Se plonger, comme lecteur, dans
un livre composé d’histoires est, à la différence de l’immersion dans un
recueil de poèmes voire dans un roman, un exploit à la fois courageux et
délicat, qui demande du doigté et de l’empathie ; car il s’agit de
toucher à l’intime du narrateur. Quoi qu’il nous raconte, il parle, en
fait, toujours de soi-même, il est à fond dans une confession
ininterrompue, sous couverture, certes, mais authentique et immédiate,
qui révèle son âme mise à nu.
On est, avec ce volume de
contes, récits et nouvelles, dans un caléidoscope d’une grande richesse
donnant à voir, à toucher presque, toutes les facettes d’une vie. Que la
narratrice nous permette d’imaginer un monde de passions caché dans
l’histoire des lieux (Meurtre au château), ou qu’elle nous amène à
vivre les déchirements d’une humanité orwellienne perdue dans un désert
postapocalyptique (Siège), qu’elle nous fasse prendre part aux
joies et aux drames du petit peuple du Vivarais, des enfants insouciants
aux jeunes filles en fleur, et des jeunes femmes en quête aux vieilles
veuves en folie, dont les histoires personnelles se perdent dans la
grande historie (comme dans toute la première section du volume, et
surtout dans Soleil noir et La féé Carabosse), qu’elle nous
implique dans les plus secrets recoins psychiques et comportementaux de
ses personnages – aussi drôles (souvent) que tortueux (toujours), tout en
ayant l’air de ressembler à Monsieur et Madame tout le monde (Un petit
coin de paradis, Feuilles, Silence, L’œil et la main,
Osmose, La différence), qu’elle explore, enfin, le petit
enfer clos familial (Les Érinyes, Noël en famille, La
règle) ou le jeu de cache-cache des relations amoureuses socialement
défendues (Junon ou une improbable relation), Éliette Vialle nous
dévoile, avec un stylet alerte et
précis, des incisions au vif dans le vécu autant que dans l’imaginaire.
Emporté par le ton de confesse
de la narratrice – qui s’implique souvent à la première personne, comme
témoin sinon comme personnage d’une histoire – le lecteur est charmé
aussi par son écriture inspirée et envoûtante, par la langue soignée,
élégante et riche, qui sait aussi laisser place au patois, au jargon
familier, à l’oralité, par le style mélangeant l’humour voire
l’autodérision, et une nostalgie presque tragique, mais surtout, par tout
le halo onirique autant que sensuel qui se dégage de ces histoires
vraies, ou ressenties comme telles.
Au point qu’une prose de pure
rêvasserie sur des tableaux célèbres (Fin de saison) devient comme
la métaphore révélatrice de l’écriture elle-même : le narrateur
raconte ce qu’il lui semble voir et vivre, et se perd ainsi dans le
tableau raconté puisque celui-ci était justement comme une évocation de
sa propre vie. Un jeu de miroirs ouverts, à double face, qui séduit
autant qu’il instruit sur ce que nous sommes tous, nous, ses semblables,
ses frères. L’écrivain est en tout un chacun, c’est le soi. Merci,
Éliette !
Dana Shishmanian
(préface du
livre)
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(*)
Éliette Vialle est issue d’une ancienne famille
de paysans du Vivarais. Les contes et les lectures institués par son père
l’amènent, très jeune, à rédiger des histoires qu’elle illustrait pour
concevoir de courtes BD. Elle a toujours encouragé ses élèves à
l’écriture. Aujourd’hui, elle est à l’origine de la vocation de
quelques-uns.
À Francopolis, équipe
qu’elle a intégrée en août 2010, elle est la Grande Dame de la
prose : tant par ses propres écrits – contes, nouvelles, récits –
dont est constitué en partie ce volume anthologique d’une grande densité,
qu’en tant qu’animatrice permanente de la rubrique Suivre un auteur, qu’elle
alimente régulièrement, en nous faisant découvrir et suivre des auteurs
d’une prodigieuse diversité, tous genres confondus : nouvelle et
récit (autobiographique, historique, onirique, fantastique…), journal,
roman, fables et contes pour petits et grands, écriture poétique, et même
science-fiction…. Francopolis doit à son travail personnel et à sa
générosité l’accomplissement de notre Anthologie
de la prose, dont la 2ème édition est sortie à la fin
de l’année 2022, année anniversaire des 20 ans d’existence de la revue,
dans le cadre de notre Bibliothèque numérique.
Mais Éliette est aussi poète…
je ne pourrais ne pas rappeler ici son écriture sensible et subtile,
qu’évoque aussi certaines de ses proses – mais dans un autre
registre – dont témoignent son groupage J’ai
trop vu des forêts désenchantées… (à cette même rubrique, en
mars-avril 2021) ou ses poèmes
au Salon (de décembre 2010).
(D.S.)
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