Michel Cosem n’est plus, et c’est pour beaucoup d’entre
nous, qui avons été lancés et accompagnés par Encres Vives, une perte douloureuse. Encres
Vives, avec sa revue, fondée en 1960, et ses deux collections, Lieu
(poèmes liant un poète à l’un de ses lieux favoris) et Encres Blanches
(plus spécialement réservée aux nouveaux poètes et aux rééditions de
recueils publiés par la revue), venues plus récemment en étoffer la
production de recueils de poésie, c’est près de 2000 recueils et 400
auteurs publiés, dont beaucoup ont acquis au fil du temps une vraie
reconnaissance dans le milieu poétique. Nous sommes nombreux à devoir
beaucoup à Encres Vives, nombreux aussi à avoir éprouvé le besoin de
revenir fréquemment aux sources en confiant nos écrits à Michel Cosem, qui disait de la revue :
« Tout en demeurant dans un format modeste Encres
Vives continue d’attirer, de retenir, d’influencer des
générations nouvelles, en faisant preuve à la fois d’exigence et
d’ouverture. C’est là je pense une volonté affirmée qui regarde plus
certainement vers l’avenir que vers le passé.
J’ai essayé de conserver l’enthousiasme du début,
d’être attentif aux nouveaux, de les aider à se construire en bonne
compagnie et il n’y a là rien que de très naturel. De là peut naître un
rapport à la poésie avec qui il faudra compter. Cet afflux de nouveaux
auteurs –et je ne saurais tous les citer – oblige à encore plus de rigueur
mais aussi d’attention et de gestion. Mais aussi de demeurer en dehors des
clans, des modes et des obligations que peuvent susciter les médias ou
autres nouveautés. Avec comme volonté constante de demeurer à l’écoute de
ce qui se passe ».
Sans connaître bien souvent
directement Michel, nous nous étions habitués à ses missives bienveillantes
en retour des envois de propositions de recueils que nous lui adressions.
Des mots toujours posés et encourageants, une fidélité sans faille dans le
soutien aux nouveaux auteurs, passant dans certains cas, après quelques
années, par un numéro spécial. Michel était la discrétion et la
bienveillance même, ouvert à toutes les formes de poésie pourvu qu’elles
soient authentiques, expressions sincères d’un engagement fort dans
l’époque qui les porte. Il écrit ainsi dans le numéro 62-63 d’Encres
Vives, daté de l’hiver 1967-1968, consacré à la civilisation
occitane : « … l’écrivain, et plus spécialement le poète est
situé dans sa civilisation, non d’une manière logique, mais par le fait
même d’écrire : il engage tout de lui-même et en même temps tout de sa
civilisation. L’époque des écrivains qui puisaient ici et là leur
inspiration semble révolue, de même que celle de l’écrivain qui décidait de
se consacrer à son clocher en exaltant un passé mort. L’écrivain – s’il
n’est pas un faiseur – est tout entier l’homme de son époque. Et s’il ne
l’est pas, il doit tendre à le devenir ». Homme d’une civilisation et
d’un territoire, Michel Cosem l’était au premier
chef, dans cette Occitanie tant aimée, berceau de sa famille paternelle,
qu’il arpentait de ses pas et ses mots. On peut lire dans le même numéro ce
poème de lui :
« Neuf heures.
Seules les vignes miaulent
dans cette nuit mauve où le grand retour
fouette la terre sèche.
s’il fallait peut-être je joindrai
mon ombre pelage transhumance
au grand parfum des terres pressées,
au succès du chemin, à l’éclat de
l’oronge,
à la forme habile du pays
traversé ;
s’il fallait ajouter un frisson à
l’amour,
je rejoindrai ces pierres taillées à la
forme des corps
dans les dérives d’arbres,
de maisons et de semences
neuves. »
La collection Lieu d’Encres
Vives, que Michel définissait ainsi : « cette
collection propose des poèmes liant un poète à l'un de ses lieux favoris :
voyage, rêverie, méditation, quotidien, biographie, reportage », constitue précisément une ligne par
laquelle de nombreux poètes, ancrés dans un terroir, ou voyageurs en quête
au contraire de déracinement, ont pu exprimer leur
relation, réelle ou rêvée, au monde qui les entoure. Qui, mieux que Michel Cosem, a su faire partager par sa poésie l’âme d’un
lieu (on lira par exemple les poèmes publiés dans le Francopolis
de mars-avril 2020, ou ceux du Salon
de Lecture du Francopolis
de mars-avril 2021) ? Avec près
de 400 numéros, dans lesquels se sont exprimés plus de 160 auteurs, la
collection Lieu d’Encres Vives, constitue un terreau
d’humanité unique, tant par la diversité des lieux explorés, que par la
façon de les appréhender. Cette
collection fut pour beaucoup d’entre nous, voyageurs-poètes, une
bénédiction, permettant une formalisation rapide du carnet de poèmes,
voyage dans le voyage, qui donne tant de relief aux lieux visités et aux
personnes rencontrées.
Prenons,
à titre d’exemple, le recueil La pierre à ciel ouvert publié dans Lieu
par Michel en 2020. Voici ce que j’en écrivais dans une recension
récente (cf Francopolis de mars-avril
2023) :
« Il faut, lisant ces textes, pour l’essentiel des proses aux phrases
longues et sans virgule, se laisser porter par les courbes amples de la
pensée et des images qui la jalonnent, évoquant les lignes d’un paysage. La
parole semble s’y fondre aux bruissements de la nature, son cours épouser
tel un ruisseau les creux entre les hauts rochers, le silence s’y faire
image de ces horizons lointains que le poète aperçoit de temps à
autre : « Au loin la ligne de crête se confond avec de longs
nuages qui dessinent des lacs des golfes des embouchures et prolongent
ainsi la beauté du monde ». Les mots utilisés sont simples, tout en
clartés et transparences, le poète écoute : « écouter parler les
pierres ces blanches silhouettes dans le velours noir du Causse », et
parle : « il est grand temps d’écrire toutes les confidences et
le goût des chants d’oiseaux », instaurant un dialogue avec cette
nature à laquelle on le sent profondément attaché. Une nature en dialogue
avec elle-même, comme lorsque ce rapace perché dans les rochers aux formes
reptiliennes émet son « cri carnassier » à l’adresse des fées de
la rivière « ayant dans leurs flancs tous les mystères du monde et les
lois de la pierre », une nature en quelque sorte écosystème physique
et spirituel vivant en harmonie, riche de tous les antagonismes et de
toutes les alliances, à laquelle on ne peut rien retrancher sans risquer de
remettre en question son existence même. C’est dans cette complétude, ce
dialogue de la nature avec elle-même, que le poète vient respectueusement
glisser sa voix, le paysage de sa voix a-t-on envie de dire, qui se mêle à
celui de la voix du monde. Écoutons-le parler au coquelicot :
« Joli
coquelicot
Qui se balance au
vent de Rocamadour
Ne perds pas ta
belle couleur rouge
Garde-là
précieusement à l’heure où le gris l’emporte partout
Un coquelicot gris
serait bien triste
Au bord de ce
chemin qui s’avance avec certitude
Entre les pierres
et les genévriers »
La parole est simple, le symbole
évident, c’est de ce chemin-là qu’il faut faire sa vie, de cette fleur-là
son étoile. Une profondeur s’ouvre, celle du rouge sur le gris, du ciel sur
la pierre, « la pierre à ciel ouvert » que disant cela le poète
ramasse et tient au creux de sa main, sentant battre en lui le pouls de la
nature. »
Dans son souci d’aider les poètes à
publier, Michel créa également la collection Encres Blanches,
« plus spécialement réservée aux nouveaux poètes », qui en 20 ans
d’existence a révélé, ou aidé à mieux faire connaître, à travers la
publication de près de 800 recueils, plus de 300 auteurs. Une entreprise
considérable, regroupant une part significative de la communauté des poètes
français, certains ayant ensuite fait leur chemin et acquis une vraie
reconnaissance. Au total, en incluant la revue et les deux collections,
c’est près de 400 poètes qu’Encres Vives a publiés, et pour une
grande partie d’entre eux révélés au public.

Premier recensement (incomplet) des
poètes publiés par Encres Vives, soit dans la revue, soit dans l’une des
deux collections Lieu et Encres Blanches.
Nous avons, avec plusieurs membres du
comité de rédaction, décidé, fidèles à l’esprit impulsé par Michel Cosem, de nous tourner vers l’avenir et continuer Encres
Vives, dont l’immense héritage, tant humain que littéraire, ne peut
rester lettre morte. Faire vivre et fructifier la revue et les collections,
dans l’esprit tracé par leur fondateur, au service d’une communauté de
poètes toujours plus vivante et diverse, voilà l’objectif que nous nous
sommes tracé pour les années qui viennent. La
spécificité d’Encres Vives, rappelons-le, est la publication, dans
chaque numéro, d’un recueil d’un seul auteur, 16 pages au format A4, qui
vont devenir 32 pages au format A5 à partir de janvier 2024. La revue
restera mensuelle, avec 12 numéros par an et la possibilité, pour un
surcoût modeste, de recevoir dans l’année 2 volumes de chacune des
collections Lieu et Encres Blanches. L’abonnement donnera
droit à un tarif préférentiel pour l’achat de n’importe quel volume de ces
deux collections.
Nous vous invitons, chers lecteurs de
Francopolis, à rejoindre Encres Vives et vous remercions de
transmettre l’information aux personnes de votre connaissance qui
pourraient être intéressées.
Lien
vers le bulletin d’abonnement à télécharger ICI
Éric Chassefière, au nom du Comité de
Rédaction :
Annie Briet,
Catherine Bruneau, Éric Chassefière (directeur de la publication),
Jean-Louis Clarac, Jean-Marie David-Lebret,
Michel Ducom, Gilles Lades,
Jacqueline Saint-Jean, Christian Saint-Paul.
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Biographie
Michel Cosem
est originaire du sud de la France. Il a fait ses études supérieures à
Toulouse. Il écrit des romans et des poèmes depuis toujours. Il a publié de
nombreux ouvrages (romans, poèmes, anthologies) et consacre sa vie à
l'écriture, aux voyages, à la lecture et aux rencontres avec ses lecteurs
un peu partout en France et à l’étranger.
Ses romans parlent tout aussi bien
des régions du grand Sud aujourd'hui, que des pays lointains dans l'espace
et dans le temps comme l’Égypte (Le Secret de la déesse Bastet, L’Or
de Pharaon), le Sahara (La Rose rouge du désert), la Grèce (L’île
pélican), la Mongolie (À cheval dans la steppe), l’Espagne (Les
Oiseaux du Mont Perdu, Feu Follet de Santa Fé),
les Pyrénées (Les Neiges rebelles de l’Artigou,
Les Traces sauvages de l’Estelas).
D’autres livres se situent dans le rêve et le légendaire (Malelouve des terres à brume, Rendez-vous
avec Mélusine, Les Chevaux du Paradis) ou se déroulent au Moyen
Âge ou à l’époque de la Résistance (Les Doigts à l’encre violette).
Ses derniers romans pour adultes
accordent une grande part à l’histoire et à l’imaginaire : La Nuit des
naufrageurs relate l’épopée des pirates et Les Vies multiples du
troubadour Peire Vidal reconstitue la vie de
l’Occitanie au temps des troubadours. Ces deux livres sont publiés par les
Éd. de Pierregord. Justine
et les loups qui se situent en Aubrac et Le Bois des Demoiselles en
Ariège (Éditions De Borée) mélangent réalité et légende tout comme Les
Oiseaux de la Tramontane (Souny). L’Aigle de
la frontière évoque la montagne et ceux qui la traverse :
contrebandier, berger, mais aussi réfugiés et fugitifs.
Le point commun de tous ces romans
est l'imaginaire, le merveilleux, sans oublier la nature, le fantastique et
surtout l’aventure avec des personnages attachants.
Michel Cosem
est décédé le 10 juin 2023 à l'âge de 84 ans.
Distinctions littéraires
- Prix Loisirs-Jeunes 1975 pour Découvrir
la poésie française (Seghers, 1975)
- Prix de la Ville de Vénissieux 1980 pour Alpha
de la licorne (La Farandole, 1979)
- Prix Méridien 1981 pour La Dérive des
continents (Encres, 1980)
- Prix Antonin-Artaud 1986 pour Aux yeux de
la légende (Dominique Bedou, 1986)
- Prix Enfance / Midi-Pyrénées 1987 de la
Fédération des œuvres laïques des Hautes-Pyrénées pour Les Traces
sauvages de l'Estelas (Milan, 1990)
- Prix Malrieu 1993 pour Le Petit Jour (Sud
Éditions, 1993)
- Prix de l'Association nationale des
conseillers pédagogiques 2002 pour Malelouve
des terres à Brumes (Sedrap, 2002)
- Prix Renaudot des Benjamins 2003 pour Malelouve des terres à Brumes (Sedrap, 2002)
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