Je
couche ici ces quelques phrases de mon expérience pour vous prévenir de la
dangerosité du prix de la gloire. J’ai toujours au fond de moi désiré être
un écrivain célèbre. Très jeune, j’écrivais des poèmes que je faisais lire à
ma mère et à ma sœur. J’en envoyais beaucoup à mes grands-parents et à mes
oncles et tantes. Un jour, je surpris une conversation téléphonique entre
ma mère et l’un d’entre eux. Une tante lui expliquait qu’elle ne supportait
plus de recevoir mes poèmes. Elle les trouvait mauvais et avoua que c’était
aussi le cas des autres membres de ma famille qui n’osaient me le dire. Je
n’avais pourtant que douze ans et je ne pouvais posséder le talent, ni
maîtriser toutes les règles qui font de belles poésies. Je n’ai à partir de
ce jour, plus écrit aucun poème. J’avais déjà été fort blessé par les
moqueries de quelques amis à qui j’avais montré mes rimes et mes vers. Le
bégaiement dont j’étais atteint était ma plus grande frustration. C'était pour moi une
véritable torture de lire en public et même pour un seul auditeur. Cette
souffrance issue de mon enfance, je voulais à tout prix la transcender à
travers mes écrits. Je me suis alors lancé dans la rédaction de quelques
nouvelles inspirées de mes auteurs préférés, Théophile Gauthier, Jules
Verne, Victor Hugo, Guy de Maupassant etc.
Chaque
fois que j’en terminais une, je la montrais à ma mère ou à mon père, mais
au lieu de jouer les candides en se plongeant dans ma nouvelle, ils
passaient leur temps à me faire remarquer quelques coquilles ou des erreurs
de syntaxe et me réprimandaient. Lorsque je leur demandais après lecture
s’ils avaient apprécié le contenu, ils me répondaient d'un oui très vague
et hypocrite. Petit à petit, j’ai alors commencé à ne plus les aimer. Ma sœur
quant à elle, m’a toujours encouragé. Elle m’affirmait adorer mes œuvres.
Du moins c’est ce qu’elle me faisait croire. Je croisais parfois des
groupes de filles de son âge à l’école. Chaque fois, ces petites garces
pouffaient de rire dès qu’elles m’apercevaient, puis elles chuchotaient
entre elles en me regardant du coin de l’œil. Naïf, je les croyais
conquises.
Plus tard en 3ème, une fille amoureuse de moi m’apprit que ma sœur lisait
mes histoires à ses amies dans l'unique but de les faire rire, car toutes
considéraient mes œuvres comme grotesques et sans queues ni têtes. Une fois
encore, j’en fus très affecté et pleurai en silence. Lorsqu’il fut pour moi
le moment de trouver un travail, je dus me contenter de rentrer à l’usine
d’assemblage de meubles de bureaux à quelques kilomètres des chez mes
parents. Le BAC littéraire dans la poche des autres plutôt que dans la
mienne, je n’avais pas beaucoup le choix. Pourtant, je poursuivis mon
écriture. J’écrivis plusieurs romans que je proposai à des éditeurs. Tous
m’expédièrent la lettre type de refus. J’eus beau me déplacer chez d’autres
éditeurs de la région, ils refusèrent catégoriquement de me publier. Un
seul m’avoua ouvertement que je n’avais aucun talent et par conséquent
aucun avenir en littérature. Qu’en savait-il, lui qui n'éditait que des
romans de quatre sous justes bons pour les romantiques en mal d’amour ?
Comme je voulais passer à la postérité, je devais absolument trouver un
moyen efficace quitte à ce qu’il fût radical.
À
force de me creuser les méninges et de lire les journaux, je finis par
trouver. La solution était tout simplement de commettre l’irréparable. Un
crime impardonnable comme celui proféré par David Chapman sur la personne
de John Lennon en 1980.
Il ne me restait plus qu’à choisir une victime que beaucoup aimaient.
Approcher une célébrité n’est pas chose aisée et encore moins avec une arme
à feu. Je me dis également que Chapman n’avait rien à vendre, alors que moi
je désirais à tout prix que mes livres soient publiés et vendus. Je commençai
à regarder autour de moi qui je pouvais bien tuer sans trop de regrets.
Il
y avait un vieil asiatique qui travaillait à l’usine où j’étais. Pas de
femme ni enfants, peu de gens le regretteraient. Juste un bon coup de pub
pour moi dans les médias. Et ça me coûterait quoi ? Quinze ans de prison,
peut-être dix avec un bon avocat. La belle affaire alors que le reste de ma
vie, je serais couvert de gloire et de reconnaissance. En prison j’écrirais
mes mémoires que je ferais parvenir à un journaliste. Je n’aurais par
ailleurs que l’embarras du choix concernant le journaliste en question.
Tous voudraient connaître la raison qui m’avait poussé à commettre un tel
crime. Je me mis à épier mon faire valoir de plus près. Je le suivais après
la débauche. Le weekend, je surveillais sa maison et je notais ses moindres
faits et gestes. C’était l’automne et je pris froid à force de me cacher
dans ce buisson près de chez lui. J’en vins à décréter que le meilleur
endroit pour l’assassiner était sa maison. Ça tombait bien car je venais
juste d’écrire la nouvelle de mon propre crime en y ajoutant quelques
ingrédients sanguinolents allant jusqu’à laisser supposer à mon futur
lectorat que j’étais allé jusqu’au cannibalisme. Je me lisais et me
relisais avec délectation. Je m’imprégnais de ce moi-même meurtrier. J’en
vins parfois à me persuader que j’avais déjà commis le crime. J’avais
attrapé un méchant rhume à force de veiller ma future victime. Peu importe,
j’avais prévu d’accomplir ce qui allait m’ouvrir les portes de la consécration
un mardi et rien ne pouvait plus m’arrêter. J’aime bien le mardi, c’est une
journée où je me sens plus éveillé qu’en tout début de semaine. Je suivis
discrètement pour la dernière fois le vieil Asiatique jusque chez lui.
J’ignorais son nom. Quelle importance désormais, puisqu’il allait passer de
vie à trépas.
J’attendis
patiemment que le quartier fût plongé dans le noir et que la dernière
lumière de sa maison sur deux niveaux fût éteinte. J’attendis une quinzaine
de minutes qu’il se soit endormi. Je dus passer par l’arrière de
l'habitation pour plus de précaution. Peu de portes anciennes résistent à
un solide pied- de-biche, surtout celles des maisons vétustes comme la
sienne. Ce fût un jeu d’enfant de la forcer. J'avais observé que la dernière
lumière à s’être éteinte était à l’étage. Je trouvais bien que l’endroit
dégageait une odeur étrange, mais je ne pouvais l’identifier à cause de mon
rhume. Je remarquai aussi un étrange sifflement. La peur au ventre, je
faillis un court instant remettre cette exécution à une date ultérieure,
mais je me repris immédiatement avec la perspective de la célébrité et du
succès à l’esprit. Peu importe, me dis-je, il est trop tard pour faire
machine arrière. Je grimpai l’escalier en prenant garde à chacun de mes pas
à n’émettre aucun bruit. Lorsque j’arrivai sur le palier, le sifflement
était plus fort. J’avançai à pas de velours jusqu’à sa supposée chambre.
C’était bien de là que venait cet étrange sifflement. J’ouvris la porte le
plus doucement possible. Je suffoquai soudain sans en comprendre la raison.
Il fallait que je sache à quoi m’attendre. Je décidai d’allumer la lampe de
poche que j’avais pris soin d’emporter. Au moment où je l'allumai, une
lumière aveuglante et une chaleur intense envahit la pièce. Je pus à peine
distinguer ce qui émettait ce sifflement. En une fraction de seconde, je
compris. Malheureusement, il était bien tard pour moi comme pour lui. Une
fantastique explosion souffla la maison. Le vieil homme avait décidé de
mettre fin à ses jours en laissant une bouteille de gaz ouverte à son
chevet. Une seule étincelle provoquée par l’allumage de ma lampe avait
suffi à embraser le tout.
Pour
le coup, je fus célèbre quelque temps, dans la rubrique des faits divers
des journaux locaux. Dans le quartier également, jusqu’à ce que les débris
calcinés fussent évacués et qu’une maison prenne lieu et place sur le
terrain. Couverts de honte par les conclusions des enquêteurs, mes parents
jetèrent mes écrits comme tout ce qui me concernait, sauf peut-être quelques
photos.
©Michel Baudry
Précédente
publication à Francopolis et présentation : même rubrique, septembre
2017.
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