Partie I (octobre
2011)
Lettre 1 – ELLE (septembre 2010)
Ça y
est je suis arrivée ! Les lieux sont vides comme je
m'y attendais. Une solitude extrême m'apparaît alors,
où seul le silence
pourrait me donner une réponse.
Les portes sont closes et
à travers
les fenêtres on peut distinguer les murs blancs, intacts, sans
que la moindre
trace d'un éventuel passage ait pu les abîmer.
Je pénètre
dans cette maison en espérant y voir des
objets familiers, sentir ne serait-ce que le soupçon d'une
ancienne présence
mais qui n'est plus. Il n'y a absolument rien. Et là, à
cet instant précis, au
moment même où je vous écris, je me sens vraiment
perdue. C'est le noir
absolu dans ces pièces nues, inanimées, esseulées
elles aussi, enfin prêtes à
être habitées, dans l' attente que je puisse librement
prendre possession de
leur monde mais je ne sais pas trop comment m'y prendre.
Prendre possession d’un
espace, vierge de toutes images, heureuses ou
malheureuses, telle une page blanche où l'on doit écrire
un texte : le
plus difficile est de trouver le premier mot.
Et puis des gens sont
arrivés pour voir comment était ce
nouvel endroit et c'était drôle à voir. Ils
ont tous voulu m'aider en me disant où mettre un meuble, de
quelle couleur les
murs devraient être peints…
Je me suis alors
retrouvée dans ce lieu inconnu, sans y
avoir mis un peu de « moi ». Quelque chose qui devenait
viable, mais
impersonnel et froid tout comme mon cœur finalement. Je me souviens
alors de
jadis, de tout ce que j'ai parcouru, de tout ce que j'ai acquis et tout
ce qui
m'a été enlevé. Et devant cette maison, tout
à coup, sans rien pouvoir y faire,
je pleure, pleure, pleure...
Lettre 1 – LUI
J’ai
longtemps pensé à tous ces mots que nous avions
échangés. Votre lettre n’a fait que souligner à
quel point ce que nous avions évoqué peut-être si
fort, si juste, lorsqu’on se retrouve plongé dans une nouvelle
existence, lorsque les ombres d’hier n’ont pas encore
décidé de nous accompagner vers la lumière ou bien
de nous aspirer sans cesse vers des fantômes lancinants !
Je me suis installé
à mon tour depuis plusieurs jours.
Pour ma part, j’ai préféré choisir l’hôtel,
à la fois lieu d’accueil, de passage, de découverte,
d’abandon, impersonnel et si familier pourtant…
J’aime me retrouver dans cet
essaim d’humains où se
côtoient les êtres de passage, en quête de renouveau,
en perdition parfois aussi, en tangence entre deux mondes, à la
recherche d’émotions partagées de manière fugace
et tous ceux qui y vivent au quotidien, y travaillent et qui sont les
témoins privilégiés de toutes ces vies en transit.
J’aime me poser sur un fauteuil,
le soir, lorsque le soleil couchant
vient enrober l’atmosphère du lieu d’une lumière
surréaliste et intemporelle… ce moment si particulier où
l’activité humaine bascule entre deux univers, où les
attitudes se métamorphosent comme mues par des énergies
invisibles et irrépressibles !
Je regarde les gens s’activer,
passer devant moi ; je cherche à
entendre des bribes de conversations, à humer leurs sensations
enfouies au plus profond d’eux-mêmes, à ressentir un peu
de leur quotidien, dépister leurs émotions, leurs
préoccupations, leurs sentiments du moment...
Cet homme las assis près
du comptoir, n’est-il fatigué que par sa journée de
labeur ?
Cette belle femme assise l’air
absente contre la baie vitrée,
attend-t-elle quelqu’un ou bien est-elle en train de songer à ce
qui n’est plus ?
LETTRE 2 – ELLE
Les
hôtels me font peur.
Je suis toujours du
côté des personnes que vous
décrivez. Je me sens observée et je vois dans les yeux de
certains des questions muettes : pourquoi est-elle là toute
seule ? Va t’elle retrouver un amant dans une de ces chambres ? Y a
t-il de la mélancolie dans ses gestes mesurés ? Ou bien
est-ce tout simplement un moyen de contrôler un tant soi peu sa
vie qui part à la dérive ?
Mais, hormis des suppositions
mystérieuses quant à ma
vie, au bout du compte, personne ne cherchera jamais à savoir ce
que je pense véritablement et c'est bien triste.
Ce matin, en face de chez moi,
mes nouveaux voisins se sont
embrassés sur le pas de la porte. La veille au soir pourtant, on
les entendait hurler de fureur. Je me suis demandé quelle
pouvait être la raison d'une telle haine foudroyante et
passagère entre ces deux êtres si proches et si lointains
à la fois.
Et je me dis que pour moi, le
pire c'est de ne plus connaître cet équilibre que peut
être l'amour.
Le fait de ne pas se savoir
aimée (ou haïe) hormis des
amants de passage qui connaissent uniquement ce que je veux bien leur
montrer. On décide alors de jouer le jeu en devenant une proie
moins facile que certaines, avec l'excitation de savoir que l'on va
quand même perdre. Être en face d'un prédateur qui
se sent puissant et pourtant si dérisoirement pathétique.
Mais ce n'est pas ce jeu de
joutes inextricables que l'on attend en fin
de compte. On espère un feu qui dure plus longtemps ! Avoir de
nouveau près de soi un homme au quotidien, qui peut rassurer
rien que par son unique présence. Espérer un simple
effleurement. S'enivrer d'une caresse aussi pâle et
légère que le vent. Sentir un frisson impudique qui monte
vers la nuque… lentement. Un moment, simple battement d'ailes qui se
suspend alors... où lorsqu'au dessus de moi, son regard me fixe.
Un regard qui se durcit et se perd, il n'y a qu'à cet
instant précis que je me sens inexplicablement
invulnérable et vivante.
Au bout du compte, tout ce que
l'on cherche c'est rencontrer quelqu'un
qui nous regarde inlassablement, chaque matin, même au bout de
quinze ans, avec une incroyable force et qui vous dit que vous
êtes belle, juste pour que toujours nous nous sentions unique et
insidieusement «dépendante» de cette phrase.
LETTRE 2 – LUI
Il
m’est arrivé parfois de ressentir ce sentiment
d’éternité qui nous envahit lorsque deux êtres
s’étreignent jusqu’à oublier qui ils sont, où ils
se trouvent, et à quel moment… pour ne former plus qu’un immense
rayon de lumière intemporelle.
Fragile équilibre que
celui de la vie, que cette course
effrénée vers l’avant sans possibilité de
l’arrêter ! Rien ne dure à jamais ! Et pourtant,
exceptionnellement, il arrive que l’on se sente
pénétré d’une certitude, d’une perception autre
des choses, un peu comme si, durant un laps de temps indéfini,
on parvenait à tutoyer l’immortalité !
J’ai marché longtemps au
bord de la mer aujourd’hui, le long des
vagues qui, inlassablement, allaient et revenaient,
répétant à l’infini, le même mouvement, le
même souffle. Et pourtant uniques à chaque fois.
L'Homme qui (re)commence une
nouvelle vie a en lui force et douleur
enchevêtrées jusqu’au plus profond de ses tripes. Cet
attelage un peu surréaliste est pourtant source
d’émotions parfois contrastées, mais toujours
complémentaires, et qui poussent inexorablement vers un
Après…
En quelques jours, j’ai
déjà rencontré beaucoup de
gens. A chaque fois, je ressens l’ivresse face à ces terres
vierges. Quelle incroyable sensation que celle d’aborder de nouvelles
personnes sans lien aucun avec hier, à peine avec maintenant !
À chaque poignée de main, à chaque nouveau
bonjour, c’est Demain qui se profile avec la fougue d’un jeune
étalon ! Oh, je n’irai, bien sûr, pas dire que les hommes
sont meilleurs de ce côté-ci de la planète, qu’ils
sont tous animés de sentiments philanthropiques et
désintéressés. Je ne suis pas dupe. C’est
sans doute mon regard qui est plus positif, plus compréhensif
peut-être… plus indulgent !
Dans cette nouvelle
contrée, je suis le seul vestige de mon passé.
Durant ma promenade sur la plage
j’ai croisé une femme qui
marchait dans l’eau ses chaussures aux pieds… elle s’est
arrêtée à ma hauteur et a souri de mon regard que
je pensais pourtant anodin !
Elle est alors sortie des flots
et s’est assise sur le sable tout en
continuant à me regarder en souriant ! Elle a ôté
délicatement ses souliers, et les a pris à la main, elle
s’est relevée, puis elle s’est mise à marcher sur le
sable en riant aux éclats.
Je suis resté à la
regarder s’éloigner… longtemps son rire a dansé autour de
moi !
Lorsque je suis rentré
à l’hôtel, la nuit
était tombée. Je me suis laissé happer par
l’atmosphère chaleureuse imprégnée de musique et
remplie de paroles, de cris et de rires.
J’ai croisé alors le
regard un peu hagard d’un homme seul qui
semblait sortir de nulle part. C’était le mien dans le grand
miroir au fond de la salle.
Je lui ai souri…
LETTRE 3 – ELLE
Cette
femme dont vous décrivez le sourire, me fait penser à une
naïade perdue, condamnée entre folie et liberté.
Irréelle peut-être, seulement perçue par vous, qui
sait ? Et c'est là où doit résider
l'équilibre : ne pas franchir l'espace du rêve, faire le
tri entre les fantasmes et ce qui doit être vécu.
Équilibre fragile mais
nécessaire où sombrer dans
la noirceur éthérée de l'onirisme serait la plus
regrettable erreur à faire. Je me dis qu'il en est de même
pour nos émotions. Se sentir dans un moment important mais ne
pas pouvoir ou ne plus savoir comment faire pour agir.
Quand pouvons-nous nous laisser
aller et sentir un soupçon de
sentiment ? Quand devons-nous passer à l'action ? Quel est le
juste milieu pour ne pas trop s'exposer sans pour autant finir par tout
perdre à force de vouloir tout contrôler ? Lorsqu'on est
froid, absent, inerte ou bien encore inexistant, lorsque les
émotions affluent comme la mer mais jamais ne restent.
J'occupe quant à moi mon
nouveau lieu avec plus de douceur et de
paix. Je prends le temps de regarder le jardin où tout doit
être réinventé. Je jette un œil à
l'extérieur tout en essayant de ne pas craindre pour mon espace
vital. Une intrusion qui me fait peur à chaque fois.
Mais ce matin il m'est
arrivé une chose étrange. J'ai vu
mon voisin qui était devant ma porte et il pleurait.
Après une soirée difficile avec sa femme il a un peu
flanché... Je me suis retrouvée alors à être
le témoin de cette tristesse, de ce torrent de larmes qui
roulait sur ses joues. Je me sens tellement désarmée et
déstabilisée devant cet homme si mélancolique que
je ne sais plus comment trouver les mots qu'il attend.
Sensiblerie ? Faiblesse ? Ou
bien au contraire, n'est-ce pas une
incroyable pureté, une féminité assumée qui
ne le rend que plus viril ?
Où se situe
l’équilibre entre un homme trop doux et une
femme tellement dure. Comment lui rendre une place plus légitime
et de manière élégante ?
LETTRE 3 – LUI
« Lui
rendre une place plus légitime…», auprès de qui ?
D’elle ou bien de vous ?
Le lien qui en peu de temps vous
a relié à cet homme
semble prendre sa source dans une autre époque, un autre lieu
peut-être ? Les émotions et les sentiments que vous lui
prêtez sont-ils bien les siens ? Ne sont-ils pas ceux d’un autre ?
Il semblerait que vous et moi
fussions confrontés à
quelques fantômes, réels ou pas, là est bien la
question !
J’ai recroisé « la
naïade. »... Histoire de m’assurer qu’elle existait bel et
bien.
La mer est en tout cas un
domaine qu’elle affectionne. J’étais
assis sur la plage déserte (moi aussi j’aime la mer…) à
scruter l’horizon. Je suivais au loin le vol des mouettes qui
tourbillonnaient autour des bateaux des pêcheurs rentrant au
port. Je percevais à peine le léger ronflement des
moteurs qui venait se marier avec le ressac et le cri lointain des
oiseaux.
J’ai senti soudain une
présence derrière moi. Elle
était là, assise elle aussi, à quelques
mètres de moi. J’ai hésité… et puis elle m’a souri
! Alors je me suis levé et me suis approché d’elle. Elle
s’est redressée d’un bond joyeux et m’a tendu la main d’un geste
délicat, elle m’a remis un bout de papier plié plusieurs
fois pour bien tenir dans le creux de sa main. J’avais à peine
commencé à le déplier qu’elle avait
déjà rejoint le chemin en riant toujours, de ce
même rire qu’elle avait laissé résonner dans ma
tête la dernière fois.
Du coup, j’ai remis le papier
dans ma poche et je suis rentré.
J’avais envie de garder un peu de mystère à ce
présent quelques instants encore !
Je me suis laissé porter
par mes pas jusqu’au port; les bateaux
des pêcheurs arrivaient à leur tour, toujours
accompagnés d’une bruyante nuée de mouettes. J’ai
regardé les marins débarquer leurs caisses remplies de
poissons encore frétillants, certains luisaient comme la mer
avant un orage lorsque la lumière du ciel se confond avec celle
des flots. Les hommes s’affairaient avec entrain, les mères
tenaient leur enfant par le col pour qu’ils ne se penchent pas trop
vers l’eau en regardant de plus près l’intérieur des
caisses encore sur les bateaux !
Des images de mon enfance ont
rejailli avec une douceur un peu
mélancolique… on n’oublie jamais véritablement
d’où l’on vient.
J’ai alors senti le papier dans
ma poche. Je suis allé jusqu’au
bout de la jetée, là où les vagues viennent mourir
en se fracassant et je me suis assis sur un rocher pour le lire.
C’était une petite
affiche annonçant un spectacle de
cirque dans deux jours : la date et l’heure étaient
entourées finement d’un trait rouge vif.
... à suivre...