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Coup de cœur : Archives

(2010-2017)

Une escale à la rubrique "Coup de cœur"
découvrir un poème qui nous a particulièrement touché
par sa qualité, son originalité, sa valeur

(un tableau de Bruno Aimetti)

 

Nous redonnons vie ici aux textes qui nous ont séduits,
que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.

***

Poèmes « Coup de Cœur » des membres du Comité

Janvier-février 2023

 

 

Sanda Voïca, choix Dominique Zinenberg

Parme Ceriset, choix Éliette Vialle

Maram al-Masrichoix François Minod

Gérard Bocholier, choix Mireille Diaz-Florian

Jacques Grieu, choix Dana Shishmanian

Jean-Michel Sananès, choix Michel Ostertag

Jean-Marc La Frenière, choix Gertrude Millaire

Daniel Martinez, choix Éric Chassefière

 

Sanda Voïca

choix Dominique Zinenberg

 

Se faire portraiturer par le néant.

Portrait avec l’absence de Clara.

 

Être échevelé

Je suis échevelé : corps et âme.

Corps vêtu

En écrivant à deux centimètres de mon corps –

les tissus ou les étoffes encore là.

Pas encore les tissus et les cellules.

Le vent ne me dit rien – à bon escient : je ne l’écoute jamais.

Le vent dans la dent cassée

Ça – je l’ai connu.

Le vent dans la dent – et pan

La confession. La communion. Le vent

Qui aime les trous.

Les corps troués. S’y engouffrer.

La gaufre du jour : mon corps sous le vent

dans le Cotentin

dans le jardin où je fume une cigarette

Corps dans le vent

Vent dans la dent – trouée.

Et pan ! Et vlan !

La pale du vent dans l’étant.

Étant pour étant.

L’étant du vent, l’étant de mon étant.

Ne riez pas, ne ricanez pas :

Heideggerisez quelques secondes,

Cela vous fera du bien.

Un bien pour un autre.

Le mien, le vôtre : étant étant.

 

Extrait du recueil Les nuages caressent la terre (éd. Les lieux dits, 2022). Voir, dans ce même numéro, la note de lecture dédiée à ce recueil par Dominique Zinenberg.

 

Parme Ceriset

choix Éliette Vialle

 

 

L’AUBE BLEUE

(en mémoire de mes grands-mères)

 

Quand je contemple, comme ce matin, l’aube et ses vagues bleutées, je songe à l’humble passage sur Terre des femmes de l’ombre pourtant si lumineuses qui ont bercé mon enfance : mes grands-mères...

De leurs regards éteints me reviennent par vagues les flots calmes et limpides du bleu qu'elles arboraient et dont elles inondaient le monde et ses larmes… Quelques tranches de vie dans l'immortalité...

Elles avaient l'aube bleue, le charme des villages, le parfum des lilas et des violettes douces ; elles avaient le regard des êtres qui éclairent les chemins caillouteux de mille braises rousses. Elles n'avaient pas l'éclat des stars intemporelles et n'eurent à leurs bras qu'un homme.... À leurs mamelles, nul amant de leurs rêves, juste quelques marmots : des petites vies simples, de don et de misère, rien de sensationnel en dehors de l'Amour, d’humbles vies de femmes et surtout de labeur, simples, presque banales, et pourtant leurs regards malicieux et sereins, chacun irremplaçable, à nul autre pareil... Et leurs rires-poèmes, rivières flamboyantes, et ce rouge à leurs lèvres, framboises d’amarante...

 

 

Maram al-Masri

choix François Minod

 

Je te donne...

 

Je te donne une bouche propre

parfumée de musc

et de secrets

 

Je te donne une bouche qui mange

                                                 qui mâche

                                                      qui boit

                                                           qui avale

 

Je te donne une bouche qui raconte des histoires

qui clame des poèmes 

qui sourit des métaphores 

et pleure de douleur

 

Une bouche qui désire 

qui embrasse

et jouit 

 

                                  *

 

Je te donne une oreille

qui perçoit les voix secrètes 

qui ouvre ses portes au tumulte de la vie

qui croit les promesses 

et danse sur chaque rythme

 

une oreille qui pleure

et sourit

une oreille qui désire 

qui embrasse

et jouit

 

                                 *

 

Je te donne deux seins

                                emplis de désir 

                                     emplis de tendresse

                                          emplis de crainte

                                                et de lait

 

deux seins emplis

d'un liquide débordant 

                                    de vie

 

je te donne un ventre doux

                               qui souffre

                                       conçoit      

                                              enfante 

 

un ventre qui désire 

embrasse

et jouit

 

                                   *

 

Je te donne un corps fait de baisers 

sculpté de caresses 

hâlé de soleil

qui désire

qui embrasse 

et jouit

 

je te donne deux bras

je te donne des mains

des doigts

je te donne deux jambes

je te donne un nid

je te donne un dos

 

je te donne

je te donne

 

une âme

 

 

Extrait dé Par la fontaine de ma bouche, bilingue arabe/français, en auto-traduction. Éditions Bruno Doucey (collection L'Autre langue), 2011, 81 p.

 

Gérard Bocholier

choix Mireille Diaz-Florian

 

BLEU

 

Tout pourrait s’éclaircir

Se dit l’homme

Les forêts s’écarter

Les falaises sombrer

Dans le noir des abîmes

 

Suffirait-il d’aller

Plus confiant et plus libre

Vers ce bleu qui ne cesse

D’enchanter l’alouette

Qui maintient l’inquiétude

D’un trait sur l’invisible

 

 

MERVEILLE

 

Avec les tilleuls en fleur

Revient cet instant d’amour

Qu’il croyait perdu l’enfance

Et ses peurs sa solitude

L’été dans la maison haute

L’émoi contre les persiennes

Striées d’un très long désir

 

Et soudain pure merveille

Un corps de feu ravivé

Le ciel des yeux la beauté

D’un dieu toujours étranger

L’amour qu’il n’a pas goûté.

 

 

FEU

 

Il dit Je ne prie pas assez

Mais peut-être que mes silences

Dans le vent font bouger les franges

De ce grand manteau invisible

Que je ne puis jamais toucher

 

Mes silences ou bien ce feu

Que je sens me saisir et prendre

Aux sarments tendus de nos corps

Quand ils cherchent soudés ensemble

À tuer un instant mort

Textes extraits de la revue Arpa, N° 137/138

 

Gérard Bocholier directeur de la revue Arpa qu’il a fondée en 1984, se consacre à une œuvre poétique et critique. Il est responsable de la rubrique poésie de l'hebdomadaire La Vie. Il tient une chronique de poésie sur le site internet Recours au poème.  

 

Jacques Grieu

choix Dana Shishmanian

 

IGNORANCE

 

A l’ère du smart-phone ayant réponse à tout,

Parler de l’ignorance est un sujet tabou.

L’homme le plus ignare, en consultant le web,

Croit en savoir bien plus que la vulgaire plèbe.

 

Confesser qu’on ignore est un acte de foi :

Le cacher plusieurs fois, chacun s’en aperçoit.

L’ignorance des peuples engendre des postures,

Un faux nationalisme et puis... la dictature.

 

Pire que l’ignorance est l’orgueil du savoir

Qui aime s’admirer à grands coups d’encensoir.

Souvent la conséquence d’obscures habitudes,

Il barre tout progrès et empêche l’étude.

 

Et si, de l’affreux vice, on prenait la défense,

Et que, de la vindicte, on sauvait l’ignorance ?

Des siècles il nous faudrait remonter les séquences,

Pour voir dans quel esprit a progressé la science…

 

On croyait tout savoir : nul besoin de chercher ;

Les Dieux, les Écritures, avaient tout expliqué.

Vouloir aller plus loin relevait du péché,

Et de hardis génies en furent empêchés.

 

C’est quand on découvrit tous nos puits d’ignorance

Que la science moderne entama son avance.

L’aveu  de tous nos doutes obtint consécration

Qui fit que tout savoir se remit en question.

 

Aucune vérité n’est jamais absolue

Et même aucun problème à jamais résolu.

La certitude acquise et souvent religieuse,

Vint à tomber d’elle-même en se montrant trompeuse.

 

Savoir son ignorance aide à la mieux juger

Et qui alors n’est plus l’ignorance attestée.

L’ignorance nous mène à la diversité

Dont la science permet de voir l’immensité.

 

Estimer pour chacun son degré d’ignorance,

Devrait être un moyen de voir ses compétences,

Un critère objectif et non pas négatif

Pour guider ses actions avec indicatif.

 

Savoir qu’on ne sait pas est la clef du savoir

Orientant la recherche et ouvrant des espoirs.

Alors, je revendique un droit à l’ignorance,

Condition assumée pour que ma tête pense…

 

 

Jacques Grieu, né en 1930 à Lisieux (Calvados), vivant en Bretagne, est poète, écrivain, et peintre. Voir la notice qui lui est dédiée à notre rubrique Liens.

 

Jean-Michel Sananès

 choix Michel Ostertag

 

Là où les nuits bavardent,

l'insomnie des mémoires ouvre des douleurs d’azur,

parfois j'en exhume un pays qui croise mon enfance,

des ténèbres, déjà y agitent mes ombres,

qu'y fais-tu mon père quand je cherche la frontière ?

Je suis mon intime étranger,

je me regarde avec une inquiétude familière,

je me reprends dans le miroir

répercuté par un écho d'images que je n'habite plus.

J'y sonde la parole désarticulée du silence,

les mensonges m’interrogent,

qu'ai-je dit des mots à dire et à vivre ?

Non, je n'ai rien dit, seul le poème a parlé,

mais habite-t-on le poème ?

Qui suis-je hors du poème ?

Je piétine une feuille blanche qui cherche sa source,

poussière et vide en sursis, j'habite l’instant.

Mais déjà, déjà, déjà,

je ne suis qu'un reflet de présent qui s’efface.

Là où les nuits bavardent.

 

Publié le 3 février 2023 sur le blog de l’auteur, CHEVAL FOU

 

Daniel Martinez

choix Éric Chassefière

 

Daniel Martinez est poète, et anime depuis 1998 la revue trimestrielle de Poésie et Littérature Diérèse, ainsi que les Éditions Les Deux-Siciles. Les poèmes reproduits ci-dessous sont extraits de son recueil D’ores et Déjà paru en 2021 aux éditions Les Deux-Siciles.

 

 

Inde (Jhujhunu)

 

Entre les acacias s'élève
un banian sur la gauche
et vole un milan puis un autre
volent mille ans tout au long
du muret de pierres

L'herbe rase d'en bas
les lances rousses des millets
ici ou là devenues
le chant second
auquel elles renverraient

Vaste la carte de l’être

douce l’odeur du bois fruitier

qui brûle quelque part

et métamorphose le visible

la chaleur d’un autre corps

 

Perdu l’écho de ton rire

sur les chemins de la mémoire
pour lors me revient

la fine rosée de ta peau
l’arrondi de ta joue
          nouveau rivage

De toutes parts le blanc
le blanc de l'aube
domine le village hélé

un présent partageable
le départ d’une pensée
rêvée et vivante à la fois

Ton souffle retranscrit
et le nom d’un hameau

abstrait du monde

nous porte dans l’espace

qu’ouvre la voix
Jhujhunu

Un drap de sisal
bleu acier sur bleu noir

bu par le tissu stellaire

d’une même insaisissable étoffe

son frémissement

Trois saris passent
redessinent les lignes
du demi-sommeil
du vermillon au jaune
natives volutes retrouvées

Quiétude libre de toute attache

de toute contrainte

le temps se résorbe

sous l’étincelante coulée solaire

 

 

*

 

 

Tunisie

 

Depuis la grande maison basse

qui en est le cœur

l’ombre tourne

autour de la couleur

cotonneuse du jour

elle dissémine les plantes

et couche dans les failles

le passé

 

Sur les fûts des arbres

le reste du monde

un bref instant se concentre

fulgure à claire-vie

dans l’autre temps de soi

le simple jeu des mots

en un langage

que filtrent les pensées

 

Peau contre peau

la matière 

ne sait rien

de ce que les couleurs du temps

sauvent d’une absolue cécité

– perlent des larmes de vin noir

sur la gourde de cuir

 

Lente traversée de sa propre histoire

jusqu’à l’ultime touche jaune

O breath !

 

Jean-Marc La Frenière (†)

choix Gertrude Millaire

 

Pour en finir avec la mort

Quelle merveille cette peau qui recouvre les os,

cette douceur du rire qui recouvre tes dents.

Quelle merveille ces lèvres

qu'elles embrassent ou qu'elles boudent.

Quelle merveille ces doigts

qui forment la caresse ou pétrissent l'argile.

Quelle merveille ces yeux

qu'ils dessinent ou qu'ils pleurent.

Quelle merveille la lune sur la marée des songes,

la chaleur du soleil qui embrasse la terre.

Quelle merveille la vie quand on se tient debout

avec la fleur aux dents, avec l'amour au cœur,

cette caresse du temps sur la dureté des choses,

la vérité des arbres qui affrontent le vent,

le doute des étoiles dans le ciel infini,

la route sous les pas qui se trace à mesure.

Quelle merveille la graine

qui prépare le pain et la farine du jour,

la robe de l'extase qui fait briller le vin.

Quelle merveille ce nid

l'oiseau prend son vol,

l'entêtement des épines à protéger les roses,

l'acharnement de la sève à devenir un arbre,

la patience des sources à devenir rivière,

l'empressement des rivières à devenir la mer,

l'intelligence du souffle à devenir musique,

la volonté des foules à devenir unique.

Quelle merveille ta vulve qui enserre mon gland,

la bouche pour y boire,

la tendresse des seins qui éclatent en bourgeons.

Quelle merveille la vie quand je me colle à toi.

Quelle merveille ce silence qui succède à l'étreinte.

 

Extrait de son blog, publié le 20 décembre 2022. Voir, dans ce numéro même, l’hommage rendu par Francopolis et ses amis, et le choix de textes inédits, à la rubrique Une vie, un poète.

 

 

 

Coups de cœur des membres :

 

Sanda Voïca, choix Dominique Zinenberg

Parme Ceriset, choix Éliette Vialle

Maram al-Masrichoix François Minod

Gérard Bocholier, choix Mireille Diaz-Florian

Jacques Grieu, choix Dana Shishmanian

Jean-Michel Sananès, choix Michel Ostertag

Jean-Marc La Frenière, choix Gertrude Millaire

Daniel Martinez, choix Éric Chassefière

 

 

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