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AVRIL 2017

 

SOLEIL NOIR

 

Par Éliette Vialle

 

 

PARTIE 2

 

Quelques jours plus tard, je ne sais combien de temps s’écoula avant qu’un touriste qui s’était agrégé à notre groupe ne reprit cette remarque en la teintant d’une nuance plus insultante :

-         Alicia et Françoise : Ouh ! les filles, on a peur de se jeter à l’eau…

-         Oui, criais-je, c’est bien trop dangereux. Laissez-nous tranquilles !

Et je me laissais glisser à fleur d’eau jusqu’à François qui semblait pétrifié.

-         Ne les écoute pas, François, tant pis pour eux s’ils ont un accident, les parents ne seraient pas d’accord s’ils le savaient.

François ne répondit pas et s’allongea à son tour pour brasser énergiquement l’eau, en s’écartant de moi, pour nous prouver sa force ? Se démarquer de la fille que j’étais et à laquelle on voulait l’assimiler ?

Le jeune touriste, qui se nommait Michel, était légèrement plus âgé que nous et étalait volontiers une certaine supériorité venue de son statut de citadin. Sa parole avait du poids, je le ressentais comme volontiers méchant car, en tant que fille, j’étais souvent la cible de ses sarcasmes, je me défiais de lui et me protégeais par le silence. Cependant François s’était rembruni, il tenta de s’éloigner de moi toute l’après-midi, changeant de place dès que je m’approchais. J’en concevais de l’amertume, il était mon complice, sans lui je me sentais isolée dans le groupe, surtout depuis l’arrivée du dénommé Michel qui aimait à m’agresser, chose à laquelle je n’étais pas habituée, tant ma place parmi eux allait de soi.

Notre retour fut gai comme à l’habitude mais je sentais un peu de réticence chez François. Il n’était plus à l’unisson et je commençais à m’inquiéter. Pourtant le soir, dans le refuge quotidien qu’était la grange abandonnée de la ferme, il sembla se rasséréner, mais Michel ne nous avait pas encore rejoints….

 

Alors commença pour notre benjamin un véritable calvaire. Michel qui s’était aperçu que ses piques faisaient mouche, les réitéra chaque jour, le traitant de "fille", de "sans-c…". Les autres qui, jusque-là n’avaient pas relevé ses propos, commencèrent, d’abord par en rire, puis progressivement à les relayer. François se raidissait, comme tassé sur lui-même, il se refermait et s’éloignait et s’emmurait dans la solitude et le silence. Je ne fus pas étonnée lorsqu’un jour il ne nous rejoignit pas prétextant un travail pour sa mère. Michel ricana de plus belle, il n’y eut pas d’écho parmi nous. Le lendemain était un dimanche et nous restions en famille. Ce fut un soulagement pour lui. Un bref répit, hélas ! Car le lundi les quolibets reprirent de plus belle.

Maintenant les railleries fusaient de toutes parts, "on" le traitait même de lâche. François nageait de plus en plus énergiquement pour montrer son courage, sa virilité. J’étais en colère et j’osais crier :

-         Avez-vous fini ! Laissez le tranquille !

Michel me moucha méchamment et François s’en prit à moi d’une manière injuste mais que je ressentis comme allant de soi.

Ainsi la guerre fut déclarée. Michel, goguenard, s’invitait à toutes nos sorties, comme s’il n’y avait pas d’autres bandes de jeunes gens de notre âge dans le village, d’autant que les touristes commençaient à affluer. Peut-être et sûrement se sentait-il au-dessus de nous, jeunes paysans. Sa supériorité de citadin que nous tolérions comme une reconnaissance, peut-être que notre naïveté renforçait son machiavélisme (mot que je ne connaissais pas à cet âge, j’employais le mot méchanceté qui me semble plus simple et plus vrai pour qualifier l’inqualifiable).

 

Parlons un peu de Michel, il venait chaque année en vacances avec ses grands-parents et fréquentait les enfants du village. Tout naturellement, il savait que nous connaissions les cachettes les plus sûres, les endroits les plus éloignés où les adultes ne viendraient jamais nous dénicher. Peut-être était-ce dû à l’adolescence mais cet été - là, il avait établi sa domination sur notre groupe tant parce qu’il était un peu notre aîné mais aussi parce qu’il venait d’une grande ville. Il avait bien grandi et sa taille lui donnait de l’assurance. D’un naturel moqueur et sournois (ainsi le ressentais-je) il faisait rire en général à propos de tout et surtout de chacun.

Mais tant que les railleries visaient les personnes adultes ou les personnes plus âgées c’était une chose qu’en tant qu’enfant nous acceptions, mais s’attaquer à l’un de nous, et au plus petit, cela contrevenait à nos règles tacites de protection des plus faibles par les plus grands. Je crois que la plupart des aînés faisait leur crise d’adolescence car ils suivaient son exemple très insolemment. Je ne reconnaissais plus mes camarades dans la  mutation de leur comportement.

François était gringalet, blondinet, gentil, à douze ans il en paraissait dix à peine, fils unique d’une veuve qui le couvait, il était habitué à être pris en charge et il était bien le plus démuni d’entre nous. Mais je ne pensais pas que sa réaction aurait été telle face aux brimades, car chacun doit, un jour ou l’autre, les subir dans sa vie, venant toujours de plus forts et de plus âgés que soi.

François devint sombre et désagréable. Je trouvais, alors, l’atmosphère de nos sorties pesante et tendue. J’essayais de parler à un des plus grands qui prit le parti d’en rire : « Il faut bien qu’il s’y fasse. Il ne va pas toujours vivre avec sa maman… »

C’était bien vrai mais personne ne mesurait la gravité de ces humiliations sur être  faible  mais fier.

Puis il y eut un autre temps de répit, une rémission. Je pensais que cette période était close. On avait trouvé d’autres jeux, des grottes à visiter, où nous nous étions installés en conquérants, des passages souterrains à explorer.

Mais fin juillet la chaleur redevint plus forte et nous décidions de retourner au Gourd Noir. Quelle joie de s’avancer dans l’eau claire de ce ruisseau de montagne, de s’allonger sur les larges pierres blanches pour offrir nos corps au soleil. C’était le temps de l’innocence et mon souvenir est limpide comme l’eau qui cascadait entre les rochers, il est lumineux comme l’était le ciel d’été blanchi par la chaleur intense du soleil. C’est un souvenir de paix et de transparence car aucune ombre ne venait ternir cette luminescence et ce moment de bien heureuse ataraxie qui nous enveloppait tous.

Nous étions jeunes, nous étions heureux : plaisir, fraîcheur, soleil étaient les maîtres mots de nos journées.

Les grands avaient appris à plonger, d’abord d’un rocher bas puis du haut d’un "pic" qui dominait le gourd comme une sentinelle blanche surveillant les eaux obscures. François et moi, nous ne participions pas à cette surenchère d’exploits dangereux. J’avais nettement refusé et "on" avait bien raillé la "petite", "fille" que j’étais, peu m’importait je préférais nager comme "un canard boiteux", que de m’écraser en plongeant, sur un des rochers à fleur d’eau . Les garçons en convenaient eux-mêmes « c’était dangereux », il fallait bien calculer son plongeon… et chaque réussite était récompensée par moult vivats.

 

Je fais une pause dans mon récit, j’ai besoin de me souvenir de ces instants lumineux tracés dans ma mémoire, car le reste s’écrivit alors avec une encre plus sombre.

 

Un jour banal, un jour qui devint alors particulier, notre insolente légèreté fut brutalement pulvérisée. Michel mit le feu aux poudres, après un superbe plongeon, il mit au défi François de montrer qu’il était un homme. Jacques, Jean, Pierrot,… reprirent comme une antienne « François montre nous ce que tu as dans le ventre… François… François… ».

Je vis François se raidir et s’éloigner sur la berge, geste qui fut hué. Rires, railleries reprirent de plus belle. Affolée, j’émergeais aussi et rejoignis le garçon qui s’habillait prestement.

-         Laisse-moi toi aussi…. vous verrez que j’y arriverais.

-         Mais bien sûr tu y arriveras, quand tu auras leur âge…

-         Non, tu comprends rien, la fille, vas-t-en, tu comprends rien… si j’avais un père, tu sais… si j’avais un père…

Il ramassa sa serviette et s’en fut. Au bout d'un moment les quolibets se turent. Je n’avais plus envie de m’amuser, je ressentais avec accablement à quel point il était dur d’être un petit garçon. Mon sexe, dit faible, me protégeait en quelque sorte, rien ne pouvait m’humilier car je faisais partie des humbles, je n’avais pas d’honneur à faire valoir…

J’eus l’idée de rentrer à la maison pour faire croire que j’avais pris le parti de François, pour peser dans son camp contre les autres.

J’arrivais la première, ma mère étonnée, commença à faire des suppositions :

-         Vous vous êtes querellés, je t’avais bien dit de ne pas être toujours avec les garçons, ça tournera mal…

-         Non pas du tout Maman, mais ils s’amusent à plonger et ils m'empêchent de nager…

-         Il y a du travail à la maison, tu sais…

Je pris mon goûter et ne répondis pas.

 

 À suivre pour la fin Partie 3

 

-          Partie 1 (mars 2017)

Francopolis avril 2017
Éliette Vialle

 

 

Créé le 1 mars 2002

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