Au détour de la route, dans la pluie tombante du
crépuscule, la demeure faisant évanouir d'un coup toutes les rêveries du
voyage. Et s'installer autrement, et découvrir le sol stable jusque-là
réfuté. La dame veille, attend, non de l'attente d'une belle au bois
donnant mais de l'attente active des veilleurs, des guetteurs de signes.
Vie active et contemplative des messages et des symboles, contemplation
et vérité de l'attente, une façon de se confronter au temps et au
devenir.
***
Nous avancerons au plein de l'amour, il viendra de
partout, nous le charmerons et le multiplierons, il reverdira et nous
serons en cette contrée de Babel, enfin la cité heureuse de toutes les
langues. Les champs de blé se serrent près du chemin, des lieux
ensauvagés où la forêt fait barrage. Gardel la lenteur, s'attarder à la
patience, faire ouvrage de la mémoire humaine.
***
C'est ainsi que j'imagine l'arrivée du voyageur, devant
l'inattendu et l'incompréhension de cet espace, le tenant à distance. Ce
ne serait pas n'importe quel voyageur, mais un de ces personnages
imprévisibles, assez fou pour se perdre jusque-là, qui sont la vie en ce
qu'elle a de violemment vivant, animal, obscurément accordé et plus que
d'autres à la fuite des cailloux sous la marche, au balancement des
branches, au bond du ruisseau. Quel pays mythique réinventerait-il alors
? Quel vieux monde ferait-il surgir de ces profondeurs forestières ? dans
ces frontières crépusculaires des pays de l'autre côté ? Il jaillirait de
la confusion, un espace inconnu dans le scintillement de fragments
creusés d'encre, avec une liberté plus grande sur ces hautes terres. À
quelle lenteur faudrait-il mener le poème pour qu'il s'accorde à la houle
de la forêt ? et dans quelle lave dissoudre la langue pour qu'en émerge
son aube améthyste ? quelle aventure créative d'un nouveau style
viendrait luire à l'éclat solitaire de la pierre ? Quelle écriture
d'histoire où seuls parleraient les roches, les arbres, les eaux et le
vent ?
©Nicole Barrière
Carnet d’aubes, Août
2022
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(*)
Nicole Barrière, poétesse et passeuse de poésie – en tant qu’éditrice,
coordonnatrice d’anthologies, et non en dernière instance, défenseuse des
libertés – n’a plus besoin de
présentation ; elle a honoré en de nombreuses reprises les pages
virtuelles de notre revue, à cette même rubrique,
ainsi qu’aux rubriques Salon
de lecture, D’une
langue à l’autre, Coup
de cœur, ou encore Gueule des mots ;
voir aussi son dossier sur la
poésie afghane dans notre Bibliothèque
Francopolis.
Pour
la suivre sur la toile : sa page Facebook.
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