ROMAN - NOUVELLE
À SUIVRE...

 

 

 

suivre la prose d'un auteur

¨          ACCUEIL 

¨          SALON DE LECTURE 

¨          LECTURES - CHRONIQUES

¨          CRÉAPHONIE 

¨          UNE VIE, UN POÈTE

¨          D’UNE LANGUE À L’AUTRE  

¨          FRANCO-SEMAILLES 

¨          VUE DE FRANCOPHONIE

¨          APHORISMES & HUMOUR 

¨          CONTES & CHANSONS 

¨          COUP DE CŒUR

¨          PIEDS DES MOTS

¨          GUEULE DE MOTS

¨          SUIVRE UN AUTEUR

¨          ÉDITION SPÉCIALE 

¨          LIENS &TROUVAILLES 

¨          ANNONCES

¨          LES AUTEURS PUBLIÉS

¨          LES ANCIENS NUMÉROS

¨          LES FRANCOPOLISTES

 

MARS 2017

 

SOLEIL NOIR

 

Par Éliette Vialle

 

 

PARTIE 1

L’eau chantait entre les pierres blanches, les pieds dans la rivière, les yeux fermés, je savourais l’instant… j’avais entraîné mon mari dans un périple ardéchois qu’il avait accepté, mi-curieux, mi-ironique, car pour lui, cette contrée était le symbole d’une "paysannerie crasse". Nous vivions confortablement "emmurés" dans un bel appartement de la région parisienne, bornés de voisins hostiles, de murs infranchissables et d’ennui quotidien.

Soudain une bande de jeunes gens survint. Ils s’interpellaient en riant :

- On va se baigner au "Gourd Noir" ?

Je sursautais, repris mes esprits et évaluais la situation géographique : en effet, nous étions bien aux alentours du "Gourd Noir" et je m'étonnais de n’avoir pas reconnu des lieux que ma mémoire occultait depuis cinq décennies. Là, en effet, s’était déroulé le drame qui avait mis fin à mon enfance comme à mon innocence.

 

*****

 

Nous étions adolescents encore très proches de l’enfance et de ses illusions, nous vivions en bande dans le village : cousins, copains et/ou voisins. Nous nous aimions, nous nous détestions, toujours soudés et extérieurs à l’univers des adultes qui nous entouraient de leur bienveillante incompréhension.

J’étais, de manière inconsciente, une sorte de garçon manqué. L’été était une période magique qui effaçait les souffrances du pensionnat religieux endurées durant l’année scolaire. L’été, il n’y avait plus de tabous, nous vivions entre garçons et filles du même âge, plutôt garçons que filles, car,si je me souviens bien, je n’avais été que la seule fille de la bande à cette époque. J’avais onze/douze ans, mon corps hésitait entre le garçonnet et la jeune fille, mais je ne le savais pas et je me sentais plutôt masculine.

Malgré l’altitude, la chaleur, en juillet et août, nous écrasait et nous trompions ce malaise en allant nous baigner à : "La Rivière" !!!

Un bien grand mot pour qualifier ce filet d’eau venu de la montagne qui s’étalait dans la combe avec une opulente plénitude faisant oublier le torrent qu’il était. Mais, au-delà du plateau, la rivière redevenait sauvage et s’élançait à travers les rochers blancs jusqu’à la combe suivante où elle s’écrasait dans une sorte de marmite formée par des amas rocheux d’un blanc laiteux.

Nous appelions ce lieu le "Gourd Noir" car sa profondeur le rendait insondable et l’eau semblait obscure face à la blancheur des pierres qui l’enserraient. C’était la seule possibilité de baignade, interdite aux enfants, réservée à notre seul usage, nous, les jeunes du village.

Notre noyau dur était constitué d’une demi-douzaine de garçons et de moi-même, qui vous narre, bien des années après, ce récit.

 

A cette époque et chez nous, paysans et villageois, les parents ne s’occupaient pas de nous, enfants, comme le font les parents actuels, nous étions en âge de les aider et d’être responsables de nous-mêmes, donc les après-midis d’été nous appartenaient.

Il faisait chaud et notre plaisir était d’aller nous baigner dans un endroit où, la rivière, brutalement barrée par les rochers, stagnait dans une cuvette d’une profondeur rare dans notre région. Les hautes roches projetaient de l’ombre sur l’eau paisible et lui donnait une noirceur peu habituelle.

 

Si je dois classer mes souvenirs par couleurs ou intensités lumineuses, cet été - là serait un oxymore "ombre et lumière", ou "soleil noir", car ce moment tragique restera éclaboussé de lumière.

Nous partions en début d’après-midi avec nos casse-croûtes et nos maillots de bain, nous revenions à l’angélus quand les bêtes rentraient des pâturages. On ne nous attendait pas avant.

J’insiste sur le fait que le monde des adultes comme celui des enfants n’étaient plus les nôtres et cela nous conférait une indépendance souvent bien agréable mais qui fut dans ce cas tragique.

Arrivés au Gourd Noir, nous nous déshabillions en chahutant et rentrions dans l’eau trop fraiche avec une évidente conviction . On nageait tantôt paisiblement, tantôt nous éclaboussant, il était nécessaire de faire de chaque action le moment le plus gai possible, par défi envers les adultes soumis à des règles de vie qui nous paraissaient austères, ou, envers les touristes qui nous écrasaient par une vie de "plaisirs" que nous imaginions sans la connaître réellement.

Mais nous nous créions avec ténacité du "bon temps" comme les vieux nous assignaient de le faire à chaque instant : « profitez, profitez… » nous disaient-ils et nous nous efforcions de vivre ces bons moments qui n’étaient réservés qu’à notre âge.

Puis, un jour, les garçons décidèrent de plonger du plus haut rocher. C’était un peu risqué car le Gourd n’était pas très large ni très profond, d’autres rocs émergés constituaient un risque évident pour les plongeurs. Nous étions deux à ne pas nous associer à ce jeu dangereux, moi, qui nageais assez maladroitement , et François dit Françou, le plus jeune des garçons,. qui n’avait pas non plus le goût du défi, ni l’âge d’en faire le point d’honneur de sa virilité.

Françou et moi barbotions tous deux, reprenant pied tous les mètres et applaudissions largement les exploits des plus grands. Ainsi  se succédaient les jours faits d’insouciance et de joies simples. J’insiste sur l’innocence dans laquelle nous vivions tous, le "MAL" ne nous avait pas encore effleurés de son aile noire et farouche. Tous les soirs nous rentrions joyeux dans nos foyers, tout était parfait cet été-là, parfait !!!

 

Pourquoi Jacques l’aîné de notre groupe lança-t-il un après-midi cette remarque ironique :

-          Alors les "filles" vous préférez barboter comme les canards ! 

Et tous de ricaner. Mais personne ce jour-là ne releva la moquerie. François était trop jeune pour se sentir offensé, son âge lui permettait de ne pas être concerné par l’amour-propre masculin qui contraignait les plus grands à des attitudes dangereusement audacieuses ..

 

             

 

 À suivre

Partie 2 (avril2017)

Francopolis mars 2017
Éliette Vialle

 

 

Créé le 1 mars 2002

A visionner avec Internet Explorer