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Mai   2017

 

SOLEIL NOIR…   suite et fin

 

Par Éliette Vialle

 

 

-          Partie 1 (mars 2017)

-          Partie 2 (avril 2017

 

-          Partie 3 (mai 2017)  et fin

 

Je n’eus pas de nouvelles de François, les autres revinrent et s’égaillèrent dans leurs propres foyers.

Le soir nous nous retrouvâmes sur le mail du village : des filles de la ville étaient arrivées et les garçons tentaient bêtement de s’en faire remarquer. J’observais leur manège avec nonchalance, mais où était donc François ?

Je rentrais à l’heure donnée et m’endormis sans plus d’inquiétude, je vivais encore dans un univers d’innocence que rien ne pouvait troubler. Ma vie était à l’image de cette eau claire et transparente, lisse à l’envie.

Je fus réveillée le matin par des appels, ma mère s’engouffra brutalement dans l’alcôve qui me servait de chambre.

-          François a disparu depuis hier soir...

Je me levais en hâte.

-          Vas voir sa mère, elle te demande…

Je sortis sur le perron en pyjama et je vis tous les adultes entourant Madame L. en larmes. Déjà les garçons arrivaient tout en s’habillant prestement.

-           François a pris son goûter hier au soir, et il a filé. J’ai pensé qu’il était avec vous, criait la mère, mais ce matin son lit n’était pas ouvert.

Nous nous regardions hébétés, je fus la seule à faire le lien entre les moqueries de la veille et cette disparition. Je pensais à une fugue, mais je me tus pour ne pas incriminer les copains qui ne semblaient y attacher que peu d’importance.

On avertit le maire et le curé, le garde-champêtre battit du tambour sur la place pour avertir la population. Des groupes d’hommes se formèrent pour entreprendre des battues dans les champs et les bois, ils revinrent à midi bredouilles et inquiets.

Serait-il parti avec le car qui descendait à Aubenas tôt le matin ? Le maire téléphona à la compagnie de transport, les chauffeurs n’avaient pas vu de jeune garçon, les touristes parcoururent les alentours avec leurs voitures. Tous revinrent sombres et silencieux.

 

Le travail des champs cessa brusquement. Il y eu une réunion à la salle des fêtes, adultes, vieux, et jeunes s’y rendirent. Quelques femmes s’occupèrent de la mère à laquelle le médecin avait administré un sédatif et qui s’était assoupie.

J’avais envie de parler mais je me tus. Les autres ne se sentaient pas coupables, pourquoi porter une telle accusation ? Qui – à part moi – pouvait penser à une fuite de la part de François, à une réaction de honte, de peur, face aux apostrophes moqueuses des aînés. Cela avait toujours été, chaque garçon avait vécu de tels moments dans sa vie, un bizutage somme toute.

Trois jours passèrent. Les gendarmes étaient venus et nous avaient interrogés… je ne sortais pas de mon silence… tout avait été normal la veille de la dispartion de François : rien à signaler…

Ne sachant plus comment clore cette délicate et cruelle enquête, le capitaine décida d’aller inspecter les abords du ruisseau jusqu’au Gourd Noir. Je restais au village avec les femmes (à ma place pour une fois) terrorisée et abattue.

Une heure à peine se passa et on vit arriver en courant quelques jeunes gens accompagnant la voiture de gendarmerie. Aux visages affolés des garçons, tout le monde compris la terrible nouvelle. On avait retrouvé François. Son petit corps sans vie flottait sur l’eau, bloqué par les rochers du Gourd Noir qui formaient les réservoirs naturels. Son crâne ensanglanté avait été fracturé par la pierre dure. Il était en maillot de bain. Je compris qu’il avait dû partir tôt pour plonger du haut du rocher comme le faisaient les grands. Il était parti s’exercer en cachette pour surprendre les autres l’après-midi, sortir triomphant de la honte subie, montrer qu’il était un homme, lui,  le petit garçon en butte aux moqueries de ses aînés.

Le tocsin résonna sur le village hébété. La population, jusqu’aux touristes, fut bouleversée et le site de la baignade fut interdit pendant tout l’été et les étés suivants car le deuil se prolongea plusieurs années. Nous-mêmes, devenus adultes, nous mîmes en garde nos propres enfants…

Dévorée de remords et de culpabilité, j’espérais à tout instant qu’un adulte comprendrait l’origine du geste de François, que l’un d’entre nous, les enfants, raconterait ce qui était advenu la veille de l’accident. Mais nul n’y fit allusion, le silence tomba comme un couperet dans nos vies. Michel avait disparu, il demeurait auprès de ses parents, nous avait délaissés, notre fréquentation n’offrait plus d’intérêt… mais peut être  était aussi source de remords… l’été fut funèbre. Nous restions soudés dans le silence, abrutis par cette violence qui avait brisé d’un coup notre insouciance…

                                          *****************************

Je dormais mal. Des cauchemars venaient hanter mes nuits. Une vision effrayante de mon livre de catéchisme m’obsédait, chaque péché y était répertorié et classé, je m’accusais de la mort de François, du moins de ma complicité (avec les autres garçons). Pour moi, Michel était le "grand coupable" et nous, nous étions tous des lâches qui n’avions pas eu le courage de s’interposer.

Dans mon livre de catéchisme le meurtre était un péché mortel qui ne s’effaçait jamais et qui noircissait le cœur de celui qui l’avait accompli. Cette tâche ne s’effaçait jamais… et le seul recours était l’aveu…

Nous ne nous réunissions plus à tout propos, chacun essayait de se tenir à l’écart, honteux comme moi, ou abasourdis comme l’étaient les autres – plus de gaité, plus d’insouciance, le drame avait brisé notre jeunesse, plus rien ne serait comme avant.

L’enterrement fut une épreuve terrible, la mère fut portée par les voisins et les amis, et tout le village l’entoura en vain.

Les fêtes de l’assomption arrivaient. C’était un grand évènement, ce jour-là avait lieu la dernière foire de l’été et les célébrations religieuses se déroulaient sur le mail. Nous allions à confesse chaque année et un jour était réservé à celle des enfants et je pensais que je trouverai là ma planche de salut. Un soir j’interrogeais un de mes cousins, le plus jeune, et le plus innocent, et lui fit comprendre qu’il fallait tout avouer à Dieu, et expier toute notre vie. « Que les autres fassent ce qu’ils veulent de leur âme !!! » m’exclamais-je. Il eut l’air effrayé, j’assenais ma vérité : « nous sommes tous coupables, nous ne pouvons pas rester dans le péché ». Il ne répondit pas et se sauva très vite.

Le lendemain, comme toutes les fins de matinée, j’allais ramasser la salade et le persil, dans le potager que nous avions au-dessus du hameau, derrière la maison. Le chemin aboutissait à un calvaire de pierre qui surplombait le mail et l' anse de la rivière qui s’étalait dans la plaine . Munie d’un couteau et d’un panier, je montais la calade pierreuse en ruminant mes pensées de culpabilité, lorsque tout à coup, Michel, que je n’avais plus revu depuis l’accident, surgit derrière la croix.  Apparemment, il m'attendait arborant un sourire à la fois goguenard et menaçant.

-          Alicia, tu vas ramasser la salade ?

-           ?

-          J’ai deux mots à te dire, petite sotte.

Sa voix s’amplifiait et j’eus peur brusquement.

-          Laisse moi tranquille, que me veux-tu ? Où sont les autres ?

-          Les autres ne sont pas là. J’ai à te parler.

-          Moi je ne veux pas t’écouter, laisse-moi.

-          Alors, la petite sainte nitouche veut tout raconter au curé ? dis-moi la vérité…

-          Ça ne regarde que moi… tu fais ce que tu veux… mais si tu n’avais pas commencé à te moquer de lui…

Michel s’approcha, me prit par les épaules, ses pouces se posèrent de chaque coté de mon mon cou.

-          Tu vas te taire, on est tous d’accord. Tu vas te taire, espèce de petit danger public, tu ne vas pas faire accuser tout le monde parce que tu as des états d’âme de petite fille pieuse.

Les pouces de Michel s’enfonçaient dans mon cou, j’étouffais…

-          Je sais ce que je dois faire, où sont les autres ?

-          Les autres sont d’accord avec moi. Je les appelle, on te fera taire… Venez les autres...

Et les autres surgirent de derrière le mur de pierres sèches où ils s’étaient cachés. Ils étaient plus nombreux que le jour de l’accident et la volonté de me faire peur était évidente et,  j’eus peur. Je criais alors que Michel enfonçait ses pouces plus profondément dans mon cou, mais, d’un geste brusque et violent, je me dégageai et partis sur la pente raide de la montagne. L’aplomb vertigineux, était coupé par quelques paliers rocheux. Je dévalais l’escarpement et personne ne me suivit.

-          Hé, reviens la fille, tu ne t’en sortiras pas comme ça… tu vas te faire mal et tu nous dénonceras encore.

Je continuais ma cavalcade, la distance, entre eux et moi, s’accroissait rapidement. Arrivée à mi-pente, je relevais la tête et vis le groupe de garçons serrés contre la croix qui m'observaient :

-          Tu vas tomber ! Reviens Alicia !

-          Alicia reviens, n’aies pas peur, on ne te fera rien.

Ils m’appelaient, ils avaient peur… Devant moi le rocher tombait à pic dans la rivière, la paroi était lisse. Je la contournais précautionneusement et atterris bientôt dans les jardins des plus hautes maisons. J’étais sauvée. Ils ne pouvaient plus m’atteindre… je repris mon souffle. Je les apercevais là-haut, comme des sentinelles noires figées sur la crête rocheuse.

Je traversais les potagers avoisinants sans être vue et je regagnais la maison. Je me faufilais à l'intérieur et allais me coucher toute tremblante encore.

Les jours suivants je me fis facilement passer pour malade, ma mère avait compris depuis l’accident que j’étais très désemparée, elle proposa à mon père de m’éloigner du village. Je partis le soir même par le car jusqu’à Aubenas où une cousine me recueillit gentiment.

Je ne me confessais pas cette année-là, ni les années suivantes. Bien longtemps après,  je finis par parler à un prêtre de mes doutes, il apaisa un peu mes tourments sans les faire taire.

Mais je ne revis plus jamais notre bande de copains, l’entente était brisée, la jeunesse était passée.

Nous nous perdîmes de vue progressivement et volontairement, soucieux de ne pas garder des traces de cet été tragique.

Nous avons grandi, nous nous sommes mariés, avons eu des enfants, mais nous avons évité les retrouvailles trop intimes, chacun prenant soin de ne pas rencontrer l’autre ni les autres. Nos parents le sentirent sans le comprendre vraiment. Michel n’est plus jamais revenu en vacances dans notre village.

L’anonymat des grandes villes nous a absorbés mais mon péché est toujours là, tâche noire sur mon âme pure d’enfant !

 

*****

 

Me remémorant ce drame enfoui, je compris pourquoi, inconsciemment, cinquante ans plus tard, j’avais voulu revenir pour quelques jours de vacances… sur les lieux où prit fin, brutalement, mon enfance…

On ne peut jamais oublier vraiment.

 

FIN

Francopolis mai 2017
Éliette Vialle

 

 

Créé le 1 mars 2002

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