Chaque mois, comme à la grande époque du
roman-feuilleton,
nous vous présenterons un court conte
ou nouvelle
:
Novembre
2015
Etienne
Paul Durand-Degranges
Partie 11 et fin
suite...
Mercredi matin, la neige est tombée toute la
nuit et il y en a une bonne dizaine de centimètres.
Étienne se dépêche de déjeuner pour aller
dehors. Impossible de trouver des vêtements de ski encore
à la bonne taille, mais tant pis. La montagne enneigée ne
semble attendre que lui et sa luge, en tout cas, Étienne n’a
qu’une envie, aller glisser sur cette neige fraiche et penser à
autre chose qu’à l’école. Le ciel est toujours gris, le
fond de l’air est frais, quelques petits flocons tombent encore de
temps en temps.
-
Maman, tu crois que demain il n’y aura pas école à cause
de la neige ?
- Je ne sais pas, je pense que les routes vont être
dégagées. Peut-être que la neige va fondre d’ici
demain, sur les routes en tout cas. Profites-en ce matin. Il sera
toujours temps de penser à l’école plus tard. Et puis il
faudra que je m’occupe de ton carnet de correspondance et que je
rencontre ton prof.
Etienne tire sa luge et monte sur la montagne pour
aller le plus haut possible. Il pense à l’air froid qui vient du
nord et à l’air humide qui vient du sud. Il adresse une
prière à il ne sait qui pour que les conditions
météo soient en place et que la neige tombe encore, pour
qu’il n’aille plus à l’école. Étienne est
arrivé suffisamment haut sur la montagne, il s’installe sur sa
luge et se laisse glisser vers sa maison. L’air frais sur le visage lui
fait du bien. Il se sent détendu. Il glisse, glisse et finit par
arriver sur le plat à la hauteur de sa maison. Il est content
parce qu’il ne s’est pas retourné une seule fois. Il grimpe
encore sur la montagne et fait une nouvelle descente. L’air frais le
grise. Arrivé en bas, il tire sa luge jusque devant la maison,
enlève la neige collée à ses vêtements et
rentre au chaud.
-
Tu rentres déjà ?
-
Non je viens boire et je vais chercher quelque chose dans ma chambre.
Une fois dans sa chambre, Étienne sort sa carte
de France et regarde encore son dessin, avec le conflit de masses
d’air. Il recommence ses incantations pour que la neige tombe encore.
Puis il sort un cahier et écrit la date du jour et continue en
écrivant, « Cher journal ». Étienne
écrit pendant quelques minutes puis range son cahier et retourne
jouer dehors.
Les flocons sont devenus plus gros et plus abondants,
il pense que sa magie fonctionne. Il prend sa luge, monte haut sur la
montagne. Par la fenêtre de la cuisine, sa mère
l’aperçoit au loin mais, avec les flocons qui deviennent de plus
en plus nombreux, la visibilité est réduite. Elle le voit
redescendre sur sa luge, elle est rassurée, elle sait qu’il va
faire attention et ne pas aller du côté de la falaise. La
radio joue Étienne de Guesch Patti, Marie-Louise se dit
que c’est étrange que cette chanson soit revenue à la
mode. Elle regarde encore par la fenêtre, son Étienne doit
être en haut de la montagne avec sa luge, elle ne le voit pas.
Elle va baisser le son de la radio, en repensant qu’à chaque
fois qu’Étienne entendait cette chanson dans la voiture, il
arrêtait l’autoradio en disant qu’il ne supportait pas d’entendre
ça. Il est temps de passer à table, Marie-Louise demande
à son mari d’aller chercher Étienne pendant qu’elle finit
de préparer le repas et la table.
*
- Je veux comprendre. C’est simple non ? Je ne peux pas
croire à un accident, je le voyais faire de la luge, il n’a
jamais été du côté de la falaise. Je ne vois
pas comment il aurait pu en tomber par accident.
- Et tu penses qu’il s’est jeté volontairement du
haut de la falaise avec sa luge ?
- Je veux comprendre, je veux comprendre. De toute
façon tout ça c’est de ta faute. Cette connerie de ferme
à retaper c’était ton idée. On a tout passé
dans cette merde, même la vie de notre enfant. C’est
terminé tu comprends ? Tu vas te démerder tout seul.
Une fois que les funérailles seront terminées, je repars
à Paris, je vais chez mes parents et tout est fini. Mais
maintenant, je veux comprendre.
*
Marie-Louise rentre dans la chambre d’Étienne.
Sur le bureau, elle voit la carte de France pour faire tomber la neige.
Elle attrape le carnet de correspondance et regarde le mot du
professeur. Elle cherche dans les tiroirs, voit uniquement des cahiers
d’école. Elle tourne dans la chambre, à la recherche
d’une réponse, mais rien. Elle ne sait pas ce qu’elle cherche en
fait, une lettre, un journal intime. Oui sans doute, un journal intime.
Elle ouvre de nouveau les tiroirs et prend les cahiers de classe.
Là, caché parmi les cahiers, le journal qu’elle
espérait trouver. La meilleure cachette qui soit. Un cahier
d’école qui ressemble à tous les autres cahiers
d’école. C’est pour ça qu’elle ne l’a jamais vu en
faisant le ménage. Elle l’ouvre, le feuillette, lit des bouts de
phrases, et alors, elle comprend.
Cher journal, premier jour dans ce collège et
ça ne va pas être facile. Ils se connaissent tous depuis
des années et ils forment des groupes. Non seulement je me sens
seul mais, en plus, ils se moquent tous de moi. Ils me traitent de
« Parigot ». Ils n’arrêtent pas de
répéter « Oh, tiens-le bien ». En
rentrant ce soir, j’ai compris que c’était à cause de
cette chanson débile.
Cher journal, aujourd’hui, celui qui est à
côté de moi en classe a copié sur moi pendant le
devoir. J’essayais de cacher ma feuille mais il a menacé de me
casser la gueule avec ses copains.
Cher
journal, le prof a divisé la note en deux parce qu’il a compris
qu’on avait triché.
Cher journal, ce matin quand je suis arrivé
dans la cour, le gros con m’a demandé mon devoir de maths parce
qu’il n’avait pas fait le sien et il voulait le recopier. Comme je ne
voulais pas le lui donner il a pris mon cartable et l’a fouillé
pour l’avoir.
Cher journal, aujourd’hui j’ai répondu
n’importe quoi comme ça l’autre a copié de mauvaises
réponses. Mon surnom c’est Tiens-le bien. Je déteste
cette chanson.
Cher journal, comme on a eu zéro tous les
deux, il s’est vengé dans la cour et il a pris mon blouson, l’a
découpé en morceaux et l’a mis à la poubelle.
Cher journal, parfois je me dis que je devrais en
parler à mes parents mais quand j’essaie d’avoir une
conversation avec eux, ils ont toujours quelque chose d’autre à
faire.
Cher journal, je n’ai pas fait ce que l’autre gros
con voulait, avec ses potes ils m’ont frappé et m’ont
piqué ma trousse. Souvent ils m’attendent à la sortie de
l’école et comme j’arrive en retard à la voiture, ma
mère me fait des reproches.
Cher journal, je crois que j’ai fait une connerie.
Ce matin il voulait encore mon devoir de math, je l’ai
déchiré en petit morceaux et je le lui ai envoyé
dessus. Le prof voit que quelque chose ne va pas parce que je n’ai pas
mon devoir, il veut voir mes parents. Pour l’instant, il neige et je
crois que depuis que je suis ici, c’est la première fois que je
trouve que quelque chose de bien se produit.
Cher journal, je ne sais pas si c’est moi qui fait
tomber la neige ou pas mais c’est trop beau. Je sais que ça ne
va pas durer et qu’il faudra retourner à l’école. Mais je
n’irai plus jamais à l’école, je vais rester ici,
allongé dans la neige.
FIN
Partie 1
****
Paul
Durand
Degranges, est originaire de Lyon. Il
habite le sud de
la France. Il a
écrit de
nombreux ouvrages dans le domaine informatique, en particulier dans la collection Pour
Les Nuls. Il
a également publié deux romans :
Rhapsodie
pour un Ange. Thriller. Édition Québec Livres
ISBN : 978-2764024140
L’Ombre
blanche. Thriller psychologique. Édition
Québec Livres ISBN : 978-2764024133
* Ces deux
romans
sont aussi disponibles en version numérique.
Francopolis
novembre 2015
Paul Durand Degranges
recherche Éliette Vialle
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