la frontière évoque la montagne et ceux qui la traverse : contrebandier, berger, mais aussi réfugiés et fugitifs.

Le point commun de tous ces romans est l'imaginaire, le merveilleux, sans oublier la nature, le fantastique et surtout l’aventure avec des personnages attachants.

Michel Cosem est décédé le 10 juin 2023 à l'âge de 84 ans.

 

Distinctions littéraires

  • Prix Loisirs-Jeunes 1975 pour Découvrir la poésie française (Seghers, 1975)
  • Prix de la Ville de Vénissieux 1980 pour Alpha de la licorne (La Farandole, 1979)
  • Prix Méridien 1981 pour La Dérive des continents (Encres, 1980)
  • Prix Antonin-Artaud 1986 pour Aux yeux de la légende (Dominique Bedou, 1986)
  • Prix Enfance / Midi-Pyrénées 1987 de la Fédération des œuvres laïques des Hautes-Pyrénées pour Les Traces sauvages de l'Estelas (Milan, 1990)
  • Prix Malrieu 1993 pour Le Petit Jour (Sud Éditions, 1993)
  • Prix de l'Association nationale des conseillers pédagogiques 2002 pour Malelouve des terres à Brumes (Sedrap, 2002)
  • Prix Renaudot des Benjamins 2003 pour Malelouve des terres à Brumes (Sedrap, 2002)

 

(*)

 

 

Une vie, un poète : Michel Cosem

Francopolis novembre-décembre 2023

Recherche Éric Chassefière

 

Créé le 1 mars 2002