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ARCHIVES : CRÉAPHONIE

Sabine Peglion - Marie-Claude Rousseau - Sylvie Grégoire... et plus





Jeanne Gerval ARouff
Les matières (I). De pierre et de bois
(7ème station)


Nous avons déchiffré dans l’univers symbolique de l’œuvre de Jeanne Gerval ARouff, successivement, l’île, l’arbre, le totem, les signes et les figures de l’initiation, la connivence avec la matière… Là, dans cet échange fertile, multi-sensoriel, gît la source de la création : l’identité, la réversibilité humain/cosmique, œil/objet, pensée/perception ; c’est autant le mystère de l’esprit qui se fait chair que celui de la chair qui se fait esprit, celui-ci étant ainsi perçu comme « pierre levée »… Et c’est là, dans cette réversibilité lue par l’artiste, que naît un autre concept fondamental de l’univers de Jeanne : le livre-objet.

Le livre-objet, dont nous déclinerons les hypostases dans les prochaines stations, peut se composer de différentes matières, des plus aléatoires aux plus pérennes. Mais avant tout, Jeanne le déchiffre dans la pierre… C’est une écriture sacrée, non pas par quelque message religieux qu’elle proclamerait mais par la fascination intrinsèque des signes, des traces, « hiéroglyphes » du passé et du futur de l’humanité, « tables de la loi » porteuses d’une sentence de paix, de tolérance et d’amour, « carnet de voyage » vers un « horizon » infini et proche en même temps, repos sur un « banc » intemporel au seuil de l’« ère nouvelle »…

Le cycle des « livres de pierre et de bois », rappelant l’autel, le grand conseil, les arbres-totems que nous avons vus dans les stations précédentes, ainsi que les figures qui m’ont semblé s’y rattacher, comme l’oiseau ou « la pierre de Rosette », me font penser, une fois encore, au grand Brancusi, le sculpteur qui avait lui aussi su lire, dans la pierre, directement la forme : pure pensée rendue visible dans son apparence la plus immédiate et la plus simple. Car cette leçon commence et finit dans l’œuvre du Vent et de l’Eau, nous ramenant aussi à « l’essentielle androgynie »…

Dana Shishmanian

 
De pierre et de bois
L’oiseau



L'oiseau au repos, pierre 1982. Calais, 1982.
Collection privée (Mme Marie-Thérèse Seetim-ARouff, Calais, France).

Atome surgi des ténèbres abyssales
enfante tes galaxies retenues
déchiffre tes galets
célèbre mobile ta pluralité

Les alizés s’accouplent aux champs aux monts aux forêts
à la conquête du souffle premier
pour féconder un chant renouvelé
accorder les complaintes au diapason cosmique.

Extrait de Je t’offre ma terre,
Éditions de l’Océan Indien, 1990 (p. 52)



La pierre de Rosette


La pierre de Rosette, basalte 2000. En exposition au Centre Charles Baudelaire – CCB, Rose-Hill.
Collection du Ministère de la Culture - Port-Louis, Maurice.
« Je n'ai vu la vraie, au Musée du Caire, que quand j'y étais lors de mon séjour de décembre 2003 en Égypte pour la 9e. Biennale, où j'exposais En mémoire des morts de la guerre en Irak  »


TONGGG TONGGG TINGGG
Entends-tu ce raga dont vibrent mes viscères ?
Gammes-gemmes d’où germent les aubes
à l’ombre d’une nuit qui se love
Tatouée aux traces hiéroglyphes
ma chair pierre levée d’avant-mémoire
Le Nil est mon Gange ma pirogue la cange
Jaune est pourtant le fleuve de ma mémoire
À l’oblique lumière
les perles de l’abaque dénombrent mes îles
Sous l’œil du croissant la nuit se fit hidj
et mes icônes se peuplent de toutes méridiennes.

Extrait de La roche qui pleure,
Espace Multipliant, 2000 (p. 15)

Les « livres »

S’avance prophète, l’écriture nouvelle des énergies rassemblées.

La roche qui pleure, Espace Multipliant, 2000 (p. 11)


Les œuvres suivantes font partie d’un cycle intitulé Livres de pierre et de bois et ont été exposées en décembre 1999 (Open Art Contest du MOBAA Millennium Art Exhibition, Freeport, Maurice) et en 2000 (ex- Centre Charles Baudelaire, Rose-Hill, Maurice).

Les tables de la loi


Les tables de la loi, basalte et bois de teck, 2000. Atelier de l’artiste, Floréal, Maurice

Je t’ai envoyé Nandyananda
prophète de non-violence
Tu t’es bouché l’oreille à sa sentence
(…)
NANDYANANDA
Nous avons renié tes promesses
pour nos mirages
Nous avons chassé ton chant
de nos rivages

Tu nous parlais de liberté
Nous t’avons raillé l’Illuminé
Détournant l’œil de ta douleur
nous t’avons nommé l’Imposteur

Tu nous offrais renaissance
Nous avons brûlé ta sentence

Nous avons déterré ta semence
Comme à Ève nous avons imposé silence

Au cœur de l’Univers
Nous avons inscrit notre violence

MEA CULPA ! MEA CULPA !
MEA MAXIMA CULPA !
(…)
You are Svaha, you are Svadha,
having speech as your very soul,
you are the nectar of the Gods,
O imperishable one
YOU ARE SHE


Extrait de Messie de l’ère nouvelle,
Espace Multipliants, 2000 (pp. 16-17)

                                                           

Ère nouvelle


Ère nouvelle, basalte et bois de teck, 2000. Collection privée. Reproduit dans Messie de l’ère nouvelle, Espace Multipliants 2000 (couvertures).

GLOIRE À TOI PAROLE
IMPERISHABLE ONE
ABAOMMM ABAOMMM ABAOMMM
(…)
L’œil illuminé
rayonnait de pierres sidérales

Quels éclairs t’éblouissent
de la vallée des sources
où les eaux renvoient l’image illimitée ?

Au creux de l’étreinte ressouvenir blotti
à vendanger la volupté souterraine du sommeil
quel goût hante tes pas
enlacés de tranquille solitude
pour avoir dormi dans le grand lit du fleuve ?

FLEUVE-FEMME FEMME-MUSE MUSE-MÉMOIRE

Ève profonde
pérenne Mélusine
prends-moi à l’ombre de l’arbre
par nuit utérine

Des voix lovées t’ont chantée
qui ont échappé au filet du temps
goûté dans la soie du silence
à la source fécondante

* - mer qui n’était plus la mer
paisible au-delà du concevable


** - the winds come to me
from the fields of sleep

 
FLEUVE-FEMME FEMME-MUSE MUSE-MÉMOIRE

À t’attendre
paré du gant des épousailles
mon cœur s’est drapé d’ivresse-rêverie

Tiens-moi par la main
songe plus noir que nuit
Et de tes eaux lustrales
déleste-moi du monde
Je descendrai
descendrai
glisserai miroir d’enfance

FLEUVE-FEMME FEMME-MUSE MUSE-MÉMOIRE


Extrait de Messie de l’ère nouvelle,
Espace Multipliants, 2000 (pp. 21 ; 24-26)

* Loïs Masson dans Les Tortues
** Wordsworth




Horizon


Banc public, basalte et bois de teck, 2000. Atelier de l’artiste, Floréal, Maurice


Tu seras gardée à distance par les gens ordinaires, lui avait révélé Nandyananda, son gourou. La belle jeune fille préfère d’ailleurs la compagnie des êtres simples, jardiniers et pêcheurs, les authentiques, dont la grandeur ne se mesure pas aux connaissances livresques ni au compte bancaire mais à la profondeur de leur intuition, de leur perception. Ceux-là ont La Connaissance.

Extrait de La messagère du bonheur, dans Pile/Face,
Éditions du Totem, 2005 (p. 34).
 



Horizon, basalte et bois de teck, 2000. Reproduit dans La Roche qui pleure,
Espace Multipliants 2000 (p. 22)

Il rêvait d’une terre matricielle d’où germerait l’île-liens, l’îlien qui serait toi, moi, lui, l’autre. Sa vision reléguerait au rancart l’île déchirée par la soif de pouvoir des hommes, celle qui engendre des îles-rupture, îles-solitude, îles isolement.
Cette île-fable serait bouée, boussole d’une planète en dérive. Énigme rêvait d’épousailles de signes multiplés. Une synergie d’énergies, galaxie complexe, imprévisible, mais vivante. Créatrice au-delà des prophéties, elle serait calligraphie plurielle en perpétuelle métamorphose. Parole transcendée.


Extrait de La roche qui pleure,
Espace Multipliant, 2000 (p. 7)


À livre ouvert


À livre ouvert, basalte et bois de teck, 2000.

Je me souviens la nuit, avant de m’endormir, je lui demandais de me raconter une histoire de l’île-là-bas. Puis une autre. Et encore une autre. Jusqu’à ce qu’elle raconte ce rocher, une falaise sculptée par la houle et le vent. Au fil des nuits, cette pierre s’ancrait en moi, s’érigeait en totem. Maman m’expliqua ce qu’est un totem. Elle m’en avait dessiné un. Il était marqué de traces. Les entailles et glyphes étaient profonds. On y lisait aussi des lettres et des chiffres. « Toute une calligraphie », disait-elle, « comme si toutes les écritures de l’univers étaient mêlées, pour n’en faire qu’-une ».

Extrait de Totem, dans Pile/Face,
Éditions du Totem, 2005 (p. 7)


Carnet de voyage

Carnet de voyage, basalte et bois de teck, 2000

J’ai roulé sur le fleuve. A lui seul, son nom est voyage: Mississippi. Ses eaux, pèlerinage. J’ai prolongé les rives du temps, longé celles de la Nouvelle Orléans, au temps arrêté. Le Natchez, bateau à vapeur, le dernier, est le même, du moins de même naissance, que celui en terre australienne, qui glisse sur les eaux du Nippean à Sydney. L’homme est le même sous toutes les latitudes. Aux besoins de réinventer le temps, de le réveiller, de se souvenir ; voué au ressouvenir.
(…)
Une mémoire sommeille en moi de ces voyages,
plages lointaines de l’enfance,
allées pavées de pierres cristallines.
Des eaux ruisselantes dévalent cornalines
et améthystes,
jaspes et apatites.
Je hume un cliquetis d’éclairs.
Résonne en moi, mauve ou bleue, beige ou blanche,
l’heure irradiée.
Le temps tisse ses légendes sur les rives invisibles
du rêve.
Voyages immobiles que module le fleuve de la vie,
modèle, de son chant, les images.


Extrait de Le voyageur immobile, dans Pile/Face,
Éditions du Totem, 2005 (pp. 12-13).


La roche qui pleure

Jeanne à la Roche qui pleure (côte Sud de l’Île Maurice). Photo : Jacques Frédéric 2001.
Reproduit dans Pile/Face, Éditions du Totem, 2005 (p. 10)

Pourquoi ? Le rocher, pourquoi pleure-t-il ? Rocher et houle, sont-ils des amants ? Ils semblent à marée basse coupés l'un de l'autre. Lui, solide, sûr, immuable. Elle, fluide, soif assoiffée sans condition définie. Si fidèle, pourtant, revenant vers lui eau ressuscitée lissant inlassablement ses flancs, l’enlaçant, voluptueuse dans le don. (…)

Comment ai-je pu croire que le rocher pleurait ? La réponse était dans le langage. Le pouvoir des mots. Ne dit-on pas que la vague se brise contre le rocher ? Eau à genoux, éparpillée, elle rassemble, seule, dans un ultime effort, ses larmes qui cascadent, fluides, du haut du rocher, solide, sûr, immuable, viril. Ce même rocher vers lequel elle revient, la force retrouvée, féminine. Il saisissait le plein sens d'un titre signé I.P. qu'il avait croisé : « Hommes de pierre et Femmes d’eau ». (…)

On raconte que par pleine lune à la Roche qui Pleure un corps lumineux danse dans l’or de la nuit Les Huit Trésors.


Extraits de La roche qui pleure,
Espace Multipliant, 2000 (pp. 28 ; 31)




Biographie


Jeanne Gerval ARouff naît le 4 juillet 1936 à Mahébourg (Île Maurice), entre rivière et mer, là où la Rivière La Chaux se donne à l'océan.
Après une petite enfance mahébourgeoise, sa famille s'installe à Vacoas.

La benjamine (six frères et trois sœurs) se dépense autant dans des activités sportives – tennis, bicyclette, chorégraphie – que dans ses études, particulièrement la philosophie. La pratique des arts martiaux (karaté, judo) comme du yoga lui donne à jamais une discipline et une part de méditation et de contemplation dans sa quête spirituelle.

       
   Jeanne Gerval ARouff - Stations  parus
   Dire l'Île (1ième station) publié en novembre 2013

   L'arbre-Totem Partie I et Partie II (2ième et 3ième station) publié en décembre 2013 - 

   L’Essentielle androgynie (4ième station) publié en janvier 2014

   Initiation ou l’essentielle nudité Partie I et Partie II (5ième station) publié en février 2014

   La Porteuse (6ième station) publié en mars 2014

  
Jeanne Gerval ARouff
 
station 7- Les matières (I).
De pierre et de bois

Revue Francopolis avril 2014
recherche  Dana Shishmanian

 
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Créé le 1 mars 2002


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