JUIN 2009
Entrevue avec Jean-Marc La
Frenière
par Gertrude Millaire
« j'ai l'habitude de comparer
les écrits de jml à un chant grégorien. Il y a
dans son écriture un brin de shamanisme, un envoûtement
certain, le bruit infime des feuilles dans une forêt
boréale de bouleaux... et la signature est le museau humide d'un
caribou sur l'écorce de frêne.
On pourrait dire
que
ça gagnerait en concision ? mais d'un autre côté
cela perdrait en atmosphère. La taïga ne serait pas la
taïga si on la mettait dans le parc Monceau. »
Aar |
***
Un fleuve à marée haute
Chez nous, le ventre du pays est un fleuve
à marée haute. Des Grands Lacs à l’estuaire, je
remonte sur le canot des mots. Je me confonds avec les Bois-Francs, la
neige, les érables, avec l’air et le feu. J’écris avec
une plume en poil de chevreuil des phrases en file indienne. jml
- Pour toi, Jean-Marc,
est-ce que la venue d’internet a changé ta vision de la
poésie ? Et quel a été l’impact de ce
médium sur ta vie ?
Pour moi, écrire est un travail de
pauvre. Il suffit d’un crayon et du papier. Quand on se sert d’un
ordinateur, ça change un peu la mise. Le principal
intérêt du net est de pouvoir trouver un lectorat. Je
demeure un inconditionnel de l’édition sur papier,
particulièrement pour la poésie. Il y a cependant sur le
net des rencontres qu’on ne ferait pas autrement. Je participe à
un groupe d’écriture assez particulier depuis 4 ans dont
l’existence n’a été possible que grâce au net. Nous
avons publié un livre collectif Photomaton et nous en sommes au
3e numéro d’une revue, Scribulations, dont tous les textes sont
issus du net. Avec la disparition progressive des revues papier, le web
tient maintenant le rôle de ces revues. Les meilleurs exemples en
sont le site de Jean-Michel Maulpoix
et le webzine Francopolis.
Mais généralement les forums de poésie sur le net
ne volent pas très haut. Ça oscille entre le
carrément fleur bleue nouvel-âgiste et le cynisme qui se
prend pour de l’intelligence (le Forum bleu, par exemple). Pour la
découverte de poètes majeurs, je recommande le site de
Gil Pressnitzer, Esprits
nomades. Il y a 2 auteurs issus du net que j’aime beaucoup, Thomas Vinau
et Stéphane
Méliade.
Je me trompe si j’affirme que ta vie est
poésie et que le poème s’écrit au rythme de ton
souffle ?
Si j’avais à
qualifier mon écriture, je parlerais de mouvement, une
écriture en spirale comme les cahiers d’école. La plupart
du temps, j’écris en marchant. C’est probablement la raison pour
laquelle je suis si prolifique. J’habite à 7 kilomètres
du village et je n’ai pas de véhicule. J’écris comme un
pied qui cherche son soulier. J’ai marché longtemps pour arriver
nulle part. Dorénavant, j’avance mot à mot pour revenir
à moi, l’orage sur l’épaule et mes tripes à la
main. La vie commence où finissent les contes. Je prends la
peine de vivre entre mes dents de loup, les heures
dévoyées, les heures dévorées. L’oiseau qui
vole a la confiance du ciel. Je fais confiance aux mots pour trouver ma
route.
Ton écriture est très animée et
ton style est vraiment personnalisé, quelles sont les
influences qui t’ont emmené dans cette direction
d’écriture ?
Si je savais
écrire, je n’écrirais probablement plus. Je ne suis pas
un théoricien. J’écris comme on respire. Pour trouver sa
voix en poésie, il ne faut surtout pas écouter les
conseils des autres. Je ne crois pas du tout aux ateliers
d’écriture. Ils ont tendance à niveler les
différences. Tout le monde finit par écrire de la
même façon, une écriture blanche. Ce sont souvent
ses défauts qui font la beauté d’un poème, du
moins sa vérité.
Ton nouveau recueil sort ce mois-ci aux
Éditions Chemin de Plume, “ Manquablement”, peux-tu me
raconter un peu ton approche à l’écriture de ce recueil ?
Du plus loin que je me
souvienne, j’ai l’impression d’avoir toujours écrit, avec des
cailloux, des bouts de bois, des billes, des graffitis sur le givre.
Les mots sont venus plus tard. J’écris avec tout ce qui
m’entoure. En fait, je me laisse écrire par le paysage.
Manquablement est une suite de Parce que. Je ne saurais vraiment dire
comment mes livres se sont fabriqués. Je ne sais jamais ce que
je vais écrire avant de l’avoir écrit. J’écris
probablement pour le savoir.
Je voudrais écrire d’une encre végétale, dans
l’immédiat et le constat, en deçà du réel.
Malgré l’abondance des métaphores, je me réclame
de Ponge et Guillevic. Les mots sont des choses. Le temps de la
poésie n’est pas lisse. Il serait plutôt comme une horloge
enrouée, une longue phrase erratique, en perpétuel
contact avec le paysage.
Je voudrais écrire avec la conviction des fleurs. J’essaie
d’être là dans chacune de mes phrases. À l’insu
même des mots. J’écris pour agrandir le sang des gestes,
guérir le pain malade et déborder l’espace. Il doit bien
y avoir un début de vérité quelque part, une route
inconnue entre le bien et le mal. Ce qu’on hésite à dire,
on peut toujours l’écrire. Je veux toucher la vie, la regarder
sans vitre, combler l’espace entre la chair et le désir, faire
éclater les murs, les préjugés, rayer la nuit
d’une encre blanche de lumière.
As-tu d'autres projets de publication en route ?
J’ai un prochain livre, "Un feu me hante", illustré
par Lino,
qui devrait paraître à l’automne aux Éditions du Sabord,
à Trois-Rivières.
Merci Jean-Marc,
je sens que tu as le vent dans les
voiles... belle continuité dans l’écriture.
**
Visiter son blog
Jean-Marc Lafrenière fait parti du comité
de Francopolis.
et a semé quelques textes dans
cette terre.
Il est l'invité au Salon de
lecture ce mois-ci
.
Publications
aux Éditions Chemins de Plume:
- L'Autre versant, 2006
- Parce que, 2007
- Manquablement, 2009
autres publications:
- Pour en finir avec la mort, Légitime démence, 1990
- La nuit des gueux, collectif,
La Plume libre, 2006
- Photomaton, collectif,
En Ligne Éditions, 2006
- Scribulations
0-1, collectif, Éditions La Madolière, 2008
Entrevue
par Gertrude Millaire
pour francopolis juin 2009
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