Catrine Godin, poète
québécoise d'une grande sensibilité, sa
poésie me rejoint au point tel que parfois j'ai l'impression
qu'elle me regarde observer la forêt, elle met en mots ce que mes yeux regardent. (Gertrude Millaire)
Ombre et la forêt, une suite...
I
Au pied d’un arbre, amassé contre les écorces, le
lit des épines sous les jeunes feuillages chante doucement cet air de pin et
d’oiseaux, le pelage des renards. Juste à côté la lumière trempe ses doigts,
filtre et infuse, lente, les aspérités où l’ombre s’était assise. Elle
déroule des ors liquides, des draperies de baldaquin sur les têtes duveteuses
des violons nouveaux. On dirait qu’ils penchent et se tendent simultanément.
Sous leurs chemises floconneuses et rousses, leurs traits arrondis de verts
s’allongent en poignets souples parmi des vestiges de concerts brunis, un vieux
registre grisâtre et le filigrane des veines transparentes des
anciennes mains de l’orme, mains passées sous la bouche de l’hiver.
II
Je n’approche pas la lumière, pas plus que je
n’approche quoi que ce soit. Je l’épie pendant qu’elle glisse et coule en
ruisseaux sonores, tandis qu’elle peint les cheveux fous d’un lichen pâle, un
îlot dense de mousse piquetée de tiges rouges où s’insinue, ondoiement vert à
peine plus sombre, une ramure de pervenche, ses yeux clairs. La lumière révèle
le diaphane d’une élytre d’insecte gracile, un miroitement d’écaille.
Bleu-noir, il semble une lettre d’un alphabet antique, échappée sauvage de je ne
sais quel encrier. L’insecte danse, fait des signes enroulés de pétale qu’il
enfuit prestement derrière le long fuseau vertical et rêche d’un corps,
immobile.
III
Non loin, des sentiers courent. Ils courent et
s’entrecroisent, chemins de pleine vie, petites roulées des perdreaux, brillants
sillages suivant la coquille à rayures jaunes de l’escargot des bois, cliquetis
de tamias turbulents, urines âcres des biches. Les sentiers ondulent sous de
hautes voûtes sans clé, cathédrales ouvertes jusqu’aux nues, et inspirent les
brises élancées dont les grandes orgues écoulent des exhalaisons chargées du
parfum crû des tiges, les essences capiteuses de résineux mêlées à ces embruns
subtils de terreau, humide et noir. Les sentiers courent leurs veines entre les
arbres, dans le ventre des pierres, les sentiers courent des branches dans le
ciel, des racines plongées dans la terre. Autant de rivières sur le monde.
Soudain, il m’apparaît que toutes ces choses
tiennent l’une de l’autre, l’une dans l’autre, que toutes ne participent que
d’un seul et même dessin, comme en seul un corps. Un même corps que le mien,
blotti dans l’ombre. Et comme je suis de ces sentiers, je les respire.
IV
Un vertige de beauté ferme mes yeux. Tout est si
bruissant. Comme ces bruissements enflent et s’entremêlent, le froissement
des brises et des souffles prend des ampleurs de musiques, d’océan sonore.
Leurs respirations en vagues murmurées s’emportent jusqu’au sang des tempes, aux
battements du cœur, et multiplient les battements de vies intenses, yeux et
odorats vifs, petits corps des plumes, des fourrures. J’écoute leurs enjambées,
les sauts, la course entre les arbres. Le trépidant des minuscules rivières
rouges et vivantes que l’instinct seul propulse. Puis ce sang des arbres, haut,
ses transparences. Un vertige de beauté m’ouvre les yeux.
V
Vive, au pied d’un arbre, le corps rassemblé tout
contre l’écorce, un lit d’épines et les jeunes feuillages chantent doucement un
air de pin et d’oiseaux, la rousseur des renards. La forêt entière se calme et
embaume. Maintenant drue, la lumière m’approche aussi jaune qu’un pumas, aussi
lente que fauve. Elle m’approche. Je la laisse toucher mon épaule, je la laisse
appuyer sa chaleur doucement aigüe. Réfugiée dans la main de l’ombre et paisible
sous la dent du soleil, de l’immobilité apparente je perçois le mouvement vivant
des choses. Rien n’a plus d’importance que ce lieu qui me garde.
Quelques Liens :
Francopolis:
Salon de lecture : suite/des/ambres et Méditations
Librairie : Catrine Godin
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Ailleurs :
Écho parfumé
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Son recueil : Les ailes closes
Victor Dali, jeune poète né à Lille en 1989,nous
offre un poème énigmatique et légèrement " inquiétant"... Retrouvez-le sur
facebook ou sur son blog. Ce nouveau "Rimbaud" mérite d'être honoré.
(choix d'Éliette Vialle)
Le Cortège d'Orphée
L'enfant sans peur rugit de colère,
Au soleil couchant,
Il déterre la lumière
Et confesse sa folie
Aux entrailles de la terre.
Le vieux singe ronge ses ongles,
Une algue soutient le monde.
Il a vu la naissance
Du dernier soleil blanc,
Il lui lance des pierres
Quand revient le printemps.
Le rêveur décadent
Laisse les lucioles s'envoler
Il trouvera en pleine mer
L'éternelle clarté.
Le marchant ambulant
Entre deux alcools blancs
Lui arrache les pieds.
L'hypnotiseur ouvre enfin les yeux
Et voit dans le firmament
S'effacer l'horizon.
Les moines de l'éternité
Profitent de sa torpeur
Pour lui dérober les
Précieuses clés de son cœur.
Le prisonnier libéré
Ôte son chapeau
Et s'endort sous la lumière
D'une lune printanière.
L'homme a franchi les ponts
Que la vie a dressés.
Tout au long du chemin,
L'homme se conjugue au passé.
J’aime Je n’aime plus.
Son blog
Odile Marx, née en 1917, vit paisiblement dans l'Ain. Elle aurait
beaucoup aimé vivre en écrivant de la poésie mais à 94 ans, c'est devenue
seulement une passion ! Elle nous présente son chez-soi. (choix Aurore Delrieu)
LA MOUCHE
Toc toc je suis la mouche,
je colle ma petite bouche,
à ton carreau, pour te dire : Bonjour!
Regardes, il fait déjà grand jour.
Je voletais sur l'herbe verte,
parmi les blanches pâquerettes
et les oeillets.
Ce petit matin est très frais
j'aimerais bien pouvoir entrer, me réchauffer.
Mais ta fenêtre est bien fermée.
Quelle horreur! une mouche noir sur ton lit blanc!
On me chasserait.
On me tuerait, assurément.
Je vais m'en aller somnoler
dans un coin caché
de la roche que le soleil a réchauffée.
Demain matin, je reviendrai.
Et puis, je revoltigerai,
bourdonnerai,
butinerai,
il faut bien manger!
-Mouche, tu n'es pas revenue,
Où as-tu disparu ?
-Je suis repartie dans le pré
parmi les blanches pâquerettes et les oeillets.
-Mouche, tu n'es pas revenue,
Où as-tu disparu ?
-Je suis retournée somnoler
dans quelques fentes de la roche, que le soleil avait réchauffées.
-Mouche, tu n'es pas revenue,
Où as-tu disparu.
-J'ai bourdonné, j'ai butiné, toute la journée
pour trouver à manger.
-Mouche, tu n'es pas revenue,
Où as-tu disparu ?
-Je suis allée vers d'autres cieux,
dans le bleu paradis des mouches,
où toutes leurs petites bouches
chantent, ensemble, un air joyeux,
et jamais je ne reviendrai,
à moins que, quelque soir,
(le plaisir de te voir...)
Je frappe à ton carreau pour te dire :
Bonsoir!
Lélio
(Katifrè en créole) a écrit un recueil de poésie "à deux voix" :
"Oublier le pays... : Bliye lakay..."
J'ai été touchée lorsque Le Chasseur abstrait,
son éditeur, me l'a offert. On
avait en effet déjà publié Lélio sur
Francopolis il y a quelques années,
découvert grâce à Yves Heurté. Lélio
écrivait en français mais commençait
déjà
à écrire en créole et avait trouvé son nom
en créole, Katifrè. Lélio s'est
toujours battu pour la reconnaissance de son pays, Haïti, et du
créole.
Francopolis est une revue francophone et nous sommes à l'écoute de toutes ces
voix. Ici le recueil est présenté comme en miroir, un côté en français, l'autre
en créole... On le lit comme on veut! Je donne les deux voix. Cet hommage à
Aimé Césaire m'a émue. Deux poètes, tous deux avec leurs combats, et ce goût de
la poésie, cette nouvelle couleur donnée aux mots, cette voix... Merci Lélio de
ce superbe hommage à un poète qui me parle profondément et dont j'admire le
combat, qui continue, car l'homme est mort, mais pas le poète, jamais !
(Juliette Clochelune)
MORT
D'UN POÈTE
(En hommage à Aimé Césaire)
Ooooooooooooooo !
On dit que le poète est mort
On dit que le poète a disparu.
Le voici ! Le voici !
Le voici !
Le poète est debout
Comme un baobab
Dans la savane en feu.
Le voici ! Le voici !
Le voici parmi nous
Les bras chargés de fleurs de balisier
De fleurs de balisier fertilisées
par les colibris de la Liberté
De fleurs de balisier de couleur rouge
Rouge écarlate
Du sang des nègres qui coule
Après les coups de fouet
Les coups de rigoise
Dans les plantations de la Martinique
Dans les plantations d'Haïti
du Brésil et de l'Alabama.
Le voici ! Le voici !
Le voici !
Ce poète est un grand nègre
Un grand nègre marron
En révolte
Contre l'injustice de l'esclavage
Sur tous les continents
Partout sur la Terre.
Ce Poète a chanté
Toussaint Louverture
qui fit battre les tam-tams
Hurler les lambis
Pour annoncer
Les nègres debout
Dans les colonies de Saint-Domingue.
Il a chanté le Roi Christophe
qui édifia les citadelles
Pour protéger son peuple
afin que les blancs
ne reviennent jamais plus
dans le beau pays d'Haïti.
Ce nègre ne se coucha point
Tant que le soleil
Ne se mit à briller dans le ciel
De la Liberté
Et de la fraternité.
Le voici ! Le voici !
Le voici !
Ce grand nègre
"Poto mitan"
Du houmfort de l'Afrique
Éparpillant ses petits grains de "maldioc"
qui portent chance
dans le chapelet d'îles
de la mer Caraïbes.
Le poète nous dit un petit matin
L'homme est l'égal de l'homme
Que la souffrance n'a pas de couleur
Pour tous les hommes sur terre
C'est ainsi qu'un beau jour
Il baptisa
La négritude...
Ce poète
Sût marronner le syllabaire
Il marronna la langue françaises
En y ajoutant mille mots
Que l'on ne trouve nulle part
Dans aucun dictionnaire.
Oooooooooooooo !
On dit que le poète est mort
On dit que le poète a disparu.
Le voici ! Le voici !
Ce poète s'appelle Aimé Césaire
Papa Césaire pour son peuple.
Ce poète ne mourra jamais
Il restera avec nous
Dans notre panthéon
En toute éternité.
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POÈT
LA MOURI
(an omaj a Aimé Césaire)
Wooooooooooooooo !
Yo di poèt la mouri
Yo di poèt la disparèt.
Men
li ! Men li !
Men li !
Poèt sila a kanpe
Tankyou youn baobab
Nan savann kape boule.
Men li ! Men li !
Poèt sila a ape vini
Bra li chage flè balizye
Flè balizye fètilize pas kolibri an libète
Flè balzye koulè rouj
Rouj ekalat
Tankou san nèg apre koud fwet
A koud rigwaze
Nan plantasyon la Matinik
Nana plantasyon an Ayti, Nan Brezil
Nan plantasyon Alabam...
Men li ! Men li !
Men li !
Poèt sila a.se youn gran nèg
Youn gran nèg mawon
Ki te leve kont injistis ezcavaj
Sou tout kontinan
Toupatou sou la tè.
Poèt sila chante
Tousen Louvèti
Ki te fè bat tam-tam
Souflè nan lanbi
Pou li anonse nèg doubout
Nan koloni Sen Domeng.
Li chante rwa Christophe
Ki te bati sitadèl
Pou pwotege pèp li
Pou blan pa janm tounen
Nan peyi dayiti.
Nèg sila a
Pa janm al kouche
Toutan soley pa leve
Nan siyel la Libète
ak Fratènite
Men li ! Men
li !
Men li !
Nèg sila
a se youn poto mitan
nana hounfo Lafrik.
Li te jete ti grenn de maldiok
Ki pote chanz
Nan chaple zil
Nan lanmè karyb.
Poèt la di nou youn ti maten
Tout moun se moun
Soufranz pa gen koulè
Doulè pa gen koulè
Pou tout mon sou la tè.
Se konsa li te batize
La negritid.
Poèt sila a
mawonen silabè
Li mawonen lan franse
Avek mil mo
Ki pa janm exziste
Nan youn sèl dicsyonè.
Wooooooooooooooo !
Yo di poèt la mouri
Yo di poèt la disparèt.
Men li ! Men li !
Poèt sila a rele Aimé Césaire
Papa Césaire pou pèp li.
Poèt sila a pap janm mouri
Lap'rete avek nou
Nana panteon panou
Pou letènite...
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QuelquesLiens:
Francopolis:
Librairie : Lélio Brun,
Vue en francophonie : Fenêtre ouverte à Katifrè (alias Lélio), par Juliette Clochelune
Présentation de ses textes (mai 2008) par Juliette Clochelune
Ailleurs sur le web:
Lélio Brun, signe les textes de "Des Mots et des couleurs".
Sur Facebook
coup de coeur de Gertrude Millaire - Éliette Vialle Juliette Clochelune - Aurore Delrieu juin 2011
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