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DÉCEMBRE 2017

 

 

Le coût de la célébrité

 

Par  Michel Baudry

 

Je couche ici ces quelques phrases de mon expérience pour vous prévenir de la dangerosité du prix de la gloire. J’ai toujours au fond de moi désiré être un écrivain célèbre. Très jeune, j’écrivais des poèmes que je faisais lire à ma mère et à ma sœur. J’en envoyais beaucoup à mes grands-parents et à mes oncles et tantes. Un jour, je surpris une conversation téléphonique entre ma mère et l’un d’entre eux. Une tante lui expliquait qu’elle ne supportait plus de recevoir mes poèmes. Elle les trouvait mauvais et avoua que c’était aussi le cas des autres membres de ma famille qui n’osaient me le dire. Je n’avais pourtant que douze ans et je ne pouvais posséder le talent, ni maîtriser toutes les règles qui font de belles poésies. Je n’ai à partir de ce jour, plus écrit aucun poème. J’avais déjà été fort blessé par les moqueries de quelques amis à qui j’avais montré mes rimes et mes vers. Le bégaiement  dont j’étais atteint était ma plus grande frustration. C'était pour moi une véritable torture de lire en public et même pour un seul auditeur. Cette souffrance issue de mon enfance, je voulais à tout prix la transcender à travers mes écrits. Je me suis alors lancé dans la rédaction de quelques nouvelles inspirées de mes auteurs préférés, Théophile Gauthier, Jules Verne, Victor Hugo, Guy de Maupassant etc.

Chaque fois que j’en terminais une, je la montrais à ma mère ou à mon père, mais au lieu de jouer les candides en se plongeant dans ma nouvelle, ils passaient leur temps à me faire remarquer quelques coquilles ou des erreurs de syntaxe et me réprimandaient. Lorsque je leur demandais après lecture s’ils avaient apprécié le contenu, ils me répondaient d'un oui très vague et hypocrite. Petit à petit, j’ai alors commencé à ne plus les aimer. Ma sœur quant à elle, m’a toujours encouragé. Elle m’affirmait adorer mes œuvres. Du moins c’est ce qu’elle me faisait croire. Je croisais parfois des groupes de filles de son âge à l’école. Chaque fois, ces petites garces pouffaient de rire dès qu’elles m’apercevaient, puis elles chuchotaient entre elles en me regardant du coin de l’œil. Naïf, je les croyais conquises.
Plus tard en 3ème, une fille amoureuse de moi m’apprit que ma sœur lisait mes histoires à ses amies dans l'unique but de les faire rire, car toutes considéraient mes œuvres comme grotesques et sans queues ni têtes. Une fois encore, j’en fus très affecté et pleurai en silence. Lorsqu’il fut pour moi le moment de trouver un travail, je dus me contenter de rentrer à l’usine d’assemblage de meubles de bureaux à quelques kilomètres des chez mes parents. Le BAC littéraire dans la poche des autres plutôt que dans la mienne, je n’avais pas beaucoup le choix. Pourtant, je poursuivis mon écriture. J’écrivis plusieurs romans que je proposai à des éditeurs. Tous m’expédièrent la lettre type de refus. J’eus beau me déplacer chez d’autres éditeurs de la région, ils refusèrent catégoriquement de me publier. Un seul m’avoua ouvertement que je n’avais aucun talent et par conséquent aucun avenir en littérature. Qu’en savait-il, lui qui n'éditait que des romans de quatre sous justes bons pour les romantiques en mal d’amour ? Comme je voulais passer à la postérité, je devais absolument trouver un moyen efficace quitte à ce qu’il fût radical.

À force de me creuser les méninges et de lire les journaux, je finis par trouver. La solution était tout simplement de commettre l’irréparable. Un crime impardonnable comme celui proféré par David Chapman sur la personne de John Lennon en 1980.
Il ne me restait plus qu’à choisir une victime que beaucoup aimaient. Approcher une célébrité n’est pas chose aisée et encore moins avec une arme à feu. Je me dis également que Chapman n’avait rien à vendre, alors que moi je désirais à tout prix que mes livres soient publiés et vendus. Je commençai à regarder autour de moi qui je pouvais bien tuer sans trop de regrets.

Il y avait un vieil asiatique qui travaillait à l’usine où j’étais. Pas de femme ni enfants, peu de gens le regretteraient. Juste un bon coup de pub pour moi dans les médias. Et ça me coûterait quoi ? Quinze ans de prison, peut-être dix avec un bon avocat. La belle affaire alors que le reste de ma vie, je serais couvert de gloire et de reconnaissance. En prison j’écrirais mes mémoires que je ferais parvenir à un journaliste. Je n’aurais par ailleurs que l’embarras du choix concernant le journaliste en question. Tous voudraient connaître la raison qui m’avait poussé à commettre un tel crime. Je me mis à épier mon faire valoir de plus près. Je le suivais après la débauche. Le weekend, je surveillais sa maison et je notais ses moindres faits et gestes. C’était l’automne et je pris froid à force de me cacher dans ce buisson près de chez lui. J’en vins à décréter que le meilleur endroit pour l’assassiner était sa maison. Ça tombait bien car je venais juste d’écrire la nouvelle de mon propre crime en y ajoutant quelques ingrédients sanguinolents allant jusqu’à laisser supposer à mon futur lectorat que j’étais allé jusqu’au cannibalisme. Je me lisais et me relisais avec délectation. Je m’imprégnais de ce moi-même meurtrier. J’en vins parfois à me persuader que j’avais déjà commis le crime. J’avais attrapé un méchant rhume à force de veiller ma future victime. Peu importe, j’avais prévu d’accomplir ce qui allait m’ouvrir les portes de la consécration un mardi et rien ne pouvait plus m’arrêter. J’aime bien le mardi, c’est une journée où je me sens plus éveillé qu’en tout début de semaine. Je suivis discrètement pour la dernière fois le vieil Asiatique jusque chez lui. J’ignorais son nom. Quelle importance désormais, puisqu’il allait passer de vie à trépas.

J’attendis patiemment que le quartier fût plongé dans le noir et que la dernière lumière de sa maison sur deux niveaux fût éteinte. J’attendis une quinzaine de minutes qu’il se soit endormi. Je dus passer par l’arrière de l'habitation pour plus de précaution. Peu de portes anciennes résistent à un solide pied- de-biche, surtout celles des maisons vétustes comme la sienne. Ce fût un jeu d’enfant de la forcer. J'avais observé que la dernière lumière à s’être éteinte était à l’étage. Je trouvais bien que l’endroit dégageait une odeur étrange, mais je ne pouvais l’identifier à cause de mon rhume. Je remarquai aussi un étrange sifflement. La peur au ventre, je faillis un court instant remettre cette exécution à une date ultérieure, mais je me repris immédiatement avec la perspective de la célébrité et du succès à l’esprit. Peu importe, me dis-je, il est trop tard pour faire machine arrière. Je grimpai l’escalier en prenant garde à chacun de mes pas à n’émettre aucun bruit. Lorsque j’arrivai sur le palier, le sifflement était plus fort. J’avançai à pas de velours jusqu’à sa supposée chambre. C’était bien de là que venait cet étrange sifflement. J’ouvris la porte le plus doucement possible. Je suffoquai soudain sans en comprendre la raison. Il fallait que je sache à quoi m’attendre. Je décidai d’allumer la lampe de poche que j’avais pris soin d’emporter. Au moment où je l'allumai, une lumière aveuglante et une chaleur intense envahit la pièce. Je pus à peine distinguer ce qui émettait ce sifflement. En une fraction de seconde, je compris. Malheureusement, il était bien tard pour moi comme pour lui. Une fantastique explosion souffla la maison. Le vieil homme avait décidé de mettre fin à ses jours en laissant une bouteille de gaz ouverte à son chevet. Une seule étincelle provoquée par l’allumage de ma lampe avait suffi à embraser le tout.

Pour le coup, je fus célèbre quelque temps, dans la rubrique des faits divers des journaux locaux. Dans le quartier également, jusqu’à ce que les débris calcinés fussent évacués et qu’une maison prenne lieu et place sur le terrain. Couverts de honte par les conclusions des enquêteurs, mes parents jetèrent mes écrits comme tout ce qui me concernait, sauf peut-être quelques photos.

©Michel Baudry

 

Précédente publication à Francopolis et présentation : même rubrique, septembre 2017.

 

 


Michel Baudry

Recherche Eliette Vialle, décembre 2017

 

 

 

Créé le 1 mars 2002

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