Rêver ce soleil blanc
sur les arbres roux
après la longue route
sage soleil des mains
quand les mots sont de sel
aux vergers des langues
les corps se retrouvent
les voix sont présence des corps
les voix parlent de loin
ce loin proche dont caressent les mots
la mémoire partagée
a pudeur de nos lèvres
quand le silence parle
que présence est souffle
*
Tous dans la même lumière
la même nuit
peut-être que les branches sont le ciel
qu’il suffirait de regarder différemment
on se sent bien dans cette image
qui est aussi celle des corps
rassemblés pour un soir autour de la table
qu’une même lumière creuse des mêmes yeux
sentir comme la sève tourne
comme les branches rejoignent les racines
*
Le soir chacun rejoint sa lumière particulière
on dispose les lampes pour le sommeil
on tamise parfois d’un tissu léger
la lumière ne doit toucher que la page
la barque qui nous emporte est lente
nous nous laissons glisser au fil de la lumière
cette lampe à la proue même éteinte
son obscure silhouette nous éclaire
peut-être rêvons-nous qu’elle nous éclaire
peut-être est-elle cette lumière
celle du rêve que nous éteignons la lampe
que la douce écriture continue de courir en
nous
parfois le fleuve s’efface
la lampe brille d’une présence inconnue
nous ne savons plus qui nous sommes
d’autres lampes dans la distance posent leurs
reflets
*
Écouter
la suite anglaise n°2 BWW 807 de Bach, dont le travail au piano a
accompagné la composition de « Rêver l'aube », dans
l’interprétation d’Andreas Schiff :
https://www.youtube.com/watch?v=dTEYwfgWFD0
*
Rêver doucement les mots
comme s’endort l’enfant
dans l’ivresse des syllabes
entre deux souffles jumeaux
de nos mots incomplets
cherchant musique de leur sens profond
nous faisons cette tendresse doucement épelée
cette parole forte de sa naïve simplicité
que l’enfant au seuil de la nuit
adresse à l’être aimé autant qu’à lui-même
peut-être rêver les mots est-il notre façon
d’aimer
prolonger en nous-même l’amour que l’autre nous
porte
*
L’aube glisse dans le silence
lacer l’oreille
lèvre douce des bras
tu t’éveilles à peine
pont bref de la présence
de nuit à nuit
suffit la bogue des paupières
le masque des tempes
se rouler souffle léger dans l’instant
entendre derrière la porte
la voix de l’enfant s’éveiller
prononcer le lien
le sang chuchote
langues de sel
*
Puis le matin
fontaine des mots
dans le silence
vos deux voix mêlées
mère et fille
autour de l’enfant
la peau qu’on entend
le dessin de la peau
de la présence
dans ces voix
proches et lointaines
comme quand la vie parle
le papier toujours
le murmure de l’encre
sur le papier
sur la nuit
*
Écouter
4 lieders d’Arnorld Schönberg présentés et interprétés au piano par Glenn
Gould, avec la soprano Helen
Vanni (Traumleben, Verlassen, Lockung, Der
Wanderer) :
https://www.youtube.com/watch?v=LjgI1_yVYQ4
*
La présence est un hiver
toits récités paume à paume
main posée de l’ombre
respiration douce des voix
comme si ce ciel dans la fenêtre
cette immensité d’absence
devenait le balancement de l’oiseau
comme si on se parlait
de souffle à souffle
parfois le sourire d’une chanson
la remontée des mots simples
parole chevillée au corps
*
Souffles seuls des corps
dormir l’après-midi
mémoire roulée en boule
aux quatre coins de la petite pièce
où l’on a jeté tapis de ses souvenirs
sommeil comme un rêve qu’on partage
dans la lame du ciel d’hiver
silence d’un mouvement des lèvres
on ne dort pas vraiment
seulement on regarde ailleurs
on est le chat qui pense dans l’obscurité
le chat non plus ne dort pas
qui doucement appuie de son corps
contre cet autre où en tous lieux il aime
venir chercher sommeil de ses racines
*
Catherine
Bruneau, Oiseaux noirs (2), gouache
*
Il y a le soir
le carreau de ciel éblouissant
où pointe une branche avec ses feuilles
que la lumière d’or par instant efface
puis la branche se fait plus dense et précise
un vol d’étourneaux traverse la fenêtre
qu’on vient d’ouvrir sur une pénombre de nuages
transformant l’horizon en une immense estampe
quelques rides de lumière nacrée encore
puis le gris uniforme
le dessin délicat de la branche s’est fait
griffe
la nuit bientôt s’efface aux reflets des lampes
*
S’étreindre dans le matin
écouter murmurer la ville
au fond des murs
chercher l’autre
doucement au creux de soi
savoir qu’on n’est pas seul
s’étreindre pour se pardonner
caresser l’épaule
effacer les lèvres
retrouver entre tes bras
corps de ma vie
l’espoir de la tendresse
*
Tout ce blanc de la pluie
tous ces étagements du loin
dans la parole sentie
le balancement de la branche
dans la fenêtre
comme si l’instant se dérobait
comme si le ciel
était la page
comme si on écrivait le temps
ces quelques fleurs sur la table
pétales finement nervurés de mauve
infini délicat du ciel de penser
*
Chacun dans son silence
dans sa lumière
à tisser le rêve
la pénombre sur les corps
dessine le lien
confond les mémoires
*
La pluie incite à la mémoire
le cimetière a la pâleur d’une estampe
dans les tentures de branches de l’hiver
tous dorment lovés dans le ciel blanc
venu s’étaler aux fenêtres
on se sent bien calé entre ciel et souvenirs
à écouter passer l’insaisissable du temps
on garde les paupières fermées longtemps
une branche légère danse dans la fenêtre
on aime se sentir rythmé par le souffle de
l’autre
on n’est pas pressé de se réveiller
c’est bon de laisser s’agrandir la mémoire
le silence dure bien après l’éveil
même après qu’on échange les voix
on est bien dans ce temps qui nous tient réunis
*
Ce ciel blanc dans les fenêtres
ces quelques paysages de cours d’eau
aux couleurs effacées par le temps
dans leurs cadres aux lignes simples
forment le décor de ces jours passés
à n’être que dans sa présence à l’autre
et à soi-même à travers l’autre
sans souci d’hier ni de demain
ce lieu dans le battement de la pluie d’hiver
nous y retrouvons le goût du temps lent
de la joie que nous aurons page après page
à nous perdre dans les lacets profonds du soir
*
La pluie dure longtemps
la pluie les enveloppe
ils se retrouvent mieux dans cette pluie
dans cette présence de la pluie
livres de mains en mains
un matin de noël
douceur aux paumes de l’encre voyageuse
il faudra lire jusqu’au bout du souvenir
fenêtres ouvertes sur le ciel
une lampe tout le jour brûlera dans le miroir
ils se sentiront bien contre cette absence
à doucement nommer l’enfant qui revit en eux
*
Rien que ces deux voix
pas à pas des mots
plus légers qu’ombre
dans le silence
ces deux cœurs qui s’ouvrent
sautant de vie à vie
les mots qui ne reviennent
que liés dans la musique
chanson sur chanson
pour éveiller la vie
que l’enfant réponde
les mains chantent
*
Écouter
la sonate n° 16 en do majeur K.545 de Mozart, interprétée par Andreas
Schiff : https://www.youtube.com/watch?v=-oN6tt4q978
*
L’enfant silencieux
sous la nuit de ses yeux
son regard profond
à la fois interroge et répond
pas interrompu
gestes en suspend
il nous regarde intensément
et conclut d’un sourire léger
qu’aussitôt ses lèvres reprennent
comme s’il souriait à l’intérieur
si nos yeux se lisaient dans les siens
qui ne portent que lumière et innocence
on entre ainsi dans les pensées secrètes
de cet enfant qui a su nous toucher
de l’évidence simple de son regard en nous
révélant l’enfant que nous n’avons jamais cessé
d’être
*
Un peu de vin léger
d’ombre lente aux lèvres
de mots à rêver
un peu de lumière à boire
de mémoire à chanter
au délié du temps
un peu de cette encre
dont on lève les jardins
au chemin de l’aube
un peu de ton amour
pour que la nuit soit de gel
aux lampes douces de l’absence
*
Et puis ces mots faciles
chansons vieilles et douces
partagées au feu des langues
une fenêtre ouverte sur la nuit
la simplicité des sentiments
quand la musique prend la voix
quand c’est la ronde de la voix
que mains et visages tournent avec la voix
la force des mots
de cette vibration qu’ils impriment au corps
qui est déjà celle de la danse
danse que cette ronde de la voix
ce désir de vie au fond du corps
qui doucement fait tourner le temps
la table la nuit le ciel les étoiles
et c’est le monde qui bientôt tourne avec les
danseurs
*
Rêver l’aube
ta main sur mon épaule
cœur sous la roue des mots
rêver l’enfant
syllabes envolées
au miroir du souffle maternel
l’aube sera la nuit
nu fragile d’un visage
au songe des doigts
rêver l’aube
doucement renaître au monde
prendre visage
©Eric Chassefière
Nantes, semaine de noël 2020
Catherine
Bruneau, Oiseaux noirs (3), gouache
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