L’Île parle
Feuilles du
filao,
Fines cordes de
harpe
Qui n’en finissez pas de frissonner au vent,
Gousses du
catalpa,
Bourse aux
monnaies sonnantes
Dans le vent,
balancées quand la branche balance,
Et vous vaste
ressac des lames sur le sable,
Vous contez nos
malheurs
Ou riez
longuement
Et prêtez langue
haute aux cent drames de l’Île…
Feuilles du
filao,
Gousses du
catalpa, Ressac des longues lames,
Ouragans qui tordez les cocotiers blessés,
Tonnerre
souterrain du volcan qui dort mal,
Et par ses cauchemars longuement secoué,
Craquements sous
nos pieds de la terre qui tremble,
Et la brise qui
chante autour des vérandas
Et fait bouger
tout seuls berceuses et hamacs
Quand le soir
fait pleurer à force de douceur !
La brise aux mains
fragiles
Caresse les
cheveux chantants des filaos.
L’opulente
nature est si riche et si gaie
Qu’elle secoue
et fait sonner le catalpa,
Et sous les
vastes pas de la houle en voyage
À large bruit
mourant la mer et son écume
Déroulent
jusqu’au sable un tapis bleu cristal.
Et c’est la
Martinique qui parle et qui raconte
Le voyage et
l’élan des hautes caravelles,
La fétide
aventure où le vent négrier
Poussait la
chair aux Îles,
Et puis les
belles dames,
L’ensorcellement
des choses et des gens
Au pied du morne
aux mille bambous,
Et c’est la
Martinique qui chante ses amours
Et murmure à
l’oreille du temps
Tous ses secrets
Pour qu’ils
soient divulgués par l’alizé bavard.
Le jour s’étant
lassé d’éparpiller ses feux
Se jette au lit
sanglant de la mer assassine
Où le soleil
achève de mourir.
Légions et
myriades,
Insectes
bruissants, déclenchez le concert
Immense,
universel, subtil et crépitant
Dont par les
nuits sans lune
Ou sous la lune
bleue
Vous savez
bercer l’Île
Jusqu’aux
premiers rayons de la soudaine aurore.
Et que toute la
cour du Puissant Belzébuth,
Que diables et
diablesses,
Que zombis
horrifiques, ombres invulnérables,
Que soucougnants
(1) volants,
Que bêtes
fantastiques
Et chevaux «
engagés » (2) galopant sur trois pattes
Versent l’effroi
au cœur des hommes !
Et chevaux dont
le diable a fait un engin galopant sur trois pattes…
Les Îles
La Corse est toute droite,
Debout comme
l’amphore au col mince.
Madagascar sur sa base chavire
Et se renverse
en arrière,
Outre immense
adossée.
La Martinique
Svelte et longue
entre ses deux Océans
Se penche,
Faisant avec la
Caravelle
Un geste d’aile,
Puis s’incline
en avant,
Sans faillir,
toutefois.
La Guadeloupe a la taille serrée
Par sa ceinture
d’entre-deux-mers
Et jette en
avant-garde pour se garder Les
Saintes,
Marie-Galante pour se faire aimer
Et pour se faire
désirer La Désirade.
Tahiti est une double goutte,
Ou c’est une
boucle d’oreille
Égarée très
loin, très loin, dans le Sud.
Et c’est un gros
pâté tout rond
Que dans l’Océan
Indien nous offre,
Avec du café de
Bourbon,
La Réunion.
Perspective
Plus je serai
distrait
Plus mes poèmes
seront beaux
Et quand je
serai totalement braque
Lorsque j’oublierai
ma tête dans le métro
Et mes godillots
dans la baignoire
À moitié vide
Alors mes vers
feront éclater le papier
En petits
morceaux
Qui seront des
confettis sublimes
Tombant en neige
bénéfique
Sur les
générations et les semis
De petits Pois
De la Patagonie
à la rue Quincan-idem-
C’est-à-dire
Quincampoix
En passant par
le Détroit de Gibraltar
À marée basse et
à pied sec.
Merci et Amen.
(2) Note de l’éditrice (N.I.G.) : Engagé, n. : Qui a
vendu son âme au diable. In Dictionnaire du français régional des
Antilles, Sylviane Telchid, Éditions Bonneton, 1997, p. 73.
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