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   Chaque mois, comme à la grande époque du roman-feuilleton,

   nous vous présenterons un épisode d'une Nouvelle ou d'une Correspondance.


    Suite de la correspondance entre Aurore Delrieu et François Bonnard.

Une nouvelle épistolaire qui ne manquera pas de vous émouvoir ni de vous surprendre. Car il ne s'agit pas seulement, ici, de confidences qui libèrent les personnages. Non seulement ils sont fort attachants, mais, précisément à cause de cela, l'on aime les lire en profondeur, à un second niveau, au delà des apparences  qu'ils ont données, parfois malgré eux, à eux-mêmes et à leur vie. Derrière le personnage, la personne ne tarde pas à apparaître, derrière les événements évoqués, une autre  "réalité" se dévoile, et un autre avenir ...  (Lilas)

***


Aurore Delrieu et François Bonnard sont amis depuis longtemps et liés par le même amour des mots, des émotions, qu'elles soient exprimées avec force ou bien de façon beaucoup plus retenue.

Une histoire fictive entre "Elle et Lui" qui raconte deux histoires, qui parle d'une autre vie, d'un nouvel avenir, avec espoir, fébrilité, crainte, angoisse, abattement parfois, mais toujours avec la conscience aiguë de ce vers quoi on tend, de ce à quoi on tient plus que tout !


***

Ils se sont croisés, ils se sont tout dit, ils ont décidé de se raconter la suite...

Correspondance : ELLE  ET LUI   ( en trois épisodes)
Partie I ( octobre 2011)

Partie II... suite novembre 2011

LETTRE 4 – ELLE

Lorsque vous évoquez si bien la douce nostalgie de certains moments de votre enfance, je me retrouve moi-même par mégarde dans des recoins cachés de ma mémoire. On aimerait que certaines choses soient immuables. Que tout reste figé dans une bulle impénétrable empreinte de merveilles, de confiance, de pureté, où l'on peut alors être rassuré d'une vie sans surprise et sans heurts... Une paisible tiédeur linéaire.

Et vous avez raison. Je crois avoir fait un malheureux transfert entre cet homme et un autre que j'ai aimé. Mais quand vous faites tout pour effacer les choses d'hier, pour reconstruire ou ré-inventer aujourd'hui et que les douloureux archétypes du passé reviennent quand même à la surface, ce n'est  pas vraiment étonnant ! Je l'ai aimé tellement fort, d'une manière tellement démesurée que malgré tous mes efforts, il m'est encore très difficile d'y penser sans avoir le cœur meurtri d'un manque inégalable de sa présence, jusqu'à ce jour.

Alors, même si je suis dans cette nouvelle maison, si ma vie reprend un semblant de chemin moins tortueux, si d'autres hommes ont pris « sa » place depuis plus de quinze ans, aucune situation ne pourra plus être aussi intensément passionnelle. Peut-être est-ce le désespoir ou la mélancolie qui me font parler ainsi mais il y a une certitude qui reste là, intacte. Il a fait de moi celle que je ne suis pas, réellement, tout au fond.

Se perdre est tellement plus facile, j'ai choisi la voie la plus frustrante mais nécessaire pour survivre, pour que les affres de ma peur ne puissent jamais plus être exposées aux regards de tous.

 

LETTRE 4 -LUI

Il semble bien que vous et moi avons été la terre glaise que notre destin a façonnée, parfois même en dépit de nos aspirations profondes et ces formes animées (abîmées ?) que nous sommes devenues sont mues de façon incontrôlable en certaines circonstances ! Les déchirements de l’âme sont bien, au fond, l’expression douloureuse de cette permanente et vertigineuse lutte entre ce que nous sommes, ce que nous aurions voulu être, ce que nous faisons, ce que nous ne pouvons pas nous empêcher de faire, ce que nous n’arriverons jamais à faire. 

A des milliers de kilomètres de ma vie d’avant, je me demande parfois s’il n’a pas été vain de partir si loin chercher ce qui finalement était déjà en moi. L’impression de liberté liée au départ, à la découverte de nouveaux espaces, n’est qu’illusoire si elle ne s’accompagne pas d’une profonde mutation intérieure. Partir pour se donner la force d’être.

J’ai longtemps hésité avant de me décider d’aller à la séance de cirque à laquelle ma mystérieuse rencontre m’avait convié, un peu comme si je pressentais que m’y rendre fermerait définitivement la porte sur tout ce que j’avais décidé de quitter en venant ici, sans savoir véritablement si c’était temporaire ou non,  Un pressentiment… qu’est-ce que c’est au fond ? Une certitude ? Une envie ? Une crainte ? Ou bien quelque chose de bien plus irrationnel ?

J’ai fini par me décider et j’avoue que j’ai fait un peu attention à la façon dont je m’habillais. On ne sait jamais avec un pressentiment !

J’avais raison de m’attendre à tout ; elle n’était pas là quand je suis arrivé devant le joli chapiteau planté en bord de mer, à l’autre bout de la ville. J’ai attendu quelques minutes en me demandant si je ne ferais pas mieux de repartir rêver ma vie comme j’ai pris l’habitude de le faire dès que j’en ai le temps depuis mon arrivée, dans ce lieu si propice aux divagations de l’Être.

Et puis je me suis dit que je n’avais pas entrepris tout ce périple après tant d’années pour me contenter de regarder passer mon existence sous mes yeux contemplatifs !

Je me suis retrouvé dans un espace irréel, chaleureux, rempli de couleurs, de lumières, de sons, de bruits, d’odeurs, parfois surprenantes. Je me suis assis tout en haut des gradins en bois pour mieux m’imprégner de cette atmosphère magique, hors du temps ! Je me suis laissé emporter dans l’univers fascinant des gens du cirque et j’ai un peu laissé de côté ma désillusion circonspecte face à ce rendez-vous que je pensais avorter.

Car elle était bien là, sous mes yeux ébahis et envoûtés, je l’ai soudain découverte en train de virevolter dans les airs au-dessus de nos têtes. Lumineuse, légère, insouciante en apparence face au danger, elle a enchaîné les numéros à la fois remplis de grâce et d’une maîtrise technique fascinante. Et lorsque je me suis retrouvé face à elle, à la fin du spectacle, devant un délicieux verre de vin chaud, j’avais encore la tête remplie de ses arabesques aériennes.

Et quand elle m’a dit qu’elle partait le lendemain pour trois jours un peu plus au Nord et qu’elle m’a demandé si je voulais et pouvais l’accompagner, j’ai dit oui… en une fraction de seconde !

Et ce soir, seul dans ma chambre, je fixe les étoiles de ma fenêtre en attendant que la nuit palisse. On a rendez-vous au petit matin…

 

LETTRE  5 – ELLE

Vous devez vous sentir plus fort après cette décision de prendre votre destin en main, de contrôler un tant soit peu certains événements, non ? Quel plaisir de pouvoir sentir renaître ce libre-arbitre qui nous fait défaut parfois. Insouciant de l'avenir, aller vers un inconnu effrayant et attirant malgré tout.

Pour cette fin d'année j'ai décidé d'aller dans une autre ville me promener. Une ville où seuls les inconnus peuvent me voir sans vraiment me connaître. Je me suis retrouvée au hasard des rues devant une église, majestueuse de blancheur, intacte en apparence, froide au toucher et silencieuse. J'ai toujours aimé aller dans ces endroits pour ressentir toute l'émotion laissée par ces gens qui viennent remercier, prier, pleurer, invoquer un « quelque chose » 

Cela faisait deux années que je n'avais pas pénétré dans un lieu aussi fort. Plein de touristes qui photographient des tombeaux, d'autres qui passent sans vraiment regarder ou encore ceux qui viennent allumer des cierges. Je me demande alors s'ils viennent réellement éclairer une âme ou seulement parce qu'ils trouvent ça joli à regarder !

Je me suis arrêtée devant une statue de Marie qui tend les mains vers les autres. Je n'ai pas prié, je l'ai trop fait il y a deux ans et cela n'a servi à rien, à part me fâcher avec ce qu'il se passe tout là-haut.

Pourquoi moi ? Pourquoi lui ? Pourquoi à ce moment-là ? Où est- il allé ? Que dois-je comprendre ? Tant de questions qui ne cessent de me tourmenter en vain. 

J'ai pris un cierge, je l'ai allumé et je ne savais même pas pour qui. Je me suis assise au milieu de tous ces va-et-vient, dans une « bulle », indifférente au monde  de ces chuchotements forcés, en espérant peut-être quelque chose de « divin »... une force qui me pénètre, une chaleur qui réchauffe un peu mon cœur 

Et là, sans plus rien comprendre, les larmes sont arrivées, une douleur fulgurante m'a traversée et je n'ai plus rien contrôlé. Moi qui voulais être apaisée, le chaos était à nouveau en moi. Et je n'ai pas non plus senti la présence de cet homme à mes côtés... mon voisin ! 

Il me regardait depuis un moment puis il m'a prit la main, m'a guidée vers la sortie et m'a dit que je ressemblais à une madone italienne et que ma tristesse l'avait ému d'une manière que j'étais vraiment loin d'imaginer. Il m'a embrassée comme un père embrasserait sa fille et m'a dit de rentrer chez moi car « tant que les larmes et les doutes étaient là, le temps n'était pas encore à la prière... »

LETTRE 5 - LUI

Comme ils sont forts ces moments où l’on se retrouve face à soi-même ! Que cela soit dans une église, face à la mer, perdu dans une forêt, au beau milieu d’une rue bondée de personnes, dans les yeux d’un(e) autre.

Il existe des secondes privilégiées où l’on cesse d’être en apparence, où l’on touche à son essence profonde, où l’on sent la plus infime des parties de son âme s’exprimer avec force, avec une intensité qui nous émeut jusqu’au bouleversement parfois !

Vous avez ressenti cette émotion dans un lieu dédié au recueillement, à la paix intérieure… je l’ai ressentie abandonné dans les bras d’une étoile dans des paysages à couper le souffle !

Et me reviennent ces mots que je vous ai écrits au début de notre correspondance: « Il m’est arrivé parfois de ressentir ce sentiment d’éternité qui nous envahit lorsque deux êtres s’étreignent jusqu’à oublier qui ils sont, où ils se trouvent, ne formant plus qu’un immense rayon de lumière intemporelle…»

Trois jours durant, elle et moi avons, tout à la fois, arpenté des lieux majestueux, sauvages, presque vierges de toute humanité, et dévoré nos corps fiévreux, brûlants, aimantés. Et dans ce bout du monde, j’en ai oublié que j’avais eu une vie avant ces heures incandescentes… elle m’a emporté au-delà de tout !

Sur le chemin du retour, elle m’a dit qu’elle partait avec son cirque jusqu’au printemps. Elle m’a donné un tout petit paquet en me demandant de ne l’ouvrir qu’une fois que je serais seul. Je l’ai accompagnée jusqu’à la petite place où ses compagnons de voyage avaient commencé à défaire le chapiteau. Nous avons encore vécu là des heures à se frôler, sans se parler, juste à respirer le souffle de l’autre à quelques centimètres.

J’ai partagé le repas de toute l’équipe du cirque avant son départ ; il y avait à la fois la joie d’aller découvrir d’autres espaces et la mélancolie de quitter un endroit où tant d’émotions avaient été vécues. Et dans la nuit tombante, la caravane s’est étirée sur la route le long de la mer… longtemps j’ai suivi des yeux la frêle guirlande des phares danser entre ciel et mer.

Je suis rentré lentement à l’hôtel, à la fois vide de cette chaleur qui ne collait plus à mon corps et rempli de toutes ces lumières qu’elle avait laissées en moi.

Arrivé dans ma chambre, j’ai ouvert le paquet. Il y avait une mèche de ses cheveux, une nouvelle petite affiche du cirque pliée en huit et sur cette affiche était entourée une date… celle de son retour !

Il y avait aussi quelques mots délicatement écrits : « On a toujours le choix… sauf pour la mort ! Et encore… »


LETTRE 6 – ELLE

Votre histoire me fait penser au titre d'un livre « Je voudrais que quelqu'un m'attende quelque part...». Avoir quelqu'un qui pense à vous, qui espère votre retour même si vous êtes à l'autre bout du monde, même si vous ne revenez que dans plusieurs mois, il n'y a rien de plus délicat et intense que de voir ce que cette demoiselle vient de faire naître chez vous : l'espoir d'un retour, la patience du renouveau, le frisson de la frustration, sauf que cette fois c'est vous qui êtes dans l'attente ! 

Et vous avez en effet le choix de l'attendre ou pas !

Je suis en train de vous écrire dans un endroit insolite, un hôpital où je viens d'accompagner un ami, je l'attends dans une salle lumineuse, trop lumineuse, aseptisée, impersonnelle et je me souviens presque malgré moi d'une image que j'ai tenté d'oublier.

Une infirmière me dit d'entrer pour venir dire au revoir à mon époux.

Déjà dans le coma, nu sur une table trop dure j'en suis certaine, juste recouvert d'un drap, l'infirmière me dit que je peux lui parler, qu'il peut m'entendre, qu'il ne souffre pas. Mais qu'en sait-elle après tout ? Elle y est déjà allée là-bas ? Quel est le seuil exact de la perception de la douleur, de la vie ?

Je lui demande s'ils ont récupéré son alliance et d'un geste brusque elle s'approche de lui et lève le drap. Je le vois comme s'il dormait paisiblement quand parfois je restais à le regarder toute la nuit juste pour me convaincre qu'il était bien là près de moi. Je vois un corps chaud qui respire encore tout seul. Je vois un corps nu et je regarde cette infirmière qui elle ne le regarde déjà plus comme un homme. Elle se penche seulement pour vérifier si cette fichue bague est toujours là. J'ai envie de lui dire que merde, c'est mon mari, qu'elle n'a même pas la décence de le regarder comme un être humain en vie ! Et puis j'ai envie de la frapper et puis j'ai soudain envie de sortir de cette pièce.

Une pièce où il n'y a plus qu'une infirmière qui fait juste son travail avec détachement pour ne pas avoir à pleurer devant chaque patient, un homme presque déjà mort et une femme qui ne pleure pas et qui est en train de mourir aussi d'une autre façon.

Une scène bien triste me direz-vous !

Je dirais juste que l'on a peut-être le choix, parfois, d'oublier mais que bien souvent il y a des images, des personnes, des sensations qui reviennent vers vous malgré tout pour une bonne raison. Le tout est de comprendre pourquoi à un moment précis et pas à un autre. Pourquoi un passé que l'on disait « enterré » réapparaît sous une forme inattendue ? Enfin pourquoi l'on aimerait tant avancer, maladroitement et frénétiquement, pour un idéal un peu surréaliste ?

LETTRE 6 - LUI

La Mort s’invite en nous dès nos premières heures fœtales.  Elle naît au monde avec nous et se nourrit de notre chair, de nos âmes, toute notre vie durant, elle partage nos émotions les plus insondables, accompagne nos craintes les plus intimes, et se répand dans chacun de nos pores sans mot dire, elle peut rester tapie des années durant et surgir soudainement.

Chez certain(e)s, la Mort se découvre plus tôt et prend un malin plaisir à souligner sa présence, soit en faisant de sombres clins d’œil au gré d’évènements tragiques, soit en venant s’immiscer dans les recoins les plus enfouis des êtres qu’elle a choisi de torturer.

L’amour génère des douleurs incommensurables lorsqu’il est confronté à la Mort, surtout lorsque celle-ci est brutale et pire, précoce… si tant est qu’il y ait un âge idéal pour disparaître !

La violence de ce que vous avez vécu a laissé en vous d’indélébiles cicatrices !

Une plaie, aussi béante soit-elle, ne devrait être « rien de plus » qu’un stigmate, plus ou moins important, d’un traumatisme passé. Le handicap ne devrait être qu’apparent, à moins qu’il ne s’agisse d’une amputation auquel notre être ait été confronté, ce qui nécessite une reconstruction totale de tous les repères. Et ce d’autant plus que chez certains amputés, la conscience du membre disparu reste présente !

Vous avez bien fait de partir… Et je souhaite de tout cœur que, peu à peu, vous parveniez à appréhender l’horizon sans ressentir ces meurtrissures qui vous accablent et vous emprisonnent.

Pour ma part, j’ai appris à croire à nouveau en demain. Ou, plus précisément, j’ai appris à éprouver de nouvelles émotions, à ressentir autre chose que ce vide mélancolique, et parfois un peu aigri, qui accompagnait chacun de mes pas.

Je dois avouer que mon changement d’attitude a été immédiatement perçu par tous ceux que j’ai pris l’habitude de côtoyer depuis mon arrivée dans ces lieux. Certains m’ont même surnommé « le funambule » ! Moi qui pensais avoir été discret ! Mais, du coup, je ressens comme encore plus de chaleur de leur part. Un peu comme si tous me souhaitaient la bienvenue dans le monde des vivants.

Je vais très souvent au bord de la mer et je m’imprègne des embruns, qui  depuis l’autre côté des flots, m’apportent la saveur des baisers de celle à qui désormais je pense sans cesse. Le reste du temps, je pars aider les pêcheurs au large ! J’aime ces heures d’humanité passées sur la mer, qu’elle soit d’huile ou bien déchaînée ! Chaque signe, chaque parole, prennent une signification essentielle ! Les gestes sont répétés et pourtant ce ne sont jamais tout à fait les mêmes.

Et lorsque l’on rentre, au petit matin, la fatigue qui envahit nos corps nous remplit d’une ivresse partagée, celle d’avoir vécu des moments forts, et pourtant si simples, ensemble… ensemble. Comme ce mot est beau !




à suivre... Partie III
en décembre...

 
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Créé le 1 mars 2002

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