Vos textes publiés ici
après soumission au comité de poésie de francopolis.

ACCUEIL  SALON DE LECTURE  -  FRANCO-SEMAILLES  -  CRÉAPHONIE  -  UNE VIE, UN POÈTE

APHORISMES & BILLETS HUMOUR  -  CONTES & CHANSONS LANGUE EN WEB  -   

 LECTURES CHRONIQUES  -  VUES DE FRANCOPHONIE  -  GUEULE DE MOTS  & LES PIEDS DE MOTS  -

 SUIVRE UN AUTEUR  -  PUBLICATIONS SPÉCIALES  - LIENS &TROUVAILLES  -  ANNONCES

 LISTES DES AUTEURS PUBLIÉS & COMMENTAIRES  -  LES FRANCOPOLIS POÈMES DU FORUM  -


Chaque mois, comme à la grande époque du roman-feuilleton,
     nous vous présenterons un court conte ou nouvelle : 


NOUVELLE :  SILENCE

par Éliette Vialle

Partie 1

Comment cela avait-il commencé ? Quels propos futiles furent à l’origine de ce chaos ? Chaos ! Il n’y a pas d’autre terme pour définir ce qui s’est passé.
Maintenant il hurle et sanglote dans sa chambre capitonnée.

« Comment cela a-t-il commencé ? » a demandé le juge. Alors il a expliqué… expliqué longuement, d’un seul souffle pendant des heures ; et, il est désormais là, déversant sans interruption une avalanche de mots ponctués de cris inarticulés et de hurlements rauques…
La vaisselle dans l’évier, Hélène les mains mousseuses, la radio en sourdine et lui, parcourant le journal… Tels sont les éléments de son chaos…
A cette époque-là, ils étaient organisés et normalisés ; par quel démoniaque coup de pouce du destin ce tableau banal devint-il la genèse du drame ?
……………………………………………………………………….
Hélène bavardait… des petits riens… agacé, il s’écria : « Pour l’amour de Dieu, tais-toi ! ». Hélène pâlit, ouvrit la bouche un court instant, puis la referma sans mot dire. Dès lors Hélène se tut pour toujours. Pour toujours !

D’abord, il n’avait pas senti l’aspect définitif, irréversible et tragique de ces lèvres closes.
« Elle boude, pensait-il, jouissons d’un peu de paix ».

Mais le lendemain Hélène ne parla pas. Elle ne semblait cependant pas fâchée, souriait même de temps en temps. Troublé, il n’osa rien dire. Or les jours passaient et Hélène ne parlait toujours pas ! Décidé à mettre un terme à ce mutisme qui détériorait l’atmosphère conjugale, il essaya de lui demander avec « délicatesse » croyait-il, ce qui n’allait pas.
« Que puis-je faire pour te faire plaisir ? T’ai-je peinée ? » Hélène secoua la tête, lui sourit gentiment, mit sa main sur la sienne, mais ne répondit pas !

A son cœur, lui tordant les boyaux. Il alla vomir dans les toilettes ; mais l’angoisse demeuraitlors, la nuit venue, dans l’intimité du lit, il entreprit de la forcer par des caresses et des baisers ; il la sentait détendue entre ses bras et il espéra… Mais lorsqu’il la vit jouir en silence, il étouffa un sanglot. Hélène s’était rapidement endormie sans un mot, il regardait son visage serein enfoui de trois quarts dans l’oreiller, et un froid s’insinuait lentement dans son corps comprimant

« Hélène, je t’en prie, dis un mot… juste un… s’il te plaît… s’il te plaît, ma chérie, s’il te plaît… ». Et il s’effondrait auprès d’elle en sanglotant.

Le lendemain, il décida de se ressaisir. Il allait l’obliger à parler. Il demeura néanmoins tendu et attentionné, bavarda, quêtant son opinion. Mais elle répondait par un signe et ne parlait pas.
Alors il invita des amis. Hélène fut parfaite, charmante, mais ne parla pas. Personne ne semblait d’ailleurs s’en apercevoir. Et il perdit pied : « Tu parleras, dis, tu vas parler ? » criait-il hors de lui.

Il la gifla, la malmena, découcha ou rentra ivre. Hélène était triste mais ne disait rien.
« Elle est malade, songea-t-il, il faut consulter un spécialiste ». Ils allèrent chez un médecin, Hélène se portait fort bien mais ne parlait pas. Le praticien ne sembla pas ému par l’histoire ni même intéressé.

Un dentiste les envoya chez un orthodontiste qui les aiguilla vers un orthophoniste, mais nul ne voyait d’obstacle à la fonction de la parole, ni même l’oto-rhino encore moins le psychiatre qui ne parlait pas lui-même, d’ailleurs !
Convaincu qu’il s’agissait d’un acte délibéré de la part de son épouse, une sorte de punition à vie dont il ignorait la cause, il devint enragé : « Tu triches. Tu triches… Mais je t’aurais. Il y a bien des moments lorsque je ne suis pas là où tu es obligée de parler ! »
Sur ce, il décida de la suivre : Hélène faisait les courses, un geste, un sourire, un signe de tête ; Hélène ne parlait pas.

Chez le coiffeur, l’esthéticienne, elle lisait, écoutait, approuvait de la tête mais ne disait mot.

Au café avec ses amies, elle était attentive, mais ne manifestait son opinion que par un mouvement ou une mimique. Hélène ne parlait pas ! Sa meilleure amie, habilement interrogée, fut surprise : non ! Elle n’avait pas remarqué, peut-être que oui… non, Hélène semblait toujours la même : « Elle n’a jamais été loquace, tu le sais bien » conclut-elle.

Il crut devenir fou. Non ! C’était ridicule et atroce, il fallait qu’elle parle !
Il réussit un jour à intéresser au cas d’Hélène un jeune psychologue qui la fit placer en observation dans une clinique spécialisée. Mais on dut la relâcher. Bien que n’ayant pas parlé, son comportement était normal. « Normal ! Normal ! » s’écria-t-il ironiquement, « est-ce normal quelqu’un qui cesse de parler, brusquement, un beau soir ? »

Il n’en pouvait plus. Cette aventure était monstrueuse et inconcevable. C’était sûrement un cauchemar ; Jamais, jamais un tel fait n’avait pu se produire depuis que l’homme avait acquis la parole.

Hélène était là, impassible, comme si rien ne s’était défait dans leur vie. Elle ignorait ses yeux suppliants, elle ignorait délibérément sa souffrance. Il n’en pouvait plus !

« Parle, ordure, parle ! Je vais te faire parler », s’entendit-il hurler, fou de colère. Il s’approcha d’elle, la gifla à plusieurs reprises, elle pâlit et lui jeta un regard interrogateur. C’en était trop, trop ! Un brouillard lui submergea l’esprit, il sentit ses mains se détendre et se recourber comme des serres, le visage d’Hélène blêmissait, puis semblait se dissoudre et devenir flou, il ne sentait plus rien ; alors il ouvrit les mains : le corps d’Hélène glissa inanimé, le long du mur. Haletant, il la secouait : « Réponds-mois, Réponds-moi !... », puis il s’écroula à son tour.

Alors, vint le chaos, inexplicable et angoissant comme un mauvais rêve : l’agitation des voisins, les gendarmes, le procès, l’avocat, le juge et cet homme-là, qui était lui, qui gesticulait, qui parlait, qui expliquait sans comprendre, sans se faire comprendre.

à suivre... en mars
                               
Francopolis février 2015
Silence I - Éliette Vialle
 

Créé le 1 mars 2002

A visionner avec Internet Explorer