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MARS
2017 SOLEIL NOIR
Par
Éliette Vialle
PARTIE 1 L’eau
chantait entre les pierres blanches, les pieds dans la rivière, les yeux
fermés, je savourais l’instant… j’avais entraîné mon mari dans un périple
ardéchois qu’il avait accepté, mi-curieux, mi-ironique, car pour lui, cette
contrée était le symbole d’une "paysannerie crasse". Nous vivions
confortablement "emmurés" dans un bel appartement de la région
parisienne, bornés de voisins hostiles, de murs infranchissables et d’ennui
quotidien. Soudain
une bande de jeunes gens survint. Ils s’interpellaient en riant : - On va se baigner au "Gourd Noir" ? Je
sursautais, repris mes esprits et évaluais la situation géographique :
en effet, nous étions bien aux alentours du "Gourd Noir" et je
m'étonnais de n’avoir pas reconnu des lieux que ma mémoire occultait depuis
cinq décennies. Là, en effet, s’était déroulé le drame qui avait mis fin à
mon enfance comme à mon innocence. ***** Nous
étions adolescents encore très proches de l’enfance et de ses illusions, nous
vivions en bande dans le village : cousins, copains et/ou voisins. Nous
nous aimions, nous nous détestions, toujours soudés et extérieurs à l’univers
des adultes qui nous entouraient de leur bienveillante incompréhension. J’étais,
de manière inconsciente, une sorte de garçon manqué. L’été était une période magique
qui effaçait les souffrances du pensionnat religieux endurées durant l’année
scolaire. L’été, il n’y avait plus de tabous, nous vivions entre garçons et
filles du même âge, plutôt garçons que filles, car,si je me souviens bien, je n’avais été que la
seule fille de la bande à cette époque. J’avais onze/douze ans, mon corps
hésitait entre le garçonnet et la jeune fille, mais je ne le savais pas et je
me sentais plutôt masculine. Malgré
l’altitude, la chaleur, en juillet et août, nous écrasait et nous trompions
ce malaise en allant nous baigner à : "La Rivière" !!! Un
bien grand mot pour qualifier ce filet d’eau venu de la montagne qui
s’étalait dans la combe avec une opulente plénitude faisant oublier le
torrent qu’il était. Mais, au-delà du plateau, la rivière redevenait sauvage
et s’élançait à travers les rochers blancs jusqu’à la combe suivante où elle
s’écrasait dans une sorte de marmite formée par des amas rocheux d’un blanc
laiteux. Nous
appelions ce lieu le "Gourd Noir" car sa profondeur le rendait
insondable et l’eau semblait obscure face à la blancheur des pierres qui
l’enserraient. C’était la seule possibilité de baignade, interdite aux
enfants, réservée à notre seul usage, nous, les jeunes du village. Notre
noyau dur était constitué d’une demi-douzaine de garçons et de moi-même, qui
vous narre, bien des années après, ce récit. A
cette époque et chez nous, paysans et villageois, les parents ne s’occupaient
pas de nous, enfants, comme le font les parents actuels, nous étions en âge
de les aider et d’être responsables de nous-mêmes, donc les après-midis d’été
nous appartenaient. Il
faisait chaud et notre plaisir était d’aller nous baigner dans un endroit où,
la rivière, brutalement barrée par les rochers, stagnait dans une cuvette
d’une profondeur rare dans notre région. Les hautes roches projetaient de
l’ombre sur l’eau paisible et lui donnait une noirceur peu habituelle. Si
je dois classer mes souvenirs par couleurs ou intensités lumineuses, cet été
- là serait un oxymore "ombre et lumière", ou "soleil
noir", car ce moment tragique restera éclaboussé de lumière. Nous
partions en début d’après-midi avec nos casse-croûtes et nos maillots de
bain, nous revenions à l’angélus quand les bêtes rentraient des pâturages. On
ne nous attendait pas avant. J’insiste
sur le fait que le monde des adultes comme celui des enfants n’étaient plus
les nôtres et cela nous conférait une indépendance souvent bien agréable mais
qui fut dans ce cas tragique. Arrivés
au Gourd Noir, nous nous déshabillions en chahutant et rentrions dans l’eau
trop fraiche avec une évidente conviction . On
nageait tantôt paisiblement, tantôt nous éclaboussant, il était nécessaire de
faire de chaque action le moment le plus gai possible, par défi envers les
adultes soumis à des règles de vie qui nous paraissaient austères, ou, envers
les touristes qui nous écrasaient par une vie de "plaisirs" que
nous imaginions sans la connaître réellement. Mais
nous nous créions avec ténacité du "bon temps" comme les vieux nous
assignaient de le faire à chaque instant : « profitez,
profitez… » nous disaient-ils et nous nous efforcions de vivre ces bons
moments qui n’étaient réservés qu’à notre âge. Puis,
un jour, les garçons décidèrent de plonger du plus haut rocher. C’était un
peu risqué car le Gourd n’était pas très large ni très profond, d’autres rocs
émergés constituaient un risque évident pour les plongeurs. Nous étions deux
à ne pas nous associer à ce jeu dangereux, moi, qui nageais assez maladroitement , et François dit Françou,
le plus jeune des garçons,. qui n’avait pas non plus le goût du défi, ni
l’âge d’en faire le point d’honneur de sa virilité. Françou
et moi barbotions tous deux, reprenant pied tous les mètres et applaudissions
largement les exploits des plus grands. Ainsi
se succédaient les jours faits d’insouciance et de joies simples.
J’insiste sur l’innocence dans laquelle nous vivions tous, le "MAL"
ne nous avait pas encore effleurés de son aile noire et farouche. Tous les
soirs nous rentrions joyeux dans nos foyers, tout était parfait cet été-là, parfait !!! Pourquoi
Jacques l’aîné de notre groupe lança-t-il un après-midi cette remarque
ironique : -
Alors les "filles" vous
préférez barboter comme les canards ! Et
tous de ricaner. Mais personne ce jour-là ne releva la moquerie. François
était trop jeune pour se sentir offensé, son âge lui permettait de ne pas
être concerné par l’amour-propre masculin qui contraignait les plus grands à
des attitudes dangereusement audacieuses ..
À suivre Partie 2 (avril2017) Francopolis
mars 2017
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Créé le 1 mars 2002 A visionner avec Internet
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