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Chaque mois, comme à la grande époque du roman-feuilleton,
     nous vous présenterons un court conte ou nouvelle : 

     Septembre
2015

I Belive I can fly

de
Paul Degranges


 

Qu’est-ce qu’il fait beau aujourd’hui. Il fait doux, le temps idéal pour courir. Je me sens vraiment bien. J’étais parti pour faire dix kilomètres mais je pense que je vais courir vingt-et-un kilomètres, un semi-marathon. J’ai de l’eau avec moi, du gel énergétique pas de souci. En revanche, je ne vais pas forcer au début pour ne pas avoir mal aux jambes. Enfin… ne pas avoir mal aux jambes, c’est un peu raté déjà, je sens comme un fond de douleur.

Ce n’est pas vraiment une douleur, j’ai plutôt les jambes en coton. Il faut dire qu’en venant en voiture pour courir, j’ai cru que j’allais avoir un accident. Dans une ligne droite, une autre voiture qui arrivait en face a décidé de doubler même si c’était un peu juste. J’ai eu tellement la trouille que je n’arrivais presque plus à appuyer sur les pédales. J’avais comme des fourmis dans les jambes.

Dans un mois je participe au marathon de New-York, il faut que je sois prêt. Je dois avoir confiance en moi. Il faut que je pense à autre chose que je me décontracte pour que la douleur ne s’installe pas. Je connais cette route par cœur, sans regarder la distance sur ma montre, je sais précisément combien de kilomètres j’ai couru. En plus, en écoutant toujours la même liste de lecture, je sais si je cours vite ou non. Aujourd’hui je me sens vraiment en forme, je ne force pas et je cours vraiment plus vite que d’habitude. La sensation bizarre dans les jambes ne disparaît pas mais elle ne se transforme pas en douleur, ce qui est déjà bien. Mais il faudrait peut-être que je ralentisse un peu.

Pour ralentir, je dois penser à autre chose, en général, quand je commence à penser au travail, je me laisse entraîner dans mes pensées et mon rythme ralentit.

Les arbres de Judée sont en fleurs. J’aime bien ces fleurs roses cyclamen, surtout parce qu’elles sont parmi les premières à apparaître dans le paysage. Elles s’ouvrent sur les branches d’un arbre qui n’a pas encore de feuilles et qui semble mort. On dit que Juda s’est pendu à un arbre de Judée après avoir trahi le Christ. Les amandiers, eux, ont déjà leurs feuilles. Eux aussi fleurissent alors qu’ils ressemblent à des arbres morts. D’ailleurs il y a une histoire là-dessus, enfin, plusieurs versions. L’une d’elles dit que lorsque Démophon, fils de Thésée revint de la guerre de Troie, il fut reçu par Phyllis, la fille de Lycurce roi de Thrace, comme s’il avait été son mari. Démophon lui avait juré qu’après avoir réglé ses affaires domestiques, il l’épouserait. Mais comme Démophon ne revenait pas, retardé par ses affaires, Phyllis pensa qu’elle avait été abusée. Elle se pendit et fut transformée en amandier sans feuille. Lorsque Démophon revint, après avoir appris l’histoire, il embrassa l’amandier et celui-ci fleurit.

Bon, ce n’est pas très joyeux tout ça, Juda et Phyllis qui se pendent. Je pourrais essayer de penser à autre chose qu’à la mort. C’est le printemps, tout reverdit, la chaleur est douce et j’ai l’impression que rien ne peut m’arrêter aujourd’hui. Enfin, rien ou presque, j’ai toujours cette sensation bizarre dans les jambes, elle commence à se transformer en douleur. C’est une sensation étrange, je ne me souviens pas avoir déjà eu ce type de douleur. C’est comme si quelque chose me serrait les jambes, mais ça ne peut pas être le short, je n’ai pas un short de compression, il est flottant.

J’ai un mantra pour ça, parce qu’en fait, des douleurs, quand on court on en a toujours. Alors je me répète : la douleur est inévitable, la réussite aussi.

Je crois qu’il va falloir que je me le répète en permanence quand je serai à New-York pour le marathon. Je me demande bien à quoi ça ressemble. Je ne connais même pas la ville, j’ai regardé le parcours sur Internet mais ça ne me parle pas. Et puis, je vais être crevé du voyage en avion, je vais être perdu dans une ville que je ne connais pas avec des gens qui parlent une langue que je comprends à peine. Et avec le décalage horaire et la fatigue du voyage, dans quel état est-ce que je vais être le jour du marathon ? J’ai un doute soudain, je sais que je ne peux plus revenir en arrière, le voyage est payé, il n’est pas annulable mais je me demande si j’ai eu une bonne idée de participer à cette course. Il faut que je garde à l’esprit que je ne serai pas tout seul, on part à plusieurs, il y en a qui maîtrisent l’anglais et qui connaissent non seulement la ville mais qui ont déjà fait le marathon. Et puis comme on dit entre nous, on n’y va pas pour arriver les premiers on y va pour s’amuser.

Je me demande comment ça se passe le trajet en avion. Je n’ai jamais pris l’avion aussi longtemps. Rester assis dans l’avion pendant plus de huit heures, ça doit être difficile à supporter. Même en se relevant de temps en temps, on doit avoir les jambes qui gonflent. On m’a dit qu’on pouvait mettre des chaussettes de compression, celles qu’on utilise pour la récupération après les courses, afin d’avoir moins mal aux jambes. En parlant de ça, c’est quand même étrange, je ne ralentis toujours pas et la douleur aux jambes est là, présente, mais je la supporte. Il faudrait que je réduise un peu le rythme, je ne vais pas tenir les 21 km à cette allure !

La douleur est inévitable, la réussite aussi.

Et si l’avion s’écrase ? La plus grande partie du trajet se fait au-dessus de l’océan. Ça veut dire qu’on ne nous retrouvera jamais. Et s’il y a un problème mais que le pilote arrive à poser l’avion sur la mer, qui viendra nous chercher ? En plus, je ne sais pas très bien nager. En fait c’est plus souvent au décollage ou à l’atterrissage que les avions s’écrasent. Voilà que maintenant j’imagine la scène. Les jambes écrasées par le siège avant, impossible de bouger et personne qui arrive pour me sortir de là. En parlant de jambes écrasées, la douleur refait un peu surface.

La douleur est inévitable, la réussite aussi.

Non il ne faut pas que je pense à une catastrophe aérienne, l’avion reste le moyen de transport le plus sûr. Ça sera un voyage agréable avec une bonne coupe de champagne. Quoi qu’en classe éco, il ne faut pas trop rêver je pense. Bon, un jus de tomate alors. Je ne sais pas pourquoi mais les quelques rares fois où j’ai pris l’avion j’ai bu du jus de tomate. Sans doute parce que j’ai vu d’autres personnes en boire. Jamais, en temps normal, je ne bois du jus de tomate.

La douleur est inévitable, la réussite aussi.

Parfois quand je cours, j’invente des histoires. Une fois j’avais imaginé l’histoire d’un type qui courait, un peu comme moi. Alors qu’il avait commencé sa séance sans problème, en pleine forme, petit à petit il avait commené à avoir du mal à respirer. Puis il avait senti des douleurs qui ressemblaient à un problème cardiaque. Il s’était arrêté de courir, assis sur la piste ne sachant que faire. Il se souvenait qu’il fallait se forcer à tousser pour faire une sorte de massage cardiaque. Il avait attrapé son téléphone et averti les secours pour qu’on vienne le chercher. Il s’était dit que tout allait bien se passer parce qu’il était certain qu’il devait mourir le jour de ses quatre-vingt dix ans, le jour même de son anniversaire, à la même heure que sa naissance. C’était une diseuse de bonne aventure qui le lui avait prédit quand il était jeune adulte. Il revoyait bien la scène. La vieille qui regardait sa main et lui disait, que c’était étrange, qu’il allait mourir le jour même de son anniversaire quand il serait plus vieux. Mais finalement, est-ce qu’elle avait dit un âge ? Alors, il avait douté, et si c’était maintenant ? On était le jour de son anniversaire et l’heure de sa naissance approchait.

C’est marrant parce qu’aujourd’hui c’est mon anniversaire et si j’avais dû mourir à l’heure de ma naissance, je serais déjà mort depuis quelques minutes, avant que je n’arrive sur la piste cyclable pour courir.

La douleur est inévitable, la réussite aussi.

Ah, je me sens vraiment mieux, je ne sens plus du tout mes jambes. Je cours très vite, c’est extraordinaire à quel point je me sens bien aujourd’hui. J’ai même l’impression que je m’envole à chacune de mes foulées. Ça m’arrive de rêver que quand je cours à chacune de mes foulées je glisse en l’air sur quelques mètres et, là, c’est la même sensation, même si je ne glisse pas vraiment. Je me demande si en me concentrant un peu je ne pourrais pas m’envoler sur quelques mètres.

Non, il n’y a que dans un avion que je pourrais voler. Et puis tout se passera bien. On va nous servir à manger,  je pourrai dormir un peu, sans doute que je ne serai pas très bien installé mais tant pis. Il faudra que je pense à garder ma ceinture de sécurité attachée surtout si je veux dormir. La dernière fois que j’ai pris l’avion, il y avait un type à côté de moi qui dormait profondément et on a traversé des turbulences. Le voyant de la ceinture s’est rallumé et une hôtesse a fait le tour pour vérifier que tout le monde était attaché. Lorsqu’elle est arrivée à la hauteur du type elle a été obligée de le réveiller.

- Monsieur, monsieur.

- …

- Monsieur, vous m’entendez ? Je ne comprends pas ce que vous voulez me dire.

- …

- Monsieur, essayez d’ouvrir les yeux et continuez d’essayer de me parler. Vous savez ce qui se passe ? Monsieur ? Vous avez eu un accident de voiture, vos jambes sont coincées sous le tableau de bord. Est-ce que vous sentez vos jambes ? Tenez bon monsieur, on va vous sortir de la voiture et vous conduire à l’hôpital.

La douleur est inévitable, la réussite aussi.


****

Paul Durand Degranges, est originaire de Lyon. Il habite le sud de la France. Il a écrit de nombreux ouvrages dans le domaine informatique, en particulier dans la collection Pour Les Nuls. Il a également publié deux romans :

Rhapsodie pour un Ange. Thriller. Édition Québec Livres ISBN : 978-2764024140

L’Ombre blanche. Thriller psychologique. Édition Québec Livres ISBN : 978-2764024133

* Ces deux romans sont aussi disponibles en version numérique.


Francopolis septembre 2015
Paul Durand Degranges
recherche Éliette Vialle
 

Créé le 1 mars 2002

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