Mai-juin 2023
Trois poètes italiens contemporains
Présentés et traduits par Giuliano Ladolfi :
Giuliana
Rigamonti
Giuseppe
Carracchia
Luca Ariano
***
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Giuliana
Rigamonti
Giuliana Rigamonti est née à
Sondrio, dans la Valteline, où elle réside. Outre qu’elle est poétesse,
elle est égyptologue, spécialisée en philologie.
|
L’autunno non
venne
Lo spiazzo dei
rododendri l’abbiamo
appena
lasciato. Vuoi la cima che taglia
il cielo in
due, come due mari – dicevi –
inseguendo la
vela reale dell’aquila.
L’autunno non venne
per noi di castagne
e lentissime
sere. La piccozza è piantata
nella valanga,
il tuo sguardo in bianche
raffiche di
cieli.
|
L'automne n'est
pas venu
La clairière
de rhododendrons nous venons
de la laisser.
Tu veux le sommet qui coupe
le ciel en deux,
comme deux mers – tu disais –
en poursuivant
la voile royale de l'aigle.
Pour nous
n'est pas venu l'automne des châtaignes
et des soirées
très lentes. Le piolet est planté
dans
l'avalanche, ton regard dans les blanches
rafales des
cieux.
|
I rami di dicembre
I rami di
dicembre si inteneriscono
al sole dei
vetri. Timido modo
di narrarmi un
pezzo di cuore,
la ringhiera
sulla valle cucita
a filari di
ricordi, di lenta voce
del fiume
dentro la voce dei corvi.
E di questo
avere la chiave. Fuga
controluce sui
crinali di un’ora
che leviga i
passi, poi giorni che curvano
e sere sotto
cime di silenzio.
C’è una casa a mezzacosta, rosanuvola
nel regno dei ghiri. Vanno, vengono,
sol che li chiami piano…
Come fosse
ieri, girotondo di corti.
Un gatto misura
l’ombra insipida
dell’orto e
fiuta un ritorno. Conosce
la tua carezza
e il conto torna. Non sa
dei tuoi
passi, giocati a metà strada,
a metà del
cuore.
|
Les branches de
décembre
Les branches
de décembre s'adoucissent
dans le soleil
des fenêtres.
Façon timide
de raconter un
morceau de mon cœur,
la balustrade
de la vallée cousue
en rangées de
souvenirs, de lente voix
de la rivière
dans la voix des corbeaux.
Et de ceci
avoir la clé. Fuite
en contre-jour
des crêtes d'une heure
qui lisse les
pas, puis des jours qui s'incurvent
et des soirs
sous des cimes de silence.
Il y a une maison à mi-hauteur de la colline,
rose-nuage
au royaume des loirs. Ils vont, ils viennent,
seulement si on les appelle doucement...
Comme si
c'était hier, rond-point des cours.
Un chat mesure
l'ombre insipide
du jardin et
renifle un retour. Il connaît
ta caresse et
le compte est bon. Il ne sait pas
de tes pas,
joués à moitié,
au milieu du
cœur.
|
Le vigne di
gennaio
Già fumano le
vigne di gennaio.
Qualche tralcio
accenna gemme, gocciola
il tramonto
lungo i pali e coi pali
domani l’alba
si pungerà risalendo
la Sassella.
Ma è storia di
terra questa, inzuppata
di cielo e
ombre e sogni che corrono
sull’Adda.
Come trovarsi qui, con le mani
sulla vite –
mio padre il padre di mio padre,
filari della
medesima speranza che
sale e scende
la costa – contro il tempo
che mente,
sapendo di mentire.
E gira il
vento in un silenzio perverso.
Dove la morte
sosta, nell’assente
pietà, mortai
in Oriente e terre fumano.
|
Les vignes de
janvier
Déjà fument
les vignes de janvier.
quelques
sarments laissent entrevoir des bourgeons, coule
le coucher du
soleil le long des mâts et avec les mâts
demain l'aube
se piquera en remontant
la Sassella.
Mais c'est une
histoire de terre, trempée
de ciel et
d'ombres et de rêves qui courent
sur l'Adda.
Comme être ici, avec les mains
sur la vigne -
mon père, le père de mon père,
des rangs du
même espoir qui
remonte et
descend la côte – contre le temps
qui ment en
sachant qu'il ment.
Et tourne le
vent dans un silence pervers.
Là où la mort
s'arrête, en pitié
absente, les
mortiers dans l'Est et fument les terres.
|
Giuseppe Carracchia
Giuseppe
Carracchia (1988) est poète, érudit et professeur. Il a publié quatre
recueils de poésie. Il est entré dans plusieurs anthologies et a remporté
des prix littéraires.
|
Rinvigorendo
31-03-2013
L’Adige
in piena ad altezza Verona
e
i gorghi e le correnti avverse
eppure
indiscrete (lo stesso fiume.
Pensavi
al Cristo di Cranach il vecchio
deposto
con quel volto
così
strano, lungo la salita).
E
l’anatra qui sotto, fila liscia
rinvigorendo,
e mai
denuncia
la fatica.
|
Revigorant
31-03-2013
L'Adige
en crue à hauteur de Vérone
et
les tourbillons et les courants contraires
et
pourtant indiscrets (la
même rivière.
Tu
pensais au Christ de Cranach l'Ancien
déposé
avec ce visage
si
étrange, le long de la pente).
Et
le canard ci-dessous
s’en va en douceur
en
revigorant, et jamais
dénonce
la fatigue.
|
Prova del nove
I
E
io adesso, in tutta onestà
vorrei
lasciare qui di fianco
a
me tutti gli averi
e
addormentarmi come se fossi
a
casa, per poi svegliarmi
solo
all’arrivo quando diranno
“benvenuti
alla stazione di”
senza
dovermi curare di nulla
(e
neanche del nulla), ma solo
questa
guancia poggiata
sul
finestrino e questo sole
(per
verificare quelle strane
idee
che mi passano per la testa,
la
validità di questa forza
che
tento d’imparare.
Vorrei
proprio vedere se dopo
vi
amerei ancora tutti, così
–
nonostante tutto –
senza
un buon motivo)
|
Essai de neuf
I
Et
moi maintenant, en toute honnêteté
je
voudrais me laisser ici à côté
de
moi tous mes biens
et
m'endormir comme si j'étais
chez
moi, pour me réveiller
seulement
à l'arrivée, lorsqu'on me dira
"bienvenus
à la gare de"
sans
avoir à m'occuper de quoi que ce soit
(ni
de rien), mais seulement
de
cette joue posée
sur
la fenêtre et de ce soleil
(pour
vérifier ces étranges
idées
qui me passent par la tête,
la
validité de cette force
que
j'essaie d'apprendre.
J'aimerais
vraiment voir si après
je
vous aimerai tous autant
-
malgré tout -
sans
une valable raison)
|
Tu,
guardati camminare per un attimo
sfilare
sotto la pioggia della stazione
e
distratto fermarti a prendere un caffè
e
cornetto per poi ripartire e meticolosamente
prima
toglierti le briciole di dosso,
guardati
fiorire un’idea o forse
un
sentimento di eleganza e precisione,
aprire
un varco all’autenticità
di
uno splendore comune, quotidiano.
Siamo
qui, dove volevamo
e
anche un po’ oltre
dove
non avremmo mai osato.
|
Toi,
regarde-toi marcher un instant
parader
sous la pluie de la gare
et
t'arrêter distraitement pour un café
et
un croissant, puis repartir et méticuleusement
d'abord
enlever les miettes de tes vêtements,
regarde-toi
fleurir une idée ou peut-être
un
sentiment d'élégance et précision,
ouvrir
une porte sur l'authenticité
d'une
splendeur commune et quotidienne.
Nous
sommes ici, où nous voulions être
et
même un peu plus loin
où
nous n'aurions jamais osé.
|
Luca Ariano
Luca
Ariano (Mortara - PV 1979) vit à Parme. Il a publié plusieurs recueils de
poésie. Il est critique littéraire et coordinateur de la revue de poésie Atelier.
|
Inutile
fingere, i tuoi cromosomi
portati
appresso da secoli,
coi loro
gusti, paure, attitudini,
malattie:
anche tu perderai il senno?
Ti ritroverai
cieco come nonna Giulia?
Non sai nemmeno
più dove sono le ossa
e chi pregava
per lei ormai polvere.
Ci fu qualche
Ariano che uccise
in un impeto
di gelosia? Per un debito
mai saldato
con la puzza di fame addosso.
Quella casa il
saldo di generazioni
e hai solo una
foto, libri di decenni
dimenticati
nel tuo cervello,
carta da
riciclare per nuovi scritti.
Non lascerai
nulla a nessuno,
forse solo
l’ansia di far l’amore
sempre come la
prima volta:
fu la stessa
che divorò Krum
quando uccise
l’imperatore.
Bevve dal suo
cranio, un regno
ai suoi piedi
ma dopo un colpo al cuore
non vide più
nulla da assaltare.
|
Vain de
prétendre: tes chromosomes
portés depuis
des siècles,
avec leurs
goûts, leurs peurs, leurs attitudes,
leurs maladies
: tu vas aussi perdre la tête?
Te
retrouveras-tu aveugle comme grand-mère Julia ?
Tu ne sais
même plus où sont les os
et qui a prié
pour elle, devenue poussière.
Y-a-t-il eu un
Ariano qui a tué
dans un accès
de jalousie ? Pour une dette
jamais payée
avec la puanteur de la faim sur lui.
Cette maison
c'est l'équilibre des générations
et tu n'as
qu'une image, des livres de décennies
oubliés dans
ton cerveau,
papier à
recycler pour de nouveaux écrits.
Tu ne
laisseras rien à personne,
peut-être
seulement l'angoisse de faire l'amour
toujours comme
la première fois :
c'est la même
qui a dévoré Krum
quand il a tué
l'empereur.
Il a bu dans
son crâne, un royaume
à ses pieds
mais après un coup au cœur
il n’a plus
rien vu à assaillir.
|
Louable le
dévouement
tous les
dimanches pour nettoyer
et polir la pierre
tombale:
des fleurs
fraîches et des prières pour toi.
Le destin de
ceux qui croient en l'au-delà
comme des
peuples anciens avec des trésors
à emporter
dans un autre monde.
Tu ne sais pas
où ils sont enterrés
et tu attends
aussi patiemment
ton moment
comme un légionnaire
réserviste
convoqué par l'empereur
pour défendre
les frontières contre les barbares.
Ce baiser vaut
une messe,
la pneumonie
du dernier tramway perdu
pour un amour
dansant dans l'illusion
d'une petite
vie conventionnelle.
Même Pietro da
Verona voyant
les flammes
des corps sur la Piazza Vetra
– au-delà de
la puanteur de la chair brûlée –
pensait au
devoir accompli avec habileté :
quelqu'un l'a
poignardé devant la sacristie.
|
Louable le
dévouement
tous les dimanches
pour nettoyer
et polir la
pierre tombale:
des fleurs
fraîches et des prières pour toi.
Le destin de
ceux qui croient en l'au-delà
comme des
peuples anciens avec des trésors
à emporter
dans un autre monde.
Tu ne sais pas
où ils sont enterrés
et tu attends
aussi patiemment
ton moment
comme un légionnaire
réserviste
convoqué par l'empereur
pour défendre
les frontières contre les barbares.
Ce baiser vaut
une messe,
la pneumonie
du dernier tramway perdu
pour un amour
dansant dans l'illusion
d'une petite
vie conventionnelle.
Même Pietro da
Verona voyant
les flammes
des corps sur la Piazza Vetra
– au-delà de
la puanteur de la chair brûlée –
pensait au
devoir accompli avec habileté :
quelqu'un l'a
poignardé devant la sacristie.
|
La mistica della
pianura
questa sera
perduta
nella ricerca
di tradizioni
terminate da
decenni.
Puoi solo
ricordare a tavola
con amici
mentre pregheranno
per te e per
storie mai tramandate
come case e
quartieri mutati.
Quei libri
carta da riciclare
mentre un
tempo avido li sfogliavi,
studiati per
un altro futuro
diverso da tuo
padre, dal padre
di tuo padre e
i loro conti.
Si allunga il
crepuscolo nelle strade
quando non sai
più a che stagione
appartengono i
vostri baci:
vino fresco
tenuto in cantina
da bere alla
migliore occasione.
San Biagio il
panettone
dono
inaspettato come i giorni
al «Prato
della morte» dove il Boggia
finì con una
corda al collo.
Nelle cantine
tra Viale Bigny
e Via Beatrice
d’Este
ancora
favoleggiano di strane grida.
|
La mystique de
la plaine
cette soirée
perdue
à la recherche
de traditions
qui ont pris
fin il y a des décennies.
Tu peux
seulement rappeller à table
aux amis
pendant qu’ils prieront
pour toi et
pour des histoires jamais transmises
comme les
maisons et les quartiers sont changés.
Ces livres
papier à recycler
tandis que tu autrefois
les feuilletais avec avidité,
étudiés pour
un autre avenir
différent de
ton père, de père
de ton père et
de leurs comptes.
Le crépuscule
s'allonge dans les rues
quand tu ne
sais plus à quelle saison
vos baisers
appartiennent :
vin frais
gardé dans la cave
à boire à la
meilleure occasion.
À la Saint
Blaise le panettone,
cadeau
inattendu comme les jours
au "Pré
de la mort" où le Boggia
se retrouvait
avec une corde autour du cou.
Dans les caves
entre Viale Bigny
et rue
Béatrice d'Este
on raconte
encore des histoires de cris étranges.
|
***
Giuliano Ladolfi,
poète, essayiste et éditeur, est bien connu de nos lecteurs, par ses poèmes
en version bilingue et par ses traductions (voir à
cette rubrique même) ; il a publié un essai
sur la poésie contemporaine au numéro de novembre-décembre 2022. Les
poètes qu’il traduit ici ont été publiés chez Giuliano
Ladolfi Editore dont nous recommandons vivement le catalogue de
poésie !
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Giuliano
Ladolfi - Traductions
Francopolis mai-juin
2023
Recherche
Dana Shishmanian
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