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Archives : Vues de Francophonie

 

Printemps 2025

 

 

Victor Saudan :

La création du monde dans un lit d’hôpital.

 

Poème inédit

 

(*)

 

 

Broderie réalisée par l’auteur.

 

 

 

Retrouver le profond sommeil

me jette dans une  douloureuse

torpeur des membres du corps

 

découvrir un chemin

secret et sacré

reliant sommeil profond

 

moments de détente

des membres

comment s’y retrouver

 

jeté dans l’immensité

du paysage

des rèves

 

fièvre transformation

en profondeur

de la chair

 

étendu vide

du lit

d’hôpital

 

tentative création

du monde

combinaison

 

mouvement de cercle

serpent se mordant

la queue

 

le coussin pressé

entre les jambes

en mouvement incessant

 

avançant par rotation

et le cadrage des

paysages possibles

 

créés

sur le plateau

du lit

 

à peine sorti

du mouvement

du serpent

 

se mordant la queue

essouflé

transpirant

 

tomber dans un

abime

aucun repère

 

 

chercher

points-attache

dans les paysages

 

possibles

le corps

ne trouve

 

aucun soutien

tout autour

le vaste

 

me regarde

plus de centre

plus rien

 

impossible de relancer

aussitôt

un nouveau cercle

 

à serpent

d’abord plier

l’immense linceul blanc

 

mouillé de transpiration

il y a des bouteilles

en plastique vides

 

qui risquent

de tomber

allumer

 

la lumière

retrouver la matrice

la chambre d’hôpital

 

rester dans l’espace

de cette expérience

inouïe

 

la création du monde

dans le lit d’hôpital

retrouver

 

le secret

d’une harmonie

perdue

 

grâce à l’opération

de la hanche

impression

 

tout glisse

ne trouver

aucun ancrage

 

 

ce n’est pas du mouvement

que les repères

vont naître

 

pour éviter d’ankyloser

le tout

sortir

 

à temps

de la torpeur

des membres du corps

 

imaginer

les prés

les bords du fleuve

 

les jardins

mirage

d’ancrage

 

tout à l’heure commencer

à former le serpent

se mordant la queue

 

impossibilité

de penser

tout cela

 

perplexité

au bord du lit

de l’hôpital

 

comment faire

maintenant

concrètement

 

trouver une assise

agréable malgré

les forces du glissement

 

créer les prémisses

de la création

du monde

 

plier et ranger

les draps pour

s’en servir

 

couverture

éviter la douleur

dans la hanche opérée

 

caler le coussin

à millet

sous le pied

 

 

serrer le coussin

serpent

entre les jambes

 

s’accrocher au cingle

de sécurité pour

tourner le corps

 

sur le coté gauche

bien en parallèles

les jambes

 

fixant le coussin

entre chevilles

et genoux

 

placer la tête

les épaules

éviter trop de pression

 

se lancer

dans la création

du monde

 

idée de ressortir

à temps et

recommancer

 

à ce moment là

à sortir

dans un paysage

 

cadré

avec des repères

plus facilement

 

à reconnaître

utiliser que

les premières tentatives

 

apprentissage du

recadrage

du monde

 

après avoir

perdu

l’ancrage

 

sortir

les jambes

du lit

 

en parrallèle

plier le linceul

blanc et humide

 

 

en profiter

pour aller

pisser

 

imagination

se relancer

dans le cercle

 

en mouvement sans

complètement perdre

les repères.

 

 

©Victor Saudan

 

 

(*)

 

Victor Saudan, que nous avons accueilli à plusieurs reprises à cette même rubrique (mars-avril 2020, novembre-décembre 2020, janvier-février 2021, janvier-février 2022, mars-avril 2023, printemps 2024), et dont nous avons recensé avec admiration deux de ses recueils (Les intervalles, mai-juin 2021, et Lieux-dits, septembre-octobre 2022), est un poète suisse qui écrit au croisement des langues et des cultures. Ayant un rapport très intime avec l’écriture, il se réinvente sans cesse, dans la sensibilité immédiate au corps, à l’objet, à la nature, à l’autre.

« L’écriture est doublement liée à la perception sensorielle. Elle naît de son expérience et elle s’en nourrit. Mais en même temps, c’est elle, l’écriture qui enrichit la perception du monde et de soi-même. Elle l’approfondit, l’amplifie, la transcende… »

Ce credo, figurant sur son site, trouve une illustration poignante dans le poème inédit ci-dessus, écrit sur un lit de souffrance. Perception intérieure et extérieure alors se complètent et s’approfondissent l’une l’autre, tandis que l’écriture poétique devient comme un point d’encrage au centre d’un vide commun : elle s’en nourrit et le nourrit d’une miraculeuse, intarissable source… qui fait naître des paroles, tel un tissage subtil.

 

(D.S.)

 

 

Victor Saudan

Francopolis, Printemps 2025

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