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Chaque mois, comme
à la grande époque du
roman-feuilleton, MADAME RAYMONDE
par Paul Durand Degranges Madame
Raymonde est concierge d’un petit immeuble dans un quartier tranquille.
Bien sûr, elle ne s’appelle pas Raymonde mais Raphaëlle, ce
qu’elle trouve tout aussi moche. En fait, son surnom vient du
prénom de son mari, Raymond – Raymond Lelièvre.
Vous connaissez Madame
RaymondeQuand elle a rencontré Raymond elle avait dix-huit ans. Elle habitait alors un petit village et elle l’a vu arriver sur sa moto au bal du 14 juillet. Immédiatement elle est tombée sous le charme de cet homme avec une peau bronzée, des muscles bien dessinés et quelque chose dans le visage qui laissait croire qu’il n’était encore qu’un adolescent alors qu’il avait quinze ans de plus qu’elle. Elle n’a pas attendu bien longtemps avant d’aller à sa rencontre et de se retrouver à danser avec lui. Elle a tourné dans ses bras toute la nuit et a même fini la nuit dans ses bras. L’année suivante, Raphaëlle s’est mariée avec Raymond, malgré l’opposition de ses parents et de ses amis, personne ne trouvait raisonnable leur écart d’âge. Elle avait quand même réussi son BAC Gestion mais celui-ci ne lui a pas permis de trouver du travail, enfin un travail en rapport avec ses diplômes. Elle est devenue caissière dans le supermarché du coin. Raymond, lui, n’avait pas fait d’études. À seize ans il avait arrêté l’école et il était rentré à l’usine, comme il aimait le dire, pour fabriquer des plaques de fibrociment. Il avait commencé tout en bas et petit à petit il avait gravi les échelons. Raphaëlle aimait lui répondre qu’il avait gravi les échelons d’un escabeau et que ça ne le faisait pas monter dans les hauteurs. Elle a rapidement compris pourquoi tout le monde trouvait que ce mariage n’était pas raisonnable. Elle s’est vite aperçue que quinze ans d’écart c’était énorme. Même si elle n’avait pas un bac scientifique avec mention, elle m’avait pas grand-chose en commun avec son mari. Elle a aussi rapidement découvert que son mari avait du lièvre plus que le nom. Il sortait de l’usine pour aller trainer dans les bars avec ses amis et elle était certaine qu’il la trompait dès qu’il en avait l’occasion. Il y avait aussi les week-end avec les amis, à regarder le foot ou le rugby à la télé en ingurgitant des litres de bière et d’autres alcools, le tout dans un brouillard de fumée de cigarettes. Raphaëlle regardait souvent ces mal dégrossis, qui braillaient, affalés dans le canapé et les fauteuils, déjà à moitié bourrés en milieu d’après-midi. Elle se disait alors qu’elle aurait rêvé d’autre chose. Très vite elle a pensé qu’un enfant serait une bonne chose dans son couple. Même pas dans son couple d’ailleurs, elle se disait qu’elle avait envie d’un enfant, tout simplement, quoi qu’en pense son mari. Mais impossible d’en avoir un. Après des mois d’essai, ils ont, ou plus exactement, elle a décidé d’aller consulter. Après encore des mois d’examens, de tests et de nouvelles tentatives, rien n’a marché. Les médecins ont conclu qu’ils étaient incompatibles et qu’ils ne pourraient pas avoir d’enfants. Parfois elle se disait qu’elle aurait dû comprendre le message et en profiter pour reprendre sa liberté, mais non. Elle était sans doute trop fière et ne voulait pas donner raison à tous ceux qui lui avaient annoncé que ce mariage ne marcherait pas. Et puis avec le temps qui passe, on finit par s’habituer, on finit par ne plus se rendre compte, on finit par trouver que tout est normal. Ensuite, après six ans de mariage, Raymond est tombé malade. Il toussait tout le temps, à s’en décrocher les poumons. Tout le monde lui disait d’arrêter de fumer, « surtout que les Gitane papier maïs, c’est les pires Raymond ». Mais rien à faire, minimum trois paquets par jour avec ou sans toux. Les arrêts maladie s’enchainaient pour ses problèmes pulmonaires mais il n’avait pas de cancer, contrairement à ce que beaucoup pensaient. Le problème venait plutôt de l’amiante qu’il manipulait depuis vingt-trois ans. Il a dû arrêter de travailler à l’usine. Raphaëlle a alors eu la chance de trouver une place de concierge. Avec Raymond, ils allaient être logés, elle serait concierge et lui agent d’entretien du petit immeuble. À vingt-cinq ans elle devenait concierge et changeait de nom pour madame Raymonde. Sa vie ressemblait de moins en moins à ce dont elle avait rêvé. Raymond continuait de fumer comme un sapeur, il commençait à boire de bon matin et passait sa journée à râler après tout et n’importe quoi. Avec les années, Raphaëlle a vieilli plus vite que la normale. Elle ne faisait plus attention à la manière dont elle s’habillait, elle avait les traits tirés, le visage fatigué et à trente-quatre ans, elle en paraissait dix de plus. Il faut dire que Raymond était de plus en plus souvent malade et demandait de l’attention. Puis le cancer est apparu. Régulièrement Raymond passait ses journées, branché à sa bouteille d’oxygène, devant la télé à insulter tout le monde et surtout les étrangers. D’ailleurs, dans l’immeuble un jeune magrébin, Mehdi, venait de s’installer (il était le seul à dire « madame Lelièvre » au début, puis madame Raphaëlle). Raphaëlle le trouvait très beau, mais sans doute parce qu’il était jeune pensait-elle, alors qu’en réalité il avait deux ans de plus qu’elle. Elle aimait aussi son prénom dont elle avait trouvé la signification : « celui qui montre le chemin ». Il travaillait comme coach dans une salle de sport et il lui disait souvent qu’elle devrait venir se changer les idées en faisant du sport. Mais elle ne voulait pas rester à parler avec lui parce que Raymond surveillait tout et lui reprochait de parler avec un arabe. Le 7 mai 2007, à vingt heures, Raymond a sauté de joie parce que Nicolas Sarkozy devenait président. Il a ouvert une bouteille de champagne pour fêter ça. Raphaëlle qui avait voté pour Sarkozy parce qu’elle n’avait pas d’avis sur le sujet, a commencé à se demander si tout cela valait bien le champagne. Quand Sarkozy a fêté sa victoire au Fouquet’s, elle a eu la certitude de s’être trompée. Elle s’est tournée vers son mari, et l’a vu son tuyau d’oxygène dans les narines. Elle a alors décidé qu’elle allait commencer par se reprendre en main, en commençant par aller faire du fitness. La maladie de Raymond gagnait de plus en plus de terrain, parfois, elle avait vraiment l’impression qu’il allait mourir à force de tousser. Il fallait de plus en plus souvent s’occuper de lui et il devenait de plus en plus méchant et insultait tout le monde, même les médecins et les infirmières qui venaient pour lui. Puis un soir, la crise de toux est devenue plus intense et Raymond a été hospitalisé et en quelques heures il est décédé. Raphaëlle n’était ni triste, ni heureuse. Elle s’est sentie soulagée, soulagée pour elle, soulagée pour Raymond qui souffrait. Elle a repris son travail de concierge comme si de rien n’était. Petit à petit son visage est redevenu plus radieux, comme si la jeunesse revenait. Puis un jour, Medhi l’a invitée au restaurant. Après avoir longuement hésité, elle a accepté. Elle n’avait jamais passé une soirée aussi agréable que celle-là. Après le restaurant, elle a préféré aller chez Medhi plutôt que dans son propre appartement où elle sentait encore la présence de Raymond, même s’il était mort depuis plusieurs mois. Au réveillon de la Saint Sylvestre, à minuit elle a embrassé Medhi en espérant que l’année 2012 qui commençait lui apporterait de grands changements. C’est alors qu’un air de valse s’est fait entendre. Habituellement, elle ne pouvait pas supporter cette chanson, « Madame Raymonde », mais là, elle avait envie de danser avec Mehdi, elle pensait qu’il était celui qui allait lui montrer le chemin d’une nouvelle vie. D’ailleurs, ils devaient partir en voyage. Alors heureuse, elle a dansé avec Mehdi. * Elle voudrait faire le tour du monde Vérifier si la Terre est ronde Mais hélas elle a les pieds plats Elle s’est acheté un grand perroquet À l’œil très rond, un peu court sur pattes Comme elle a de l’imagination A voulu l’appeler Jean-Pat’ Madame Raymonde rêve d’aventure Là-bas dans les pays lointains À la recherche de créatures Qui sauraient lui faire du bien Elle a jeté tous ses géraniums Elle leur préfère de beaux caoutchoucs Elle a viré le linoléum Et pris des fauteuils en bambou Et sur son mur un poster géant Montre deux grosses noix de coco Sur une plage de sable blanc Portées par un fier hidalgo Madame Raymonde rêve d’aventure Là-bas dans les pays lointains À la recherche de créatures Qui sauraient lui faire du bien Un jour
c’est sûr elle nous quittera. Madame Raymonde s’en ira pour faire
le tour du monde, guérir son âme vagabonde. Elle partira
à la découverte des mille merveilles de la
planète.
Elle le sait bien, la vie peut être si courte, face aux étoiles, quelques secondes, une étincelle misérable. Alors son cœur se gonfle d’un désir si fort qu’il l’entraine vers de nouveaux rivages, vers de nouvelles images, comme un voilier qui ne rentrera plus jamais au port. Madame Raymonde rêve d’horizons Au-delà de son ordinaire D’un paysage aux mille saisons D’une éternelle croisière Parfois la nuit elle rêve à la lune Elle s’imagine qu’un jeune Sélénite L’invite à s’allonger sur les dunes Découvrir là où il habite Elle voudrait bien avant d’être vieille Ratatinée ou bien pire encore Connaitr’une fois le chant des abeilles Qui s’en vont butiner l’aurore Madame Raymonde rêve d’horizons Au-delà de son ordinaire D’un paysag(e) aux mille saisons D’une éternelle croisière * Raphaëlle a senti que 2012 allait être l’année d’un grand changement. Elle s’est demandé se demandait si c’était par rapport aux nouvelles élections présidentielles, peut-être qu’elle allait se marier avec Mehdi, il en était question. Pour l’instant, elle voulait profiter de l’instant présent. Là, avec Mehdi, un vendredi 13, jour de chance, à bord d’un paquebot de croisière qui passe à proximité de l’île du Giglio. Paul Durand Degranges
avril 2016 |
Créé le 1 mars 2002
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