D'une langue à l'autre...
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Archives : D'une langue à L'autre

 

Mars-avril 2023

 

 

 

« La Poésie – l’ultime voie d’espérance… » :

Michel Bénard, Les Soies de L’imaginaire

/

Mătăsurile imaginarului.

 

Traduction en roumain par Manolita Dragomir-Filimonescu

(Éditions ArtPress, Timişoara – Roumanie, 2022)

(*)

 

Présentation et sélection de textes

Par Dana Shishmanian

 

 

 

Les Soies de L’imaginaire / Mătăsurile imaginarului n’est pas le premier volume de poèmes de Michel Bénard paru en Roumanie, en édition bilingue. Comme les précédents (*), il doit ses beaux vêtements en langue roumaine à la poétesse Manolita Dragomir-Filimonescu, dont la postface éclaire bien cette convergence. En effet, on pourrait dire, en la paraphrasant, que sa traduction parvient à accompagner fidèlement « une lecture sur texte de grande et parfois de grave beauté, qui définisse un poète et une poésie des plus rares dans un monde qui doit rester sensible au-delà de toute mode, passage par les siècles ».

Comme le remarque de son côté le préfacier du livre, le critique Adrian Dinu Rachieru, Michel Bénard veut « ré-sacraliser le monde par la poésie » :

« Fragile, hiératique, vivant dans un monde qui accuse le désenchantement, Michel Bénard est convaincu que le retour au sacré serait le sauvetage ; c'est-à-dire l'infatigable recherche des racines, du religieux, par la découverte de "l'autel céleste ", en écoutant "l'indicible" du monde. Si les poètes "chevauchent sur les miroirs du rêve", comme il nous confie, l'écriture à l'échelle du rêve, à l'encre et lumière, nous offre “des parfums d'éternitéˮ. Les soies de l'imaginaire semblent de cette façon une projection en dehors du temps… »

En parcourant ce volume le lecteur avisé retrouve, avec enchantement, l’écriture généreuse et envoûtante du poète français, avec sa simplicité apparente, ses belles surprises aux détours d’une image ou d’un tour de mots, ses volutes inspirées, ses couleurs vives et ses collages sémantiques, sa puissante veine humaniste, enfin, qui donne raison en même temps au regard critique sur le monde, et à l’espérance nourrie par l’amour…

La parole poétique s’impose alors, plus qu’en tant qu’outil de « re-sacralisation du monde », comme plutôt une sorte de voie du salut pour l’homme : « La poésie est l’ultime voie d’espérance encore offerte à l’homme », écrit Michel Bénard, en imprimant ainsi sa profession de foi sur la couverture de ce livre. Et c’est avec autant de puissance que de charme qu’elle en envahit les pages, en se transmettant de l’original à la traduction.

On aimerait, à propos justement de cette synergie, citer aussi une des réflexions fertiles qu’a occasionné la lecture de ce volume, au poète, écrivain et traducteur roumain (du français et de l’espagnol) Eugen Dorcescu, qui écrit :

« La traduction, à mon avis, extrait toute sa subtilité et toute sa valeur intrinsèque (d’espèce littéraire autonome) de l’équilibre qu’elle parvient (ou non) à établir entre identité et équivalence sémantique (éventuellement aussi compositionnelle). C’est dans cet impératif profond que réside la définition ontologique de la traduction. » (Traduction et créativité, article en roumain, dans la revue en ligne armoniiculturale.ro / harmonies culturelles, 13 oct. 2022).

Or, l’équilibre, ici, entre l’identité propre à l’original et son équivalence dans la traduction, me semble parfaitement réussi.

« Par conséquent, ce qui se passe dans les poèmes originaux se produit, jusqu’au point approprié, également dans les poèmes traduits. Le lecteur avance en douceur, sans obstacles, sans mécompréhensions, sans perplexités, jusqu’à la fin du texte, lorsque le sens, diffusé dans la troupe des mots, l’envahit et le subjugue. La pédestrité du langage (nous osons encore une métaphore), victorieuse, descend sur le lecteur, ingénu ou averti, “comme la rosée, comme la brume sur la verdure, et comme la pluie rapide sur l’herbeˮ (Deutéronome 32, 2). » (ibid.)

Un choix, forcément limité à des textes qui m’ont le plus touchée, illustrera, j’espère, le sentiment de délivrance et de joie qu’à l’instar des « poètes (qui) la tête reversée / Chevauchent les miroirs du rêve » (p. 42), on peut avoir à la lecture de ce livre tissé de matières diaphanes, dont la vocation est de « … vouloir encore fixer / Sur la fracture du quotidien, / Lés poudres d’or du rêve / Aux soies de l’imaginaire » (p. 82).

 

(*) Les volumes suivants sont parus en édition bilingue, dans la traduction roumaine de Manolita Dragomir-Filimonescu :

- Fragilité des signes / Fragilitatea semnelor, Editions Augusta, Timişoara, 2001 (336 p.) 

- Encres mêlées / Cerneluri amestecateÉditions Marineasa, Timişoara, 2003 (248 p.).

- Alphabet du silence / Alfabetul tăceriiEditions ArtPress & Augusta, Timişoara, 2007 (258 p.), volume illustré par l'auteur.

Le regard du miroir / Privirea din oglindăÉditions ArtPRess, Timişoara, 2011 (330 p.), volume illustré par l'auteur.

 

D. S.

Sélection de textes

11.

Au-dessus des toits de bois

Des fragments de ciel bleu

Jouent leur symphonie lunaire

Avec un violoniste des Carpates.

Aux murmures de la prière de père,

Sur la place de l'imaginaire

Un couple se dédouble

Aux jeux étranges de l'amour.

Des anges se balancent

Aux fils des étoiles,

C'est l'union magique de la terre,

C'est le temps d'un ciel transparent,

Où des poètes la tête renversée

Chevauchent les miroirs du rêve.

Mais l'âme et le corps

Dans leur tentative de vie,

Devinent déjà le goût

Dissident de la mort.

 

Peste acoperişuri de lemn

Fragmente de cer albastru

Îşi joacă simfonia lunară

Cu un violonist din Carpaţi.

În murmurul rugăciunii tatălui,

În piaţa imaginară

Un cuplu se dedublează

În jocuri stranii de iubire.

Îngerii se leagănă

Pe firul stelelor,

Este uniunea magică a pământului,

Este vremea unui cer transparent,

În care poeţii cu capul pe spate

Călăresc pe oglinzile visului.

Iar trupul şi sufletul

În tentativa lor de viaţà,

Ghicesc deja gustul dizident al morţii.

 

40.

Humble jardinier

D'une éternelle errance,

Pour vous je mets en terre

Des graines gorgées de sève,

Pour quelques floraisons nouvelles

Au cœur d'un paysage en espérance.

De ce poème je vous offre le fruit,

Prenez-le entre vos mains,

Insufflez-lui la vie,

C'est un songe qui nous ressemble.

Rêvons, osons croire

En cette ultime envolée,

Saisissons l'éphémère, l'imaginaire,

Le beau conçu par les jeux d'amour

De nos corps illuminés de promesses

Et tissés d'allégresse.

Umil grădinar

Al unei eterne rătăciri,

Pentru tine aşez în pământ

Seminţe pline de sevă,

Pentru câteva înfloriri noi

În miezul unui peisaj de speranţă.

Îţi ofer fructul acestui poem,

Ia-l în mâini, insuflă-i viaţă,

Este un vis care ne seamănă.

visăm, îndrăznim credem

În acest ultim zbor,

apucăm efemerul, imaginarul,

Frumosul conceput de jocurile de iubire

Ale trupurilor noastre iluminate de promisiuni

Şi ţesute din vie bucurie.

45.

L'air se charge de sel,

De poussière d'écume,

De senteurs d'algues.

Entendez-vous les cris

Des mouettes rieuses,

Les vagues qui roulent

Sur les galets polis

Mêlés de noir et de gris.

Sous le bleu des draps d'azur

Le ciel et l'eau se fondent

Sur la ligne d'horizon,

Les lumières crépusculaires

Déclinent en intenses nuances,

Où pour fertiliser l'amour

J'érige des filets

De perles de brume.

Aerul se încarcă de sare,

De prafuri de spumă,

De mirosuri de alge.

Auziţi voi oare strigătele

Pescăruşilor hohotitori,

Valurile care se rostogolesc

Peste pietre şlefuite

Amestecate cu cenuşiu şi negru,

Sub albastrul cearceafurilor de azur

Cerul şi apa se contopesc

Pe linia orizontului,

Luminile crepusculare

Scad în nuanţe intime,

Unde pentru a fertiliza iubirea

Eu întind plasele

Cu perle de ceaţă.

64.

Que penser d'un monde

Où l'on mutile les statues,

Où l'on brise la roue d'éternité.

Elle est si fragile la Paix,

Si fugitive, comme un reflet

Sur un miroir brisé,

Un petit nuage rose

Dans un ciel en tourment,

En cette étrange lumière

De soleil d'hiver.

La Paix se fragilise

Comme un arlequin blessé,

La Paix confiée au bec

D'une colombe étonnée du silence

Lorsque les canons se sont tus,

La Paix brodée

Aux voiles des veuves.

La Paix cette illusion,

Dormant sous des millions

De croix blanches et noires,

La Paix suspendue aux barbelés

Avec ses ailes engluées.

La Paix comme une cathédrale,

Indéfinissables ruines majestueuses

Noyées dans les brumes.

Que penser d'un monde

Où l'on mutile les statues,

En cette étrange lumière

De soleil d'hiver.

Ce crezi despre o lume

În care se mutilează statui,

În care se frânge roata eternităţii.

Pacea este atât de fragilă,

Atât de fugară, ca o reflectare

Pe-o oglindă spartă,

Un norişor roz

Pe un cer furtunos,

În această lumină stranie

De soare de iarnă.

Pacea se fragilizează

Ca un arlechin rănit,

Pacea încredinţată ciocului

Unei porumbiţe uimite de tăcere

Când tunurile au tăcut,

Pacea brodată

Pe vălurile văduvelor,

Pacea această iluzie,

Dormind sub milioane

De cruci albe şi negre,

Pacea suspendată de sârma ghimpată

Cu aripile lipite,

Pacea ca o catedrală,

Ruine majestuoase nedefinite

Înecate in ceţuri.

Ce crezi despre o lume

În care se mutilează statui,

În această lumină stranie

A soarelui de iarnă.

 

75.

Dans l'onirisme imprévu

D'une parenthèse de vie,

S'imaginer pouvoir un jour

Se situer en marge du temps

Pour écrire l'infini du poème,

De l'univers capter l'énergie,

Se laisser porter en un fol envol,

S'inventer l'indicible du monde.

Juste le temps d'un vers

Composer une musique stellaire,

S'imaginer pouvoir un jour

De la partition déchiffrer l'éternel,

Puis au gré d'une turbulence

Danser avec les galaxies

Sur les pouponnières d'étoiles,

Jusqu'à la naissance sublime

De la ronde des mondes

Pour l'insolite de l'amour.

În onirismul neprevăzut

Al unei paranteze de viaţă,

crezi ai poţi într-o zi

te situezi la marginea timpului

Ca scrii infinitul poemului,

captezi energia universului,

te laşi purtat de un zbor nebun,

inventezi nerostitul lumii.

Chiar în timpul unui vers

compui muzica stelară,

Să-ţi imaginezi într-o zi ai poţi

descifrezi eternul partiturii,

Apoi în voia unei turbulenţe

dansezi cu galaxiile

În creşele stelelor,

Până la naşterea sublimă

A horei lumilor

Pentru insolitul iubirii.

76.

Sur le chemin des cendres

J'irai brûler les souches de l'absence,

En observant le miroir des eaux

Du lavoir où joua Rimbaud,

De l'ivresse d'un bateau,

À l'enfer des saisons.

Parfois rassemblés, souvent isolés,

Nous côtoierons l'indicible

D'une harmonie sauvage,

D'un théâtre de verdure,

Au seuil de la folie, de l'incertitude,

D'un imaginaire à recomposer.

Oiseleurs de paroles migrantes,

Bergers d'icônes brisées,

La vie, comme la poésie, nous appartient,

Elle deviendra notre chemin, notre symphonie,

Mes voyelles reposeront entre tes mains,

Et tu en feras une nouvelle parade.

Pe drumul cenuşii

Voi merge ard trunchiurile absenţei,

Observând oglinda apelor

Din spălătorul în care se juca Rimbaud,

De la beţia unui vapor,

La infernul anotimpurilor.

Uneori adunaţi, adesea izolaţi,

Noi vom atinge nerostitul

Unei armonii sălbatice,

Al unui teatru de verdeaţă,

În pragul nebuniei, al incertitudinii,

Al imaginarului de recompus.

Păsărar de cuvinte migratoare,

Păstor de icoane sparte,

Viaţa, ca şi poezia, ne aparţine,

Ea va deveni calea noastră, simfonia noastră,

Vocalele mele se vor odihni în mâinile tale,

Şi tu vei face din ele o nouă paradă.

84.

Voici venu le temps des frondaisons,

Des branches en éclosion,

D’un étonnant poudroiement.

Abîmes enivrants

Troublants tourbillons,

Mirage d’un temple charnel

De rose et de dentelle,

Où l’on sacrifie

Au culte de l’Amour !

Iată revenind vremea înfrunzirilor,

A crengilor înflorite,

Într-o uimitoare pulverizare.

Abisuri îmbătătoare,

Vârtejuri tulburătoare,

Miraj al unui templu carnal

De trandafir şi de dantelă,

Unde se petrece sacrificiul

În cultul iubirii !

 

(*)

 

Michel BénardLes Soies de L’imaginaire / Mătăsurile imaginarului (210 p.) Traduction en roumain et postface par Manolita Dragomir-Filimonescu. Préface par Adrian Dinu Rachieru (210 p.) Éditions ArtPress (Timisoara – Roumanie), 2022.

Présence à Francopolis : nous avons accueilli Michel Bénard, avec des poèmes inédits, au numéro de mai-juin 2022, à la rubrique Salon de lecture ainsi qu’à la rubrique D’une langue à l’autre (en édition bilingue, traduction en roumain par Sonia Elvireanu), et, au numéro de septembre-octobre 2022, avec des poèmes inédits accompagnés de peintures d’Agnès Giuco, à la rubrique Créaphonie.

 

 

 

Michel Bénard traduit par Manolita Dragomir-Filimonescu
Michel Herland traduit par Sonia Elvireanu

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