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ANDRÉ CHENET


nouvelle poétique, extraite de  "Journal d'un égaré"

Fatwa,
à Tahar Bekri

La femme de mes rêves est belle et libre, elle m'attend derrière un écran plasma pour faire un test gratuit.
Je n'ai qu'à cliquer sur son portrait (un portrait d'elle sous une publicité pour les poêles à bois à prix discount) avec ma souris électronique. Le message contenu dans un encart m'assure que je la rencontrerai pour de vrai...  J'ai justement un poêle à bois chez moi qui ne me sert à rien puisque je vis dans le midi de la France.

Elle et moi, nous sommes faits pour nous entendre et nous pourrions passer l'hiver à la montagne devant ce tube en fonte dispensateur de bien-être en entretenant sa flamme de nos regards chargés de désir fou. Nous nous parlerions très peu, et notre amour insensé devant un poêle à bois serait le héros du film. Elle, ma Marlene Dietrich, un ange bleu avec une voix - celle de Rosa Luxembourg, par exemple - à lever un peuple contre ses geôliers. En plein hiver, malades à crever d'amour...

Elle, je ne me souviens pas l'avoir vue autrement que nue, dans les flux aléatoires des foules ou sur le chemin du garde-barrière. L'ai-je vraiment connue? Non, pas exactement... Imaginée, ça oui, allongée sur un tas de bois, au fond de la remise, dans le bombinement des mouches et l'odeur du fuel. Imaginée comme une image sainte enveloppée dans un drapeau noir Place de la Bastille. Elle est très vieille, vieille comme les insurrections...

Vieille comme la flèche d'une cathédrale frappée par la foudre divine. Vieille mais toujours nouvelle à la façon des Printemps qui renaissent comme si de rien n'était dans un bal de papillons multicolores et de pétales de fleurs blanches. Elle est ce brin d'herbe qui me chatouille la narine pendant que je dors dans la main du vent. Son corps garde des traces de neige, des chocs de nuages. Maintenant, pour nous, les quatre saisons n'en font plus qu'une seule.

L'hiver nous mitonnerait jusqu'à la mort, jusqu'à la perfection funèbre de nos squelettes devant le poêle à bois. Nous n'aurions alors plus rien à redouter des annonces commerciales qui perforent de toutes parts les perceptions des foules, les faisant dériver entre cauchemars tranquilles et réalités de baudruche. La société spectrale du spectacle au service des vampires s'empare du meilleur de l'esprit humain jusqu'à ce que cèdent les corps. Des épouvantails frénétiques aux yeux morts prennent la place des êtres humains.

C'est le corps qui s'évapore à cause de la clim', à cause de la hausse des impôts, à cause du temps qu'il fait ou des autres, à cause d'un mauvais réglage du circuit. L'hiver, un mauvais réglage ça ne pardonne pas, surtout quand il fait moins 30, à 7h du matin. Les survivants bâtirons des Igloos. Et des hélicoptères US leurs parachuteront des boîtes de conserves remplies d'excréments. Les héros du jour feront la Une des journaux régulièrement, jusqu'à ce que, dès le lendemain, ils soient oubliés. Avez-vous déjà fait la Une des journaux, Vous? Je vous assure que c'est pas drôle, ça donne des torticolis, des fourmillements dans les zygomatiques. On n'est pas fier, croyez-moi sur parole, on ne s'en remet jamais tout à fait, à moins d'avoir un moral de pigeon voyageur. Faire les gros titres ça vous crucifie son pèlerin. Il m'est arrivé deux ou trois de faire la première page des journaux et que, par conséquent, on me montre du doigt dans les rues, dans les bistrots, les aéroports et les bureaux. Y'avait ma photo partout, avec cette fille de rêve que j'avais rencontrée à Frisco, assurément la plus belles femme de cette planète. Nous avions partagé quelques joints et des centaines de poèmes. J'l'avais ramenée à Paris et ensuite nous ne nous sommes plus jamais quittés. C'était juste après cette guerre occultée dans le trou du cul du monde où des rabbins fascistes chient le Talmud comme une loi universelle au service du crime. Elle, Fatima, était une actrice palestinienne ayant fait un détour par Hollywood. Elle militait pour la création d'un état palestinien. Moi, j'étais devenu son garde du corps, son Gabin, son Lino Ventura. Elle ne m'avait pas sélectionné pour mes qualités d'acteur encore moins de boxeur mais à cause des poèmes passionné que je lui écrivais. Plus tard, elle m'avait envoyé un billet pour que je la rejoigne à New-York où, à peine débarqués, nous fîmes scandale parce qu'elle s'était entichée d'un petit cochon rose végétarien qu'elle avait surnommé Mohammed. Une fatwa l'a prise en traître. Mohammed devint une cible pour les fanatiques de tous bords et nous fut confisqué par les représentants de la loi. Fatima ne s'en remit jamais. Je décidais de l'emmener à Paris afin de lui changer les idées.

Une réputation sulfureuse avait déjà précédée notre arrivée. Au milieu d'un cordon sanitaire mis en place spécialement pour nous, nous dûmes affronter un orage de flash photographiques, elle derrière ses lunettes de star, moi dans une colère noire. A peine débarqués, nous reçûmes les gros titres des journaux en pleine tronche: "Le Poète et la Rebelle, histoire d'une Haute Trahison".

Le Président français nous reçut à l'Elysée, avec ses montres en or, ses cargaisons d'armes, son sourire de travers... Le drapeau tricolore claquait comme un fouet de crin au-dessus des frontons Liberté Egalité Fraternité. "J'achète votre silence" nous informa le Président, "Je ne peux me permettre un scandale, ma côte dans les sondages est au plus bas". "Nous allons réfléchir" lui répondîmes-nous de concert non sans malice. Lorsqu'un peu forcé il nous raccompagna sur le perron du palais présidentiel, je lui crachotai à l'oreille: "Nous ne sommes pas à vendre" . Il grinça des dents. Se tira la commissure des lèvres avec ses deux index et ravala de travers ses insultes, car la presse faisait corps autour de nous. Le lendemain Fatima fut retrouvée gisante dans une ruelle de Belleville. Les journaux n'ont jamais rien signalé. Ce fut comme si jamais elle n'avait existé. Depuis, en Palestine occupée, c'est pas vraiment le pied. Mais pourquoi d'abord je vous raconte tout ça?



poème inédit - "Le voyageur" 

Le Voyageur
le voyageur allume ses feux de détresse
sous le couvert de la nuit
il dort ou non sa gorge s’enfle
d’un appel de troupeau d’éléphant
et les villes qu’il a parcouru se souviennent
de son pas lent
à chaque carrefour du temps
l’amour le soulève à hauteur de rêve
il a traversé le territoire des maladies mortelles
où des syllabes balbutiantes
recouvrent des silences blessés
le voyageur connaît
l’ivresse stridente des oiseaux maritimes
l’absence terrible de repères
entre la naissance et la mort
l’apparition idéale des îles lointaines
qu’aucune carte ne mentionne
et le doigt de la mort a souvent touché
son front mouillé


II
une soif d’enfant qui aurait longtemps couru
à travers les campagnes assoiffées de lueurs assassines
une soif d’enfant écorché
aux bosquets violents des végétations de l’aventure
une soif d’enfant sur les pistes de poussières
où l’ailleurs surgit des fleurs silicieuses
comme sortilège d’effroi et de douceur


III
le voyageur ne s’installe pas
il ne fait que des haltes provisoires
entre deux âges deux rivages deux pages
et les jours approuvent son calme de guerrier
qui s’en va charger les armes soudaines du mystère
les spectres rugueux des idées
au large des civilisations obscurcies
porté par un souffle ardent
il rejoint certain matin
une femme qui le transforme


IV
une femme confiante buveuse de rosée
une femme dont il ne se sépare jamais
puisqu’elle le confond à toutes la beauté du monde
une femme qui a planté son regard dans ses yeux à lui
qui a entouré d’amour ses flancs maigres
qui a mis sa vie entière entre ses mains
une femme au corps de sourcière
une femme comme flamme dans sa chair houleuse
dans sa chair criblée de ciels étoilés ¸


V
à cette heure lumineuse et heureuse
le voyageur contemple les paysages intérieurs
qui lui sont révélés alors que la braise
se casse les dents contre la pierre noircie
et que le soleil va prendre son élan
par-dessus les mâts les cimes et les toits


VI
il ne s’arrête jamais bien longtemps
seulement pour retrouver le goût doux-amer
des communautés humaines
il est accueilli ici ou là
village ou ferme isolée
quelle que soit la région
il participe aux travaux des saisons
sa main chante sur les outils de la campagne
que s’affûte son vol le plus secret
en savourant les fruits juteux de la terre
si sa lyre émet des sons étranges
c’est qu’il est temps de repartir
et les adieux s’éternisent
sur le seuil des maisons ou des cafés
comment s’arracher à ses instants
quand le deuil double le bonheur
d’un grand geste livide et humide
les adieux n’en finissent plus à l’orée du soleil
partir c’est frissonner infiniment
comme les seigles crépitent sous le vent chaud
le voyageur ne s’arrête pas vraiment
il séjourne entre deux passages
en attendant qu’un paysage le ravisse
qu’un baiser le paralyse


VII
à l’aube de l’an 2000
la terre implore notre pitié
la terre propose une trêve
elle se sent désarmée
atteinte d’une mortelle fatigue
à l’aube de l’an 2000
la nature lance des SOS
vers les lumières lointaines de la nuit
des éléphants morts barrissent des cauchemars
qui font trembler le néant des royaumes humains
à l’aube de l’an 2000
l’espace se déchire en un turban rouge de présages
seuls les rires radioactifs d’une tribu d’enfants
plus que jamais relève le défi d’une vie possible


VIII
déjà le voyageur a disparu
il est en toi en moi en nous


André Chenet, fin 1999





Textes  : ANDRÉ CHENET

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Créé le 1 mars 2002

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