PATRICK JOQUEL
Je lui ajoute trois petits
cailloux
Je
monte à l’ombre des sommets. Parmi les pierres rosées.
Les tapis mauves des rhododendrons contrastent avec les verts des
mélèzes.
Passé le
verrou le lac des Terres Rouges
je quitte le souffle
et la rumeur du torrent pour entrer dans le
silence
Le lac
Ecole et miroir de
silence
Marcher seul
c’est
pénétrer cette jubilation paisible du sans bruit
entrer dans la transparence
Le lac offre aux
bleus les couleurs de chacun de ses cailloux effleure
la rugosité du minéral une risée cligne sa
paupière un frisson les efface un instant
Sous la baisse Druos
lovés dans leurs écrins d’ombre
quelques
névés crissent sous le pas
ils tentent la
soudure avec le prochain hiver
Bleu lac Rouge
caillou
Couleurs polies des
courbes glaciaires
Baisse
Frontière
Ici les eaux coulent
vers l’Adriatique et sous le col
cet
inévitable abri militaire
explosé par
le temps
Les bras hissent le
corps les jambes le poussent
le cœur tient le
rythme et ne rate aucun battement
pourvu qu’il tienne
ainsi longtemps
tant de sommets
m’attendent
ou plutôt non
faudrait pas se croire
aucun sommet ne m’attend
Ils s’en foutent les sommets de ma chair et de ses étincelles
Je me transporte jusque là-haut par pur plaisir
Au sommet du Malinvern deux chamois me soufflent un clin d’œil distant
- A toi de tenir l’endroit, semblent-ils me dire. Prends la
relève. Que tout ce paysage ne demeure inutile mais qu’il flambe
à ta joie. Qu’il s’infiltre en tes neurones et se grave en ta
mémoire.
Le
cairn sommital mince élancé
un défi aux vents
à la pesanteur
rive le Malinvern à la Terre
Je lui ajoute trois petits cailloux puis je me laisse traverser par le
paysage absorber par l’arc Alpin
*
Sur
la Voie Royale et sous le soleil trois bruits m’accompagnent
celui des cailloux
quelques mouches
quelques mots
songeurs
et le vent dans mes
oreilles
Par moments le chant
des eaux libres emplit l’espace puis
disparaît sous les pierres il réapparaît plus loin
comme une source fraîche et s’en va bercer les massifs de
rhododendrons s’en va écumer sa gambade vers le lac
La route coule ses
pierres
chemin dallé
pavé
murets enjambant le
vide
Comment ne pas
saluer en marchant ici la mémoire de ces hommes
qui ont
transformé
leur vie en route
échangé
leur temps contre celui du chemin
Le lac Claus infuse
ses derniers névés
je m’y trempe
rapidement
le
froid de l’eau délasse instantanément les jambes les
muscles
le corps emmagasine
cette fraîcheur comme une caresse interne
Le soir au refuge
formuler à nouveau des mots me pèse et
peu importe leur langue après la solitude et le silence parler
devient un effort
Les
ombres reviennent elles éteignent les névés
s’accrochent aux anfractuosités des rochers elles s’appuient sur
eux pour dérouler leur obscur tapis elles glissent les pentes
sûres d’elles mêmes le crépuscule et la nuit les
suivent
*
Au lever du jour la mer de nuages monte de la plaine du Pô
et vient écumer la vallée
sous mes pieds
sous mes yeux
blanche et légère
ourlet d’écume et de silence
mousse embrasée
soleil rasant
Je
vais entre blanc et bleu sur l’ancien chemin royal dans l’ombre d’un
roi chasseur et sauveur du bouquetin
Après la nuit
les muscles tirent la marche et le soleil les
assouplissent pas à pas
pour la prochaine
ascension
Je poursuis mon
imbrication dans le silence et l’émerveillement
Marcher ainsi dans
le cloître minéral permet d’arpenter
les sentiers de la liturgie du jour
Certains pour cela
s’immobilisent entre les briques de leurs
monastères d’autres dans l’incertain de leurs ermitages je
préfère l’action la déambulation
l’espace et cette
confrontation au réel de la terre être
en prise avec
et tout en
traversant ses espaces me laisser traverser par son silence
et ses souffles ses bleus sa vie
L’œil suit la pente
le corps s’élève et l’esprit tourne
en silence offert à la beauté au vent
juste affiné
au silence aux cascades
juste
éparpillé aux mille feux flambants des pierriers
Le soleil chauffe
évapore les nuages reflux de la mer la terre
réapparaît fidèle
*
Vallon du
Préfouns totalement minéral névés sur
cailloux glace sous les pierriers
Je croise un chamois
avec au cou une balise Argos je jette un œil à mon écran
téléphone je suis ici hors de tout réseau plus
inconnu que le chamois
Femelles et cabris
traversent le vallon
légers
bondissent
puis leur pelage les
camoufle parmi les pierres seul un caillou parfois les localise
à l’oreille
falaises dents
aiguilles
la montagne a
été déchiquetée par la glace morcelée
Sous le pas
l’inévitable abri militaire squatté par les bouquetins
Sur ce col les eaux
se partagent
vallée du
Pô vallée du Var
un sourire et je
pisse sur les deux versants
Le vallon au sud
s’élargit en auge un chapelet de lacs
le lac Nègre
et ses petits lacounets méditent la course du soleil le vert
gagne
plus de douceur de
ce côté
les
chamois jouent cabrent cabriolent sur la neige insouciance de vie ?
simple joie d’être ?
Venir ici et partager cet instant cela me rend plus humain plus terrien
plus
Je longe les lacs
parmi des blocs éclairés de rhododendrons
Sous les lacs j’entre dans les mélèzes cela repose les
yeux les pieds le dos les ruisseaux parmi les orchidées le
sentier porte en douceur le dernier col
Je m’interroge sur cette douceur Mélèze
©Patrick
Joquel texte et photos
Isola 2000 - Terres rouges – baisse Druos – Malinvern – lac de Valscure
- Lac de Claus – refuge Cuesta – pas du Préfouns – lac
Nègre – Mélèzin de Molières – col
Mercière – Isola 2000, juillet 2008

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Je suis né à Cannes en 1959 et j’ai grandi au Cannet,
à Rocheville plus précisément. Après avoir
vécu et enseigné en Angleterre, au Sénégal,
dans le Mercantour, vallée de la Tinée, me voici à
présent professeur d’école itinérant dans le
secteur de Mouans -Sartoux (06).
Je lis
et j’écris principalement de la poésie mais pas
uniquement : romans, albums, pédagogie…
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J’aime
travailler avec
les artistes… rencontrer les poètes… Lire en public… en
particulier lors des lectures performances avec selon les choix, Sara
Pasquier (danseuse) ou Johan Troïanowski (illustrateur).
J’ai
grand plaisir à partir à la rencontre des lecteurs : dans
leurs classes, les bibliothèques, les salons du livre…
J’ai
collaboré à la rédaction de la revue Sans papier
Depuis 2007 nous
essayons avec quelques amis un peu fous aussi de faire vivre une revue
de poésie Cairns, dont le dernier numéro vient de
paraître
En 2014 je continue
d’arpenter sentiers et terres inconnues, histoire de traverser de
nouveaux horizons. De nouvelles pages d’écriture, de nouvelles
rencontres, voyages… De nouveaux livres à venir… Tout cela sur
le site au jour le jour, comme on construit un cairn, pierre à
pierre ou pour notre petite revue numéro par numéro.
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Bibliographie
sélective :
Rag
d’Arago, un roman mêlant la fiction aux recherches
archéologiques :
la vie de l’homme de Tautavel, 450 000 ans avant nous… Éditions
Mélis, 2014.
Chercheur
d’or avec Johan Troïanowski. Une BD poétique et
colorée
qui invite à poser un pas plus loin que l’horizon.
Éditions Pluie d’étoiles, 2014.
Tour
de Lune. Éditions TT entreprendre, 2013.
Simplement
heureux. Éditions de la Pointe Sarène, 2013
.
Bashaïku
Kaki-San, avec Thibaut Guyon pour les illustrations. Une invitation
au voyage, initiatique sur fond de Basho et avec des kakis.
Éditions
Tertium, 2013.
Un
bleu formidable. Haikus sous forme de BD illustrée par
Johan Troianowski.
Éditions Au Chat qui Tousse, 2011.
Comme
un chuintement d’air, images de Nathalie de Lauradour.
Éditions Soc et Foc, 2011.
Éphémères
du bouquetin, photos Magali Lambert. Éditions Corps Puce,
2010.
Mille
cinq cent dix-sept pieds sur le papier, photos Jean Foucault.
Éditions Corps Puce, 2009.
Croquer
l'orange, illustré par Johan Troïanowski,
Éditions Pluie d’étoiles, 2008.
Quant
au guépard je t’en parlerai plus tard, illustrations de
Michel Boucher.
Éditions du Jasmin, 2008.
Un
emploi du temps de chamois. Éditions Clarisse, 2008.
Maisons
bleues, illustrations de Nathalie de Lauradour. Éditions Soc
et Foc, 2007.
Entre
écritoire et table à cartes, photos Jean Foucault.
Éditions Corps Puce, 2006.
Les demains
d’Almanach, en collaboration avec Sophie Braganti. Gravures de
Nathalie
Trovato.
Éditions Donner à voir, 2006.
Tant
de secrets se cachent alentour… dessins en noir et blanc de Johan
Troïanowski. Éditions
Gros Textes, 2005.
Que sais-tu des
rêves du lézard ? illustration de Sandra
Poirot-Chérif.
Sept
dialogues d’ici et d’ailleurs. Avec Jean-Claude Touzeil,
illustré par Tiphaine Touzeil et Collection
Que d’histoires CE2. Éditions Magnard, 2004.
Yves
Barré. Éditions Gros Textes / Épi de seigle,
2003.
Pudeur
des brouillards. Éditions de l’Amourier, 2002.
Mammifère
à lentilles, illustrations d’Elsa Huet. Éditions
Grandir, 2002.
Ruendo
des Merveilles, illustrations des graveurs de la vallée des
Merveilles.
Éditions Tertium, 2002.
Perché
sur ton planisphère. Accompagné d’encres de Zaü.
Éditions Lo Païs d’enfance/le Rocher, 2001.
Heureux
comme l’orque. Illustré par Yves Attard. Éditions
Pluie d’étoiles, 2001.
17
vues du mont silence. Illustré avec des encres de
DerezADerez.
Éditions Donner à voir, 2000.
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Visiter
son site : Patrick Joquel
Lui écrire
Le retrouver sur Francopolis :
- rubrique Francosemailles,
interview, numéro de septembre 2002 :
- sélections d’avril-mai 2002, novembre
2003, avril 2004, décembre 2006, janvier 2008,
présentation, et bibliographie
(à 2003), à partir de notre librairie
Patrick
Joquel
Salon de lecture novembre 2014
présentation Dana Shishmanian
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